On dirait qu’en ce moment, c’est un peu le truc de la jeune génération que d’essayer de se pencher sur les faits d’armes de nos papys du metal qui font encore de la résistance. Comment fait-on un Number Of The Beast, un Master Of Puppets, un Painkiller ? Qu’est-ce qui a rendu ces albums aussi fédérateurs et incontournables ? Avenged Sevenfold s’était déjà prêté à ce questionnement pour réaliser Hail To The King (2013), et c’est maintenant au tour de Trivium, un groupe de la même génération, qui leur emboîte le pas, comme le guitariste Corey Baulieu l’a déclaré au sujet de leur nouvel album Silence In The Snow : « L’inspiration pour cet album vient de notre écoute de nos groupes préférés et nos héros et voir ce qui a rendu ces albums si spéciaux dans l’histoire de la musique, et comment ces albums ont été construits. » Mais là où Avenged Sevenfold avait peut-être été un peu trop loin, frisant parfois le copier-coller éhonté, Trivium parvient à mener son entreprise de façon plus mesurée et transparente, moins grossière, en modernisant à leur façon ce qu’ils ont pu retirer de ces analyses.
Et s’il y a bien une chose que Trivium a retenue comme élément essentiel des hymnes classiques du metal, c’est la mélodie qui est au centre de, et partout, dans Silence In The Snow. Exit les chants écorchés, pas la peine de chercher, il n’y en a aucun, si ce n’est quelques durcissements dans le grain de voix. Matt Heafy a délibérément choisi de mettre son registre le plus hargneux de côté pour se concentrer sur sa voix claire et ses modulations. Certainement une des retombées du travail de coaching avec David Draiman (Disturbed), qui a œuvré en tant que producteur sur Vengeance Falls (2013), le motivant à aller plus loin et poursuivre les cours de chant. Un soin mélodique particulier a donc été apporté aux lignes vocales, ce qu’on a pu déjà découvrir avec l’entêtant single « Silence In The Snow », un ancien titre datant des sessions de Shogun (2008) et qui a servi de point de départ pour l’orientation de l’album. Mais c’est aussi quelque chose que l’on retrouve très largement au niveau des guitares, dans la profusion de leads (le thème principal de « Pull Me From The Void » de toute évidence inspiré, dans le style, par Iron Maiden), parfois harmonisés (le solo de « The Thing That’s Killing Me » qui joue une alternance assez intéressante). Et si Trivium conserve avec ses riffs son identité moderne (« Until The World Goes Cold »), il pose un peu plus les tempos, fait retomber un peu la technique et laisse respirer sa musique.
Mais tout ceci ne se fait pas sans écueils. Et le premier d’entre eux est que l’ensemble sonne assez scolaire, assez studieux, perdant un peu en spontanéité et en passion. Ce qui, en outre, donne lieu à quelques « calculs » de composition malheureux, comme le pré-refrain poussif de « The Ghost That’s Haunting You » qui étouffe dans l’œuf un couplet pourtant très efficace, ou des refrains qui peinent à jouer leur rôle de catharsis, faisant même parfois, au contraire, carrément retomber le soufflé (« Pull Me From The Void »). Ensuite, les chansons ont beau offrir une certaine variété de plans (et encore que), le moule commun et assez restreint dans lequel les mélodies ont été conçues rend l’album que trop homogène et redondant, avec des rengaines qui tendent à se confondre et se marcher dessus d’une chanson sur l’autre. On sent pourtant qu’il y a eu de l’engagement dans ce Silence In The Snow et que Trivium a compris certaines notions essentielles qui peuvent l’aider à passer un cap. La plus importante d’entre elles, outre ce qui a déjà été dit sur les mélodies, étant d’ouvrir la dynamique de sa musique. On peut le voir sur « Dead And Gone » qui croise gros riffs sous-accordés, groove basse-batterie et refrain aérien, la construction d’ « Until The World Goes Cold » qui permet, de façon fluide et progressive, de passer de couplets syncopés à un refrain libérateur (très scandinave dans ses sonorités) ou « Breathe In Flames » qui alterne sans arrêt entre riffs speed et heavy (où on retrouve l’influence de Metallica), avec des incursions « doom » à l’occasion du solo, et quand bien même l’ensemble de la chanson sonne un peu comme un jeu de collage.
Il est toujours intéressant pour un groupe de se remettre en question et revoir sa copie, tester un parti pris, au moins le temps d’un album, pour enrichir son expérience. Trivium pourra sans aucun doute s’en servir de base pour encore progresser à l’avenir. Mais il est clair que, sans s’être non plus pris les pieds dans le tapis, loin s’en faut, les Américains n’ont pas encore totalement abouti leur démarche. Silence In The Snow n’est peut-être qu’un brouillon – un beau brouillon tout de même, car parfaitement fignolé et exécuté – du Trivium de demain, plus posé et réfléchi.
Voir les clip vidéos de « Silence In The Snow », « Blind Leading The Blind » et « Until The World Goes Cold » :
Album Silence In The Snow, sortie le 2 octobre 2015 via Roadrunner Records.
Vraiment une très bonne critique, bien amenée, c’est bien appréciable =)
Personnellement, j’apprécie beaucoup le travail de la voix clair de Mat’, il l’a vraiment bien travaillé.
On ressent vraiment le côté mélodique dans les trois single qui sont sorties ^^ Me tarde vraiment d’entendre le reste !
Et surtout ce que j’aime vraiment c’est que Trivium n’a de cesse que de tester et chercher de quoi faire de nouvelles choses, ils se remettent tout le temps en question =)
[Reply]
La critique de cet article est très constructive et bien agencée. Elle pointe des éléments que j’espérais, à titre personnel, voir développés et dont on sentait déjà les contours avec les précédents titres. Reste à voir si l’impression se maintient à l’écoute. Et bravo RM pour les critiques de plus en plus intéressantes !
[Reply]
Bon, eh bien après écoute, je confirme : je suis globalement d’accord avec l’article.
Dans le détail, je trouve « The ghost that’s haunting you » solide et diversifié et « Pull from the void » efficace mais plutôt doux pour du Trivium. Mais si dans l’absolu je ne vois aucun titre faible, je trouve l’ensemble un peu trop lisse. A voir si la maturité de cet album le rend plus appréciable encore avec le temps…