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Interview   

Tribulation : le cinquième élément


Peu de temps après l’annonce de la sortie du cinquième album de Tribulation, stupéfaction parmi les fans des Suédois : Jonathan Hultén, guitariste, compositeur et présence scénique incomparable, annonçait son départ du groupe. La séparation se fait à l’amiable et Joseph Tholl (ex-Enforcer) le remplace au pied levé, mais la nouvelle avait de quoi inquiéter ceux qui suivent le quatuor depuis ses débuts, du death old school The Horror aux accents gothiques de Down Below. Le nouveau line-up aura à l’avenir l’occasion de faire ses preuves : pour le moment, Where The Gloom Becomes Sound est encore l’œuvre de celui que l’on connaît, et notamment d’Hultén, qui en a composé une grande partie.

C’est à l’occasion de la sortie de cet album qui, rétrospectivement, marque la fin d’un chapitre dans l’histoire du groupe, que nous avons discuté avec Adam Zaars, lui aussi guitariste et compositeur. Affable et réfléchi, il évoque ses débuts de musicien et ce qui lui tient à cœur. En revenant sur les changements traversés par le quatuor, il nous parle de rupture, mais aussi de continuité : les bases de Tribulation sont toujours là, et ne semblent pas près d’être ébranlées…

« La partie la plus intéressante, c’est quand nous ne sommes pas très sûrs [que ça sonne comme du Tribulation] mais que nous essayons quand même. »

Radio Metal : Avec Down Below, vous avez remporté un Grammy en Suède, vous avez tourné dans de grandes salles avec Ghost, etc. Quel est votre sentiment par rapport à cette reconnaissance qui ne cesse d’augmenter ? Est-ce que ça a des conséquences artistiques ?

Adam Zaars (guitare) : Parfois, tu ressens une pression pour écrire d’une certaine manière, surtout quand tu es en tournée et que tu rencontres plein de gens. Si tu lis les chroniques, tu sais que les gens ont un tas d’attentes et ça peut te mettre la pression. Nous répondons toujours plus ou moins à des attentes, mais quand nous nous approchons de l’enregistrement et que nous devons créer les chansons, nous nous retrouvons enfermés dans une sorte de bulle qui nous sépare du reste du monde. Quand nous faisons ceci, ça me donne l’impression d’être dans le même état d’esprit que lorsque nous avons démarré Tribulation. Que je sois seul ou avec les autres gars du groupe, il n’y a que nous et nous composons la musique que nous avons envie de composer. Je dirais donc qu’il y a parfois une pression, mais quand nous sommes en plein dans le processus, elle disparaît.

Tribulation est un groupe qui habituellement tourne beaucoup, chose que vous ne pouviez plus faire dernièrement pour des raisons évidentes. Penses-tu que les circonstances étranges ont influencé l’élaboration du nouvel album ?

Elles ne l’ont probablement pas tant influencé que ça car une bonne partie de la musique était déjà écrite – pas tout. Évidemment, nous en sommes conscients et nous avons été affectés à titre personnel par tout ce qui se passe. Quand nous avons enregistré l’album, rien que quand nous étions en studio, il y avait des signes du Covid-19 partout. Généralement, je me rendais à pied au studio – j’imagine que faire une longue marche est une très bonne manière de démarrer la journée. Nous parlions constamment de ce qui aurait dû se passer et de ce qui n’allait pas dans la stratégie du gouvernement, mais je ne dirais pas que ça a affecté la musique.

Jonathan et toi aviez tous les deux composé l’album Down Below, or cette fois, pour le nouvel album, Jonathan s’est chargé de la majorité des compositions. Comment se fait-il qu’il ait pris le lead sur cet album ?

J’ai écrit trois chansons et Jonathan sept. Il a davantage composé pour celui-ci. Ce n’est pas quelque chose que nous avions prévu. J’étais lent, comme je le suis toujours, mais cette fois, j’avais encore plus de mal à finaliser les chansons. J’avais beaucoup de choses sur le feu mais heureusement Jonathan en avait écrit plein : il en a écrit treize en tout pour l’album. Donc en fin de compte, ce n’était pas un problème. Sept de ces chansons ont fini sur l’album et j’ai fait les trois restantes. Évidemment, Johannes [Andersson, basse et chant] et Oscar [Leander, batterie] contribuent à leur manière aux chansons, je leur demande toujours des conseils. Oscar est batteur, contrairement à moi, donc il m’aide beaucoup sur cette partie. Même si Jonathan et moi avons toujours composé les chansons, tout le monde peut contribuer aux finitions. De même, la personne qui écrit une chanson écrit également ses paroles, généralement. C’était le cas sur cet album, à l’exception de « The Wilderness » dont j’ai écrit les paroles car Jonathan m’a demandé si je voulais le faire. Je suppose qu’il avait pas mal de pain sur la planche. Il s’avère que c’est le texte le plus long que j’ai jamais écrit, je crois [rires], mais c’était amusant, ça m’a plu de le faire.

Jonathan a travaillé sur ce disque en parallèle de son album solo. Sais-tu s’il y a eu une dynamique entre ces deux albums pour lui ?

Ils sont liés dans une certaine mesure. Je crois qu’il les a écrits en même temps. Je sais qu’il a plus ou moins fait les chansons de Tribulation d’une traite et que l’une des chansons qui ne se sont pas retrouvées sur l’album est déjà ou sera l’une de ses chansons solos. Il a aussi fait le morceau bonus assemblé à partir, je crois, de trois chansons différentes, ce qui donne un morceau de dix-huit minutes. Autrement, les autres chansons restantes, nous n’allons pas les utiliser.

Saviez-vous au moment où vous enregistriez ou composiez que Jonathan allait quitter le groupe ?

Pas du tout. Nous suspections que ça pourrait arriver et quand ça a été le cas, ça n’a pas vraiment été une surprise. Au moment où nous avons fait l’album, nous ne le savions pas et je crois que lui non plus, mais ça faisait probablement longtemps qu’il y songeait. Quand il a finalement pris sa décision, c’est venu spontanément. Nous étions en réunion de groupe et il l’a soudainement annoncé. Personne ne le savait vraiment. Mais il a bien enregistré l’album. Il nous l’a annoncé après, en octobre.

« Je ne sais pas vraiment pourquoi, mais une grande partie de l’art qui a été créé au tournant du vingtième siècle [nous] plaît beaucoup. C’est simplement une esthétique qui est en phase avec qui nous sommes. »

Joseph Tholl remplace désormais Jonathan. Tu avais déjà joué avec lui dans Enforcer, mais je crois qu’il avait déjà plus ou moins été impliqué dans Tribulation. Comment l’as-tu connu et qu’est-ce qu’il apporte au groupe, selon toi ?

Johannes et moi connaissons Joseph depuis notre enfance. Comme tu l’as dit, j’ai joué avec lui dans Enforcer, et Johannes a joué avec lui dans CC Company. Nous avons fondé notre premier groupe quand nous avions treize ans. Nous jouions et nous nous amusions constamment avec la musique quand nous étions adolescents et nous n’avons cessé de jouer les uns avec les autres depuis lors. Nous le connaissions déjà en tant que très bons amis et nous le connaissions également musicalement. Il n’a pas tellement été impliqué dans Tribulation par le passé, mais il a écrit un riff pour la chanson « Suspiria De Profundis » de notre second album The Formulas Of Death. C’est un riff en tapping à la fois étrange et très cool qui avait été écrit pour le groupe que lui et Johannes avaient lorsqu’ils avaient environ dix-sept ans. À l’époque, on créait un groupe toutes les semaines [rires], juste pour essayer différents types de metal et de hardcore. J’ai toujours aimé ce riff, donc je lui ai demandé si nous pouvions l’utiliser. Il a aussi fait un second riff dans cette chanson, mais il ne l’a pas vraiment écrit. C’était quand nous étions dans Enforcer, quelque part en Europe. Un matin, il venait de sortir sa guitare pour la gratouiller – elle était désaccordée – et il m’a demandé de venir voir parce que ça sonnait vraiment cool. C’est donc devenu le riff qui suit celui en tapping. C’était un concours de circonstances mais je lui ai demandé si je pouvais aussi l’utiliser. Je lui ai aussi demandé, avec un autre ami, Robert Pehrsson, de l’aide pour la première chanson de l’album, « In Remembrance », parce que je n’arrivais pas à trouver comment poursuivre la composition. Parfois, tu te retrouves devant un mur qui te bloque, tu n’arrives pas à le contourner. Ils m’ont aidé pour ça, nous avons essayé quelques idées et ils m’ont donné un autre point de vue sur la chanson, ça m’a beaucoup aidé pour la terminer.

Comment Joseph aborde-t-il son rôle dans Tribulation ? Ça peut paraître intimidant parce que Jonathan était un membre assez important. Est-il stressé ou sait-il déjà quelle sera sa place ?

C’est une très bonne question. Je ne sais pas trop comment il se sent mais quand nous avons parlé, il semblait suffisamment serein et excité à l’idée de commencer à composer. C’est un musicien live très expérimenté, autant que n’importe qui dans le groupe. Cette partie – les concerts et la composition – n’est sans doute pas si stressante que ça pour lui. C’est en tout cas mon impression. Il remplace quand même quelqu’un, il remplace Jonathan, et je sais comment les gens dans le public peuvent être quand ils n’aiment pas ce qu’ils voient ou entendent, ça peut démoraliser. Mais d’après mon expérience, généralement Tribulation nous donne plus d’énergie. Il sait ce que nous voulons qu’il fasse, c’est-à-dire trouver sa propre place. Il ne sera pas un Jonathan bis, il sera Joseph dans le groupe. Nous verrons comment ça se passera, mais je ne suis pas très inquiet.

Where The Gloom Becomes Sound sonne vraiment comme du Tribulation, mais vous avez apporté quelques nouveaux éléments – du heavy metal des années 80, des touches un peu doom et ainsi de suite. La dernière fois, on avait parlé du fait que maintenant, autant vous aimez redéfinir votre son, autant il y a un cadre au sein duquel Tribulation opère. Comment fixez-vous les limites ?

Nous faisons des essais. Dans une certaine mesure, nous essayons toujours de trouver un équilibre entre ce qui pourrait s’avérer être une très mauvaise idée et ce qui pourrait très bien marcher. Parfois ça ne marche pas, donc nous abandonnons l’idée. Ce n’est pas toujours facile de savoir ce qui va et ce qui ne va pas, mais généralement nous le voyons. Ça a dû être difficile pour Oscar au moment où il a rejoint le groupe parce que ça dépend toujours de nous ; ça a toujours été à nous de déterminer ces choses, mais en fin de compte, ça n’a jamais vraiment été difficile. Ce cadre se dessine en écoutant et en faisant confiance à notre intuition et à notre boussole interne. C’est un peu difficile à expliquer ce que c’est, mais quand nous l’entendons ou le voyons, généralement nous savons. La partie la plus intéressante, c’est quand nous ne sommes pas très sûrs mais que nous essayons quand même.

Oscar a rejoint le groupe sur l’album précédent alors qu’il n’avait pas de lien avec le groupe, contrairement à Joseph. Comment s’est-il intégré ? Est-ce que jouer dans Tribulation était une évidence pour lui ?

Il avait vraiment envie de nous rejoindre quand nous lui avons demandé. Il était très enthousiaste et il avait beaucoup écouté l’album The Children Of The Night. Il est menuisier et il m’a dit qu’il écoutait cet album en travaillant. Ça a été très intense pour lui au début parce que nous devions terminer toutes les chansons de Down Below et il a fallu qu’il les apprenne toutes. En même temps, la saison des festivals était sur le point de commencer, donc il devait apprendre toutes les autres aussi. Le premier concert qu’il a joué avec nous, nous étions en tête d’affiche d’un festival, donc c’était un long set et il avait beaucoup à faire, mais il s’est très bien débrouillé.

« L’une des idées fondatrices du groupe est que nous avons toujours voulu exprimer une certaine atmosphère, un certain feeling que nous pouvions trouver dans d’autres œuvres d’art, cette morosité évoquée dans le titre de l’album. »

Cette fois, vous avez choisi de travailler dans un studio où la batterie pouvait être installée sur toute la durée de la session. Incidemment, c’est la première fois que vous enregistriez un album dans un studio avec des fenêtres. À quel point cet environnement différent a influé sur votre travail ?

Je ne sais pas à quel point on peut l’entendre dans la musique mais quand nous avons fait The Formulas Of Death, nous avions même uniquement enregistré le soir et la nuit. Nous pouvions le faire à l’époque, mais maintenant, les circonstances ont changé, trois d’entre nous ont des enfants, donc il faut un peu s’adapter à ça. D’une certaine façon, c’était sympa, car c’est toujours dur d’être dans un environnement sans air frais pendant plus d’un mois. Nous avions la lumière du soleil, c’était nouveau pour nous [rires]. Ceci dit, ce n’est pas au point où cette expérience était tellement géniale que nous n’allons plus jamais enregistrer dans une cave ; je suis sûr que nous pourrions le refaire, mais c’était différent.

Vous avez travaillé avec Jamie Elton, qui est votre ingénieur du son live et un ami de longue date. Penses-tu qu’étant donné sa relation avec le groupe, il avait une compréhension naturelle de ce qu’est Tribulation ? Penses-tu qu’il vous a aidés à créer un album qui soit plus proche de la façon dont Tribulation sonne en live ?

Jamie comprend absolument ce que nous sommes, il connaît très bien nos influences musicales. Nous parlons le même langage musical. C’est très agréable de côtoyer ce gars et de travailler avec lui. Il nous a rendus meilleurs que nous le sommes, il nous a poussés à faire le travail et il s’est assuré que nous terminions bien l’album. Il a été très précieux. Cependant, ce n’était pas le but d’obtenir un son plus live. À un moment donné, nous avons songé à enregistrer les guitares, la basse et la batterie en live. Personnellement, je n’ai jamais aimé cette idée parce que je savais que nous n’en serions pas capables [petits rires]. Nous pouvons le faire en concert mais ça n’a rien avoir avec le fait d’enregistrer un album, selon moi. Nous sommes généralement beaucoup plus méticuleux, donc nous avons assez rapidement abandonné l’idée. C’était la seule chose qui a été envisagée et qui aurait pu ressembler à du live. Mais non, c’était un album studio, nous n’avons pas vraiment pensé au contexte live. Certains morceaux seront d’ailleurs peut-être difficiles à jouer en concert, mais nous savons qu’au final, en général, nous nous en sortons bien.

L’album emprunte son titre à une chanson de Sopor Aeternus. Tu as cité la phrase complète – « Down, further down, where the gloom becomes sound » – et ça donne l’impression que vous reprenez les choses là où vous vous étiez arrêtés avec Down Below. Est-ce une coïncidence ou bien ces deux albums sont liés d’une certaine manière ?

[Petits rires] Non, je dirais que c’est une coïncidence. C’était simplement quelque chose qui convenait très bien à la transition entre les deux albums. C’est une heureuse coïncidence, si tu veux le voir comme ça, ou peut-être que c’était destiné à arriver. Disons que c’est une forme de synchronicité.

La dernière fois qu’on s’est parlé, on avait parlé du côté gothique de votre musique et tu avais dit que vous adoptiez le terme dans le sens du romantisme, de l’architecture, etc. du dix-neuvième siècle. S’il y a une artiste gothique contemporaine qui incarne ça, ce serait probablement Anna-Varney Cantodea justement. Quelle influence a-t-elle eue sur toi ?

L’influence n’est pas énorme, mais ça reste une influence autant musicalement qu’au niveau des paroles et de l’esthétique, jusqu’à un certain point. Ça vient probablement du fait que nous avons des influences similaires, plus que le fait qu’elle ou le groupe ait eu une grosse influence sur nous.

L’illustration de l’album est une photo d’une sculpture de Fernand Khnopff. Vous aviez déjà puisé de l’inspiration dans des œuvres de cette période. Qu’est-ce qui fait que c’est toujours pertinent à notre époque, d’après toi ?

Je ne sais pas vraiment pourquoi, mais une grande partie de l’art qui a été créé au tournant du vingtième siècle me plaît beaucoup – tout comme au reste du groupe. Pas tout le Jugendstil, moins l’architecture, par exemple, mais si tu avais l’occasion d’entrer dans l’appartement de Johannes, tu t’en rendrais compte. C’est simplement une esthétique qui est en phase avec qui nous sommes et ça m’a toujours influencé aussi quand je fais des illustrations et du graphisme. Je ne sais pas pourquoi, j’imagine qu’il y a une originalité et une rugosité naturelles dues à la manière dont c’était fait – c’était de la lithographie et différentes méthodes d’impression, quand ce n’était pas de la peinture, bien sûr. Rien que la manière dont c’était imprimé faisait que c’était plus joli. C’est ce que plein de gens aujourd’hui essayent de recréer numériquement avec des imprimantes ou peu importe ce qu’ils utilisent. C’est une manière de faire qui permet de donner vie à l’image. L’apparence et les motifs de ces illustrations étaient souvent liés à la nature et au fait d’idéaliser cette nature, et ça va de pair avec ce que nous voulons exprimer dans Tribulation. Quand nous avons décidé que ce serait la pochette de l’album – rien que pour l’esthétique qui s’en dégage –, ma première idée était de trouver la statue pour la prendre nous-mêmes en photo, mais ça n’a pas été pas possible parce qu’apparemment, d’après les informations que j’ai pu trouver, elle a probablement été détruite durant la guerre. L’image qu’on voit sur la pochette est une impression d’une photographie de la statue datant de la fin du dix-neuvième siècle. Encore une fois, c’est un peu un concours de circonstances, ça a été fait à l’époque, mais je n’étais pas triste de ne pas pouvoir prendre la photo moi-même car elle n’aurait probablement pas été aussi bonne que celle-ci.

« Nous ne savions même pas si nous allions continuer car Jonathan était une part très importante du groupe et ce serait autre chose sans lui. C’est seulement parce que Joseph a bien voulu nous rejoindre que nous avons eu envie de continuer. »

Musicalement et thématiquement, vous empruntez à des sources d’influences très diverses – Morbid Angel, The Cure et la musique folk, par exemple, pour la musique, et la mythologie grecque, les religions abrahamiques, l’hindouisme, etc. pour les thèmes. Qu’est-ce qui vous parle dans toutes ces musiques différentes et dans tous ces mythes et traditions ésotériques différents ? Qu’est-ce qui vous attire dans tout ça ?

J’ai plusieurs réponses à ta question. L’une des idées fondatrices du groupe est que nous avons toujours voulu exprimer une certaine atmosphère, un certain feeling que nous pouvions trouver dans d’autres œuvres d’art, cette morosité évoquée dans le titre de l’album. Comme nous essayons d’exprimer quelque chose d’assez vague et que ce genre de sujet nous intéresse, les textes doivent toujours avoir un côté mystique, d’une façon ou d’une autre. Ça va de pair, car ce serait étrange d’écrire sur quelque chose de bassement matériel ou même contemporain. Ça ne collerait tout simplement pas à ce que nous faisons dans Tribulation. En revanche, pourquoi ça nous intéresse ? C’est une bonne question. Un psychiatre serait sans doute mieux à même de l’expliquer [rires] mais j’ai mes théories. Quand j’étais gamin, je trouvais que les récits sur les mystères et les merveilles étaient toujours les plus passionnants, la religion m’intéressait également. C’est peut-être lié à l’endroit où nous avons grandi ; nous avons grandi en Suède à la fin du vingtième siècle. On qualifie parfois la Suède de pays le plus laïque du monde, on y est entouré d’architecture moderniste et ainsi de suite. C’est un monde désenchanté et démystifié où règnent l’avidité, la bureaucratie et la laïcité. Certains adorent ça, mais moi, ça ne m’a jamais plu. Plein de gens ont même écrit à ce sujet. Il y a un livre qui est sorti l’an dernier sur les Suédois, je ne me souviens plus du nom de l’auteur mais le titre veut dire « Les gens de la forêt ». Ça parle d’un nouveau genre d’expérience religieuse qui a remplacé le christianisme et le protestantisme en Suède. Ces derniers n’ont pas été totalement éradiqués mais ils ne sont plus très présents et généralement les gens en rient. Malgré tout, ils semblent encore avoir besoin de quelque chose, donc ce livre théorise sur la nouvelle église où les suédois se rendent : la forêt. C’est ce que fait beaucoup de monde, en particulier ceux qui vivent en ville, ils partent à la campagne et se promènent dans la forêt. Ils décrivent ça dans des termes religieux, mais ce langage leur manque parce qu’il a presque complètement disparu. Ça s’exprime différemment, mais c’est quelque chose de similaire. Je soupçonne que tout ceci est lié aux centres d’intérêt du groupe.

Je vois ce que tu veux dire, mais pourtant vous utilisez quand même un langage et des traditions religieuses…

C’est un autre aspect de la même chose. Ce qui est classique chez les gens, c’est le fait qu’ils ne se reconnectent pas à leur background ou à leur vieil héritage, ils vont plutôt voir ailleurs : ils vont au Pérou pour vivre une expérience avec l’ayahuasca ou en Inde pour devenir hindou le temps d’une semaine. Je pense que tout ceci est lié, d’une certaine façon, mais d’un autre côté, je viens aussi d’une famille religieuse du côté de ma mère. Mon grand-père était pasteur dans une église œcuménique, donc j’ai de toute façon toujours été entouré par ça, même si ça ne m’intéressait pas beaucoup. Quand j’étais enfant, je m’intéressais plus aux traditions suédoises.

Le thème de l’album, c’est les cinq éléments, qui incluent donc l’espace ou l’esprit dans la tradition occidentale. Certaines chansons sont de toute évidence liées à l’un de ces éléments. D’abord, qu’est-ce qui vous a amenés à ces représentations ? Et dans quelle mesure est-ce que ça a influencé l’élaboration de l’album ? Est-ce c’est quelque chose que vous aviez en tête pendant que vous travailliez dessus ou est-ce que ça a fait sens après coup ?

Ça a fait sens au milieu du processus, je dirais. Je ne qualifierais pas ça de thème mais c’est quelque chose que nous avons utilisé, de la même manière que nous avons utilisé le concept des Enfers dans Down Below. La raison pour laquelle nous avions fait ce choix, c’était que Jonathan et moi avions tous les deux écrit des chansons sur le monde souterrain sans que l’autre le sache, et la même chose s’est produite cette fois-ci. Le titre de « Funeral Pyre » était lié au feu et « Leviathans » était évidemment lié à l’eau. Nous avions aussi « Elementals » et quelques autres chansons qui n’ont pas été incluses dans l’album. Comme nous avons tous les deux remarqué que ça nous avait inspirés, nous en avons profité. Encore une fois, que ce soit le destin ou que ce soit une histoire de synchronicité, appelle ça comme tu veux, mais c’est généralement comme ça que nous avons fonctionné jusqu’à présent, dans une certaine mesure. Quand nous en avons pris conscience, rien n’a vraiment changé, mais nous avons trouvé que c’était intéressant et nous avons poursuivi sur cette lancée. Ce n’est pas un album conceptuel sur les éléments mais c’est devenu un fil rouge tout au long de l’album.

« J’ai l’impression que ça fait des lustres que nous l’avons enregistré, à cause de cette étrange année. On aurait dit que c’était la plus longue année de tous les temps. »

Était-ce une évidence pour vous d’utiliser un système à cinq éléments au lieu de quatre ?

Jonathan a été inspiré par l’occultiste français du dix-neuvième siècle Eliphas Lévi. Si je ne me trompe pas, il utilisait le modèle à cinq éléments – il y en a des différents, bien sûr. Dans de nombreuses traditions bouddhistes, il y a quatre éléments, mais dans certaines traditions indiennes qui sont aujourd’hui liées à ce qu’on appelle l’hindouisme, ils utilisent généralement cinq éléments et le cinquième est parfois appelé Akasha. En sanskrit, ce mot est lié à la lumière et au ciel, on le traduit généralement par « espace ». Ce n’est qu’un des cinq éléments tels qu’ils les définissent là-bas et puisque c’était notre cadre de référence avec Jonathan, ça aurait été étrange de l’exclure.

Le groupe a toujours été lié à l’idée de la mort et de la renaissance d’une façon ou d’une autre. Avec cet album et le départ de Jonathan, vois-tu ça comme une fin, un départ, une opportunité ou est-ce juste une continuité pour toi ?

C’est clairement un genre de mort et de renaissance, mais en même temps, il y a aussi une continuité. J’aime le voir ainsi : tu laisses quelque chose derrière toi, pour le meilleur ou pour le pire, et tu commences quelque chose de nouveau qui est frais, vif et plein d’enthousiasme – comme c’est le cas maintenant, je dirais. Pas que nous soyons heureux que Jonathan soit parti, absolument pas. Nous ne savions même pas si nous allions continuer car Jonathan était une part très importante du groupe et ce serait autre chose sans lui. C’est seulement parce que Joseph a bien voulu nous rejoindre que nous avons eu envie de continuer. Je ne vois pas qui d’autre aurait pu être une option. Nous le connaissons très bien musicalement. Il connaît Tribulation, il sait ce que nous sommes. Jonathan est parti, mais nous sommes très contents que Joseph ait voulu intégrer le groupe. Ça a assurément allumé une étincelle et je suis très enthousiaste à l’idée de voir où ça va nous mener. Il faudra attendre pour voir, je suppose, mais nous sommes convaincus que ça va fonctionner. Donc pour répondre à la question, c’est comme une rivière, d’une certaine manière.

Vous avez déjà sorti trois clips pour cet album. Penses-tu que ça peut être un bon substitut aux concerts actuellement ? Et en tant que groupe qui fait de la musique très cinématographique et ouvertement influencé par les films, est-ce une forme d’accomplissement ?

C’est notre accomplissement qui demande le moins d’effort, je dirais, car en dehors du mixage et du mastering d’un album, c’est vraiment le seul moment où nous déléguons le travail à quelqu’un d’autre. En ce sens, ce n’est pas vraiment un accomplissement, mais c’est toujours amusant de voir le résultat et de participer. Nous ne connaissons pas grand-chose à la création de vidéos, donc c’est toujours amusant de voir ce que des vidéastes et réalisateurs sont capables de faire avec notre musique. Dans une certaine mesure, c’est un substitut aux concerts mais nous l’aurions fait de toute façon. C’est quand même bien de faire quelque chose en plus dans ce genre de période. Plein de groupes diffusent des choses, collaborent, font des live-streams. Si la situation perdure, il se peut que nous fassions quelque chose comme ça aussi. J’étais un peu sceptique au départ, je ne pensais pas que ce serait notre truc, mais d’un autre côté, nous pouvons faire ce que nous voulons, donc autant aussi faire quelque chose comme ça.

C’est quoi la suite pour le groupe ? Je suppose que c’est inhabituel car, dans d’autres circonstances, vous seriez partis en tournée. Je crois que la tournée avec Bölzer et Molassess a été reprogrammée mais je ne sais pas dans quelle mesure ça va se faire…

Je ne sais pas non plus, mais avec un peu de chance, ça va se faire. Nous avons des plans et nous avons des festivals prévus cet été, s’ils se maintiennent. En dehors de ça, que ça se fasse ou pas, je suis sûr que nous allons commencer à essayer de composer de nouvelles musiques avec Joseph. Comme je l’ai dit, il se peut que nous enregistrions un live-stream. Après ça, quand nous pourrons reprendre les concerts, je suis sûr que nous allons tourner pour promouvoir les nouvelles chansons. Mais pour le moment, j’ai envie de voir où nous pouvons emmener les choses avec Joseph. C’est étrange de dire ça, car l’album n’est même pas encore sorti, mais j’ai l’impression que ça fait des lustres que nous l’avons enregistré, à cause de cette étrange année. On aurait dit que c’était la plus longue année de tous les temps. Entre le départ de Jonathan et le fait que nous soyons inspirés pour faire quelque chose avec Joseph, c’est une situation bizarre, mais j’espère quand même que nous pourrons jouer les nouvelles chansons aussi car nous aimons beaucoup l’album. J’espère que nous pourrons revenir en France dès que possible. Je crois qu’il y a un concert à Paris sur cette tournée, ça devrait se passer en septembre, donc il n’y a plus qu’à espérer, je suppose [rires]. Croisons les doigts !

Interview réalisée par téléphone le 20 janvier 2021 par Chloé Perrin.
Retranscription : Emilie Bardalou.
Traduction : Nicolas Gricourt.
Photos : Ester Segarra.

Site officiel de Tribulation : tribulation.se

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