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Interview   

Titan : trente-cinq ans après


Un énorme défi : voilà ce qu’est Palingenesia, le nouveau disque de Titan. Car ce deuxième album du groupe basque intervient trente-cinq ans (!) après son premier disque éponyme qui avait reçu, à l’époque, un très bel accueil de la part des fans de heavy metal français. Fondé par des ex-membres du groupe Killers, Titan avait splitté deux ans après à cause de différents problèmes évoqués dans l’entretien qui suit par Patrice Le Calvez, le chanteur du groupe.

Le frontman revient également sur la genèse de la reformation du groupe qui s’est déroulée, en 2017, dans le cadre du festival Pyrenean Warriors Open Air. Une soirée riche en émotions qui avait rassuré Patrice et ses acolytes : oui Titan est encore dans le cœur des gens et oui Titan maîtrise encore son sujet. Les onze titres qui composent ce Palingenesia bien produit ont en effet tous les arguments pour convaincre les amateurs de heavy metal avec un chant cent pour cent en français.

« J’ai juste un regret par rapport au son de l’époque : nous étions noyés dans la réverbe et je pense que c’est dommage. Les morceaux du premier album n’auraient pas été complètement démodés avec un son actuel. »

Radio Metal : Tu as fait partie de la formation initiale de Killers en 1982 et le premier album de Titan est sorti en 86. L’époque des années 80 était très vivace pour les scènes hard rock et metal. Quel souvenir gardes-tu de cette scène, en comparaison avec la scène actuelle ?

Patrice Le Calvez (chant) : Ça me rappelle une certaine dynamique. Quand j’étais chez Killers, nous avions participé au France Festival à Choisy-le-Roi en 85 étendu sur deux jours, avec une vingtaine de groupes exclusivement français. Il y avait une certaine dynamique dans les années 80, que ce soit au niveau du heavy metal français ou de n’importe quel autre genre, c’était assez énorme ! Mais, pour comparer, il y avait beaucoup moins d’endroits pour jouer : c’était plus compliqué à l’époque. Aujourd’hui, il y a pas mal de festivals à taille humaine, souvent animés par des associations. Je ne suis pas pour autant nostalgique : j’aime beaucoup la période « actuelle », parce que, si cela fait presque deux ans que nous sommes emmerdés par le Covid et la situation sanitaire, je trouve que la scène metal est aussi très dynamique et c’est cool. Je n’ai pas de préférence pour telle ou telle période.

Quelles étaient les conditions quand vous aviez enregistré votre album de 86 ? Était-ce déjà professionnel à l’époque de Killers ?

Oui, c’était tout à fait professionnel. J’ai juste un regret par rapport au son de l’époque : nous étions noyés dans la réverbe et je pense que c’est dommage. Les morceaux du premier album n’auraient pas été complètement démodés avec un son actuel. Il y avait une certaine façon de procéder, c’était la mode de la réverbe mais ça nuisait à la dynamique des morceaux. Mais l’enregistrement en soi était professionnel, oui.

Penses-tu que l’album Titan aurait vocation à être remasterisé avec la production actuelle ou est-ce que ça ne vous intéresse pas ?

Nous avons eu beaucoup de retours de fans qui aimeraient retrouver l’album, introuvable depuis quelques années déjà. Comme nous étions concentrés sur le nouvel album, nous n’avions pas trop bataillé pour les rééditions mais nous allons nous y pencher, nous espérons pouvoir répondre favorablement. Après, on verra : soit nous faisons une vraie réédition pour que les gens aient exactement le même album qu’à l’époque, soit nous le réenregistrons pour y mettre un soin plus actuel, mais j’avoue que nous ne nous sommes pas encore complètement penchés là-dessus.

À l’époque de l’album de 86, vous aviez tout de suite fédéré le public. Était-ce une surprise de voir un engouement pareil pour Titan ?

Oui et non. Oui parce que nous voulions rebondir après la séparation de Killers et avec un nom différent, ce n’était pas forcément évident. Non parce que Titan était la suite logique de Killers, nous n’étions pas un groupe débutant sans aucune expérience de la scène ou du studio. L’expérience a en partie fait la force de l’album. Ce n’est pas évident de repartir avec une nouvelle entité : il faut se faire un nom mais nous avions communiqué sur le fait que nous étions quatre anciens de Killers et les gens ont compris que nous n’étions pas des débutants.

Trente-cinq ans se sont écoulés entre 1986 et 2021, une période pendant laquelle tu as joué dans des tribute bands. As-tu continué à suivre l’évolution de la scène heavy metal au fil des années ou étais-tu plus déconnecté de l’actualité ?

Je t’avoue que j’ai un peu décroché à la fin des années 90. Nous avons tous continué à jouer de la musique mais dans des styles complètement différents. Je suivais de très loin l’évolution de la scène metal mais j’étais plutôt déconnecté et je m’y suis replongé vers 2015, quand nous avons commencé à former un tribute band d’Accept.

Qu’est-ce qui a fait que vous avez fini par vous rencontrer et que le projet du deuxième album de Titan a été mis en place ? Quels protagonistes ont eu un rôle majeur dans le déclic ?

Je te parlais du tribute band d’Accept que nous avions monté, nous avons fait deux concerts et dès le premier, quelqu’un nous a reconnus comme d’anciens de Titan. Il est venu nous voir en nous disant que des copains à lui organisaient un festival à Tourreilles, à côté de Perpignan, et qu’ils auraient beaucoup aimé avoir Titan pour l’année prochaine. Je lui ai dit que nous n’avions pas du tout pensé à remonter le groupe et il nous a dit : « Vu comme vous jouez du Accept, je pense que vous êtes aussi capables de rejouer du Titan. » et évidemment, nous nous sommes pris au jeu. Nous ne lui avions pas répondu tout de suite, il nous a laissé un numéro de téléphone, nous voulions revenir vers lui après avoir sérieusement répété.

« Je suivais de très loin l’évolution de la scène metal mais j’étais plutôt déconnecté et je m’y suis replongé vers 2015, quand nous avons commencé à former un tribute band d’Accept. »

Nous avons pris quatre morceau de l’album Titan, chacun a bûché de son côté et à la répét’, nous en jouons un, ça allait, nous en jouons un autre, et à la fin de celui-ci, nous avons rappelé le gars pour lui dire que c’était ok. C’est parti comme ça mais à la base, c’était pour faire un seul concert : nous ne savions pas comment nous allions nous sentir sur scène, à jouer du Titan trente ans après, ce n’est pas forcément évident… Et nous nous posions aussi beaucoup de questions par rapport à l’accueil du public. Les gens auraient très bien pu nous oublier et ça aurait été tout à fait logique après trente ans. Finalement, il y a eu tellement d’émotions ce jour-là et l’accueil nous a tellement surpris que nous ne pouvions pas en rester là et c’est reparti comme ça. D’abord avec les concerts : nous avions fait le South Troopers, nous avions joué à Dijon, à Vouziers… nous avons fait pas mal de festivals français et petit à petit, nous avons recommencé à composer, un, deux, trois morceaux que nous intégrions au répertoire, sans forcément que ce soit dans l’idée de faire un album. Puis nous sommes arrivés à cinq morceaux vraiment aboutis – nous les avions d’ailleurs joués au Petit Bain avec ADX – nous avons réalisé être à la moitié d’un album, alors pourquoi pas aller jusqu’au bout.

Le tout s’est donc vraiment fait étape par étape, d’une manière assez spontanée finalement ?

Exactement ! Il n’y a eu aucun calcul, aucune projection de pseudo-carrière, tout s’est fait naturellement. On dit souvent qu’il faut faire les choses par plaisir et c’est vrai : nous prenons beaucoup de plaisir à nous voir, ne serait-ce que pour répéter et jouer en concert, ce n’est évidemment que du plaisir. Alors nous progressons à notre rythme mais nous ne nous mettons pas de pression, nous faisons tout par plaisir, c’est comme ça que nous avançons et c’est très bien. La musique est un plaisir et il faut qu’elle le reste, quoi qu’il arrive ! Nous fonctionnons comme ça et pour le moment, ça nous convient tout à fait.

Était-ce parce que le plaisir manquait que vous êtes partis de Killers en 86 et que Titan s’est séparé à la fin des années 80 ?

Quand je participais à l’aventure Killers, j’étais dans Titan et j’étais aussi artisan à mon propre compte. C’était très compliqué parce que nous utilisions mon fourgon pour aller faire les concerts, je bossais en semaine avec des horaires à rallonge, il fallait vite virer mon matériel de boulot le vendredi soir pour charger le matos du groupe et partir à Mulhouse, Lyon, Paris… j’ai fait ça pendant presque un an mais au bout d’un moment, je n’en pouvais plus. D’autant que nous ne touchions aucun cachet, à part le défraiement, donc ça ne nous coûtait rien mais ça ne nous rapportait rien. Même quand on est animé par la fougue et la passion, ça use, c’est pour ça que je suis parti. Aussi, parce que je privilégie vachement l’échange avec le public : je me donne énormément sur scène, je reçois au centuple et plus j’en reçois, plus j’en redonne. Mais j’ai senti que j’avais moins de choses à donner à l’époque et je n’aime pas faire semblant, donc je me suis arrêté au lieu de continuer alors que l’envie n’était plus là. Derrière, un chanteur et un guitariste sont venus me remplacer et la maison de disque n’a pas aimé ce qu’ils ont proposé avec le reste du groupe. Ce n’était pas à la hauteur de ce que nous avions fait avant, alors le label n’a pas suivi et, petit à petit, le groupe s’est séparé.

Tu dis que vous étiez seulement défrayés alors que le groupe avait une certaine place dans la scène. Était-ce la norme dans les années 80 ? À quoi était-ce lié ?

Je ne sais pas à quoi c’était lié mais je sais que la plupart des groupes n’avaient pas de cachet. Seuls les frais de route, l’hôtel et la nourriture étaient payés mais il n’y avait pas de cachet, sauf peut-être pour les gros groupes comme Trust, Warning ou Sortilège, mais les Killers, ADX, Titan étaient logés à la même enseigne.

Devant combien de personnes jouiez-vous à l’époque ?

Ça dépendait des endroits bien sûr. Quand nous avons enregistré le live de Titan à la Mutualité à Paris, la salle était pleine et ça représentait environ mille personnes. Mais il nous est aussi arrivé de jouer devant trois cents ou quatre cents personnes, la moyenne était entre quatre cents et six cents. Il y avait moins de concerts mais il y avait du monde aux concerts, ça c’est sûr, et nous vendions déjà beaucoup de merchandising, que ce soit avec Killers ou Titan, c’était déjà dans les habitudes.

« Nous n’avions aucune garantie et si ça n’avait pas fonctionné le jour du concert de la reformation du groupe, je pense que nous aurions tout arrêté le soir même. »

Quand l’idée de la réunion a émergé, vous vouliez faire les choses sérieusement, c’est-à-dire proposer une prestation de qualité. Avais-tu des signaux positifs vis-à-vis de l’accueil des fans ? Avant l’émotion du concert, voyais-tu que le public était réceptif ?

Avant de faire le premier concert de reformation, nous n’avions aucun signe, aucune garantie par rapport à Titan. Nous n’avions que l’expérience du concert grâce à notre tribute band d’Accept : l’équipe tenait la route et ça s’était très bien passé. Autrement, le premier concert a vraiment tout déclenché : nous ne nous attendions pas à cet accueil ! Ça nous a boostés, ce n’était pas possible d’en rester là, nous avions trop envie de partager d’autres moments d’émotion avec le public. Mais nous n’avions aucune garantie et si ça n’avait pas fonctionné ce jour-là, je pense que nous aurions tout arrêté le soir même.

Au cours des trente-cinq ans qui ont séparé le premier album et la reformation, est-ce que le sujet de Titan revenait régulièrement dans ton entourage ? À titre personnel, même si tu t’es déconnecté à la fin des années 90, as-tu mis le groupe de côté ou était-ce toujours un peu présent dans ton esprit ?

C’est resté. Titan, j’en suis quand même fier mais pendant toutes ces années, je ne l’ai ni mis en avant ni mis de côté. C’était assez rigolo : quand des amis pas du tout au courant de ce passé musical venaient manger chez moi, je leur montrais les disques auxquels j’avais participé, ils avaient parfois du mal à réaliser que c’était moi au chant ! Mais en dehors de ces petites choses, c’est juste resté dans ma tête comme une chouette période. Je n’aurais jamais pensé un jour remonter Titan et revivre ça mais c’est super. C’est une chance, surtout après autant d’années.

Et les fans sont très contents. Es-tu satisfait des retours à propos de ce nouveau disque ?

Tout à fait ! Je n’ai plus la vingtaine comme à l’époque, je suis beaucoup plus exigeant et rigoureux. Nous avons pris notre temps pour faire l’album comme nous le voulions, en ne laissant rien au hasard. Lorsqu’il est parti au mastering, nous ne pouvions pas faire mieux. Et même en ayant une petite idée de ce que les gens pourront penser en faisant écouter au cercle proche, aux amis et à la famille, ça ne donne aucune vraie garantie. Nous ne savions pas s’il allait être bien reçu ou pas. Après, nous ne pouvons pas plaire à tout le monde mais nous sommes super contents ! De la part des médias comme de la part des gens qui ont reçu le CD, les critiques sont positives à quatre-vingt-quinze pour cent et ça nous fait vachement plaisir.

Penses-tu que ce public est un peu étranger ou majoritairement francophone ?

Je n’ai pas de marqueurs pour savoir si des Allemands ont acheté l’album mais je sais qu’il y a un gros engouement pour les groupes de metal un peu old-school comme nous là-bas, en Grèce, en Belgique, en Espagne aussi ! Nous traversons la frontière parfois et nous rencontrons des Espagnols qui connaissent Titan, donc c’est cool. Le chant en français n’est absolument pas une barrière pour eux et c’est génial – alors que ce n’était pas forcément le cas à l’époque. Grâce aux contacts d’un groupe de Saint-Sébastien avec qui nous avions échangé, nous avions fait une petite tournée de cinq dates avec Titan en Espagne, ça s’est super bien passé mais le standard était de chanter en anglais pour aller partout, le français se limitait aux pays francophones. Maintenant, ça a changé : la langue n’est plus une barrière. Phil d’ADX m’a dit qu’ils avaient joué au Keep It True en Allemagne, il avait halluciné que les gens chantent en français phonétique tout au long du concert alors qu’ils parlent anglais ou allemand. C’est génial !

Par rapport aux paroles justement, j’imagine que le contexte politique actuel en France doit être du pain bénit pour toi ?

Oh, nous n’avons traité qu’une petite partie des sujets qui nous intéressent mais il y en a plein d’autres ! L’actualité est une mine d’or. Alors, nous n’avons pas encore commencé à recomposer, nous avons déjà quelques petites idées, mais pour le moment nous sommes concentrés sur la sortie de l’album, que nous allons pouvoir défendre sur scène sur le plus de dates possible. Mais il y a des tas de sujets qui pourront nous servir pour les prochains morceaux, c’est sûr.

Arrives-tu malgré tout à prendre un peu de recul ? La situation actuelle n’est-elle pas trop frustrante ?

Comme tout artiste, nous avons envie de nous produire sur scène pour évacuer la frustration, après il n’y a pas trop le choix et il faut faire avec. Certains pensent que ça va durer des lustres et laissent tomber et d’autres comme nous continuent à échanger, à composer, à créer de nouveaux morceaux, à mettre en œuvre des idées… Nous pouvons toujours faire quelque chose en rapport avec le groupe sans forcément pouvoir répéter ou jouer sur scène. Le tout est de rester dans cette dynamique et de ne pas se laisser entraîner par le défaitisme. D’ailleurs, tous les textes de l’album ne sont pas sombres, il y a une petite lueur d’espoir. Même si la situation actuelle ne fait pas très rire. Nous essayons aussi de mettre le doigt sur ce qui nous gêne dans les textes, comme à l’époque.

Interview réalisée par téléphone le 4 décembre 2021 par Amaury Blanc.
Retranscription : Natacha Grim.
Photos : Thierry Loustauneau.

Facebook officiel de Titan : www.facebook.com/popeyeleroad

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