Le guitariste Mark Tremonti est clairement dans une excellente dynamique ces dernières années, et ce malgré la carrière chancelante de Creed, qui fut pourtant son premier gros groupe à succès, à cause notamment des déboires du chanteur Scott Stapp. Tremonti a su rebondir avec Alter Bridge, groupe de heavy rock à l’américaine désormais incontournable et avec lequel, grâce notamment à sa relation solide avec le chanteur Myles Kennedy, il semble véritablement s’épanouir. Mais on a également compris, dès son premier album All I Was, qu’il faudrait aussi compter sur son groupe solo où le guitariste revêt, très à l’aise et toujours avec talent, les habits de frontman, s’emparant du micro en plus de sa guitare. Et il revient désormais avec non pas un mais deux nouveaux albums réalisés simultanément : Cauterize qui sort le 8 juin et Dust qui devrait voir le jour quelques mois plus tard. Une manière pour lui de rattraper une première expérience – même si le résultat a largement été salué par la critique – au budget serré et bénéficiant de très peu de temps pour accomplir le travail.
« Je pense avoir réussi à convaincre les autres gars avec lesquels je joue que le heavy c’est cool [rires]. Au départ, ils n’y étaient pas très ouverts mais maintenant, plus nous faisons ça plus ils apprécient ! »
Tremonti nous explique la genèse de ces deux opus : « Je savais que j’avais Michael ‘Elvis’ Baskette pour un temps limité et c’est le meilleur producteur que je connaisse, du coup je voulais en profiter un maximum. Je lui ai parlé et dit que j’avais l’intention d’enregistrer environ vingt chansons. Je ne savais pas comment j’allais les sortir. Nous n’avions pas spécialement prévu de sortir deux albums, nous avions juste prévu d’enregistrer beaucoup de chansons. Nous avons passé énormément de temps à composer et à passer en revue toutes mes idées et les organiser pour que les structures de chansons soient plus intéressantes cette fois-ci. Nous avons passé énormément plus de temps sur la pré-production que nous en avions passé pour le premier album. […] Lorsque je rentrais du studio à la maison, je me faisais des playlists de toutes les chansons et j’ai décidé que deux albums de dix chansons seraient parfaits parce que si tu donnes trop de chansons aux gens, vingt chansons à la fois, c’est bien trop, les gens se concentrent sur trois ou quatre chansons et perdent l’attention pour le reste. J’ai trouvé qu’un album de dix chansons c’était parfait, c’est sympa et court, les gens s’y adapteront très bien. Ensuite, j’ai commencé à faire des playlists : ‘Comment est-ce que je pourrais assembler ces deux albums de manière à ce qu’ils aient tous les deux de la dynamique ?’ J’ai juste fait deux albums différents, et avec le recul, je trouve que nous avons fait du bon boulot en faisant deux gros albums qui donnent vraiment la sensation d’être complets. »
Et à quoi pourra-t-on s’attendre avec Dust par rapport à Cauterize ? « C’est dans la même veine que Cauterize, il a la même dynamique. Certaines de mes chansons préférées sont sur Dust. La chanson éponyme, ‘Dust’ contient mon refrain préféré de tout le processus d’enregistrement. Deux de mes solos préférés sont aussi là-dessus. Donc je pense que certaines personnes préfèreront le premier, d’autres le second, mais c’est justement ça que je voulais. Je ne veux pas que les gens pensent que le premier album c’est la face A et le second la face B, ce n’est pas ça du tout. […] Je vais essayer de définir [une date de sortie pour Dust] après que celui-ci soit sorti, après que tout le monde ait totalement digéré le premier album, lorsque tout le monde aura faim d’un autre album. Ca sera avant que nous sortions un nouvel album d’Alter Bridge, soit, avec un peu de chance, quelque part avant la fin de l’année ou très tôt l’année prochaine. »
Le résultat est certainement une musique plus personnelle encore, plus proche de ses amours, qu’il définit selon trois éléments : la mélodie, le speed metal et la modernité : « Les mélodies seront toujours là dans tout ce que je fais. C’est ce que je préfère, les mélodies vocales. Dans ce groupe, le côté speed metal est quelque chose que je ne pouvais pas faire par le passé avec mon ancienne section rythmique. C’est une partie très importante de ce avec quoi j’ai grandi – Slayer, Celtic Frost, j’aime tout du thrash de la Bay Area au black metal – et je voulais vraiment en profiter dans ce groupe et mélanger ça aux couleurs rock des années 70, et nous avons aussi ajouté un peu d’éléments progressifs. […] Je voulais clairement que l’album ait une bonne dynamique. Il était très important d’inclure là-dedans [une chanson plus légère comme « Sympathy »] parce que si tu as un album heavy d’un bout à l’autre, alors ce ne sera pas si heavy que ça parce que tu n’as pas de variations auxquelles mesurer les chansons pour vraiment ressentir la dynamique et la diversité de l’album. » Et on se rend d’ailleurs bien compte dans tous ses groupes, que ce soit Creed, Alter Bridge ou son groupe solo, que plus le guitariste avance dans sa carrière, plus sa musique devient heavy : « Je pense avoir réussi à convaincre les autres gars avec lesquels je joue que le heavy c’est cool [rires]. Au départ, ils n’y étaient pas très ouverts mais maintenant, plus nous faisons ça plus ils apprécient ! »
« [Après le split de Creed en 2004] nous avons juste essayé aussi fort et aussi vite que possible d’aller de l’avant. C’était un moment vraiment effrayant dans ma vie. »
Cauterize et Dust inaugurent l’intégration d’un musicien de marque au sein du groupe Tremonti : Wolfgang Van Halen, le fils du célèbre guitariste Eddie et désormais bassiste du groupe « familial », non moins célèbre, Van Halen : « Nous nous sommes rencontrés parce qu’il est fan d’Alter Bridge et il est venu à l’un de nos concerts et aux balances. Après ça, un jour j’étais à Los Angeles et il m’a invité à une répétition de Van Halen – il m’a demandé si ça m’intéressait de voir l’une de leurs répétitions -, il m’a donc amené à la résidence de son père et je les ai regardés jouer le nouvel album de Van Halen avant que quiconque l’ait entendu. Ensuite, je ne sais pas, environ un an plus tard, nous allions partir en tournée, je lui avais donné les démos de l’album All I Was, il aimait donc déjà l’album et en avait appris une partie. Je lui ai demandé s’il voulait tourner avec nous, et il a sauté sur l’occasion et nous sommes un groupe depuis lors ! […] Il apprend tellement vite, il apprend tout, il ne lui faut pas plus de quelques instants pour apprendre des choses très compliquées. Et il n’est pas seulement un bassiste mais c’est aussi un batteur et un guitariste sur six cordes, c’est un individu incroyable. »
Cauterize, le nom de ce premier des deux albums prévus, signifie « cautériser » en français, un acte médical où l’on brûle la peau ou la chair sur une plaie pour prévenir des infections. Un titre directement en lien avec l’artwork de l’album : « Si tu regardes l’artwork, le grand visage que tu vois, c’est un gros monstre qui sort de l’océan et attrape un morceau de soleil pour brûler les impuretés de la race humaine, parce que la chanson ‘Cauterize’ parle du pouvoir absolu. Tous les jours tu regardes les nouvelles et tu vois des pirates s’emparer de pays et dompter leurs peuples, les affamer, et si les gens sont assez forts pour les dégager du pouvoir, six mois plus tard ça recommence, c’est un cycle interminable. ‘Cauterize’ parle de ça, de gens qui exploitent ce pouvoir et exploitent les gens avec ce pouvoir absolu. »
Tremonti s’inspire donc beaucoup de ce qu’il se passe dans le monde d’aujourd’hui, mais parmi les autres thématiques il y a des choses beaucoup plus personnelles où il en dévoile un peu plus sur lui-même, comme « Flying Monkeys » qui parle de la rancune qu’il a pu parfois ressentir, sans pouvoir pardonner : « J’ai passé des années à être en colère et amer par rapport à la manière dont des gens m’ont causé du tort à moi et au groupe. Lorsque tu es un jeune groupe comme nous l’étions et qui a beaucoup de succès très tôt, les gens viennent et font des choses qui ne sont pas forcément bonnes pour toi, et beaucoup de gens font encore bien pire. Nous avons eu plein de manageurs différents, plein de gens qui sont venus et repartis et nombre d’entre eux ont fait des choses vraiment pas sympa et je pense qu’à ce stade je ne pouvais pas oublier. Aujourd’hui je suis plus âgé et j’ai d’autres choses à apprécier dans ma vie, j’ai désormais deux enfants, je suis heureux dans mon mariage, j’ai deux groupes qui me satisfont vraiment, donc j’essaie de ne pas m’attarder sur ces choses et de me concentrer sur les trucs positifs qui se passent dans ma vie. » « Another Heart » parle quant à elle d’hypocrisie, et on imagine bien qu’après avoir trainé dans le business de la musique pendant si longtemps, il a pu très souvent en rencontrer : « C’est sûr qu’il y a des tonnes d’hypocrisie dans le business de la musique, mais ça parle de ce personnage odieux qui sait qu’il a causer du tort et veut devenir quelqu’un de différent mais n’y arrive pas. C’est l’histoire d’une personne au cœur de pierre qui ne change jamais. Je ne donne pas de noms en particulier mais j’ai rencontré quelques personnes comme ça. » Mais il y a aussi la première chanson, « Radical Change » qui parle de « faire face à d’énormes changements dans la vie et de ressentir le poids du monde », des paroles notamment inspirées par ce qu’il a traversé lorsque Creed s’était séparé en 2004, le forçant à trouver les moyens d’avancer malgré tout : « Nous avons juste essayé aussi fort et aussi vite que possible d’aller de l’avant. C’était un moment vraiment effrayant dans ma vie. Lorsque j’ai chanté le refrain de ‘Radical Change’, ce mot m’est venu tout seul en tête, et ensuite le reste de la chanson m’a été inspiré par d’autres choses que j’estimais avoir été des changements radicaux dans ma vie. »
« Beaucoup de guitaristes restent assis sur leur lit, jouent dans leur chambre, apprennent une partie et pensent pouvoir la jouer, mais une fois que tu te retrouves dans un club, que les lumières baissent et que tu es là debout, c’est une autre histoire. »
Et justement, en parlant de Creed, où en est le groupe ? On se souvient que de 2011 à 2012 Tremonti était censé travailler sur un nouvel album du groupe qui a finalement été abandonné. S’en était suivi des déclarations du chanteur Scott Stapp expliquant que leur relation s’était à nouveau dégradée puis, plus récemment, d’étranges vidéos où ce dernier expose sa ruine personnelle et des histoires farfelues selon lesquelles il aurait été missionné par la CIA pour assassiner le président Obama… Depuis lors Tremonti a déclaré avoir été inquiet pour Stapp et qu’il a essayé de le contacter sans véritable retour de sa part. La relation entre les deux compères semble aujourd’hui bel et bien au point mort : « Nous n’avons pas vraiment été en relation. […] C’est difficile à expliquer dans une interview, tu sais. Il y a beaucoup de hauts et de bas. Et ce n’est pas que moi et Stapp, c’est toute l’organisation à l’intérieur de lui-même. […] Je lui ai effectivement envoyé un texto lorsque j’ai été inquiet pour lui. De toute évidence il s’était remis aux drogues ou à l’alcool alors qu’il disait qu’il était sobre, c’est à peu près tout ce que nous nous sommes dit, mais j’ai entendu dire qu’il a suivi un programme de désintoxication sur 90 jours et avec un peu de chance il est maintenant sobre. Mais nous n’avons pas prévu de faire quoi que ce soit musicalement ensemble. J’ai tellement de choses que j’apprécie de faire là tout de suite, entre mon groupe solo et Alter Bridge, que je suis parfaitement satisfait. […] Ne jamais dire jamais. La dernière fois nous avons splitté pendant à peu près sept ans et nous nous sommes remis ensemble pour faire un album. C’est juste que ce n’est pas sur mes écrans radars, ça ne l’est pour aucun de nous d’ailleurs, pour le moment. » A noter que Scott Stapp a récemment reconnu avoir été diagnostiqué avec des troubles bipolaires, que sa descente aux enfers a été nourrie par ses abus de substances illicites et qu’il est en train de reprendre sa vie en main.
Pour finir, Mark Tremonti expliquait que tourner pour All I Was pendant environ un an lui avait permis de développer sa voix bien plus qu’en restant chez lui à s’entraîner. L’énergie des concerts serait donc selon lui bien plus formatrice que des heures et des heures d’entraînement : « Je le crois à cent pour cent. Je crois que tu peux t’entraîner autant que tu veux à la maison et ne jamais voir autant d’amélioration que si tu sortais prendre de l’expérience. Il y a beaucoup à dire sur l’expérience parce que tu fais les choses avec bien plus d’énergie lorsque tu te produits face à des gens, et je suis heureux d’avoir eu l’occasion de faire ça avant d’enregistrer cet album. […] [Ça s’applique aussi à mon jeu de guitare] mais ça, c’est quelque chose que je fais depuis de très nombreuses années. J’ai donc déjà cette expérience mais je pense qu’au tout début, ça a clairement beaucoup aidé à développer mes compétences en guitare. Beaucoup de guitaristes restent assis sur leur lit, jouent dans leur chambre, apprennent une partie et pensent pouvoir la jouer, mais une fois que tu te retrouves dans un club, que les lumières baissent et que tu es là debout, c’est une autre histoire. Donc, lorsque je m’entraîne, je m’entraîne beaucoup debout de manière à ce que lorsque je monte sur scène, je ne me retrouve pas soudainement incapable de jouer parce que je me serais entraîné assis. »
Interview réalisée par téléphone le 15 avril 2015 par Philippe Sliwa.
Retranscription, traduction et texte : Nicolas Gricourt.
Photos promo (2 & 4) : Ashley Maile.
Site officiel de Mark Tremonti : www.marktremonti.com.