En près de 15 ans de carrière, le moins que l’on puisse dire, c’est que les Suédois de Tribulation ont fait du chemin : partant du death metal abrasif et teinté de thrash du bien nommé The Horror, ils sont passés par le foisonnement prog de The Formulas Of Death et les envolées gothiques du remarqué The Children Of The Night pour arriver en ce début d’année à Down Below, leur quatrième album en date. S’ils ont, au fil des ans, habitué leur public grandissant à des sonorités changeantes, leur esthétique est toujours restée remarquablement cohérente, tenant autant du film d’horreur esthétisant que du gothique du XIXe siècle, hantée de figures féminines inquiétantes et de traditions ésotériques variées. Un cocktail efficace qui leur a assuré des louanges unanimes de la part de mélomanes de tous poils et, avec The Children Of The Night, leur a apporté une reconnaissance bien méritée. Down Below se propose non seulement de ne pas laisser retomber cet intérêt, mais d’emmener l’auditeur encore plus loin – la couleur est annoncée d’entrée de jeu : ce sera plus bas, cette fois-ci.
Comme d’habitude chez Tribulation, les premières notes de l’album sont douces, séduisantes, et débouchent sur les riffs qui ont fait leur succès et le growl unique, très intelligible de Johannes Andersson : « The Lament » ouvre le disque d’une manière résolument gothique qui reprend là où The Children Of The Night nous avait laissé. Atmosphère horrifique, mélodies accrocheuses et morte inoubliable (une certaine Sophia très gnostique qui colle parfaitement avec les tonalités spirituelles du groupe, peut-être la figure que l’on aperçoit dans le ciel rouge de la pochette – mais si, regardez bien) : une fois de plus, les fantômes viennent à notre rencontre d’entrée de jeu, et pour la première fois dans la carrière du groupe, on est relativement peu surpris. S’ils se cherchaient, les Suédois semblent s’être trouvés : Down Below, qu’on pourrait situer à mi-chemin entre The Formulas Of Death et The Children Of The Night, à mi-chemin entre les sombres forêts et la ville pour reprendre la métaphore utilisée par Adam Zaars, évoque voire cite abondamment les albums précédents : « Ultra Silvam » au début de « The Lament » par exemple, ou « Själaflykt » dans « Here Be Dragons ». Cependant, pour arriver à cette synthèse, il sacrifie à la fois le côté touffu et les digressions tortueuses de The Formulas Of Death et les mélodies irrésistibles de The Children Of The Night, ce qu’on peut regretter ; ceci étant, le résultat en est plus digeste – c’est l’album le plus bref de Tribulation – et plus homogène, même si le groupe s’autorise toujours toutes les libertés : death rock redoutablement entraînant dans « The World », solos endiablés qui nous font revivre les hautes heures des années 80 dans « Nightbound », ou encore intermèdes atmosphériques, à l’image d’un « Purgatorio » en forme de berceuse angoissante réalisé avec la participation de leur compatriote organiste Anna Von Hausswolf.
L’impression de familiarité que l’on peut avoir à l’écoute de Down Below est assez paradoxale tant il semble que la grande préoccupation des Suédois soit l’ailleurs, qu’il soit sous terre, à travers les bois, de l’autre côté de la porte ; en tout cas hors de l’espace confiné du death metal, du monde matériel et de notre époque : la dernière chanson de l’album, épique et à l’emphase très Watain, est d’ailleurs intitulée « Here Be Dragons », de la manière dont étaient signalées sur les cartes médiévales les zones inexplorées. Bref, Down Below se veut une nouvelle facette de leur « music from the Other », une nouvelle forme de « cet élan vers l’informulé », « ce besoin d’échapper par une envolée au train-train terrestre » dont parle Huysmans dans Là-Bas – le roman auquel le titre de l’album fait allusion. Tribulation touche par son ambition et sa manière d’exploiter toutes ses ressources de groupe de metal, voire de rock, pour y accéder : si la mécanique, qui commence à être bien huilée, perd un peu en âme sur cet album, elle prouve que les Suédois sont en pleine possession de leurs moyens, et augure du meilleur pour la suite. S’épanouissant pour le moment six pieds sous terre, qui sait sous quelle forme ils remonteront à la surface ?
Chanson « The World » en écoute :
Clip vidéo de la chanson « Lady Death » :
Clip vidéo de la chanson « The Lament » :
Album Down Below, sortie le 26 janvier 2018 via Century Media Records. Disponible à l’achat ici