Après une tournée de reformation couronnée de succès aux quatre coins de la France, Trust avait créé l’événement en 2018 en procédant à son retour discographique, pas moins de dix ans après 13 À Table. Dans Le Même Sang voyait un Trust nouveau, porté par les deux compères de toujours – le chanteur Bernie Bonvoisin et le guitariste Norbert Krief –, faisant table rase des problèmes passés, revigoré par la scène, si bien qu’il a été jusqu’à emmener la scène dans le studio… ou l’inverse, le studio sur scène.
Bien décidé à battre le fer tant qu’il est chaud, à peine un an et demi plus tard, Trust est déjà de retour avec un dixième album, quarante ans après leur premier album sans titre. On ne change pas une équipe qui gagne, ni la méthode : plaisir, énergie et spontanéité sont les maîtres mots de la conception de Fils De Lutte. Un album conçu vite fait, bien fait, sans réfléchir, en groupe, en live, capturant autant les défauts que les moments de grâce. Un Trust sans filtre, donc, à l’image des textes d’un Bernie forcément stimulé par l’actualité jaune depuis un an.
Dans l’entretien ci-après, Norbert Krief nous parle de tout ceci, mais aussi de blues, du retour de l’humain dans la musique, de la place de Trust et du rock en général dans le paysage médiatique français, et du bon vieux temps.
« Qu’est-ce que je retiens ? Du plaisir ! Bernie et moi, nous avons soixante-trois balais, nous ne cherchons pas à faire carrière ou quoi que ce soit. C’est derrière nous, tout ça. Maintenant, ce qui est important pour nous, c’est de se faire plaisir et c’est ce que nous faisons. »
Radio Metal : Dans Le Même Sang signait le grand retour de Trust après dix ans d’absence discographique. J’ai l’impression qu’il a été globalement très bien reçu. Qu’est-ce que tu retiens de ce cycle ?
Norbert Krief (guitare) : Nous avons décidé de nous reformer en 2016 avec Bernie… Il faut savoir que nous nous séparons et nous reformons plus ou moins tous les dix ans ! Nous nous voyons à l’été 2016, nous décidons de remettre le couvert pour fêter les quarante ans du groupe en 2017. Nous sommes censés tourner un mois et demi, deux mois à partir de décembre 2016, juste comme ça, pour se faire plaisir. Nous décidons de ne faire que des petites salles, c’était juste histoire de marquer le coup des quarante ans, et il s’avère que nous avons fini la tournée en décembre 2018. Nous avons tourné deux ans, nous avons fait l’album Dans Le Même Sang, là nous venons de finir la tournée d’été, donc ça fait trois ans que nous n’arrêtons pas. Qu’est-ce que je retiens ? Du plaisir ! Bernie et moi, nous avons soixante-trois balais, nous ne cherchons pas à faire carrière ou quoi que ce soit. C’est derrière nous, tout ça. Maintenant, ce qui est important pour nous, c’est de se faire plaisir et c’est ce que nous faisons. Personnellement, et je pense que Bernie c’est la même chose, c’est uniquement du plaisir. C’est le but. Ce n’est pas une reformation pécuniaire ou mercantile. A nos âges, on a juste envie de jouer. Nous prenons beaucoup de plaisir à être sur scène et je pense que ça se ressent pleinement. Pour ceux qui nous ont vus en 2016 et 2017, par exemple, il ne faut pas rester là-dessus, car avec trois ans de tournée, tu imagines bien que ça a évolué. Nous avons des choristes, tout a évolué, y compris le répertoire.
Vous revenez avec un nouvel album, Fils De Lutte, à peine un an et demi plus tard, ce qui est assez court. Est-ce l’enthousiasme créé par Dans Le Même Sang qui vous a poussés à renquiller aussi vite ?
Absolument. Comme je te dis, nous n’avons qu’une notion de plaisir, donc au bout d’un moment, en ayant passé trois ans sur les routes, nous avions envie de refaire un album. Il faut savoir qu’en général, sur les balances, nous nous amusons, nous faisons des petits bœufs, nous balançons des idées, donc nous nous sommes retrouvés avec pas mal d’idées. Aussi, vu que nous avions fait l’album Dans Le Même Sang en trois jours et que nous voulons faire les choses rapidement sans nous prendre la tête, sans passer un temps fou, nous voulions rester dans cette énergie très live que nous avons. Donc, comme nous avions des nouveaux titres, nous avons essayé de refaire un nouvel album dans les mêmes conditions, c’est-à-dire exactement les mêmes conditions qu’en concert, installés comme en concert avec nos amplis, la batterie, tous dans la même pièce, à jouer au niveau que nous jouons sur scène et nous avons fait ce nouvel album en trois jours aussi. A partir du moment où on est dans cette énergie, on a envie de continuer ! Il faut savoir que dans toute la discographie de Trust, pour ceux qui la connaissent, il n’y a absolument aucun album qui ressemble à l’autre. Ils sont tous différents et celui-là je pense qu’il est encore un peu différent du précédent, de Dans Le Même Sang. Mais nous faisons les choses rapidement, sans vraiment nous poser de question. Pour nous, ce qui est important, c’est de se faire plaisir. Nous avons pris beaucoup de plaisir à faire cet album. Nous aurions pu peaufiner, améliorer des trucs, mais nous voulions faire ça avec l’énergie live, donc il y avait pas mal d’imperfections, mais nous nous en foutons. C’est comme sur scène : des fois on a l’inspiration, on fait d’excellents concerts, des fois on fait des concerts moyens, mais en même temps, l’énergie est toujours présente – je parle en termes de jeu, de performance.
Depuis la sortie de Dans Le Même Sang, la France a connu la crise historique des Gilets Jaunes. J’imagine que ça a donné beaucoup de grain à moudre à Bernie. D’ailleurs la pochette de l’album y fait explicitement référence, tout comme plusieurs chansons. Est-ce que ça aussi ça a joué dans l’envie de vite revenir avec un album pour traiter cette actualité ?
Non, pas du tout. Ce n’est pas l’actualité qui nous pousse à faire des albums. Sinon, nous en ferions toutes les semaines ! Car ça n’arrête pas. Des choses à dire, il y en a en masse et les sujets ne manquent pas. Mais non, c’était tout simplement l’envie de refaire un nouvel album, avec de nouvelles chansons, de nouveaux titres, de nouveaux textes par la même occasion. Mais c’est sûr que pour Bernie, les sujets ne manquent pas ! Après, pour en parler, vaut mieux en parler avec lui, mais j’adhère quand même sur la majorité des thèmes qu’il aborde. Donc sur les Gilets Jaunes, effectivement…Tu sais, je te l’ai dit, nous avons passé deux années sur les routes, en 2017 et 2018, nous allions jouer dans des villes où plus personne ne va jouer, dans des villes hors réseau, nous étions proches des gens, après les concerts, nous les rencontrions. Quand tu vois un père de famille qui te dit – et ça c’est véridique – qu’à la fin du mois il n’a plus d’argent et qu’il est obligé d’acheter des pâtés pour chat ou pour chien pour nourrir ses gosses, ce n’est pas très drôle. Et ce mec-là, il va tous les weekends sur les carrefours avec son gilet jaune parce qu’il en a marre. Ou des mères de famille qui dorment dans leur voiture parce qu’elles n’ont pas les moyens de se payer un loyer. Tu sais, la pauvreté en France, c’est un vrai problème, on le voit bien. On est toujours dans une société de consommation où tout est basé sur l’argent et la consommation. Le problème aujourd’hui est que le seuil de pauvreté augmente chaque année. Les Restos Du Cœur, il y a plus de trente ans que Coluche a fait ça, ça devait être provisoire, mais on s’aperçoit que tous les ans, il y a de plus en plus d’inscrits. Donc si ça, ça ne bouleverse pas les gens et que ça ne les interpelle pas, c’est qu’il y a un vrai problème.
« Nous avons fait ça très rapidement aussi. Nous n’avons donc là non plus pas trop eu le temps de réfléchir. C’était le but voulu. Or, je suis un peu perfectionniste, donc je t’avoue franchement que sur les versions que nous avons jouées trois ou quatre fois, j’aurais bien été chez moi réfléchir un peu à ce que je pouvais faire de mieux. Mais bon, ce n’était pas le but ! »
Est-ce que vous vous considérez comme le relais d’une partie du peuple, étant directement à son contact ?
Nous avons la chance, à notre niveau, avec notre notoriété, de nous adresser en direct à des gens tous les soirs – enfin, du moins, Bernie. J’allais dire qu’il n’y a pas de message, mais le message qu’il peut transmettre, c’est simplement de sensibiliser les gens sur les problèmes, et il le dit tous les soirs sur scène : « Soyez tolérants, ayez du discernement. Si un jour vous êtes dans la merde, vous serez contents d’avoir du monde autour de vous pour vous soutenir. Donc soyons solidaires. » Ça, c’est un message qu’il fait passer tous les soirs. C’est la chance qu’ont tous les groupes. Après, nous, nous sommes un groupe engagé à travers les paroles de Bernie, mais tous les artistes ne le sont pas, loin de là d’ailleurs. Bernie dirait que c’est vraiment dommage, je dis qu’effectivement ça peut l’être. Après, la musique, être chanteur ou chanteuse ou avoir un groupe, c’est aussi pour apporter du plaisir aux gens et les faire s’évader de leurs soucis quotidiens, mais ça peut être aussi comme nous le faisons, être vecteur de sensibilisation des gens et transmettre des messages. Pour revenir à ce que tu disais, les politiques devraient écouter directement le peuple, pas les artistes comme nous. S’ils nous écoutent, ça peut être bien aussi, pour les messages que nous transmettons. Après, tout le monde n’adhère pas à nos propos. Mais les gens qui viennent nous voir, oui, je pense qu’ils sont assez d’accord avec ce que nous racontons. Après, nos tournées, c’est une chose, mais jouer dans des festivals, ce n’est pas la même chose, les gens ne viennent pas que pour Trust, ils viennent pour tous les groupes ou d’autres groupes à l’affiche.
Tu en parlais tout à l’heure, Fils De Lutte a été réalisé de la même façon que Dans Le Même Sang, c’est-à-dire en conservant l’énergie live, et il a été mixé par le même ingénieur du son, Mike Fraser. Malgré tout, est-ce que le processus a évolué ?
Le processus a évolué parce que l’album précédent, Dans Le Même Sang, nous l’avons fait live, de la même manière, mais nous n’étions pas encore… Ou alors je vais prendre le sujet dans l’autre sens : sur ce dernier album, Fils De Lutte, nous avions deux ans de tournée dans les pattes, le son était là, nous avons monté le matos comme nous le montons sur scène, nous avons allumé les amplis… Notre son était là, les retours étaient calés. Ça a pris une petite matinée pour tout mettre en place. Madje Malki, l’ingénieur du son, qui a enregistré l’album, a posé les micros comme nous les posons sur scène et en deux ou trois heures c’était réglé, et trois heures après, nous enregistrions. Alors que sur le premier, nous avions quand même mis deux ou trois jours à faire des réglages de son, à trouver un bon son live, avec des histoires de re-pisse et tout. Là, nous n’avons pas eu ce problème, ça a été très rapide. En plus, le groupe était beaucoup plus rodé sur Fils De Lutte. Nous n’avons pas besoin de nous parler, nous nous regardons, nous nous comprenons tout de suite. Nous sommes soudés, là, musicalement. Donc ça a été beaucoup plus fluide et rapide. Nous étions là pour faire du rock. C’était : « Trois-quatre, allez, on joue ! » Le but, c’était l’énergie et le son live. C’est pour ça que nous l’avons fait en trois jours. Donc tu n’as pas le temps de t’asseoir, réfléchir et discuter. Tu te mets en place, tu prends ton instrument, tu joues le morceau trois ou quatre fois et hop, c’est en boîte. Tu bois un verre d’eau, un thé ou un café, n’importe quoi, et tu attaques le morceau suivant, et on enchaîne comme ça, sans vraiment réfléchir.
Quand tu ne réfléchis pas et que tu y vas vraiment à l’instinct, tu penses que c’est là que tu donnes le meilleur de toi-même ?
Oui et non. Ce n’est que mon avis perso : oui, parce que quand tu fais des choses spontanément comme ça, sans réfléchir, il y a des choses qui t’arrivent. Tu sais, l’inspiration, je n’ai jamais su d’où ça venait vraiment. Tu balances des trucs et il en sort des choses superbes ; des fois il en sort des choses moins superbes, voire moyennes, voire très moyennes. Moi, je suis assez perfectionniste quand je fais de la musique, ne serait-ce que pour des idées musicales, des idées de rythmiques ou des idées de solo. Des fois j’aime bien réfléchir, j’aime bien chercher les bonnes notes, j’aime bien chercher les bons plans, les bons riffs, ça prend du temps. Là, ce n’était pas le but. Le but c’était de sortir ce qui sortait spontanément, sans réfléchir. Nous avons fait les morceaux, nous avons composé et Bernie a fait les textes, tout ça en deux semaines, une vingtaine de jours peut-être, je ne sais plus, à raison de trois ou quatre heures par jour. Nous avons fait ça très rapidement aussi. Nous n’avons donc là non plus pas trop eu le temps de réfléchir. C’était le but voulu. Or, comme je te l’ai dit, je suis un peu perfectionniste, donc je t’avoue franchement que sur les versions que nous avons jouées trois ou quatre fois, j’aurais bien été chez moi réfléchir un peu à ce que je pouvais faire de mieux. Mais bon, ce n’était pas le but !
« C’est la base de la musique : se faire plaisir pour donner du plaisir aux autres. »
Tu ressentais de la frustration dans ces moments-là ?
Personnellement, oui et non. Oui, il y avait de la petite frustration, mais ce n’était pas grave parce que j’étais d’accord sur le principe. Donc je sais qu’il y a des prises où j’aurais pu faire mieux. Quand je réécoute l’album, je me dis : « Merde, ce solo-là n’est pas terrible. Je sais que j’aurais pu faire mieux. » Après, effectivement, on peut toujours faire mieux, mais vu que le but était de faire un truc live comme sur scène en concert… Tu sais, quand tu es en concert devant le public, tu n’as le droit qu’à un essai, tu ne peux pas recommencer. Sur scène, à part quelques petits plans que je connais… Enfin, quand je dis que je connais, c’est-à-dire des petits schémas que je réitère tous les soirs, des bases, que je garde, le reste je suis totalement en improvisation. Je ne fais jamais le même solo tous les soirs. Il y a donc des soirs où je suis inspiré et d’autres soirs où je suis moins inspiré. L’album c’était pareil, grosso modo. Sauf que sur l’album, nous avons refait trois voire quatre fois le même morceau, et nous avons pris la meilleure version parmi ces prises. Mais sur scène, tu ne peux pas recommencer.
Ceci dit, sur scène ce n’est pas non plus gravé pour l’éternité…
Non, c’est vrai. Mais les gens sont là et ils écoutent. Donc si tu n’as pas l’inspiration et que ce n’est pas terrible… Après, c’est comme ça, ce n’est pas grave, c’est le but du jeu.
On parlait des circonstances en France dont parle Bernie dans ses paroles, mais d’un autre côté, au moins musicalement – car niveau paroles, il y a quand même des mots forts –, c’est un album qui sonne assez posé, loin de la colère à laquelle on pourrait s’attendre, comme celle de votre tube « Antisocial ». Si on prend une chanson comme « Miss Univers », Bernie fait même plutôt le choix de la dérision. Est-ce l’âge qui apporte ça ?
L’interprétation de Bernie, c’est lui, il interprète les titres comme il le sent. Tu parlais du titre « Miss Univers », effectivement, il y a un côté un peu dérision, parce que tu as vu le thème et le sujet. Après, musicalement, avant de faire les compositions, Bernie souhaitait… Je vais reprendre son terme, il me dit : « Il faut élargir. » Sur le coup, je lui dit : « Ça veut dire quoi ‘élargir’ ? » Après j’ai compris qu’il voulait que cet album soit un poil plus mélodique. Nous y avons été, nous avons fait des titres un peu plus mélodiques, je pense. Ce qui n’empêche pas qu’il y a des titres très brut de pomme sur cet album, avec trois accords, et très rock, mais il y a des titres, effectivement, un peu plus mélodiques. Après, sur l’interprétation, que ce soit celle du groupe musical ou Bernie… Encore une fois, franchement, nous ne nous sommes pas posé de question. Nous avons pris nos instruments, nous avons joué et voilà, il est sorti ce qui est sorti ! Je ne sais pas trop quoi te dire, je suis désolé [rires]. Tu sais, à partir du moment où on y va à l’instinct et en live comme ça, sans se poser de question, nous n’avons rien analysé à l’avance. Nous ne nous sommes pas dit que nous allions faire ça comme si ou comme ça. Nous avons fait ce qui est sorti naturellement.
Il y a effectivement des titres pêchus, mais le côté blues qu’avait déjà Dans Le Même Sang semble encore plus appuyé dans Fils De Lutte. Je pense surtout à un morceau comme « Tendances ». Est-ce que tu penses que l’époque, avec tout ce qu’on vit en ce moment, est propice au blues, c’est-à-dire une musique un peu désabusée plus que colérique ?
Non, je ne pense pas. Le côté bluesy, c’est dans nos racines, à Bernie et moi. J’ai commencé la musique en écoutant du blues et des groupes de rock blues, et j’en écoute toujours, même si nous écoutons de tout. Et Bernie, c’est pareil, ce sont des influences aussi. Et puis le rock vient du blues, un petit peu quand même, il ne faut pas l’oublier. Après, que ça ressorte un petit peu plus là, je ne sais pas. Moi, dans tous les cas, musicalement, ça fait partie de mes racines. Donc je ne pense pas que ce soit par rapport aux problèmes de société.
Tu as effectivement été élevé à l’école du blues et je sais qu’à la base, tu te considères comme un guitariste de blues ; tu as même monté le groupe blues Friendship Blues. Est-ce que tu penses que ces deux derniers albums te ressemblent plus, correspondent plus à qui tu es en tant que guitariste, que les albums plus hard que vous avez pu faire ?
Non, je ne pense pas. Je pense que ça c’est Trust. Je fais partie d’un groupe qui s’appelle Trust. Trust c’est une identité parce que c’est cinq personnes, cinq musiciens, avec une couleur qui est donnée par le jeu de ces cinq musiciens, par la voix de Bernie et ses textes, par ma mise en musique de ses textes. Par contre, je ne pense pas que ça représente vraiment ce que je suis. Je l’affirme. La preuve, je sors en même temps l’album avec mon fiston, David Sparte. Nous l’avons fait en anglais, mais je pense que cet album fait avec mon fils me ressemble beaucoup plus que ce que je fais avec Trust. Parce que c’est un album « solo » ; c’est un projet avec mon fils, mais musicalement, c’est vraiment ce que j’avais envie de faire, moi, tout seul, donc ça me représente beaucoup plus. Il faudra donc l’écouter pour voir [petits rires]. Ce n’est pas du metal, c’est du rock… Il faut l’écouter, c’est difficile à décrire.
« On est dans une société qui va très, très vite, on est dans le monde du zapping. La musique, c’est devenu de la consommation, comme on consomme n’importe quoi. Donc je pense que ça ne sert à rien de passer un temps fou à faire un album. Je pense que c’est bien de faire les choses spontanément, rapidement, dans le moment présent, vivre au présent. »
Sur la question du blues, quelles sont tes affinités avec Paul Personne, qui partage le même label que Trust et est peut-être LE bluesman français ?
Des bluesmen français, il y en a quelques-uns, mais Paul c’est effectivement un des plus connus. Paul, je le connais depuis quarante ans ! J’étais ravi de le revoir quand nous avons fait le concert Autour De La Guitare, cette année, il n’y a pas si longtemps. C’est toujours un plaisir parce que Paul est une personne adorable, c’est une belle personne. J’adore le personnage – je ne suis pas le seul, d’ailleurs. J’adore l’artiste que c’est. Les affinités, c’est qu’à chaque fois que nous nous voyons, nous passons un bon moment à parler chiffons, à parler de guitare, à parler matos, à parler musique, à parler de choses et d’autres. Mais il n’y a pas que Paul. Là, j’ai récemment joué avec Laura Cox, qui est quand même plus dans le rock et qui est plus jeune, elle « débarque ». C’est pareil, c’est un plaisir de voir des jeunes arriver comme ça.
Paul était même monté sur scène en 1993 à tes côtés lors des concerts de Johnny Hallyday au Parc Des Princes…
Oui ! Absolument. C’était un plaisir de partager ça avec lui. La musique, c’est du plaisir et du partage. C’est la base de la musique : se faire plaisir pour donner du plaisir aux autres, que ça soit sur disque ou sur scène, et après, c’est partager tout ça. Donc chaque fois que j’ai un pote à moi, comme Paul, que je retrouve sur scène ou hors scène, d’ailleurs, c’est toujours un plaisir. Et partager une scène ensemble, c’est toujours un plus grand plaisir encore. Et c’est valable pour tous les musiciens, pas que moi. Des fois je suis spectateur, je vois des potes sur scène et ça me fait plaisir de les voir prendre du plaisir.
Que représente le blues pour toi ?
Le blues, pour moi, ça représente… J’allais dire tout [petits rires], mais comme je l’ai dit, ça représente mes racines. Le blues, c’est ce que j’ai découvert tout petit. J’avais à peine une dizaine d’années. J’ai un frère qui a six ans de plus que mois. Lui, il a découvert ça, il devait avoir seize ou dix-sept ans, j’avais neuf ou dix ans, ça m’a fait tilt. Et quand j’écoute encore des bluesmen aujourd’hui… Tiens, c’est bizarre, parce que hier soir – c’est la pure vérité – je suis tombé sur un concert de B.B. King, et wow ! Ça me fait du bien. J’aime ça. Après, c’est une histoire de goûts et de couleurs. Ce sont mes bases, ce sont mes racines, donc quand j’écoute mes racines, je retombe sur des trucs comme ça que j’écoutais quand j’étais gamin et ça me fait toujours de l’effet, ça me parle toujours, ça me fait plaisir et j’adore. Tout comme j’adore des guitaristes actuels. J’aime beaucoup Joe Bonamassa, qui est un guitariste de rock blues. C’est ma came, c’est ma musique. Mais j’aime aussi d’autres trucs qui n’ont rien à voir. J’écoute Melody Gardot, c’est jazzy, j’adore. J’écoute des groupes de rock, des groupes de hard. Quand c’est bon, c’est bon ! Peu importe le style, franchement, quand j’entends une bonne voix, un bon guitariste… Comme ça fait de l’effet, ça me fait plaisir. J’écoute FIP en voiture, des fois je découvre des trucs, ou des fois sur les réseaux sociaux, je découvre des artistes, tout de suite je vais aller prendre l’album pour écouter la suite. Ce n’est pas que du blues mais le blues c’est mes racines. Je n’écoute pas que du blues, je ne suis pas cantonné à ça ; ça me ferait chier, je m’emmerderais sinon. J’aime bien écouter de tout et c’est important d’écouter de tout, d’être ouvert à tout.
Une chose qu’on remarque aujourd’hui, c’est que cette envie de retrouver le côté live et authentique du rock est assez générale. On a vu pas mal de jeunes groupes faire du rock comme on le faisait dans les années 70 (Rival Sons, Greta Von Fleet, Airbourne…) et beaucoup de groupes aussi font le choix de l’enregistrement live maintenant. Est-ce que tu penses que dans la musique aussi il y a un désir d’humain qui commence à se faire sentir ?
J’ai l’impression que oui. Et je pense que ce n’est pas plus mal. On est dans une société qui va très, très vite, on est dans le monde du zapping. La musique, c’est devenu de la consommation, comme on consomme n’importe quoi. Donc je pense que ça ne sert à rien de passer un temps fou à faire un album. Je pense que c’est bien de faire les choses spontanément, rapidement, dans le moment présent, vivre au présent. Et je trouve ça bien que des jeunes groupes – ou des moins jeunes aussi d’ailleurs – soient dans cet esprit de faire des choses live, spontanées. C’est mieux. Dans tous les cas, j’y suis plus sensible et ça me plaît beaucoup plus. Ça me plaît plus d’écouter un groupe qui fait une musique assez spontanée et live qu’un album ultra-produit. J’accroche beaucoup moins aux albums ultra-produits qu’à un groupe de blues ou de rock – peu importe le style de musique, d’ailleurs – qui fait un album live ou spontané. Parce que ça s’entend, un album qui est fait live ou spontanément. Déjà, il n’y a pas beaucoup d’arrangement, il n’y a pas beaucoup de pistes… J’aime beaucoup ! Et j’ai l’impression que les gens aiment bien ça, je le ressens. De toute façon, il y a beaucoup de groupes sur les routes, tant mieux, c’est super, les gens vont aux concerts, c’est super, et donc je pense que c’est un besoin d’aller voir les groupes sur scène. Alors, les gens consomment beaucoup de musique avec les sites de streaming, les jeunes comme les moins jeunes… Quand je dis consommer, c’est-à-dire que des artistes, il y en a tous les jours qui mettent leur musique en ligne sur les sites de streaming, et les gens passent d’un morceau à l’autre, d’un groupe à l’autre, ils font leurs playlists, ça va très vite. C’est une chose, mais en même temps, je pense que les gens ont besoin d’aller voir les groupes qu’ils affectionnent, ils ont besoin d’aller les voir sur scène, parce que c’est différent, déjà. Après, ce que je trouve dommage, c’est que les gens sortent leur portable et regardent le concert à travers leur écran. Je trouve ça extrêmement dommage et navrant, parce que putain, tu viens voir un concert, pose ton portable et regarde le concert ! Bon, là, je dérape sur un autre sujet, mais dans tous les cas, ça fait plaisir de voir qu’il y ait autant de groupes sur les routes et qu’il y ait autant de concerts, et de voir que le public répond présent.
« Ce n’est pas trop ma musique, mais quand je vois des Maître Gims et autres artistes comme ça qui vendent un million d’albums, je trouve ça super. Ça me rassure. Je me dis qu’au moins il y en a qui vendent. »
Beaucoup disent que le format album est mort. A la fois, on voit aussi une résurgence du vinyle. Quelle est ta vision des choses à cet égard ?
Effectivement, la musique se dématérialise totalement. Déjà, dans les voitures, il n’y a plus de lecteur CD. C’est un constat. Comme je te disais il y a deux minutes, les gens consomment sur les sites de streaming, sur leur téléphone, ils ont leur abonnement, donc il n’y a plus l’objet physique, et en même temps, comme tu l’as dit, il y a une résurgence du vinyle, c’est bien aussi. D’ailleurs, j’ai appris cette semaine que le vinyle avait pris le dessus sur les ventes de CD. Je trouve ça pas plus mal. Le vinyle, le trente-trois tours, en lui-même, c’est quand même un bel objet. J’ai connu ça à mon époque, où il n’y avait pas internet et où le numérique n’existait pas, et j’achetais des albums pour la pochette, par exemple, car je trouvais la pochette chouette et il y avait des photos, de la lecture, etc. Que ça revienne, je trouve ça super. Apparemment, la cassette revient aussi. C’est plus drôle qu’autre chose, mais je trouve ça bien. C’est bien d’avoir l’objet. Il y a des gens qui aiment avoir l’objet, et il y a les autres personnes qui préfèrent écouter directement sur l’abonnement de streaming sans avoir l’objet entre les mains. Apparemment, c’est assez compatible. Moi, je sais que j’aime bien avoir l’objet, mais en même temps j’ai dû me contraindre à prendre un abonnement sur un site de streaming. Je dis « contraindre » parce que j’étais absolument contre. Pour la bonne raison que c’est du pillage, quand même. Il faut savoir que les sites de streaming, on les connaît, les Deezer, Spotify et compagnie, ils sont devenus d’énormes sociétés qui gagnent beaucoup d’argent, mais elles le font sur le dos des artistes. Les chiffres actuels, à la seconde où je te parle, je ne les connais pas, mais il y a encore quelques mois, pour qu’un artiste touche cent euros, il faut qu’il soit écouté sur un site de streaming payant – c’est-à-dire si la personne a un abonnement à 9,99 euros par mois – deux cent cinquante mille fois, et sur un site de streaming gratuit, il faut qu’il soit écouté un million de fois ! C’est scandaleux, c’est honteux, ça me révolte. Mais on ne peut rien faire, malheureusement. C’est comme ça. Et vu que les gens n’achètent plus de disques, tu es obligé quand même de mettre ta musique sur les sites de streaming, et tu es obligé de te faire piller. L’album que je fais avec mon fiston, il sera sur les sites de streaming et je toucherai quelques centimes sur cet album, mais si je veux que les gens puissent le découvrir et l’écouter, je suis contraint de le faire. Et l’album de Trust sera sur tous les sites de streaming et nous toucherons quelques centimes par écoute – 0,00001 centime par écoute, je ne sais plus exactement. C’est triste mais c’est la réalité.
Du coup, est-il toujours pertinent de faire des albums en 2019 ? Est-ce que des fois tu te dis « à quoi bon » ?
Oui… Malheureusement… Enfin, je trouve ça bien de continuer à faire des albums, et pour être programmé sur des concerts, sur des festivals, ne serait-ce que pour que des groupes débutants puissent jouer dans un club, s’ils n’ont pas d’album, ça n’intéresse personne. Les promoteurs ont besoin de savoir que le groupe a un album, et pour exister, il faut avoir un album, il faut avoir des clips vidéo, il faut avoir de l’image sur internet, il faut avoir des réseaux sociaux. Donc on est quand même obligé de faire des albums, en sachant qu’on n’en vendra pas et qu’on ne gagnera pas d’argent sur les albums. A titre d’info, je te le dis – on ne me croira peut-être pas mais c’est la stricte vérité –, il faut savoir que sur les cinq derniers albums de Trust, nous avons touché zéro euro de royalties. C’est la réalité. Or ça nous a coûté de l’argent de faire ces albums [petits rires]. Après, nous nous sommes fait aussi un petit peu escroquer, par l’appât du gain, par des manageurs, etc. Mais ça nous regarde, ce sont nos soucis internes. Je parle bien en termes de royalties, car en droits d’auteur nous avons touché un peu d’argent quand même, heureusement, sinon nous ne vivrions pas. Nous touchons aussi de l’argent en concert, mais sur les ventes d’albums, nous ne touchons quasiment rien. Mais c’est comme ça, malheureusement. Ce qui me rassure aussi, c’est qu’heureusement qu’il y a des artistes qui vendent des albums. Ce n’est pas trop ma musique, mais quand je vois des Maître Gims et autres artistes comme ça qui vendent un million d’albums, je trouve ça super. Ça me rassure. Je me dis qu’au moins il y en a qui vendent. Ça me fait toujours plaisir de voir que des gens achètent quand même encore des disques d’artistes, peu importe le style, même si ce n’est pas ma came.
Tu parles du succès de Maître Gims, mais justement, quelle est la place de Trust aujourd’hui dans le paysage musical français ?
Je pense que Trust a une place. La preuve, nous devions tourner un mois et demi, deux mois, et ça fait trois ans que nous sommes sur les routes et que nous remplissons les salles. Je ne sais pas quelle est la place du groupe. Je n’en ai aucune idée, et d’ailleurs je m’en fous, mais ce que je sais, c’est que nous avons notre place, puisque nous sommes demandés, nous sommes sollicités et nous sommes programmés. C’est donc que les gens ont envie de nous voir. Tant mieux pour nous ! Par contre, effectivement, nous ne sommes pas du tout médiatisés.
As-tu espoir de voir Trust, soit un vrai groupe de rock français, aux Victoires De La Musique ? Parce que jusque-là, on ne peut pas dire que ce soit un style qui ait été très représenté…
Non pas du tout. Excuse-moi de t’interrompre, je vais te répondre tout de suite. Je te le dis clairement : nous n’espérons pas du tout et nous n’attendons pas du tout être aux Victoires De La Musique, ni sur aucune victoire, ni sur aucune récompense. Je te donne mon avis personnel : j’estime que la musique n’est pas une compétition. La musique, c’est fait soit pour sensibiliser les gens comme nous le faisons à travers les paroles, soit pour faire évader les gens, leur procurer du plaisir et les faire voyager, mais ce n’est en rien une compétition. Il n’y a pas de meilleur, il n’y a pas de premier prix, il n’y a pas de premier, il n’y a pas de deuxième, il n’y a pas de troisième… Je suis absolument contre tout ça. Même si on nous citait ou nous nommait, ça m’étonnerait que nous fassions acte de présence. Ce n’est pas notre truc. On donne des prix dans le monde du sport, pour des mecs qui transpirent, qui font une course à pied, à vélo ou autre parce qu’ils sont arrivés les premiers, ça c’est de la compétition, mais la musique, je ne vois pas en quoi c’est une compétition. Je pense que tu es d’accord avec moi.
« Nous n’espérons pas du tout et nous n’attendons pas du tout être aux Victoires De La Musique, ni sur aucune victoire, ni sur aucune récompense. Je te donne mon avis personnel : j’estime que la musique n’est pas une compétition. […] Je suis absolument contre tout ça. Même si on nous citait ou nous nommait, ça m’étonnerait que nous fassions acte de présence. »
Mais au-delà de la compétition, il y a l’exposition, et je pense que ça ferait plaisir à beaucoup de gens de voir le rock être un petit peu plus exposé et valorisé. Parce que si on regarde bien, il y a un vrai un décalage entre le succès que peuvent avoir le rock et les musiques électriques en général – le Hellfest qui bat tous les records et des groupes comme Metallica ou AC/DC qui remplissent toujours des stades – et leur couverture médiatique.
Je suis absolument d’accord avec toi. C’est un autre problème. Le rock, le hard, et tous ces styles de musiques ne sont effectivement pas du tout médiatisés. C’est bien dommage. Mais ça, c’est la France. J’ai l’impression que ça a toujours été comme ça. Et encore, on entend de temps en temps sur certaines radios AC/DC, on a entendu Trust a une époque sur certaines radios aussi, mais globalement, il y a énormément de groupes de rock en France, et c’est tant mieux, il y a des groupes de metal, de thrash metal, de tout style de metal et de rock, on les voit aux Hellfest et ailleurs, voire dans des clubs et des petites salles de concert, mais… C’est le choix médiatique qui est comme ça. Les radios, les télés n’ont pas envie de… Il y a une radio qui s’appelle Sky Rock, tu entends tout sauf du rock sur cette radio [rires].
Il est étonnant que les décideurs des médias populaires ne voient pas le manque à gagner. Quand on voit le succès de cette musique, ça peut paraître surprenant qu’ils n’en fassent rien du tout.
Oui. Il y a des choses à faire ! Après, monter une radio exclusivement rock, je ne sais pas. Et monter une émission rock à la télé, je trouve que ça serait bienvenu. Ça serait super, mais il faut trouver les gens qui… Mais aujourd’hui je n’en vois pas. Donc il y a encore des choses à faire.
Pour en revenir à Trust, comme on disait au début, vous sortez deux albums d’une année sur l’autre. La dernière fois où Trust enchaînait les albums aussi rapidement, c’était à la grande époque, dans la première moitié des années 80. Est-ce que tu penses que vous avez retrouvé la même flamme qu’à cette époque ?
Je pense que oui, nous avons vraiment retrouvé cette énergie que nous avions. Des gens pourraient penser le contraire, mais non. Nous avons vraiment une grosse patate, pour dire ça grossièrement. A mon sens, avec la maturité, avec l’âge, nous sommes en forme, nous avons la pêche, et là il n’y a pas de questionnement, il n’y a pas de plan de carrière, il n’y a rien, encore une fois, nous sommes juste dans le plaisir et dans l’énergie. Moi, je prends beaucoup plus de plaisir aujourd’hui que j’en prenais il y a quarante ans, c’est clair et net. Comme je viens de te dire, je pense que c’est la maturité qui explique ça, l’expérience, le fait de ne rien avoir à prouver. C’est mon avis.
Tu as l’impression que vous aviez quelque chose à prouver, une pression à une époque, que ce soit sur Répression ou Marche Ou Crève, par exemple ?
Sur les deux premiers albums, non. Nous avons fait ça exactement comme nous faisons ça maintenant, c’est-à-dire sans nous poser de question. Je pense qu’après l’album Répression et son énorme succès avec « Antisocial » – enfin, je parle uniquement pour moi – ça n’a pas été « évident » ce que nous devions faire à partir de là. Comme je disais tout à l’heure, aucun album ne se ressemble, donc le troisième album, Marche Ou Crève, ne ressemble absolument pas à Répression, comme il ne ressemble pas non plus au premier – il faut savoir que sur le premier, il y a du saxophone, du piano, du synthé, du Moog, des choristes… Sur le second aussi il y a du sax et des chœurs aussi, mais il est plus rock. Donc arrivé à Marche Ou Crève, et je pense que c’est une erreur, avec le recul, je me suis compliqué la vie dans les compositions musicales. J’ai voulu chercher des choses plus abouties musicalement, avec plus d’arrangements, plus de mise en place, plus de break, à tort. Je trouve que les morceaux dans Marche Ou Crève sont très compliqués, à mon sens. En plus, nous avions Nicko McBrain à la batterie, qui est un batteur exceptionnel, évidemment, mais avec beaucoup de groove et très technique, donc ça m’a un petit peu influencé sur la composition en cherchant des arrangements plus complexes. Je me rappelle qu’à l’époque je me disais que nous allions faire « quelque chose de balèze ». Alors que, je l’ai dit, c’est à tort, parce qu’en fait, avec le recul, je pense que j’aurais mieux fait de composer des choses simples. Cet album n’a pas eu le succès de Répression, c’était difficile d’avoir autant de succès. Ce qui est sûr, par contre, c’est je n’ai aucun regret, et nous n’avons aucun regret. Ce qui est fait est fait.
Puisqu’on en est à parler de vos débuts : cette année est une année anniversaire, puisque vous fêtez les quarante ans de votre tout premier album. Quel regard portes-tu sur ce premier album, quarante ans plus tard ?
Mes albums favoris, ce sont les deux premiers, encore aujourd’hui, même si je suis très, très satisfait des deux derniers. Ce sont mes favoris pour la bonne raison que nous avions vingt balais. Il y avait l’inconscience de la jeunesse, l’immense plaisir d’être en studio, car nous réalisions notre rêve. C’était mon rêve d’ado, quand j’avais quatorze ou quinze ans, je voyais les posters de Led Zeppelin dans ma chambre et d’autres groupes. Je voulais être sur scène, je voulais être en studio pour faire des disques. Donc, le fait de nous retrouver comme ça à vingt-deux ans dans un super studio à Londres pour le premier album, avec en plus Dennis Weinreich, Max Middleton qui est le clavier de Jeff Beck… Nous étions en pleine réalisation d’un rêve. Et je me souviens parfaitement, c’était extraordinaire. C’était le bonheur absolu. Nous avons fait cet album en une semaine, spontanément, sans réfléchir, pied au plancher. C’est justement pour ça que les deux premiers albums restent mes favoris, car c’était la prise de conscience que j’étais en train de réaliser mon rêve.
« C’était mon rêve d’ado, quand j’avais quatorze ou quinze ans, je voyais les posters de Led Zeppelin dans ma chambre et d’autres groupes. […] C’est justement pour ça que les deux premiers albums restent mes favoris, car c’était la prise de conscience que j’étais en train de réaliser mon rêve. »
Aujourd’hui vous avez quarante ans d’expérience, est-ce que cette inconscience de jeunesse dont tu parlais te manque ?
Non, parce que aujourd’hui, c’est un autre plaisir. Et puis je ne suis pas nostalgique, je suis content de vieillir. De toute façon c’est inéluctable, c’est la vie, c’est comme ça, j’ai maintenant soixante-trois balais, je n’ai plus vingt-trois ans, quarante ans se sont écoulés… Donc, non. Je suis très heureux aujourd’hui. Evidemment, si je pouvais remonter quarante ans en arrière, je ne dirais pas non, comme tout le monde, mais ce n’est pas possible, donc autant l’accepter !
Sur ce premier album, vous aviez fait une reprise d’AC/DC, « Ride On ». Est-ce que c’était un peu votre but à cette époque de devenir les AC/DC français ?
Non, ce n’était pas notre but. On nous a associés à AC/DC parce que nous sommes devenus très potes… Nous nous sommes rencontrés avec Bon Scott sur le premier quarante-cinq tours, il y a eu une longue amitié jusqu’à son décès. Après, nous sommes restés relativement proches du groupe. Donc, il y a cette association que les gens ont naturellement faite, mais dans nos têtes, nous ne cherchions pas à être les AC/DC français. Nous avons toujours été ce que nous étions et nous n’avons jamais cherché à nous identifier à qui que ce soit. A l’époque, j’étais plus fan de Led Zeppelin que d’AC/DC, même si j’adorais AC/DC. Dans ma chambre, il y avait des posters de Jimmy Page, il n’y avait pas de poster d’Angus Young. Bernie, lui, était branché punk. Après, comme je te dis, c’est l’association, le fait que nous soyons devenus potes, et puis nous adorions ce groupe, effectivement. Nous écoutions AC/DC, les tout premiers albums quand ils sont sortis, mais nous ne cherchions pas à nous associer musicalement ou en termes d’identité à eux. Sinon, nous aurions fait comme eux. Nous aurions fait des morceaux de trois ou quatre accords, nous n’aurions pas dévié d’un iota le style musical, or nous n’avons pas du tout eu ce cheminement. Nous avons un peu exploré un maximum d’expériences et d’univers musicaux.
Ma question était plus dans sens de savoir si AC/DC avait été un « modèle » de carrière pour Trust. Même si en 79, AC/DC était encore jeune, évidemment…
Bien sûr. En fait, en 79, ils avaient un peu d’avance sur nous, mais ils n’avaient pas l’ampleur qu’ils ont eue après. A Paris, ils jouaient au Pavillon de Pantin ou au Zénith. Ils ne faisaient pas de Stade De France à l’époque, ni le Parc Des Princes, d’ailleurs.
Pour finir, dans ta carrière, en dehors de Trust, les gens retiennent surtout ta collaboration avec Johnny Hallyday, mais tu as connu un tas d’autres expériences. Parmi toutes ces expériences, quelles sont celles que tu retiens le plus ?
Ça va être difficile… Johnny, effectivement, parce que je suis resté pas mal d’années avec lui et ça a été pour moi une expérience magnifique. C’était un grand personnage et j’ai beaucoup appris à travers lui. Après, comme tu l’as dit, j’ai collaboré avec beaucoup d’artistes dans tous les styles musicaux. C’est parce que je suis musicien d’abord, et en tant que musicien, en tant que guitariste, ça m’intéresse d’avoir des expériences multiples dans tout univers musical. Ça m’a fait progresser, ça m’a appris des choses, ne serait-ce qu’humainement, de travailler avec des mecs qui font du raï ou d’autres styles de musique, mais surtout musicalement, en tant que musicien. J’en ai tellement que c’est difficile d’en nommer, mais Johnny c’est sûr. Après j’ai fait deux tournées en Russie avec Era. C’était extrêmement enrichissant. Era, c’est Éric Lévi qui a créé cette musique pour habiller le film des Visiteurs. Il y a eu plusieurs albums, ça a été un succès planétaire. Il n’y avait jamais eu de concert, et en 2013 ou 2015, je ne sais plus, nous avons fait deux tournées en Russie. J’ai adoré, parce que musicalement, c’est extrêmement riche et intéressant, avec orchestre symphonique, quarante choristes, et surtout j’étais avec d’autres musiciens d’exception, comme Leland Sklar à la basse, Rob Harris à la guitare, qui est le guitariste de Jamiroquai, le batteur de Robbie Williams, Karl Brazil… Pour moi, c’étaient des grandes expériences. Après, j’ai aussi beaucoup apprécié de travailler avec des artistes inconnus. J’ai collaboré sur plus d’une centaine d’albums, donc ça va être difficile d’en sortir certains et pas en nommer d’autres. Ma dernière expérience, c’était au Stade De France pour Rockin’1000. J’ai pris un plaisir énorme avec ça, parce que franchement, wow, quand tu arrives là, tu joues avec mille musiciens, trois cents et quelques guitaristes, presque trois cents batteurs, autant de bassistes, autant de chanteurs… Il y avait un putain de son, c’était impressionnant ! Ça, ça fait partie des expériences uniques. Toutes les expériences se valent.
Tu as aussi eu l’occasion de collaborer sur un album de Jean-Jacques Goldman…
Oui, j’ai joué sur le deuxième, je crois, un titre qui s’appelle « Minoritaire »… Jean-Jacques Goldman, je l’ai connu avant qu’il soit le Jean-Jacques Goldman méga-star. Je l’ai connu à l’époque où nous étions chez CBS. Alain Lévi, le PDG de CBS, nous avait signés… Je te fais vite fait le topo : on est en 78, nous faisions des maquettes avec Trust, nous envoyions nos maquettes à l’époque sur cassette à toutes les maisons de disque. Nous nous faisons jeter de partout, ça n’intéresse personne, parce qu’à cette époque, c’est la mode disco en France. Le mouvement punk arrive à peine d’Angleterre, il débarque un peu en France, mais le rock n’intéresse personne. Un journaliste qui s’appelle Hervé Muller nous voit dans un club à Paris, il flashe sur nous, il nous demande la cassette et il dit que lui va s’occuper de nous trouver une maison de disques. Grosso modo, il retourne voir CBS, même s’il nous avait jetés auparavant. Lui va voir le PDG, qui était Alain Lévi à l’époque. Alain Lévi nous signe. Tout ça pour en revenir à Goldman : Alain Lévi, son rôle en tant que PDG de CBS, c’est de gérer la maison de disques, pas de signer des artistes, il y a des directeurs artistiques qui sont là pour ça, mais Alain Lévi a quand même signé trois artistes directement. C’est-à-dire qu’il a d’abord signé Trust, après il a signé Jean-Jacques Goldman, et après, il y a signé Francis Cabrel. Je pense que ce type-là avait une bonne oreille – il a toujours une bonne oreille, je pense, parce qu’il est toujours de ce monde. J’ai donc connu Jean-Jacques à cette époque. Il venait de quitter Taï Phong et il débutait sa carrière solo. J’ai donc sympathisé avec Jean-Jacques Goldman et puis ça s’est fait comme ça, naturellement. Il m’a proposé de jouer sur son disque. J’ai d’ailleurs participé à un clip, qui doit être sur YouTube, sur le titre « Minoritaire », il me semble bien. Il est ensuite venu chanter sur un album que j’ai fait en 94, il me semble, un album sous le nom de Touch. Jean-Jacques est venu faire des chœurs sur cet album. Bref, je connais Jean-Jacques de longue date. Mais tu sais, tous les jours je me dis que j’ai beaucoup de chance d’avoir réalisé mon rêve, d’être musicien, d’être guitariste et d’avoir fait autant d’expériences. Je suis quelqu’un de comblé aujourd’hui. J’espère que ce n’est pas fini, que ça va durer, car j’aime bien ça, j’aime bien collaborer, j’aime bien avoir des expériences diverses et variées, dans tous les styles.
Interview réalisée par téléphone le 17 septembre 2019 par Nicolas Gricourt.
Retranscription : Nicolas Gricourt.
Facebook officiel de Trust : www.facebook.com/trustofficiel.
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Merci d’éviter: bien merci