Trust est indéboulonnable. Dans Le Même Sang marquait le retour de Trust après dix ans de mutisme (2018) alors que le groupe en était à un an d’une tournée initialement prévue pour seulement un mois et demi. Les gens voulaient voir et entendre Trust, qui a définitivement résisté à l’épreuve du temps. Juste récompense lorsqu’on reste fidèle à sa culture musicale. Le contexte politique et social actuel (les gilets jaunes pour ne citer qu’eux) peut évidemment fournir pléthore de thèmes à Trust, qui profite de l’élan de Dans Le Même Sang pour enchaîner sur son nouvel opus, Fils De Lutte. La méthode est la même, l’esprit de révolte persiste. Il prend néanmoins des formes moins frontales et juvéniles qu’à la grande époque.
Trust a décidé de fonctionner exactement de la même façon qu’avec Dans Le Même Sang, à savoir rester le plus fidèle possible à son rendu live. Mike Fraser est à nouveau aux manettes, le groupe a tout enregistré dans une installation identique à la scène, fort de l’expérience, désormais, de près de trois ans de tournée. Fils De Lutte a été plié en deux semaines, de la composition à l’enregistrement. Ce qui compte pour Trust, c’est la « spontanéité », selon lui gage de véracité. De ce point de vue, Fils De Lutte est un album de rock pur, sans fioriture, articulé autour de la sainte trinité basse-guitare-batterie, et accompagné d’un chœur féminin. « Portez vos croix » ouvre l’opus de la manière la plus directe possible : quelques arpèges de guitare précèdent un riffing dans la veine de la fin des années 70 et du début des années 80, calqué sur les syllabes de Bernie. Trust a conservé une science de l’entrain propre à ces années, quand AC/DC faisait force de loi. Dans le même esprit, le riff haché des premières secondes de « Les Murs Finiront Par Tomber » ou le rythme endiablé de « Le Soleil Brille Pour Tous » entretiennent la nostalgie. Cependant, en dépit d’une philosophie identique à Dans Le Même Sang, Fils De Lutte semble plus chiadé à de nombreux égards. « Les Murs Finiront Par Tomber » peut compter sur un refrain accrocheur, fort d’une participation des chœurs et des gimmicks de guitare généreux de Norbert Krief. Le titre prend ainsi (très légèrement) des allures de rock californien. Trust n’est plus dans l’agressivité et la provocation, il préfère prendre du recul et évoquer une rétribution inévitable, celle de ces murs qui tomberont « sur ceux qui les ont dressés » ou dresser un constat, celui d’un « Emmanuel Macron en décalage horaire » sur le léger « Miss Univers » qui symbolise une approche plus grinçante de la part de Trust.
Surtout, Fils De Lutte laisse davantage transparaître les racines blues du groupe. « Tendances » est un hommage indéniable au genre, porté par la basse ronflante de David Jacob et une prestation générale où « feeling » est le maître mot. Tout comme « On Va Prendre Cher » qui, lui, puise davantage dans le côté vitaminé de cette parenté blues, à coups de shuffle entraînant et avec l’effet gospel donné par l’utilisation du chœur. Dans l’ensemble, la variété et les arrangements de Fils De Lutte prouvent une plus grande maîtrise de la part de Trust, davantage confiant car déjà dans le bain et non dans un processus de reprise. Le zeppelinien « Amer Saheb » illustre le jeu sur les dynamiques et les progressions mélodiques dont est capable Trust, peut-être encore plus éloquent lorsqu’il s’adonne à des tonalités plus graves et mélodiques, ce que la conclusion un brin progressive « Delenda » vient confirmer.
Fils De Lutte fait toujours honneur à la verve de Trust et à son esprit intransigeant. Il s’agit de composer de la musique qui lui fait plaisir. Trust a déjà fait carrière, il n’a plus besoin d’opérer sur le plan de la séduction et de convaincre. Il s’agit de faire ce qu’il a toujours fait : monter sur scène pour jouer du rock. Fils De Lutte a amplement de quoi lui permettre d’étoffer intelligemment son arsenal. Plus encore, s’il n’a évidemment plus la hargne d’un Répression (1981), il démontre une qualité d’écriture encore pertinente aujourd’hui, évocatrice et entêtante. Fils de Lutte est le résultat sincère et mature de deux passions : celle du rock et celle du combat.
Album Fils De Lutte, sortie le 27 septembre 2019 via Verycords. Disponible à l’achat ici
Deux bémols cependant :
-Les premiers couplets du titre « y’a pas le feu, mais faut brûler » datent de 2008 et sont tirés du morceau « venez » issu de l’album 13 à table ».
-Le riffing de « c’n’est pas ma faute » est un recyclage du riff des refrains de « marche ou crêve » datant de 1981.