ENVOYEZ VOS INFOS :

CONTACT [at] RADIOMETAL [dot] FR

Interview   

Trivium ne capitule pas


La période inédite que l’on vit actuellement, avec la crise sanitaire, a chamboulé beaucoup de choses, en particulier dans l’industrie du divertissement au sens large. C’est un euphémisme. Depuis que le marché du disque s’est effondré, sans que les services de streaming comblent la perte, les tournées étaient devenues la principale source de revenu des musiciens. L’annulation de toutes les tournées et tous les festivals à travers le monde a donc été un véritable coup de massue qui pourrait bien rebattre les cartes à différents niveaux. En attendant, les artistes doivent se montrer créatifs et innover. Si les concerts en ligne commencent à émerger, avec A Light Or A Distant Mirror diffusé le 10 juillet dernier, Trivum est sans conteste le groupe qui, à ce jour, a mis en place l’événement le plus abouti en la matière.

Nous avons joint Paolo Gregoletto, le bassiste-parolier du groupe d’Orlando, pour faire avec lui le bilan de l’expérience. Il partage avec nous les dessous et son vécu de l’événement, et nous donne son sentiment sur la crise actuelle et les perspectives d’avenir, selon lui, pour le groupe et l’industrie dans son ensemble.

« Sans l’énergie d’un public, c’est une expérience de concert radicalement différente […]. Notre approche était en grande partie d’être dans l’instant et d’essayer de comprendre comment agir au fil du concert. »

Radio Metal : Comment avez-vous vécu jusqu’ici cette crise de la Covid-19, avec le confinement, et tout ce que ça a impliqué pour l’industrie du divertissement ?

Paolo Gregoletto (basse) : C’est une époque complètement dingue, avec cette expérience commune où tout est totalement coupé – et je ne parle pas juste de ce qui se passe aux Etats-Unis où les gens restent chez eux, mais aussi de l’industrie qui est totalement à l’arrêt. Nous avons essayé de relever le défi et de nous montrer à la hauteur en trouvant un moyen de contourner ça, de sortir un album, de le promouvoir. A Light Or A Distant Mirror a vraiment émergé suite à un brainstorming que nous avons effectué pour savoir comment nous allions maintenir cet album en vie alors que tout est en train de s’effondrer. Nous sommes très tristes de ne pas pouvoir tourner mais nous n’avons pas laissé cette situation nous déprimer. Nous allons de l’avant. Nous prenons les choses telles qu’elles sont en nous disant que c’est ça notre cycle de tournée. Nous allons devoir essayer de faire quelques événements et petits trucs ici et là quand nous le pourrons, mais surtout nous gérons la situation et nous avançons.

What The Dead Men Say est sorti en avril, en pleine crise sanitaire. Avez-vous eu peur que cet album, dont je sais à quel point vous êtes fiers, tombe dans l’oubli ?

C’est pourquoi l’événement était vraiment la seconde phase du cycle de cet album. Nous sommes très fiers de l’album. J’étais convaincu que la musique allait attirer l’attention de plein de gens et qu’en n’annulant pas la sortie de l’album ou en ne la repoussant pas, nous allions pouvoir capitaliser sur le fait que presque personne d’autre n’allait sortir d’album. Faire ceci était une chose, mais nous savions que deux ou trois mois plus tard, l’album allait rester sur le carreau si nous ne continuions pas à le promouvoir, alors nous avons commencé à planifier l’événement. C’était une manière de maintenir l’attention sur l’album, et le fait de jouer six chansons du nouvel album durant l’événement, ça a vraiment remis les gens dans l’album, ça les a peut-être poussés à le réécouter. Nous avons voulu que l’événement poursuive le cycle de l’album et quand nous allons finalement le sortir auprès d’un public plus large, ça continuera là encore la promotion. Entre-temps, nous allons simplement faire de petits événements, si nous le pouvons, pour essayer de maintenir l’album en vie et puis passer à ce qui nous attend ensuite.

Cette prestation live en ligne que vous avez réalisée le 10 juillet dernier s’appelait donc A Light Or A Distant Mirror. Qu’est-ce que cette phrase signifie pour vous ?

Ce sont des paroles extraites de la chanson « What The Dead Men Say ». Ma suggestion, lorsque nous étions en train de parler d’essayer de mettre en place un événement ensemble, était que si nous lui donnions un titre, ça lui donnerait une certaine importance et ce ne serait pas juste quelque chose comme « un événement live de Trivium » ou un nom générique. Je trouvais que le fait de lui donner un titre en ferait quelque chose de spécial et à part entière dans notre discographie, comme si c’était un album live ou un « DVD live ». J’ai beaucoup aimé que nous utilisions ces paroles, car cette période nous fait dire : « Est-ce réel ? Est-ce que c’est vraiment en train d’arriver, le fait qu’on ne puisse pas tourner ou faire de concert ? » Le plus drôle était de voir le nombre de personnes nous demandant si ça avait été préenregistré. Plein de gens n’ont pas cru que nous l’avions fait en live, donc c’était marrant et ça faisait un peu une métaphore pour le concert lui-même. C’est une expérience tellement irréelle de jouer tout un concert en tête d’affiche sans public, et juste jouer face à huit caméras… C’était une journée vraiment folle. C’était amusant et bizarre à la fois. Je suis très content que nous l’ayons enregistré parce que quand on le visionnera dans probablement cinq ou dix ans, ça sera très intéressant, ce sera comme une capsule témoin de cette période complètement dingue de notre histoire.

Vous allez donc sortir la vidéo et l’audio du concert ?

Oui, nous allons le sortir. Je n’ai pas d’échéance pour ça, mais c’est le plan à l’heure actuelle. Ce sera vraiment une question de timing et de tout finir, parce qu’évidemment, nous avons tous les enregistrements vidéo et audio, donc ce serait un gâchis de ne pas en faire quelque chose et le sortir. Presque tout de suite après le concert, chaque commentaire disait : « Où est-ce que je peux télécharger ce concert en haute qualité ? » Nous voulons le proposer aux gens qui le veulent et, bien sûr, nous avons en tête d’autres trucs que nous voulons faire. Nous nous tenons occupés, même si on ne peut pas partir sur les routes.

Les aspects techniques d’un tel concert ont dû être très différents de ceux d’un concert normal, et vous avez probablement dû aborder ça différemment. Comment vous êtes-vous préparés pour ce concert, techniquement parlant mais aussi en tant que groupe ?

Nous avons embauché une directrice créative, Sooner Rae. C’était la personne qui devait essentiellement construire tout le set pour la tournée estivale. C’est une incroyable conceptrice scénique et de lumières. Elle travaille pour plein de types de musiques et de groupes différents, ça va de groupes comme Muse à des pop stars comme The Weeknd. Nous travaillions donc avec quelqu’un d’un plus gros calibre qu’avant. Elle nous a aidés à concevoir le set, élément par élément, mettant à disposition tout le contenu. Nous avons dû faire des conférences téléphoniques tous les mardis pendant deux mois avec elle, rien que pour mettre les choses en place. Ensuite, nous avons dû discuter avec la Full Sail University des capacités techniques, de la sécurité en ayant tout le monde rassemblé dans une salle pendant quelques jours… Nous avons aussi dû faire venir Alex [Bent] en avion depuis la Californie à deux reprises parce que nous avons répété une fois et ensuite, une semaine et demie plus tard, il a dû revenir pour l’événement. Pour l’événement, nous avons dû le mettre à l’hôtel avec l’équipe pour qu’il y ait un peu d’espace entre nous tous. Normalement, il aurait logé chez Corey, donc nous avons mis en place une sorte de quarantaine souple. Plus ou moins le seul moment où nous avons retiré nos masques était lorsque nous sommes montés sur scène pour jouer, et tout le reste des personnes dans la salle les portaient. Nous avons essayé de rester aussi prudents que nous le pouvions dans ces circonstances. C’était vraiment une très grosse opération et plein de gens ont dû travailler très dur pour que ça se réalise. Nous avons embauché un ami à nous pour faire la réalisation, le choix des plans live, car il y avait sept ou huit caméras. Nous avons fait venir toute notre équipe, nous avions notre ingénieur du son qui faisait le mix en temps réel… C’était un boulot de dingue, je n’ai jamais vu autant de matériel à un de nos concerts dans une même salle, avec toutes ces caméras et tous ces gens qui travaillaient pour que ça ait l’air incroyable.

« Les groupes qui voient ça comme quelque chose de temporaire seront un peu à côté de la plaque, parce que je pense que ça fera probablement partie de l’avenir des groupes. »

Les lumières et la conception scénique étaient au niveau de qualité auquel on s’attend de Trivium, mais il n’y avait rien de vraiment sophistiqué ou tape-à-l’œil, c’était plutôt sobre et élégant. Avez-vous dû adapter tout ça au fait que ce serait retransmis en live sur internet ?

Oui, c’est assez épineux, parce que le spectacle a été conçu pour la tournée. Un truc auquel j’ai pensé était : « Comment est-ce que ça passera à la diffusion ? » Parce que c’est tellement différent, c’est un concert différent. Elle n’a pas exagéré avec les stroboscopes, et de toute façon, je ne suis pas sûr que ça aurait collé à ce que nous essayions de faire, surtout avec le contenu vidéo. Ce sera très intéressant de revoir les images, quand nous aurons rassemblé ça pour une sortie plus large, pour voir comment ça rend. Nous allons le faire mixer et masteriser par quelqu’un pour que quand nous le sortirons, ce soit plus propre et tout. Nous avons clairement réalisé un concert qui pourrait être projeté dans le cadre d’une diffusion internet et aurait quand même du sens, mais évidemment, c’est très différent.

On dirait que lors des premières chansons, vous cherchiez un peu vos marques, pour ainsi dire. A quel point ça a été déstabilisant pour vous de jouer sans public physique ?

Sans un public, sans l’énergie d’un public, c’est une expérience de concert radicalement différente, si on compare à lorsqu’il y a deux mille personnes dans une salle et qu’il y a de l’énergie, et cet élément live qu’on ne peut pas vraiment retrouver dans un événement sans public. Ma manière de décrire ça aux gens est de dire que c’est comme faire un clip vidéo pendant une heure et demie. C’est un peu à ça que ça ressemble de faire des clips : tu ne joues devant personne, il faut donc créer de manière intérieure l’énergie et les mouvements sur scène. Evidemment, nous n’avions jamais joué la moindre de ces nouvelles chansons en live en dehors des répétitions, c’était leur première fois. Notre approche était en grande partie d’être dans l’instant et d’essayer de comprendre comment agir au fil du concert. Si un jour nous refaisons un événement de ce type, ce sera intéressant parce que, maintenant que nous avons cette expérience, nous savons plus ou moins où nous allons. C’est comme les concerts : quand tu fais ton premier concert, tu ne sais pas ce que tu fais jusqu’à ce que tu en aies fait un paquet. Je pense que ça fait partie de ces choses que nous allons perfectionner et dans lesquelles nous allons nous améliorer. C’était la première fois, mais pas la dernière. Les groupes qui voient ça comme quelque chose de temporaire seront un peu à côté de la plaque, parce que je pense que ça fera probablement partie de l’avenir des groupes. Ça ne va pas remplacer les tournées – les tournées sont des choses uniques et sont très importantes pour la musique – mais le fait de pouvoir atteindre l’intégralité de tes fans à une telle échelle est très intéressant pour des groupes comme nous.

Que se passe-t-il dans ta tête au moment même où tu montes sur scène ?

Je me sentais très bien lors de nos répétitions, donc je voulais juste essayer de m’amuser avec ça et ne pas être trop stressé par quoi que ce soit. Il y avait beaucoup d’excitation. Je me sentais excité de jouer autant de nouvelles chansons, simplement parce que nous jouions et chantions des musiques que nous n’avions jamais jouées pour des gens. Même si les gens ne sont pas devant nous, on garde en tête qu’il y a dix ou douze mille personnes qui regardent. C’était dingue de s’imaginer ça. C’était très excitant, et j’étais très content de faire partie de ça, de vivre l’instant, et j’ai adoré joué les chansons, parce que je savais que nous n’allions pas le refaire tous les jours les quarante prochains jours, je savais qu’après c’était fini.

Puisque vous ne pouviez pas vous nourrir de l’énergie que le public vous renvoie habituellement lors d’un concert normal, où puisiez-vous votre énergie ce soir-là ?

Simplement dans les chansons que nous jouions. Je prenais purement du plaisir tout seul, je pense. Il n’y a rien pour nourrir notre énergie, en dehors des caméras devant nous, donc j’étais à fond en train de me faire plaisir à jouer les chansons… D’ailleurs j’aurais aimé pouvoir continuer à jouer, car quand nous sommes arrivés à la fin, j’étais très à l’aise et confiant, je m’éclatais à jouer ! Mais oui, on n’interagit avec personne, donc il n’y a pas de connexion directe. Je me suis plus concentré sur le fait de jouer la musique et de chanter du mieux que je pouvais, et d’essayer de passer un bon moment sur scène avec les autres gars. C’est différent parce que nous avons discuté par exemple de ce que Matt devrait dire. Ce n’était pas un concert normal, donc on ne pouvait effectivement pas se nourrir de l’énergie du public, or Matt est un frontman très impliqué, donc il a fallu qu’il change ce qu’il dirait, le nombre de ses interventions… J’étais très content que nous ayons réduit les interventions au minimum. Ça a recentré le concert sur nous en train de jouer pour les gens, en les laissant s’immerger dans l’expérience. Nous ne voulions pas en faire un concert factice. Ici aux Etats-Unis, ils refont du baseball et ils ont de faux bruits du public, je trouve ça vraiment bizarre. C’est une période bizarre, alors autant embrasser le fait que c’est différent au lieu d’essayer de donner l’air que tout est normal. Ce n’était pas un concert normal, donc je suis content que ça n’ait pas eu l’air d’un DVD live normal ou quelque chose comme ça. Ce sera un truc à part entière. Il y a plein de concerts de Trivum sur YouTube, donc ça, c’est à part, tout comme les Chapman Studios à l’époque d’In Waves étaient à part.

Alex a cassé quelque chose sur sa batterie durant « Rain », ce qui a forcé Matt à meubler. Comment avez-vous vécu ce moment ?

Nous n’avons vraiment su ce qui s’est passé qu’après, parce que nous avions tous des retours intra-auriculaires, donc nous ne pouvions pas parler. Nous n’avons su qu’après coup ce qui s’était passé. Je pense qu’au moins, ça a prouvé que c’était du live : ce n’était pas un set factice, préenregistré comme beaucoup de groupes l’ont fait. Ça n’était pas prévu, c’est certain, mais ça prouve que c’était du live. Comme lors de n’importe quel autre concert, il y a des soucis techniques, des trucs bizarres se produisent – quand tu as tout branché, il est obligé que tu tombes sur un os ! N’importe lequel d’entre nous aurait facilement pu avoir des problèmes. Je pense qu’un problème pour dix-sept chansons, c’est un bon bilan si on compare aux tournées où on a l’impression que tous les soirs il y a un problème.

« C’est une période bizarre, alors autant embrasser le fait que c’est différent au lieu d’essayer de donner l’air que tout est normal. »

Vu que le public n’était pas dans l’ambiance d’une vraie salle de concert, penses-tu que ça l’ait poussé à plus se concentrer sur la musique et votre jeu ?

Probablement, car tu peux vraiment regarder et assimiler. Lors d’un concert quand ça hurle dans le système de sono, tu ne prêtes pas attention, tu es dans l’instant, alors que là, tu es plus concentré, ce qui m’a évidemment donné envie de jouer aussi bien que possible et d’être aussi précis que possible pour offrir aux gens le meilleur de moi-même à ce moment-là. Evidemment, c’est live, il n’y a pas de deuxième chance, mais je me sentais très bien. Nous avons une nouvelle installation avec des retours intra-auriculaires, des pistes de click et tout, donc je trouve que nous n’avons jamais été autant en place en tant que groupe. Je pense que les gens étaient aux anges.

As-tu lu les commentaires des fans et comment était l’expérience de leur côté ?

Oui. Ce qui était très cool avec le stream est qu’il y avait un chat ouvert tout du long. Il était également ouvert tout le temps de la rediffusion du weekend. Il y avait au moins un millier de personnes dans le chat après l’événement, à tout moment, durant toute la rediffusion du weekend. J’y suis allé plusieurs fois pour dire bonjour, voir comment les gens allaient… Tout ce que j’ai lu était très positif. Comme je l’ai dit, le commentaire le plus fréquent était : « Où je peux acheter le DVD ? » C’est donc pour moi le signe évident que ça valait le temps et l’argent que les gens y ont investi. Nous voulions nous assurer que le prix était abordable pour les gens aujourd’hui, qu’ils ne perdaient pas leur temps, que c’était un véritable événement. Evidemment, le fait d’avoir le set d’ouverture de Sylosis, que Beez [Terry Bezer] fasse l’animation, qu’il y ait les interviews de tout un tas de gens différents… Nous voulions que ça donne l’impression d’être le gros événement de la journée, et pas juste notre concert. Tous les retours étaient si positifs après, ça a confirmé que ça a valu le coup d’organiser ça. Nous aurions facilement pu ne rien faire et faire profil bas pendant un moment, mais l’album a très bien marché malgré tout, et il marche toujours bien, et c’était important pour nos fans que nous les récompensions pour leur soutien. Je ne pense pas que ce serait tout de suite, mais j’ai hâte que nous puissions refaire un gros événement comme celui-ci.

Quelque part, un tel événement ne soulève-t-il pas la question de l’intérêt d’un concert, si ce n’est pas pour l’interaction physique entre un groupe et son public ?

Je pense que lorsqu’il y a une pandémie, et qu’il n’y a rien de nouveau qui sort, c’est plus ou moins la chose la plus intéressante qu’on puisse mettre en place. Je pense que dans ces circonstances, les gens comprennent. Tout ce que j’ai vu, de notre point de vue, quand nous avons décidé de ne pas retarder l’album, c’est que les gens nous ont remerciés de ne pas avoir retenu la sortie de quelque chose de neuf. Pour nous, il n’y avait vraiment aucune raison de le faire. Evidemment, nous aurions pu le retenir jusqu’à maintenant, ou je ne sais quand, et je ne sais pas si ça aurait été mieux ou pire. De notre côté, nous avions déjà l’album et tout était terminé, nous avions fait la promotion de l’album, c’était le moment de le sortir pour que les gens l’écoutent. En avril, quand la situation était désespérée partout dans le monde, nous trouvions que sortir quelque chose de positif valait le coup pour nos fans, peu importe quel serait le chiffre de vente la première semaine. C’est un peu pareil avec ça : nous n’avions aucune garantie que ça marcherait, nous aurions pu perdre beaucoup d’argent en organisant ça, donc c’était un risque. Mais un risque qui valait la peine d’être pris, ça valait la peine de faire quelque chose de différent en ce moment, car autrement, l’autre option pour les gens est de regarder des musiciens faire des reprises sur Zoom. Nous ne faisons pas ça – nous voulons jouer quelque chose de vrai, de gros et de différent, et joindre le geste à la parole en mettant en place le concert et la production les plus élaborés que nous pouvions mettre en place. C’était tout, c’était notre idée. Je suis content que nous ayons placé la barre haut pour ce qu’un concert en streaming peut être, que nous ayons vendu autant de places, que nous ayons fait une démonstration de faisabilité, que nous ayons montré que si on investissait là-dedans, c’était possible, les groupes peuvent faire ça. Encore une fois, ça ne va pas remplacer les tournées, mais à terme, je pense que ça pourrait devenir un truc en plus que les groupes peuvent faire. Quand les tournées reprendront, il n’y aura aucune raison d’arrêter de faire ça, on peut continuer et essayer de trouver de nouvelles manières d’utiliser ça dans notre activité.

Quel genre de marque la période actuelle avec la crise sanitaire laissera-t-elle sur le monde du divertissement, d’après toi ?

Malheureusement, la réalité est que plein de petites salles, plein d’organisateurs indépendants et des tonnes de groupes, aussi bien nouveaux qu’anciens, vont vraiment souffrir de ça, si ce n’est carrément faire faillite. Ça va vraiment ruiner un paquet de groupes. Ça va ruiner plein de salles de concert et, malheureusement, fragiliser l’industrie – elle était déjà fragilisée, mais ça va empirer. Je ne vois pas beaucoup de bons côtés dans l’industrie en ce moment. Je ne sais pas de quoi ça aura l’air dans deux ans… Tout ce que nous faisons, c’est nous assurer que nous continuons de progresser, et nous essayons d’avoir une longueur d’avance sur ce qu’on peut faire pendant qu’on ne peut pas tourner. Je m’en veux parce que je ne sais pas quoi dire à propos du reste ; c’est vraiment désespéré et ça ne va faire qu’empirer. Ça ne fait que trois ou quatre mois qu’on est dans cette situation. Aux Etats-Unis, c’est vraiment moche en ce moment. Ça va probablement devenir bien pire ici, à mesure que tout tombe en miettes… Donc nous essayons juste de nous concentrer sur ce que nous pouvons faire pour nous-mêmes. J’espère qu’on arrivera à passer le cap en 2021, d’une certaine manière. J’espère qu’on pourra sortir des Etats-Unis et tourner à nouveau, suivant comment seront les choses ici. Nous faisons de notre mieux et je souhaite le meilleur à tous les groupes qui galèrent à garder la tête hors de l’eau aujourd’hui. Ce n’est pas facile et je souhaite à tout monde le meilleur et d’aller bien.

« Ce sera un gros électrochoc, je pense, pour l’industrie et pour les groupes. Je ne sais simplement pas quelle en sera la conséquence, parce que les artistes n’ont pas tellement leur mot à dire là-dedans. On est tous chacun dans son coin quand il s’agit d’unifier, d’essayer de motiver un changement dans l’industrie. »

Dans les années 70, 80 et 90, avant la démocratisation d’internet, avec le téléchargement illégal et les services de streaming qui ne sont pas très lucratifs pour les artistes, les groupes gagnaient leur argent avec les ventes d’albums, or ce n’est plus possible, et c’est pourquoi les groupes ont de plus en plus misé sur les tournées. Mais penses-tu que la situation actuelle pourrait pousser les artistes à essayer d’être moins dépendants des concerts et de trouver d’autres sources de revenu ?

Je crois clairement que le streaming live, notamment les concerts en ligne, est un aspect qui vaut le coup d’être pris en compte. On voit beaucoup plus de musiciens se mettre sur Twitch aujourd’hui, à court terme. Je ne sais pas si ça va complètement compenser la perte de revenu due à l’absence de tournée, mais c’est mieux que rien. Avec les services de streaming musical, c’est une situation délicate parce que si on prend un groupe comme Trivium, les revenus issus du streaming sont une bonne chose parce que nous avons tellement d’albums qu’avec le temps, ça rattrape – chaque chanson n’est peut-être pas un énorme tube, mais chaque chanson est écoutée deux ou trois millions de fois, donc ça s’accumule avec le temps. Mais pour un nouveau groupe, le côté financier des services de streaming ne fonctionne pas comme ça. Avant, un nouveau groupe pouvait vendre dix mille albums et c’était une bonne chose. Aujourd’hui, un nouveau groupe fait dix mille streams et c’est rien du tout, malheureusement. Ce sera un gros électrochoc, je pense, pour l’industrie et pour les groupes. Je ne sais simplement pas quelle en sera la conséquence, parce que les artistes n’ont pas tellement leur mot à dire là-dedans. On est tous chacun dans son coin quand il s’agit d’unifier, d’essayer de motiver un changement dans l’industrie. C’est vraiment ce dont je ne suis pas sûr. Normalement, quand tu es dans un petit groupe, tu peux peut-être avoir un boulot à côté, avoir quelque chose à faire quand la tournée est finie, mais tout est fini. Tous les secteurs vont mal. Il y a plein de fans à qui j’ai parlé et qui ont perdu leur boulot, qui sont en galère aujourd’hui, et plein de groupes sont dans le même bateau, parce que si tu avais un plan de secours ou un boulot en parallèle pour te faire tenir quand tu ne tournais pas, ce n’est plus possible maintenant. C’est pareil pour notre équipe. Il n’y a pas de solution de rechange. La raison pour laquelle nous avons fait ce grand événement était aussi en partie que nous voulions pouvoir emmener notre équipe, les payer et leur donner quelque chose à faire. J’espère que, quand nous ferons d’autres choses, nous pourrons impliquer notre équipe au moins dans une certaine mesure, car je sais que c’est une période très difficile pour eux. Nous essayons de nous occuper d’eux, et de nous occuper de nous-mêmes, et voir ce que nous pouvons faire.

Y a-t-il des chances que seuls les groupes qui sortiront des sentiers battus et réinventeront leur business et leur lien aux fans survivront ?

Ça dépendra en effet des groupes, des labels, des managements, qui devront être créatifs. Nous avons pris de l’avance sur les autres parce que nous faisons des streamings de concert depuis longtemps et je pense que par le passé, ça faisait partie de ces choses qui, sur le moment, ne donnent pas l’impression qu’on le fait dans un but particulier et qui semblent n’avoir pas de raison d’être, c’est juste pour expérimenter. Mais cette crise nous a offert une occasion de clarifier ce que le streaming peut faire si on investissait un peu plus dedans, et si on essayait de l’aborder un peu différemment que simplement aller sur Twitch. Ça en fait partie, je pense, mais ce n’est pas tout ce que nous allons essayer de faire. Donc je pense qu’il faut être créatif. Nous avons la chance d’avoir une communauté de fans irréductibles qui nous permettront de traverser cette période. Mais quand on n’a pas ce genre de communauté, ça va être beaucoup plus compliqué de s’en sortir.

Tu as écrit quatre-vingts pour cent des textes de What The Dead Men Say, et le titre de l’album vient d’une nouvelle de science-fiction qui aborde le concept de demi-vie ou d’être « dans un état entre la vie et la mort ». As-tu l’impression qu’aujourd’hui, le monde du divertissement est dans un état entre la vie et la mort ?

C’est clair que l’industrie… Je suppose que les événements actuels ont donné une nouvelle pertinence aux textes que j’ai écrits et que Matt a écrits, et à certains trucs que Corey a apportés. J’imagine que tout est plus clair dans ce que nous avons écrit, et ça a donné un nouveau contexte aux paroles des chansons. On pourrait dire que l’industrie est dans un état d’entre-deux, c’est sûr. Où on va à partir de là ? Je n’en sais rien. Est-ce qu’on en ressort avec une meilleure industrie ou bien complètement entravé ? Le business des tournées, durant les dix dernières années a suivi une ascension tellement météoritique que c’est vraiment fou de le voir tout d’un coup complètement à plat. C’est fou de penser qu’il n’y aura aucun festival en Europe cet été. Tous ces extraordinaires festivals qui ont grandi pendant des années sont rayés du calendrier. C’est vraiment troublant à voir et je n’ai même pas envie de penser à quoi ressemblerait l’année prochaine si ça continuait [rire nerveux]. Je fais comme si… J’espère qu’on s’en sortira cette année, j’espère qu’une solution va arriver et qu’on arrivera à quelque chose de gérable et qu’on pourra tourner à nouveau… Je ne pense pas du tout que 2021 sera une année normale, mais j’espère qu’on en sera au moins au stade où on pourra tourner à nouveau, s’en sortir, et en 2022 ce sera : « Ok, on est de retour à la normale. » On verra à partir de là.

La chanson « The Catastrophist », en particulier, semble presque prémonitoire…

Quand nous avons sorti cette chanson, c’était plus ou moins lorsque les nouvelles devenaient vraiment mauvaises ici aux Etats-Unis et que les gens commençaient à prendre la crise un peu plus au sérieux, et sortir cette chanson à ce moment-là, ça semblait vraiment taper en plein dans le mille. Je suis content d’écrire de la musique pertinente et à laquelle on peut s’identifier, mais je ne suis pas content quand c’est totalement pertinent et que ça nous fait faire une sortie de route ! En attendant, nous profitons du moment passé à la maison. Les enfants de Matt sont encore jeunes, donc nous sommes très contents qu’il puisse passer un peu de temps avec eux hors tournée. Nous n’avons jamais fait une si longue pause. L’année dernière, c’était la pause la plus longue que nous ayons faite, depuis qu’il a ses enfants, mais nous étions aussi en train de faire l’album. Mais là, nous n’avons jamais passé autant de temps sans tournée et nous n’avons pas vraiment pu répéter, donc nous profitons de notre temps à la maison, nous nous reposons, et une fois que ce sera le moment de tourner à nouveau, nous serons prêts à repartir parce que ça fera tellement longtemps…

« Pourquoi ne pas profiter de ce temps pour vraiment plonger dans la musique, prendre un peu plus de temps que normalement pour composer et voir où ça nous mène. »

Quelles sont les idées que tu avais en tête à l’origine quand tu as écrit ces paroles relativement sombres pour cet album ?

Quand j’essaye de penser à des choses à écrire, j’essaye d’internaliser tout ce que je vois, que ce soit les informations, internet ou juste des trucs auxquels je pense. J’essaye de transformer ça sous la forme d’une chanson qui a du sens, à laquelle on peut s’identifier, qui est accrocheuse… Ce sont là tout ce que j’ai envie de retrouver dans la musique. Il y a toujours quelque chose à en tirer quand on fait face à des choses plus sombres ou négatives dans le monde. Je ne suis pas… Je n’ai pas l’impression d’être quelqu’un de négatif. Globalement, je me sens très stable et heureux dans ma vie, mais le fait de penser à ces choses, à ce que je ressens par rapport à elles, ça m’aide beaucoup personnellement, et j’aime écrire à ce sujet. Je n’ai pas envie d’écrire de la musique qui soit vraiment cliché, ça ne m’intéresse pas, que ce soit pour faire une chanson trop édulcorée ou essayer de la rendre plus accrocheuse juste pour la rendre plus accrocheuse. Nos riffs sont vraiment sympas, donc j’ai envie que nos textes le soient aussi. Ça a toujours été ma préoccupation. Sur les derniers albums, j’ai l’impression que nous nous sommes plus penchés sur les textes qu’auparavant, parce que j’ai envie qu’ils soient au niveau de la musique et qu’ils la rendent encore plus puissante, car quand les mots parlent aux gens, quand j’entends les gens dire qu’ils trouvent ça vraiment pertinent ou que les textes leur confèrent un sentiment de puissance, ça fait toujours beaucoup de bien, car nous savons l’investissement que ça a demandé – rien que quelques phrases de paroles, ça demande beaucoup d’investissement. Je suis toujours content d’entendre ce genre de retour de la part des gens.

Je n’ai pas eu le temps de poser la question à Matt en mars dernier : quelle est cette chose sur l’illustration de l’album ?

Le gars qui a fait cette photo pour nous est vraiment un super photographe que nous avons trouvé localement, ici à Orlando. Comme tu peux le voir sur ses photos, il fait beaucoup de photos d’objets d’intérieur, etc. Nous avons beaucoup aimé ses photos et l’une d’entre elles montrait un tas de fleurs mortes. Nous avons trouvé que ce serait vraiment cool qu’il fasse quelques photos pour l’illustration de l’album, de façon à vraiment lier les choses. Il a pris trois ou quatre cents photos de différentes variantes de fleurs dans différents états, mortes et vivantes, avec de la peinture et de l’encre dessus, en feu… Cette photo était l’une parmi plusieurs dans cette veine et nous l’avons adorée. On dirait presque un cœur et c’est vraiment ouvert à l’interprétation : « Est-ce que cette fleur est morte ou bien est-elle en train de prendre vie ? » Voilà pourquoi nous l’avons choisie. C’était quelque chose de complètement différent. Parfois, tu commences d’abord à travailler sur ton album, et c’est après que tu découvres le type d’idées et les choses que tu veux, quand tu tombes dessus. Il a fallu d’abord que nous fassions les photos pour ensuite comprendre à quoi la pochette allait ressembler.

Allez-vous profiter de tout ce temps libre que vous avez maintenant pour faire de nouvelles musiques ?

Je pense que c’est clairement dans les tuyaux. Nous n’avons pas de temps défini ou d’échéance pour livrer le prochain album. Evidemment, le nouvel album n’est pas si vieux. D’abord nous avons travaillé sur l’événement, qui est maintenant derrière nous. La suite, c’est sortir cet événement à un moment donné. Et entre-temps, nous réfléchirons à la question de savoir quoi faire avec les événements streaming plus modestes que nous voulons mettre en place. Je sais que de la nouvelle musique et la composition en feront partie, tant que c’est suffisamment sûr pour nous de nous réunir. C’est vraiment ça la plus grosse barrière pour le moment. Matt, Corey et moi, nous vivons à Orlando, mais Alex vit en Californie et doit prendre l’avion pour venir, donc il faut gérer ça. Nous allons chercher un moyen de contourner ça et nous n’allons pas nous reposer en 2021. Nous réfléchissons constamment à la suite et à de nouvelles choses. Nous n’avons aucune tournée en ce moment, donc nous sommes dans cette situation où c’est presque comme si nous étions redevenus un nouveau groupe. Quand tu es un nouveau groupe, tu as tout le temps du monde pour écrire ton premier album. Par exemple, nous avons pris beaucoup de temps pour faire Ember To Inferno et Ascendancy parce que nous ne tournions pas, nous n’avions aucune contrainte. Ce n’est plus cas, parce que nous tournons énormément, mais maintenant, nous en sommes à ce point où nous n’avons plus de tournée. Il se peut que nous ne tournions pas avant 2022 ! C’est possible, dans le pire des scénarios. Alors pourquoi ne pas profiter de ce temps pour vraiment plonger dans la musique, prendre un peu plus de temps que normalement pour composer et voir où ça nous mène. J’adorerais faire ça. Je m’attends à ça à un moment donné. Il s’agit juste de pouvoir nous réunir en toute sécurité et de voir comment nous pouvons le faire.

Interview réalisée par téléphone le 20 juillet 2020 par Nicolas Gricourt.
Retranscription : Foucauld Escaillet.
Traduction : Nicolas Gricourt.

Site officiel de Trivium : www.trivium.org.

Acheter l’album What The Dead Men Say.



Laisser un commentaire

  • « est-ce que cette fleur prend vit ? »
    La coquine…

    [Reply]

    Nicolas Gricourt

    Corrigé, merci 🙂

    Bien vu, et bien amené 😉

  • « Trivium ne pas capitule pas »
    Coquillounette dans le titre ? Ou référence obscure (que je ne saisis pas) à l’album ?

    [Reply]

    Spaceman

    C’est « ne capitule pas » dans le sens de « ne s’avoue pas vaincu » par la situation, le Covid-19, etc.

    Spaceman

    Ok, je viens de comprendre qu’il y a un « pas » en trop 😉 C’est corrigé.

  • Arrow
    Arrow
    Metallica @ Saint-Denis
    Slider
  • 1/3