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Interview   

Trevor Dunn (Tomahawk) est un de ces gars étranges qu’on appelle artiste


Le bassiste Trevor Dunn et le génial Mike Patton seraient-il inséparables ? C’est à l’école, lorsqu’ils étaient gosses, que les deux hommes se sont rencontrés, découvrant chacun chez l’autre une sorte de marginalité intellectuelle commune, et ont depuis participé ensemble à divers projets, en premier lieu le regretté Mr. Bungle mais aussi Fantômas, ou aux côtés du saxophoniste barré John Zorn. Aujourd’hui, c’est au sein de Tomahawk que le duo se retrouve, Dunn ayant intégré la formation en remplacement de Kevin Rutmanis. Les deux ont pour point commun une approche décomplexée de la musique pour laisser libre cours à leurs folies. Et lorsqu’on demande à Dunn s’il pense avoir déjà été trop loin, il répond le plus simplement du monde : « C’est juste de la musique, tu sais ! »

Tomahawk vient de sortir Oddfellows son nouvel album qui fait suite à Anonymous après déjà six ans d’attente. Oddfellows n’est peut être pas le plus fou des albums auxquels Dunn et Patton ont participé mais on y retrouve cette liberté artistique que l’on aime chez ces musiciens et que Duane Denison, le chef de cet orchestre, a toujours insufflé dans son œuvre avec Tomahawk.

C’était donc l’occasion d’organiser une rencontre téléphonique avec le bassiste, pour en savoir plus sur l’album mais aussi sur sa personnalité artistique, sur sa relation avec Mike Patton, etc.

« Pendant que nous faisons les choses, et cela parce que nous sommes mortels, nous réalisons à la fin qu’il n’y aucun sens à cela. Alors mieux vaut peut-être continuer à le faire. »

Radio Metal : C’est ton premier album avec le groupe, comment l’as-tu rejoint et quelle fut ta motivation ?

Trevor Dunn (basse) : Eh bien, je connais ces musiciens depuis assez longtemps et ils avaient besoin d’un bassiste, alors ils m’ont appelé. Je peux jouer tout style de musique, où que ce soit, et n’importe quand ! (rires)

Connaissais-tu bien Tomahawk avant de les rejoindre ?

J’ai écouté tous leurs albums et Mike et moi sommes amis depuis 30 ans, en fait. Je me tiens informé de ce qu’il fait et inversement. Tomahawk est probablement mon projet préféré depuis un moment. Je pense que Mike et Duane (NDLR : Duane Denison, le guitariste de Tomahawk) ont une très bonne relation au niveau musical, et elle est très intéressante.

Quelle a été ton implication au niveau de l’écriture de l’album ?

Je n’ai rien fait du tout ! (rires) Duane écrit tout et donne la musique ensuite à Mike qui écrit les mélodies et les paroles. John (NDLR : John Stanier, le batteur de Tomahawk) et moi-même jouons le rôle de la section rythmique classique « rock ». On n’écrit aucun matériel.

Est-ce que ton regard neuf et frais a eu un impact sur la manière dont l’album a été réalisé ?

Eh bien, je ne sais pas : c’est difficile à dire. La musique de l’album est un peu plus « pop » que ce qu’ils ont fait par le passé, il est donc dur de savoir si j’ai eu un impact autre que celui d’être un musicien pro qui donne le meilleur de lui-même.

Oddfellows est le titre du nouvel album : êtes-vous des gars bizarres ? (rires)

Oh, certainement, oui ! Nous sommes avant tout des musiciens, ce qui fait de nous des gars bizarres ! (Rires) Ce genre de vie est assurément étrange. Je pense que la musique de l’album est plutôt dans le style « rock » assez direct, mais il y a des trucs que vous n’entendrez pas à la radio. On garde une certaine distance par rapport à cela, et c’est ce qui nous rend bizarres, apparemment.

Afin d’expliquer les six ans entre Oddfellows et son prédécesseur, le groupe a déclaré que c’était pour « découvrir les différentes vérités de l’univers ». Qu’avez-vous en fait découvert ?

Simplement, nous avons découvert que nous allons tous mourir à la fin et que nous allons continuer à faire ce que nous faisons et y prendre plaisir ! (Rires)

Est-ce qu’Oddfellows pourrait être le fruit de ces découvertes ?

Oui, absolument. Ça se résume à ça en fait : pendant que nous faisons les choses, et cela parce que nous sommes mortels, nous réalisons à la fin qu’il n’y aucun sens à cela. Alors mieux vaut peut-être continuer à le faire.

Duane Denison a déclaré qu’Oddfellows était plus la suite de Mit Gas que d’Anonymous : penses-tu la même chose ?

Je pense que le nouvel album a beaucoup de choses en commun avec les deux premiers albums de Tomahawk. Anonymous était très particulier et c’était un concept. Pour nos concerts, on joue de la musique de tous les albums : tous passent très bien sur scène.

Peux-tu nous expliquer l’artwork de l’album ? Quel est le concept derrière ces dessins naïfs d’animaux ?

L’artiste s’appelle Brunetti. C’est un dessinateur de bandes dessinées que nous connaissions déjà. Il possède un sens de l’humour cru et assez sale et on lui a demandé de faire la pochette. Il est parti de l’idée des gens bizarres et des sociétés secrètes : on l’a laissé faire. On a adoré quand il nous a montré l’artwork.

Quinze titres ont été enregistrés pour l’album : treize ont été inclus sur l’album. Pourquoi n’avez-vous pas enregistré les deux derniers titres ? Qu’allez-vous en faire ?

Quand un groupe fait un disque et qu’il a trop de matériel, il est habituel d’enregistrer le tout et de décider ensuite quelles chansons apparaîtront dessus. Tu ne veux pas faire un album qui soit trop long ; personnellement, je déteste ce genre de disques. Ce n’est pas que nous n’aimons pas ces deux chansons, mais on pense qu’elles n’iraient pas sur l’album. Peut-être seront-elles gardées pour le prochain album ou pour autre chose. Ce sont de bonnes chansons : elles ont juste été mises de côté pour une meilleure utilisation.

Tu as travaillé avec Mike Patton dans des groupes tels que Mr. Bungle ou Fantômas. Est-ce que travailler avec Tomahawk est différent de toutes ces expériences ?

Encore une fois, Tomahawk est une sorte de « Duane band » ou, selon le point de vue où tu te places, un « Mike & Duane band », avec deux co-leaders si tu veux. Ils prennent la majorité des décisions au plan musical, même si nous sommes un groupe et que nous choisissons collectivement de faire certains concerts ou non ou comment nous allons voyager, par exemple. Tu sais, on consulte toujours Duane, d’une certaine manière. Mon travail est facile et mon rôle bien déterminé : il n’y a aucune ambiguïté à propos de ce que chacun doit faire. Mike et moi, on se fait confiance : c’est toujours une bonne relation de travail.

Penses-tu que Mike Patton et toi partagiez une vision artistique commune ?

Bien sûr. On a nos différences – je veux dire en termes de goût par exemple – mais ce qui nous a rassemblé quand nous étions ados c’était la musique, le même sens de l’humour, le fait de se rebeller contre notre entourage ! (Rires) Oui, en fait, nous avons beaucoup de points communs au niveau musical.

Quelles sont ces différences entre vous ?

Juste les différences que n’importe qui pourrait avoir. Parfois, c’est une question de goût, un peu comme la nourriture : certaines personnes aimeront le goût d’un aliment, les autres non. Rien de majeur qui pourrait déclencher une dispute. C’est la même chose avec les musiciens : certains voudront qu’une note soit soutenue un peu plus longtemps, d’autres voudront plus de distorsion, c’est tout. Je suis un bassiste et il est chanteur : nous sommes différents et c’est naturel.

« Nous étions mômes, des metalheads aux cheveux longs. On détestait presque tout ceux qui allaient à l’école avec nous et on s’est découverts [avec Mike Patton] de cette manière. »

Te rappelles-tu votre première rencontre ? Qu’as-tu pensé de lui ?

Oh oui : nous étions mômes, des metalheads aux cheveux longs. On détestait presque tous ceux qui allaient à l’école avec nous et on s’est découverts de cette manière, en quelques sorte. On a commencé à échanger des disques et c’est comme cela qu’on s’est rencontrés. En fait, je jouais dans un groupe et je lui ai demandé de nous rejoindre car nous avions besoin d’un chanteur. Ce fut le début de la fin.

Quel a été ton meilleur moment avec lui ?

Oh, mec, il y en a tellement ! Quand nous étions mômes, on avait l’habitude de sauter dans le train de marchandises de notre petite ville et de le prendre jusqu’à la ville suivante, puis nous rentrions en stop. Ce sont de super moments, de super souvenirs d’enfants. Mike et moi avons connu beaucoup de choses : je pourrais écrire un livre ! (Rires)

Tu as joué généralement pour des groupes qui avaient en commun une certaine liberté artistique, voire leur folie. Il semble que tu ne peux tout simplement pas jouer dans un groupe dit « normal » !

Je pense que Tomahawk est un des groupes les plus « directs » au sein duquel j’ai joué. Quand les gars m’ont demandé la première fois si je voulais les rejoindre, ils avaient peur que je m’ennuie ! (rires) Ils savaient que je pouvais faire le job mais ils voulaient être sûrs que je m’éclaterais à le faire, ce que je fais, bien sûr. J’adore jouer du rock assez « direct » et je le fais : ce n’est pas ce que je fais le plus souvent, mais je joue du jazz « direct » aussi. J’ai grandi en jouant ce type de rock : à l’université, je jouais avec mon groupe dans des bars des chansons des Rolling Stones ou des Beatles. Ce n’est pas une question de savoir si je suis capable de jouer ce style ou pas, mais plutôt une question de progression musicale. En tant que compositeur, j’essaie de toujours repousser mes limites et de faire des choses modernes et intéressantes. Je ne veux pas répéter quelque chose qui a déjà été fait : cela n’a aucun sens, même si je n’ai rien contre le fait de le pratiquer. Je veux rester intéressé, curieux et je désire apprendre : voilà d’où je tire mon plaisir dans la vie.

As-tu un jour pensé, en participant à Fantômas ou en jouant avec John Zorn : « Non, là, on va trop loin ! » ?

Non, jamais. C’est juste de la musique, tu sais ! (rires) Je trouve cela intéressant lorsque les gens sont dérangés par la musique, car ce n’est que des sons et des notes : ils doivent l’écouter, c’est tout. C’est la même chose avec toute forme d’art ou un événement : si tu ne le souhaites pas, tu n’as pas à être impliqué dedans. Personne ne force personne à faire quelque chose. En termes de musique, je continuerai tant que je peux à repousser mes limites.

Tu as déclaré dans une interview que lorsque tu écris de la musique, tu aimes écouter de la musique se situant à l’opposé de celle que tu es en train de créer, afin d‘avoir les idées claires. Penses-tu que cette musique complètement différente t’inspire inconsciemment ?

Oui, bien sûr. Absolument. Parfois, je ne sais pas ce qui m’inspire ou d’où cela peut provenir. Je suis aussi inspiré par les choses que je n’apprécie pas, ou pas beaucoup. Par exemple, je vais regarder un groupe qui me paraît correct mais sans plus et cela me donne des idées afin de faire sonner cette musique de meilleure manière, tout cela modestement. Parfois, pour trouver l’inspiration, je m’assois sur un banc, dans un parc, et je regarde les gens, réfléchis à ma condition et sur moi-même. Tout cela est une source d’inspiration pour moi et la musique que je compose.

Comme tu joues dans plusieurs groupes, comment sais-tu lors du processus de composition, qu’une chanson sera plus appropriée à tel projet plutôt qu’un autre ? As-tu une manière spécifique de composer pour chaque projet musical ?

Eh bien, oui et non, en fait ! J’aime faire quelques recherches avant de m’asseoir à ma table et de composer. Mais, franchement, lorsque je sais que je vais composer, je reste chez moi et je me concentre dessus. Parfois, je compose à la guitare, au clavier, à la basse et je passe d’un instrument à un autre. J’essaie de considérer cela comme un job : je me réveille chaque matin et je commence à travailler après le petit-déjeuner. Je prends des pauses et je fais des trucs pour m’aérer la tête : j’essaie de me déconnecter de mon travail et d’avoir un recul objectif par rapport à lui.

Peux-tu nous donner des news de tes autres projets, notamment Trevor Dunn’s Trio-Convulsant et MadLove ?

Malheureusement, MadLove est arrêté pour le moment car j’ai été très occupé, mais je souhaite un jour écrire plus de musique pour ce projet. Dans le même temps, je vais jouer avec mon trio. Nous nous produirons à New York, au The Stone en décembre, et ce probablement pour trois soirs : ça, c’est mon prochain projet.

Tu as fait quelques dates live avec les Melvins Lite : es-tu un membre à part entière de ce groupe , maintenant ?

Oui, je suis leur bassiste. Les autres Melvins (NDLR : il existe deux versions des Melvins : The Melvins et The Melvins Lite), avec Coady et Jared (NDLR : Coady Willis, le batteur et Jared Warren, le bassiste de The Melvins) continuent d’exister : il y a donc deux versions du groupe. Toutefois, il a toujours existé des versions multiples des Melvins, mais en ce qui concerne les Melvins Lite, on va venir en Europe en avril, en fait. On va tourner pendant quelques semaines et après je partirais car Coady et Jared vont arriver et The Melvins vont effectuer leur tournée.

« Je veux rester intéressé, curieux et je désire apprendre : voilà d’où je tire mon plaisir dans la vie. »

Mr. Bungle est un groupe qui manque à beaucoup de fans : vois-tu le groupe se reformer un jour ?

Non, désolé ! (rires) On a dit ce qu’on avait à dire dans les années 90 et après on est parti chacun de notre côté. Personnellement, je ne reviendrai pas en arrière pour jouer ce type de musique. Je suis content de ce que nous avons fait, de ce que nous avons dit : cela n’aurait aucun sens de nous reformer.

Pourquoi ne souhaites-tu plus jouer ce type de musique ?

Le public peut écouter Mr. Bungle tant qu’il veut, j’espère même éternellement, mais en termes de sens, tout projet a un début et une fin. Une fois terminé, il est temps de passer à autre chose, comme toute relation, au final. On est toujours en contact les uns avec les autres, mais musicalement, on souhaite progresser.

Il parait que tu as toujours été assez réticent à parler de la fin de Mr. Bungle et plus généralement à propos du groupe lui-même, pourquoi ?

Je ne suis pas sûr de comprendre pourquoi les gens disent que je suis réticent à parler de Mr. Bungle. Peut-être l’étais-je au début, mais je suis content d’en parler aujourd’hui. Il n’y a pas eu de fin « officielle » : Mr. Bungle est mort de mort naturelle. On n’a jamais publié d’annonce officielle à ce propos. Après la dernière tournée, personne ne ressentait le besoin naturel de continuer l’aventure. Les gens s’attendent au gros truc expliquant la fin du groupe, mais les choses ont une fin, tu sais, c’est tout ce que je peux dire ! (Rires) On a grandi ensemble, et beaucoup de matériel du premier album a été composé alors que nous étions au lycée. Ce fut une fin naturelle.

As-tu imaginé à un moment donné qu’intégrer Tomahawk et rejouer avec Mike Patton pourrait te donner l’impression de revenir en arrière, du fait que tu as déjà beaucoup joué avec Mike par le passé ?

Non, jamais. Je pense que nous allons tous les deux vers l’avant. Tous les groupes auxquels j’ai participé étaient très dynamiques. Par exemple : Fantômas était le groupe de Mike et il prenait toutes les décisions le concernant : c’était sa vision. Je jouerais pour ces gars n’importe où, n’importe quand, car je n’ai aucun problème avec eux. C’est une progression constante, c’est donc ainsi très différent que de jouer de la vieille musique de Mr. Bungle : cela n’arrivera pas car cela ne m’intéresse plus de jouer cette musique. Si nous le voulions, nous pourrions écrire de nouveau un disque, mais encore une fois, il y a une certaine dynamique dans ce genre de groupe. C’est plus compliqué et intense. Je dirais que c’est comme avec une ancienne petite amie : j’aimerais volontiers prendre un café avec elle, parler de tout et de rien, lui demander des nouvelles de ses parents. Si nous travaillons ensemble, ce serait super car elle est musicienne, mais me remettre avec elle, pas question. Ce serait trop bizarre.

Tu as dit que tu écrirais un jour un livre sur Mr. Bungle : peux-tu nous en dire plus ?

Oui, j’y ai pensé. Il y a une tonne de photos que personne ne connaît, et quelques vidéos. Je pense que cela se révèlerait intéressant, mais ce n’est pas ma top priorité pour le moment.

Nous avons également entendu parler de chansons inédites de Mr. Bungle…

Tout disque recèle des chansons inédites. Ce serait cool de retravailler celles-ci et de les sortir, mais encore une fois, c’est assez compliqué. Peut-être qu’un de ces jours j’y mettrais mon énergie.

Penses-tu que le prochain album de Tomahawk sortira plus rapidement ?

C’est difficile à dire car Oddfellows vient de sortir et que nous sommes au milieu de la tournée. Je suis sûr que l’année prochaine, on commencera à écrire du matériel. Aucun groupe dans lequel j’ai joué n’a été le type de groupe qui sort un album puis enchaîne une tournée tous les ans. C’est Duane qui s’occupe de cela, vraiment. En ce qui concerne la tournée, on va jouer en Europe, aux États-Unis, en Australie : on est assez occupés, cette année !

Interview réalisée par téléphone le 19 mars 2013
Retranscription et traduction : Jean Martinez – Traduction(s) Net

Tomahawk sur Facebook : www.facebook.com/Tomahawkband

Album Oddfellows, sorti le 29 janvier 2013 chez Ipecac Recordings



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  • Elsassgromit dit :

    Trop cool une interview de Tomahawk =) elle est bien sympa ! On aurai pu penser que poser des questions à Mike ou Duane aurai été plus pertinent/intéressant mais franchement une fois l’itw lue je trouve chouette que vous ayez eu Trevor Dunn. Faudra un jour que je me penche sur ses autres projets il parle de Jazz et vu l’univers musical du garçon j’en salive déjà.

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