Voici un groupe avec trente-cinq années de carrière dont les premières, à l’aube des années 80, à l’instar d’autres de ses contemporains, furent déterminantes. Comme pour la plupart Europe sera toujours « The Final Countdown », Scorpions « Still Loving You », Toto – déjà encombré en France par un homonyme ridicule – est toujours pour beaucoup l’auteur de deux ou trois tubes (« Africa », « Hold The Line », « Rosanna ») symboles d’une décennie perçue avec mépris. Au-delà de ces préjugés, c’est l’histoire de l’union d’une partie de l’aristocratie des musiciens de session des années 70 – et encore après : ne citons pour exemple que leur emploi à l’enregistrement du chef-d’œuvre de Michael Jackson, Thriller – puis celle d’un groupe qui, comme pour d’autres, a connu ses mauvais moments mais revient tout de même (plus ou moins contraint) après toutes ces décennies avec la plupart de ses membres emblématiques pour offrir au moins un dernier album.
Mais forcés ou non par contrat à fournir cet album, ils ne le font pas sans ambition. Avec déjà une pochette rappelant nombre de leurs classiques, ce disque qui s’amorce sans préliminaire au son de la guitare de Lukather, vite rejoint par tout le casting grand-luxe de la bande, rappelle que Toto n’est pas une blague mais synonyme de polyvalence, voire d’omnipotence : ils peuvent tout faire. Comme commencer par un « Running Out Of Time » qui, à la fin des Seventies, aurait pu prendre la place, par son efficacité immédiate, d’un « Hold The Line », suivi d’un « Burn » offrant un crescendo à faire trembler les stades avec ses attaques de guitares. Une efficacité renouvelée plus loin sur un « Orphan » au démarrage très pop aboutissant à des vagues de riffs sur un rythme musclé, puis cette petite jam guitare-basse-batterie avant le tiers final qui se trouve requinqué pour aller s’éteindre dans un solo de Lukather. Mais Toto, c’est aussi un talent pour le groove acquis à l’école du jazz démontré avec force sur « 21st Century Blues », le très funky et sensuel « Chinatown » ou « Fortune ». L’on peut regretter l’absence de Simon Phillips à la batterie pour cet album mais Keith Carlock, passé chez Steely Dan comme un certain Jeff Porcaro en son temps, n’a guère à lui envier. Enfin, c’est aussi l’alliance de grands compositeurs, passant outre la somme de leurs fortes personnalités, au service de mélodies appréciables par tout un chacun, avec des refrains qui donnent immédiatement envie de les reprendre en chœur avec les chanteurs du groupe (« Holy War ») et certaines (« The Little Things ») qui auraient même pu avoir été offertes au King Of Pop (dont chacun connaissait le niveau d’exigence).
Puis vient pour clore le sujet « Great Expectations » qui rime avec grandes prétentions. Car Toto fait de la musique prétentieuse mais tout en ayant les moyens de ses prétentions, comme l’on fait en leur temps des Led Zeppelin (dont l’ombre plane sur « Unknown Soldier ») ou Queen en créant des mélodies accrocheuses dont l’apparente simplicité ne fait qu’augmenter le plaisir pour qui tend suffisamment l’oreille pour en percevoir les subtilités. « Tu mets cette combinaison de musiciens dans une pièce et ça sonne comme du Toto classique, même si c’est 2015 » affirme Steve Lukather. Et on ne saurait lui donner tort : on se retrouve, au XXIe siècle, projeté à l’époque des premiers albums du groupe. Mais plutôt que de le trouver déjà-entendu (au point d’en être prévisible, cf. ce saxophone sur « 21st Century Blues »), voire daté – certaines sonorités (dans les claviers, le mixage des voix) ne sauraient trouver leur place où que ce soit en 2015 sinon dans un album de Toto (cf. « All The Tears That Shine » en permanence sur le fil du rasoir du kitsch) – on se prend à l’écouter comme si on avait retrouvé ce disque dans la collection de papa, avec une sorte d’indulgence pour cet aspect anachronique car sonnant comme ces albums qui nous ont apporté tant de plaisir autrefois.
Regarder le clip d' »Orphan » et écouter les titres « Holy War » et « Burn » :
Album XIV, sortie le 20 mars 2015 chez Frontiers Music.