Trivium a su affronter les épreuves imposées par le COVID-19. Son dernier opus, What The Dead Men Say, a dû redéfinir les contours de sa promotion. Trivium s’est même prêté au jeu du streaming en dévoilant piste par piste son nouveau-né. Surtout, Trivium s’est attaqué à la question épineuse du live, première source de revenus des artistes aujourd’hui, à l’heure où tous les grands rassemblements sont prohibés. Le groupe a organisé un événement intitulé A Light Or A Distant Mirror, un concert payant (moins onéreux qu’un concert traditionnel) sans public à la Full Sail University d’Orlando diffusé à l’international avec tout l’arsenal technique nécessaire pour que la qualité soit au rendez-vous. Une initiative ambitieuse qui ouvre la voie à une problématique évidente : est-il pertinent de proposer un show sans public présent sur place ? Par extension, A Light Or A Distant Mirror aboutit à cette interrogation : qu’est-ce qui constitue le véritable intérêt d’un concert ? Aussi simple à formuler que difficile d’y répondre.
A Light Or A Distant Mirror a bénéficié d’un soin considérable, pas seulement pour le défi technique d’un streaming international de haute qualité qu’il implique. Trivium a revisité l’intégralité de sa production live : nouvelle set-list et nouveau décor. Ce dernier est très sobre et classique, le batteur est en retrait, surélevé par rapport aux trois autres membres sur le devant de la scène. Le groupe mise sur une lumière tamisée et élégante avec un décor type « forêt urbaine » et des effets restreints. Le tout a été intelligemment pensé pour les circonstances : des jeux lumineux trop frénétiques, par exemple, auraient pu mal passer à l’écran selon les résolutions. Rien de tape-à-l’œil, l’essentiel du show résidant dans la prestation du quatuor. Sur ce plan, Trivium est chirurgical. Quitte à se montrer froid en début de set. Le groupe ne triche pas, on sent au fur et à mesure que le set avance que les ingénieurs sonores corrigent le son du groupe jusqu’à atteindre une alchimie que l’on retrouve sur le dernier album. Il faut tout de même attendre le quatrième morceau, le début live du hit « Catastrophist » pour que les niveaux s’équilibrent. Surtout que Trivium pâtit de sa plateforme de diffusion qui oblige à excessivement monter le volume chez soi. Pour être franc, si Trivium délivre pratiquement sans faux pas, on sent le groupe tâtonner. Évènement inédit oblige. Certains effets de production paraissent hors de propos (des va-et-vient frénétiques entre les deux guitares leads, une idée des plus malheureuses tant elle est en décalage avec le rythme) et les premiers morceaux manquent cruellement de dynamique à l’image d’un Matt Heafy timoré. Même les idées de production bienvenues à l’instar des multiples caméras sur la batterie d’Alex Bent peinent à insuffler de l’énergie. En résumé, c’est propre mais peu entraînant malgré la grande première d’un « What The Dead Men Say » joué à la perfection.
Au-delà de la première demi-heure, le groupe communique une toute autre émotion : « Catastrophist » marque ce changement. Trivium a pris ses marques et les musiciens se relâchent progressivement. La voix de Matt Heafy et les growls de Corey Beaulieu sont bien plus convaincants : les débuts de « The Defiant » sont de bon augure pour les prochaines prestations. Trivium est humain, il avait simplement besoin d’un tour de chauffe. Fait cocasse, les aléas du live se feront sentir lorsque Alex va casser quelque chose sur sa batterie, ce qui force Matt Heafy à meubler. L’occasion de rappeler qu’il faut se serrer les coudes pour sortir de la crise, que ça n’empêchera pas la musique de continuer, et de remercier tout le monde d’assister à la représentation… C’est justement lorsque Matt prend le temps de s’adresser à l’audience qu’on rentre réellement dans ce que Trivium veut proposer (il faut tout de même attendre « The Defiant »). Le reste est une montée en puissance qui invite à se prendre au jeu, la mise en scène de « Sickness » avec ses effets de pluie fonctionnent et Matt se plaît même à inviter le public à chanter chez lui sur le final « In Waves ». Fait étrange à l’écran, mais qui promeut davantage l’aspect de « véritable live » que veut se donner A Light Or A Distant Mirror. Sur le plan musical Trivium est quasi-irréprochable. Pour ce qui est de la prestation scénique, on ne peut que louer l’audace de Trivium à faire face à des problématiques inédites.
L’un des aspects a priori intéressants d’un live en streaming est la présence du chat. De quoi constater l’engouement des fans de Trivium qui apprécient cette respiration bienvenue, certains étant encore confinés. Les paroles des chansons sont tapées à la vitesse de l’éclair. De quoi créer tout de même un semblant de communion autour de la prestation du groupe, bien qu’il soit impossible pour un humain normalement constitué d’échanger autre chose qu’une réaction au premier degré. Le chat n’a pas de slow-mode qui ralentit la diffusion des messages, en résulte une succession effrénée d’extases savamment formulées… Si l’on en juge la réaction des viewers, Trivium a parfaitement rempli sa mission et les louanges sont méritées. Il faut néanmoins s’interroger sur le bien-fondé de l’entreprise. Outre les interrogations de réalisation (la principale étant l’absence du public, ce qui empêche le réalisateur de créer de l’intensité en filmant des réactions), il y a des problèmes d’égalité d’accès à la prestation que pose le streaming. Si la connexion est insuffisante ou si l’équipement sonore est inadéquat, la prestation souffre grandement. On pourrait arguer que le placement dans une salle de concert a le même effet. Cependant, la responsabilité du viewer est davantage sollicitée lorsqu’il décide de payer pour avoir accès à ce type de live. En d’autres termes, l’expérience appartient à l’auditeur qui doit la préparer convenablement pour favoriser son immersion. Le lien social présent lors d’un concert classique est quasi inexistant, tout comme les manifestations cathartiques que sont pogo et autres jeux folkloriques. Trivium centre les débats autour de la musique et seulement la musique, ce qui change fondamentalement la manière d’aborder un concert pour la plupart des gens. C’est sur ce plan qu’il est difficile d’évaluer ce qu’a voulu faire Trivium. La réussite du concert dépend presque tout autant de nous que du groupe. Si la véritable expérience live est un idéal impossible à atteindre, le degré de ressemblance d’A Light Or A Distant Mirror est à notre discrétion. Là est toute l’intelligence du titre, justement.
Trivium a très clairement assuré et on peut louer l’initiative inédite (bien que les moyens importants qu’elle nécessite laissent de nombreux groupes sur la touche, ce qui est un autre débat). La gestion de l’événement par le groupe dégageait une forme de sincérité tant l’appréhension des membres était palpable. La vraie réussite est encore de nous faire réfléchir sur la nature du concert. A Light Or A Distant Mirror est un rappel plus que bienvenu : l’audience joue un rôle crucial, présente ou non.
Setlist :
01. IX
02. What The Dead Men Say (première fois en live)
03. Down From The Sky
04. Catastrophist (première fois en live)
05. The Heart From Your Hate
06. Forsake Not The Dream
07. The Defiant (début live)
08. Pull Harder On The Strings On Your Martyr
09. Until The World Goes Cold
10. Beyond Oblivion
11. Rain
12. Amongst The Shadows & Stones (première fois en live)
13. Sickness Unto You (première fois en live)
14. Strife
15. Bleed Into Me (première fois en live)
16. Throes Of Perdition
17. The Sin And The Sentence
18. In Waves