Truckfighters marche à son rythme et comme il l’entend ! S’il faut cinq ans pour sortir un album, alors le groupe prendra cinq ans. Si l’un de ses membres a besoin de s’arrêter pour reprendre plaisir à tourner et faire de la musique, alors le groupe se mettra en pause le temps nécessaire. Oui, Truckfighters c’est comme cela que ça marche. Dango et Ozo, les deux leaders de la formation, partant d’une commune envie de pratiquer du rock, ont créé une bulle bien singulière et font qu’il n’est pas aisé d’être le troisième larron qui complètera ce trio qui vit dans un temps qui lui est propre. Pourtant c’est accompagné du nouveau cogneur de la formation, Poncho, qu’Ozo nous explique tout cela dans les lignes qui suivent. Tenir la batterie chez Truckfighters ne serait donc pas si simple, mais le numéro trois de cette petite bande prend plaisir à faire ce qu’il fait.
Ainsi, on revient avec ces deux énergumènes, amoureux de leur petit « désert » suédois et qui ne diraient pas non pour jouer dans une navette spatiale, sur leur nouvel album, Universe, plus progressif que ses prédécesseurs mais aussi sur le documentaire Fuzzomentary, l’occasion de parler du fait d’être musicien à plein temps et de leurs copains Witchcraft qui, à les en croire, n’existeraient plus.
Radio Metal : Au début de votre carrière, vous avez pris l’habitude de sortir un album quasiment tous les deux ans. Maintenant ça vous a pris le double, quatre ans, pour sortir Universe. Quelle est la principale raison à cela ?
Ozo (basse et chant) : En fait, ça nous a pris presque cinq ans. [Rires] Ah, je crois qu’il s’agit d’un album plus complexe en termes d’écriture et de méthode d’enregistrement. Nous avons enregistré deux, trois chansons par-ci, deux, trois chansons par là… Puis nous avons finalement réenregistré quelques parties de batterie. Peut-être que nous aurions pu le finir il y a un an mais même si les morceaux étaient quasiment terminés, à l’époque nous n’avions pas envie de nous mettre la pression. Nous voulions prendre notre temps. Ce n’est pas vraiment grave si ça nous prend trois, quatre ou cinq ans, nous voulons le meilleur album possible et s’il faut que ça nous prenne cinq années, dans ce cas on y consacrera cinq années.
Vous prenez le temps qu’il faut…
Ouais exactement. Donc nous ne nous sommes pas trop souciés du temps que ça prenait.
Vous étiez aussi pas mal occupés avec les tournées, non ?
Ouais, nous avons fait beaucoup de tournées, nous avons changé de batteurs et… ouais, il s’est passé beaucoup de trucs.
Ça vous a laissé le temps de bien l’accueillir !
Ozo et Poncho : [Rires] Ouais !
Depuis votre album Mania, un esprit progressif a émergé dans votre style d’écriture. On peut d’ailleurs retrouver ce côté progressif sur votre dernier album. Comment expliquer cette évolution ?
Ozo : C’est peut-être que nous sommes de meilleurs musiciens ! [Rires] Nous pouvons faire ce genre de trucs sans que ça fasse trop bizarre. Au début, quand nous avons commencé, c’était plus un projet marrant de jouer des morceaux de rock rapides avec une sorte d’esprit stoner très basique. Puis avec le temps nous avons trouvé notre chemin en quelques sortes : nous voulons explorer plus de choses dans la musique plutôt que de jouer deux simples riffs. Donc c’était une évolution naturelle je pense.
Était-ce facile pour toi de rejoindre le groupe à ce moment précis quand la musique a pris une orientation plus progressive ?
Poncho (batteur) : Oh, eh ben, ouais, je pense. Je pense. Je n’avais jamais vraiment joué de ce type de musique auparavant, alors ça a vraiment été un challenge pour moi. Mais ça m’a plu : j’ai vraiment adoré apprendre tous ces nouveaux trucs et jouer encore plus de batterie.
Sur Universe, votre dernier album, la longueur des chansons est très variable : ça va de morceaux très courts à des morceaux beaucoup plus longs. Par exemple : la dernière dure 15 minutes. Cette variation était-elle prévue ou bien ça s’est fait comme ça ?
Ozo : Non, pas du tout. En fait nous avons même essayé de faire en sorte que « Convention », la chanson la plus courte, soit allongée en ajoutant quelque chose au milieu. Mais au final nous l’avons retiré, parce qu’elle est courte mais… Hé, elle est censée être courte ! Alors gardons-la comme ça. C’est marrant, parce qu’il y a beaucoup de chansons différentes sur cet album.
Oui, et c’est surprenant parce que quand tu écoutes l’album t’es là : « Oh, elle vient de se finir ! »
[Rires] Ouais, c’est bien.
Sur cet album, vous passez d’ambiances très légères, progressives et hypnotiques à des chansons beaucoup plus efficaces telles que « Prophet » ou « Dream Sale ». Est-ce qu’une telle démarcation entre les morceaux était planifiée ?
Non, c’est peut-être lié au long processus d’écriture. Ça nous a pris tellement de temps d’écrire cet album, probablement une année en tout. Certaines chansons étaient prêtes il y a trois, quatre ans tandis que peut-être une autre chanson n’a été écrite que l’année dernière.
Dans une interview, Niklas a laissé entendre que « Mastodont » rassemble tous les éléments propres à Truckfighters au sein d’une seule et même chanson. Sais-tu ce qu’il veut dire par là ?
Poncho : [Rires]
Ozo : [Rires] Je vais essayer d’expliquer ça. Mais tu sais si tu écoutes cette chanson je pense que tu peux entendre un peu de tout ce qui caractérise Truckfighters : à la fois les passages doux, les passages très heavy, les passages progressifs et le chant mélodique. Ouais, je trouve que ce morceau contient tout ça, si tu ne dois écouter qu’un morceau de Truckfighter, peut-être que tu devrais écouter celui-là, parce qu’il te donne un aperçu de toutes ces différentes variations. Nous ne sommes pas un groupe qui joue seulement dans la douceur ou seulement dans le côté hard. Nous essayons de prendre un peu dans tous les styles.
Au niveau de la batterie, c’est la même chose ? Quel est ton avis sur cette chanson ?
Poncho : Pour commencer c’était vraiment une galère à enregistrer ! [Rires] C’était vraiment difficile, mais ouais, je suis d’accord. J’aime beaucoup les passages plus hard dans ce morceau et évidemment les passages plus doux aussi.
Les gens parlent toujours de la grosse influence de Queens Of The Stone Age sur vos albums, mais pour moi il y a aussi une autre influence assez forte, celle du groupe américain Tool.
Ozo : Ouais, Tool est un groupe génial, absolument.
Ce groupe influence votre côté progressif. Est-ce que tu serais d’accord pour les citer comme une source d’inspiration pour vous ?
Ouais, je le ferais ! Même si je n’aime pas dire que nous sommes influencés par quelque musique que ce soit. Mais ce groupe est une source d’inspiration, c’est un fait. Ils ne forcent pas leurs albums. C’est un groupe qui fait exactement ce qu’il a envie de faire. Ils sortent des albums tous les cinq à six ans à peu près. C’est un groupe génial parce qu’en gros il trace son propre chemin, pas comme les groupes de metal mainstream, et pourtant il s’agit d’un des plus gros groupes du genre.
Comment peux-tu expliquer ce « dilemme du batteur » : le fait que votre groupe ait changé de batteur si souvent ?
Oh… [Réfléchit] Tout d’abord je pense que les batteurs ne sont pas aussi nombreux que les guitaristes ; ils sont très difficiles à trouver. Et puis Dango et moi jouons ensemble depuis plus de douze ans alors pour nous c’est un style de vie. Nous avons toujours été si concentrés sur notre musique et depuis de si longues années qu’il n’y a de place pour rien d’autre. Nous avons eu des boulots classiques, mais notre priorité a toujours été la musique. La plupart des gens qui jouent de la musique ont plutôt tendance à avoir un travail, puis ils vont dans la salle de répétition, répètent pendant deux heures, puis rentrent chez eux. Peut-être qu’ils sont trop fainéants pour pousser le truc plus loin. Et comme c’est très difficile de trouver des batteurs, c’est encore plus difficile de trouver un batteur qui puisse s’ajuster à la petite bulle que nous construisons depuis douze ans. Peut-être que c’est difficile pour un nouveau batteur d’avoir cette même énergie.
Penses-tu que l’importante synergie et la forte amitié qui vous lie Niklas et toi [NDT : Ozo] puisse rendre les choses difficiles pour l’intégration d’un nouveau batteur à votre groupe ?
Poncho : Ouais, ouais. Au début c’était le cas évidemment. Tout était nouveau pour moi, je n’avais jamais fait de tournée européenne ou n’importe quel autre type de tournée à part quelques concerts en Suède. Mais ouais, définitivement, c’était assez difficile – pas de me mettre au rythme du groupe, mais d’un point de vue musical je dirais. Parce que, comme je te l’ai dit plus tôt, je n’avais jamais vraiment écouté ou joué de ce type de musique avant alors c’était vraiment un challenge que de partir en tournée, jouer face à de nombreuses personnes – comme je n’étais pas habitué – et jouer tous les soirs, ce genre de choses.
Ozo : Mais pour nous c’est comme un voyage. Nous avons commencé en jouant des morceaux très simples, des morceaux rapides et, ensuite, chaque album a marqué un pas de plus dans notre évolution donc le style de notre musique aujourd’hui est vraiment unique. Je ne pense pas que beaucoup de groupes aient le même son que Truckfighter. Nous avons été séparés du reste, car beaucoup de groupes aujourd’hui ont un son qui s’apparente à celui d’un autre groupe. Je ne veux pas dire de la merde sur des groupes comme Graveyard ou Witchcraft parce que ce sont des groupes excellents mais ils s’inspirent des années 70 et leur insufflent une nouvelle vie, et il y a beaucoup de groupes qui font la même chose. C’est difficile de rejoindre un groupe qui a créé de toute pièce une sorte d’identité musicale.
Poncho : Ouais.
Ozo : Et il est quasiment impossible qu’un batteur ressente ce même parcours ou cette évolution en un claquement de doigts. Peut-être que nous ne trouverons jamais celui qui pourra aspirer tout ça.
Tu viens d’Örebro. Est-ce que tu y vis toujours?
Ouais !
Toi aussi ?
Poncho : Oui, c’est là que j’ai grandi.
Vous est-il déjà venu à l’idée d’aller vivre dans une plus grande ville ?
Ozo : En fait Dango est allé vivre à Stockholm, mais pas pour la musique: il a un gamin là-bas, et comme il est très souvent ailleurs, ça lui permet de passer plus de temps avec lui. Ce n’est qu’à deux heures d’Örebro alors c’est plutôt accessible d’une certaine façon. Mais je ne le suivrai jamais là-bas. J’aime cette ville. Je trouve qu’Örebro est la ville parfaite.
Poncho : Ouais, nous avons tout ce dont nous avons besoin alors…
Ozo : Je vis à trois kilomètres du centre-ville et ça reste proche de la nature. Juste derrière nos petites maisons il n’y a presque rien. Tu peux aller te promener en forêt ou autre. La nature est superbe là-bas.
Et tu aimes la nature…
Oui, je l’aime vraiment.
Poncho : Ouais, moi aussi.
Le Fuzzomentary est sorti il y a quelques années. Penses-tu que ça ait changé la façon dont les gens vous perçoivent en tant que musiciens ?
Ozo : Oh oui, carrément ! C’était vraiment marrant de montrer aux fans ou aux gens que nous sommes des mecs normaux et que c’est la réalité. Il n’y a pas de style de vie rock’n’roll sexy avec des limousines ou quoi que ce soit. Nous sommes vraiment un groupe qui travaille dur.
Dans le Fuzzomentary, on peut voir que vous avez différents boulots quand vous n’êtes pas en tournée. Quelles sont ces occupations ? Il me semble que tu travailles dans un magasin de ski ?
Ces deux dernières années nous n’avons fait que jouer de la musique.
Alors tu as arrêté ?
Nous avons arrêté. Plus de ski ! [Rires]
[Rires] OK, donc Truckfighters est devenu un boulot à plein temps.
Ouais, ouais, c’est le cas et c’est vraiment génial en fait.
Toujours dans le Fuzzomentary, tu [NDT : Ozo] as dit que quand tu fais trop de musique, tu perds le côté fun de cette activité. Maintenant, c’est ton boulot à temps plein, tu fais beaucoup de tournées et tu produis beaucoup de musique. N’as-tu pas peur que tu puisses un jour ne plus t’amuser en jouant de la musique ?
Ça me fait peur. Si je n’arrive plus à m’amuser en jouant, j’arrêterai. Je ne fais pas ça pour nourrir une sorte de fantasme de la célébrité ou quoi que ce soit. Je fais ça uniquement parce que j’aime jouer de la musique. D’ailleurs, il y a trois, quatre ans, il y a eu une période pendant laquelle ça ne m’amusait plus. Alors nous avons fait un break de trois, quatre mois et je n’ai rien fait du tout. Et Dango était fou de rage parce qu’il était là : « Oh il faut que nous jouions, il faut que nous jouions ! » mais je répondais : « Non, il ne faut pas que je joue, je ne trouve plus ça amusant. Je ne jouerai pas. » Donc nous avons dû annuler quelques concerts et dire que nous n’allons plus rien faire. Ça m’a laissé le temps de penser et ça m’est revenu à nouveau, ce côté fun. Mais si ça se produit à nouveau, je dirais sans aucun doute : « Non, j’ai besoin de faire une pause maintenant. » Mais je crois que j’essaie de voir ça avec plus de clarté maintenant. Si je me sens un peu fatigué, je vais directement dans la montagne pour skier ou n’importe quoi d’autre, pour faire quelque chose de complètement différent.
Poncho : Te changer les idées…
Ozo : Ouais. Si tu joues trop de musique, tu ne peux pas être créatif. Tu as besoin de l’opposé pour être influencé et comprendre que t’es dans la musique. C’était une longue réponse ! [Rires]
Non, c’est parfait. [Rires] L’année dernière vous êtes venus en France pour le Hellfest. J’étais à ce concert et je me souviens que l’ambiance était géniale et beaucoup de gens étaient contents de vous voir sur scène ou de découvrir le groupe, parce que le Hellfest est truffé de différents types de personnes. Quelles sont vos souvenirs de ce concert si vous en avez que vous souhaitez partager ?
Poncho : Ce festival était génial ! Nous avons joué tellement tôt – autour de 11h45 le matin – que je n’attendais pas beaucoup, mais une fois que nous sommes montés sur scène la tente était pleine à craquer ! Je trouve que l’ambiance était tout simplement fantastique tout le long du festival. Tout était super ce jour-là, honnêtement.
Est-ce que vous aimeriez y rejouer un jour ?
Ozo : Oui, si nous le pouvons ! Nous dirions oui instantanément évidemment.
Dans le documentaire, on vous voit à Berlin lors d’un concert avec Witchcraft et Graveyard. Vous partez souvent en tournée et Graveyard aussi mais Witchcraft a un peu disparu de la circulation. Vous avez des nouvelles d’eux ?
Le groupe n’existe plus.
Il n’existe plus ?
Non. Mais je ne veux pas m’avancer, peut-être que dans six mois ils vont se remettre à faire de la musique, mais aujourd’hui en tout cas ils ne font plus rien.
La prochaine question est un peu décalée : dans le Fuzzomentary, tu as dit que si c’était techniquement possible tu aimerais jouer dans une navette dans l’espace. Est-ce vraiment quelque chose que tu voudrais faire ?
[Rires] Je ne sais pas très bien si c’est moi qui ai dit ça ou bien Dango… euh [hésite]
Poncho : Enfin si tu avais l’opportunité, tu ne pourrais pas vraiment dire non…
Ozo : Non, probablement pas. Oui, évidemment ce serait marrant de faire ça !
Maintenant je voudrais savoir si tu peux répondre à ça : c’est quoi ce délire avec le désert ?
Euh… [Hésite] Je ne sais pas ! Je n’y suis allé qu’une fois en plus…
Parce que si on associe Truckfighter à un mot, c’est bien le désert.
Ouais, mais je crois que ça vient plus des gens qui sont autour de nous, les gens qui nous écoutent. Euh… nous n’avons pas d’affinités particulières avec le désert. Pas de nos jours en tout cas. C’était le cas quand nous avons commencé, c’était plutôt marrant à jouer comme truc : une sorte de stoner acid rock. Je ne sais pas, je nous vois plus comme un groupe de hard rock/fast rock progressif de nos jours. Mais comme je l’ai dit plus tôt aujourd’hui, en Suède, nous avons beaucoup de neige et pas tellement d’habitants alors c’est un peu la même chose : c’est notre désert en quelques sortes, seulement il est glacial ! [Rires]
Durant cette nouvelle tournée, allez-vous visiter de nouveaux endroits dans lesquels vous n’avez encore jamais joué ou dans lesquels vous aimeriez particulièrement jouer ?
Pas sur cette tournée, je ne pense pas. Nous allons seulement passer dans les grandes villes d’Europe. Mais après nous partons pour les États-Unis pendant trois semaines, puis nous rentrons à la maison et nous repartons à nouveau pour trois autres semaines donc je pense que nous aurons davantage l’opportunité de jouer sur la côte Ouest. Nous ne sommes allés qu’en Californie alors… Les États-Unis sont très vastes, c’est vraiment difficile d’aller partout.
D’aller dans tous les endroits, ouais, j’imagine. Bon, c’est le début de l’année alors qu’est-ce qu’on peut vous souhaiter pour cette nouvelle année ?
Ce que tu peux nous souhaiter ? Une année pleine de succès, et croisons les doigts pour que la santé reste de notre côté ! Que nos concerts soient de plus en plus bons et que de plus en plus de personnes s’y pointent.
Poncho : Beaucoup de tournées. Ouais !
Interview réalisée le 20 janvier 2014 par Amphisbaena.
Traduction et retranscription : Natacha.
Introduction : Alastor.
Site internet officiel de Truckfighters : www.truckfighters.com
Album Universe, sortie le 24 janvier 2014 chez Fuzzorama Records.