Avec chaque nouvelle année vient un album que tout le monde attend fébrilement, parfois avec un brin de défiance, de la part d’un des grands mastodontes du hard et du metal. En 2014, c’était le Rock Or Bust d’AC/DC ; en 2015, c’était The Book Of Souls d’Iron Maiden ; en 2016 c’était Hardwired…To Self-Destruct de Metallica ; et pour 2017, il ne fait aucun doute que cet album-là, c’est… Panzer Surprise d’Ultra Vomit ! Non ?
Objectif : Thunes n’est-il pas devenu une, si ce n’est LA, pierre angulaire du metal humoristique ? Un album ayant fait des milliers et des milliers d’adeptes qui, neuf ans après, sont encore là à chanter à tue tête et se fendre la poire sur des hymnes tels que « Quand J’Etais Petit », « Mechanical Chiwawa » ou autres « Boulangerie Pâtisserie ». Eh oui, neuf ans ! Une attente interminable qui aura mis les fans sur les nerfs, devenus chèvre à force d’aboyer sur « Canidal Corpse ». Il était donc temps que les quatre sale gosses reviennent avec une nouvelle salve de parodies zinzins et autres vannes affligeantes de bassesses.
Nous avons pu rencontrer le quatuor au complet, à quelques heures de monter sur scène au Transbordeur de Villeurbanne, lors de leur petite sauterie en compagnie de Tagada Jones et No One Is Innocent. Un entretien à la bonne franquette mais non moins enrichissant, où on comprend vite que l’art d’Ultra Vomit est un savoureux mélange de bêtise et de génie, et que ça, non seulement ce n’est pas donné à tout le monde mais, en plus, ça nécessite un certain temps de maturation.
« Objectif : Thunes, quand on l’a sorti, […] on a senti que ça allait être compliqué de faire un truc derrière. »
Ce soir vous jouez avec No One Is Innocent et Tagada Jones, qui sont deux groupes assez politisés, et on est dans l’entre deux tours de l’élection présidentielle. Du coup, vous êtes là pour détentre l’atmosphère ?
Emmanuel « Manard » Colombier (batterie et voix de merde) : Non, on est très politisés aussi !
Nicolas « Fetus » Patra (guitare et chant) : Ça donne trop envie de faire quelque chose…
Fabien « Flockos » Le Floch (guitare lead) : On a pris parti sur l’album ! On a osé un peu trancher, quitte à diviser notre audience.
Manard : Ouais, on a su mettre un peu en garde nos auditeurs contre certaines puissances un peu… On ne les prend pas forcément en compte aux premiers abords, tout le monde est là, on est un peu aveuglés par les trucs évidents, mais on a pris le parti de parler de… Bon, je vais aller finir ma bière. Non, pour répondre sérieusement, effectivement, on se demande un peu ce soir…
Flockos : …ce qu’on fout là.
Manard : …sur quel pied danser. Est-ce qu’on rigole du fait qu’on joue avec Tagada et No One ? Genre : « Ah bah nous, on est très politisés, pipi, caca… » On risque peut-être de choquer les gens présents qui sont venus pour être contestataires et tout. On ne sait pas trop, on hésite. On ne sait pas trop comment les gens vont le prendre.
Fetus : On hésite et du coup, ça donne trop envie de la faire ! A la limite, si on dit à chaque fois qu’il y a forcément un message derrière chaque truc, eh bien, nous, notre message, ce sera ça du coup : « Détendez-vous un peu le fion ! » Eventuellement. Mais je parle en général. Mais c’est vrai que nous, ça n’empêche pas qu’on peut avoir des convictions, mais dans ce qu’on fait, ce n’est pas le lieu. C’est plutôt le lieu où tu débranches ton cerveau et dis des bêtises.
Flockos : Tu débranches à fond ton cerveau !
Fetus : Et tu t’éJignes. C’est un verbe qu’on a inventé qui est important.
Vous étiez en résidence la semaine dernière. Alors, ça y est le set tourne ?
Ouais, on a posté des petites vidéos pour montrer notre avancement sur internet.
Manard : Pour montrer comment on travaille. On a fait une vidéo de répétition, dans un premier temps, et puis on a montré le même morceau passé à la moulinette résidence.
Fetus : Avec les lumières et tout, tu sens la différence.
Manard : C’était pour montrer un peu aux gens comment le show évolue. Hier, on a fait le premier concert, ça s’est plutôt pas mal passé.
Fetus : Il n’y a pas eu de couille technique. On a été relativement épargnés.
Flockos : Il n’y a pas eu de croute monumentale. C’est perfectible.
Manard : Des minis croutes, des petites éraflures, comme quand tu tombes de vélo, mais on s’est remis direct sur les pédales. Mais on verra ce soir. La théorie veut que quand on fait trois dates, c’est toujours celle du milieu qui est la meilleure. C’est ça, c’est la théorie, non ?
Fetus : En tout cas, ce qui est sûr, c’est que la première est la plus nulle en général.
Manard : Donc, comme ce n’était pas trop mal, normalement ça devrait être encore mieux. J’espère.
Fetus : Il y a de nouveaux morceaux et de nouvelles mises en scène, vidéos, lumières, des trucs qui sont un peu ambitieux. Donc faut que ça marche. Il faut que les envois se fassent au bon moment, il faut que le son soit bien réglé, il faut que l’image soit bien réglée… Il y a plein de trucs. En fait, c’est compliqué.
Manard : On a réussi à faire un show où les techniciens ont pratiquement autant de pression que les musiciens, c’est cool. Donc ils doivent envoyer les trucs au bon moment, etc.
Fetus : Mais au final, c’est toujours nous qui nous feront humilier quand ça ne marchera pas [rires]. Genre : « OK ! Putain, le con… Bon, ben super, on va changer de truc… » C’est comme la présentatrice : « Le sujet ne part pas… » Et c’est elle qui se fait humilier, ce n’est pas le mec qui appuie sur le bouton.
Manard : On fera peut-être un bêtisier, d’ailleurs.
Ca fait huit ans que les gens attendent le successeur d’Objectif : Thunes…
Flockos : Neuf ans !
Fetus : Oui, neuf ans, je te trouve quand même un peu gentil.
Flockos : Et encore, si tu regardes la date de sortie, ça fait neuf ans, mais quand on a enregistré l’album, ça fait dix ans, vu qu’il est sorti six mois après l’enregistrement.
Fetus : Allez, on arrondi à onze !
Manard : Allez quinze, ça fait quinze ans.
Déjà en 2012 vous annonciez que vous alliez commencer à travailler dessus après la tournée « The Renouvellement Of Intermittence ». Du coup, pourquoi avoir mis autant de temps ?
Fetus : En fait, il y a une photo qui est magique… Enfin, on ne l’a pas pris en photo mais on la connaît : on a un petit cahier de répétition – c’était ce qu’on appelle un cahier de Volpone (du nom des pizzas surgelées de Marque Repère/E.Leclerc). On se ramène en répétition et on ouvre ce petit cahier et puis on écrit des idées qu’on a au fur et à mesure, des conneries, des dessins… Il est assez marrant à regarder. Et à chaque fois ça commençait : « Hmm, bien écrit, l’album d’Ultra Vomit… » et il y avait la date : 2012.
Manard : Ca a même commencé en 2009, je crois.
Fetus : Et à chaque fois l’année est barrée et tu vois la nouvelle qui arrive, pour repousser… 2010, 2011, 2012, 2013…
Manard : Au bout d’un moment, on ne marquait même plus l’année. On marquait juste le siècle. XXIème siècle, comme ça on était sûrs [rires].
« Quand tu me dis ‘attention ça, ça va être humoristique,’ je suis ultra sur la défensive, parce que je suis sûr que ça va être de la merde à quatre-vingt dix pour cent. Je suis bien obligé de l’avouer. »
Qu’est-ce qui prend autant de temps, concrètement ? D’autant qu’un certain nombre de chansons présentes sur Panzer Surprise, vous les jouiez déjà depuis un moment : « Un Chien Géant », « Super Sexe », « Pink Pantera » ou « Calojira »…
Fetus & Manard : C’est vrai !
Manard : Déjà, c’est un bon indicateur du temps que ça prend. C’est-à-dire qu’il y a des morceaux qu’on a composés en 2009, d’autres en 2012…
Flockos : Enfin, quatre morceaux, ça ne fait pas un album.
Manard : Un peu plus que quatre.
Fetus : Mais on nous a posés la question : « Est-ce que vous n’auriez pas pu sortir un EP ? » Tu peux aussi dire « ils sont prêts, on les enregistre. » La plupart des groupes, quand c’est prêt, ils ont envie que ça [sorte]. Nous aussi mais en fait, on fonctionne un peu comme des best of d’une certaine période qui peut être plus ou moins longue. Entre le premier album et le second, il y a eu quatre ans, et du coup, quand on a sorti Objectif : Thunes, il y avait plein de concepts vieux de quatre ou cinq ans. C’est ça qui est marrant, c’était comme une sorte de best of de cinq ans.
Manard : Après, c’est long parce que ça demande aussi pas mal de recul. La plupart des morceaux demande du recul pour vraiment qu’on sache si c’est vraiment efficace, si ce n’est pas trop périssable au niveau de l’humour, si ça marche bien, etc. Il y a des morceaux, avec le recul, un an ou deux plus tard, tu les réécoutes et tu fais « ouais non, en fait… » Et du coup, c’est vrai que ça prend du temps. C’est la maturation des morceaux qui prend du temps. Et puis il y a la flemme aussi.
Fetus : Oui, c’est ce que j’allais dire : c’est un savoureux mélange de tout ça. C’est-à-dire perfectionnisme plus flemme égal très long.
Flockos : Et puis aussi, on n’a pas forcément une idée par jour.
Fetus : C’est ça. En fait, le truc, c’est qu’Objectif : Thunes, quand on l’a sorti, on s’est dits… Enfin, je ne sais pas si on s’en est rendus compte tout de suite, mais on a sentis que ça allait être compliqué de faire un truc derrière. Comme si deux ans après, c’était sûr que si on avait fait un album, ça aurait été beaucoup moins bien, de manière vraiment évidente. Et même neuf ans après, on se disait « hmm, c’est chaud de faire mieux. » C’est con. On a eu tellement d’idées nouvelles, des trucs où les gens étaient là : « C’est quoi ce délire ? Ça n’existe pas ! » Qu’après, une fois que tu l’as fait, tu as ouvert un truc et tu fais : « Bon, voilà, on a parodié le black metal, le hardcore, le tout ce que tu veux, et comment tu fais ? » Une fois que tu as trouvé ton style comme ça, soit tu reviens au grindcore de base et du coup, c’est trop bizarre, soit tu restes dans un style figé et c’est bizarre aussi, soit tu continues à faire ça mais il faut…
Manard : Il faut avoir les bonnes idées. Sur Objectif : Thunes, on avait quand même parodié un bon panel du metal. Du coup, pour cet album, il y a un moment où on s’est dit : « Mais il nous reste quoi à parodier ? » Il y avait des trucs assez « évidents ». Rammstein, c’est vrai qu’on s’est rapidement dit que ça pouvait le faire, un truc qui ressemble un peu à Rammstein, avec de l’Allemand, etc. Ça c’était, pas évident, mais on s’est dit que, ok, ça on ne l’a pas fait.
Fetus : Et encore, on ne fonctionne même pas comme ça, on ne se dit pas « il manque ça, ça et ça, il faut qu’on le fasse. » C’est, si tu as une idée, tu fais : « Ah ben du coup, comme ça, ça irait bien. »
Manard : On a l’idée du truc et puis on a rapidement pensé à Rammstein, le truc allemand, etc. et puis c’était un truc qu’on avait en tête depuis quelques temps. Mais c’est vrai que pour ce nouvel album, on s’est demandé ce qu’il restait à faire. Et en fait, je pense qu’on a plus pris le parti de faire des chansons, en répète, de voir des trucs entre nous qui sonnent bien. Et après, on a peaufiné les choses : « Tiens cette chanson, elle peut partir dans cette direction, elle peut partir par là, ça peut faire penser à tel truc… » Mais plutôt de loin. Je trouve que sur Panzer Surprise ! – ou [avec un accent anglophone] « surprise » comme disent les fans, mais c’est « surprise » comme Kinder Surprise -, les parodies sont moins évidentes. D’ailleurs, on voit sur les vidéos YouTube qu’on a mises, il y a des mecs, dans les commentaires, qui essaient de trouver des trucs et c’est moins évident, ils tombent à côté des fois.
Vous avez peur parfois que le concept Ultra Vomit atteigne ses limites ?
Fetus : Ouais, le truc, c’est que forcément, quand tu fais un album tous les neuf ans, tu ne prends pas trop de risques. Je pense qu’il s’épuiserait si on en faisait un tous les trois ans.
Manard : C’est pour ça aussi qu’on a un peu moins de scrupule à sortir un album aussi tardivement. Neuf ans, c’est vrai que c’est hyper long, mais en fait, effectivement, comme le concept du groupe lui-même peut lasser assez vite… Enfin, il y a pas mal de détracteurs qui disent « ouais, c’est bon, t’as entendu les vannes une fois, après tu n’en as plus rien à foutre. » On ne va pas dire qu’ils ont raison mais on comprend, quelque part, l’idée, qui est qu’on ne peut pas sortir un truc [trop souvent, car] les gens peuvent se lasser assez rapidement du concept. On préfère distiller des trucs et privilégier la qualité plutôt que la quantité.
Fetus : Une fois que tu as compris la vanne, de toutes façons, qu’est-ce qu’il te reste ? Tu ne vas pas te marrer ad vitam aeternam. Donc ce qu’il te reste, c’est la musique et l’ambiance que ça dégage, est-ce que c’est cool, etc. Il y a des morceaux, je ne suis pas mort de rire, mais je les trouve cool à écouter, et musicalement c’est suffisamment costaud pour tenir dans la longueur. Parce que sinon, c’est vrai qu’on attend neuf ans pour faire un album, si c’est pour que tu t’en lasse au bout d’une semaine, c’est chaud.
Manard : Dans la musique, les gens ont un peu plus de mal à prendre le côté « tiens, c’est marrant, c’est un petit sketch de comique, de temps en temps je me le rematte, ça me fait marrer. » Il y a certaines personnes qui ne veulent pas de ça dans la musique, pour eux c’est incompatible. Mais heureusement, il y a une majorité du public qui prend ça très bien.
Fetus : Mais en même temps, tu vois, j’écoute très peu de trucs [humoristiques]. Quand tu me dis « attention ça, ça va être humoristique, » je suis ultra sur la défensive, parce que je suis sûr que ça va être de la merde à quatre-vingt dix pour cent. Je suis bien obligé de l’avouer.
C’est vrai qu’en dehors de l’humour et la légèreté, et malgré les vidéos où vous vous payez votre propre tête en vous faisant passer pour de mauvais musiciens, on remarque que ça joue, il y a un vrai soin apporté aux compositions, à la production, etc. C’est ça qui vous donne une crédibilité, à votre avis ? Que le côté drôle ne suffirait pas ?
Non, ça ne suffirait pas, c’est sûr. D’ailleurs, le premier groupe qui m’a donné la petite étincelle, j’en suis sûr, c’est Gronibard. A l’époque, j’avais vu ça en concert, j’avais un pote qui habitait à Lille, il m’avait emmené voir ça, et ouah, je me suis pris une tartine ! Parce qu’en fait, les mecs faisaient de la grosse merde, enfin, les paroles étaient d’une bassesse affligeante, hyper vulgos et tout, par contre, ils avaient un son d’enculé. Le batteur était un monstre, les gratteux, etc. tout le monde jouait hyper bien. Du coup, je me suis dit : « En fait, ça veut dire que c’est possible de faire un truc carré mais en même temps qui déconne et ça fonctionne à fond, et c’est énorme. » Je pense que forcément ça m’a fait mûrir l’idée.
Manard : Pour en revenir au concept de la vanne « périssable », justement, si derrière tu fais de la vraie musique, bien faite, bien produite, bien exécutée, ça enlève un peu ce côté périssable. C’est-à-dire que tu peux prendre plaisir juste à écouter les morceaux. C’est aussi ce qu’on essaye de faire. On met autant de soin au côté parodique/marrant qu’au côté musical. C’est un truc qui nous tient à cœur.
Matthieu Bosson (basse) : Ce n’est pas comme Didier Super, quoi…
Fetus : Après, ça dépend. Tu vois, Didier Super, ça n’a vraiment rien à voir. Lui, ça fait partie de son concept, de son personnage, de mal jouer et tout ; il fait exprès de mal jouer.
Flockos : Et les chansons ne sont pas du tout figées.
Fetus : La plupart des mecs qui vont se dire « ah, on va faire un groupe rigolo », ils vont partir en se disant : « Ah bah vas-y, il faut jouer comme de la merde parce que ça va être marrant ! » Ils vont essayer de mettre l’humour dans la musique. Alors que nous, ce qui est marrant, c’est le décalage entre une phrase horrible qu’on dit, genre « Je Possède Un Cousin » ou n’importe quoi, et après tu écoutes la musique et tu fais « yeah ! » Et en fait, tu peux écouter dans ta radio et faire : « Ah merde, les enculés, qu’est-ce qu’ils disent ?! » Tu vois, ça me rappelle une pub pour une voiture, la petite famille est comme ça [chante] : « I wanna fuck you in the ass… » Ils sont en train d’écouter un truc en anglais et ils ne savent pas ce que c’est, ils chantent à fond, alors que ce sont des paroles horribles. Ça c’est marrant, je pense.
Flockos : Et je pense que c’est beaucoup moins drôle si ce n’est pas bien fait.
« Si la chanson n’a pas un bon titre, elle gicle, parce que ça veut dire qu’on n’a pas réussi à trouver un truc suffisamment accrocheur. »
Vous évoquiez le fait de faire mûrir les chansons, et je sais qu’en 2012 vous jouiez déjà « Calojira » mais vous disiez que vous ne l’enregistreriez pas…
Manard : Ah bon ? On a dit ça ?
Flockos : Eh bien, tu mens. On n’a pas dit ça.
Fetus : [Rires] C’est vrai que ça peut régler le problème. Je ne me souviens pas d’avoir dit ça. C’est Matthieu qui a dit ça ?
Matthieu : Je n’étais pas né en 2012.
Manard : Après, oui, la version qu’on avait en live à l’époque, il n’y avait rien. En fait, il y avait le truc principal, qui est le thème de « Face A La Mer » en version « Vacuity », il n’y avait pas de paroles, c’était du yaourt à la voix, juste le refrain, et c’est tout. Donc, effectivement, on trouvait que le morceau n’était pas assez abouti pour finir tel quel sur un album, mais c’est vrai que du coup, on s’est repenché dessus et on a vu que les gens appréciaient déjà et que ça les faisaient marrer. Le jeu de mot sur le titre, déjà, était parfait, rien que ça, ça marchait à fond. Et puis, Gojira, en plus, ce sont des gens qu’on apprécie fortement, on les connaît un petit peu, ce sont des mecs en or. Donc ça nous faisait plaisir aussi de faire un truc sur Gojira.
Fetus : Et puis on a eu leur bénédiction aussi.
Manard : Ouais, voilà, ils sont venus nous voir en disant : « Ah excellent ! C’est un honneur d’être parodié par Ultra Vomit. »
Fetus : Quand tu as Gojira qui te disent « ouais, il faut la faire ! », forcément ça motive aussi.
Manard : Du coup, pour cet album, on s’est penché dessus. On s’est dit : « Qu’est-ce qu’il faut qu’on fasse… Qu’est-ce que qu’est-ce que qui de quoi… où et pourquoi. » On l’a pimpée, on l’a gojiratisée un peu plus. On l’a flockossisée, on a mis un pur riff de Flockos dessus qui ressemblait un peu à Gojira. On a rajouté un cri de mouette.
Flockos : En fait, il y a des fois… On n’était pas sûrs avec « Pink Pantera » non plus pour l’album, et en fait, quand tu as « Calojira » ou « Pink Pantera », ce sont des jeux de mots où… Le titre c’est hyper important. Des fois on avait des titres sans avoir le riff. Le titre, si sur la tracklist ça bute…
Manard : « Kammthaar », on savait qu’un jour une chanson s’appellerait comme ça.
Flockos : Ca faisait longtemps qu’on savait qu’on allait faire une chanson qui s’appellerait « Kammthaar ». Si tu as dans la tracklist un titre comme ça, « Pink Pantera » ou « Calojira », ah putain… Des fois, même quand ce n’est pas forcément hyper évident, on triture un petit peu et on trouve la solution.
Fetus : C’est sûr. Par exemple, un morceau qui s’appelle « E-Tron (Digital Caca) », tu sais qu’il va exister.
Manard : Moi, c’est marrant, parce que je me disais l’inverse… [Rires].
Flockos : Et tu vois, « E-Tron (Digital Caca) », on sait très bien qu’il y aura un t-shirt. Peut-être même que dans nos têtes, c’est d’abord un T-Shirt avant d’être une chanson.
Fetus : « Le prochain morceau est un T-Shirt ! » Ok…
Flockos : Si le titre te fait rire par lui-même, alors qu’il n’y a rien derrière…
Fetus : Ca je m’en suis rendu compte surtout… Enfin, je n’avais peut-être pas autant conscience de ça avant de faire des albums avec Andréas & Nicolas, mais à la fin, on se disait que si la chanson n’a pas un bon titre, elle gicle, parce que ça veut dire qu’on n’a pas réussi à trouver un truc suffisamment accrocheur.
Et justement, vous êtes aussi beaucoup sur les jeux de mots. Mais en général, qu’est-ce qui vient en premier ? Est-ce le jeu de mot ou la chanson ? Que ce soit « E-Tron » ou « Evier Metal »…
Flockos : Je pense que c’est quand même le concept qui va arriver d’abord. En fait, on a quand même un gros bagage de riffs qui peuvent ne servir à rien s’ils n’ont pas un bon concept de vanne derrière.
Fetus : Il y a quand même beaucoup de fois où c’est parti de riffs. « Entooned », « Chiwawa », « Calojira »…
Manard : « La Ch’nille », on était en répète, on voulait bosser un autre morceau, un truc qu’on avait en stock, et là on fait juste un petit test de gratte…
Matthieu : Non mais que ce soit un riff ou une vanne, ça part d’un délire quand même. Tu fais le riff de « La Ch’nille » à la guitare, ça nous fait marrer, ce n’est pas un riff, c’est plus un délire, pour moi, à chaque fois, qui compose une chanson.
Manard : Toi, plus jamais tu ne me coupe la parole.
Matthieu : [Rires] « Tu es là que depuis deux ans, alors calme-toi. »
Manard : Non mais voilà, des fois ça part dans tous les sens mais, après, c’est vrai que des fois, ça part d’un titre.
Flockos : « Evier Metal » est resté quasiment cinq ans dans le petit carnet, avec des ébauches de paroles de Manard, tout le monde mettait un gros véto tellement c’était à chier !
Manard : Tellement c’est de la merde, mais c’est une belle histoire « Evier Metal ».
Fetus : En fait, vraiment, ça illustre ça parfaitement : c’est tellement nul que ça fait le tour et ça devient énorme. C’est vraiment ça ! Parce que c’est de la grosse merde quand même.
Manard : Elles sont énormes. Elles sont très bien mes paroles.
Fetus : Oui, elles sont énormes, mais pourquoi elles sont énormes ? Parce qu’elles sont nulles ! [Rires]
Manard : Pour la petite anecdote, l’histoire est énorme. Un jour Fetus a lu des paroles de mon autre groupe de heavy metal, qui s’appelle Era Nova. On bossait le premier album et il y avait des paroles sur une partoche.
Fetus : « In the middle of the night, ghost in the air, ghost of the night. »
Manard : Voilà, un truc comme ça. Et Fetus arrive, il voit ça, il fait : « Attend, je vais essayer de trouver l’air. » Genre, pur pari. Et donc il trouve cet air-là [chante l’air du refrain de « Evier Metal »] : « In the middle of the night, ghost in the air… » En gros, il trouve le truc principal. On rigole, je lui dit : « Ah non, ce n’est pas du tout ça. » Mais c’est resté dans nos têtes, c’était une vanne, et puis je ne sais pas pourquoi, j’ai repensé à ça. Il y avait un contexte qui fait qu’on a repensé à ce truc-là, « tu te rappelles quand tu avais essayé de trouver l’air ? » Et je fais : « Mais attend, je vais essayer de mettre des paroles. » Et en fait, j’ai juste traduit « in the middle of the night », « au beau milieu de la nuit », et puis je ne sais pas pourquoi, j’ai écrit les paroles du truc, « evier metal, quand j’me réveil, et que j’veux boire », j’ai écrit ça d’un coup sur le cahier. Les autres, je le leur ai montré, ils ont fait : « Oh, c’est nul à chier ! » « Nan, on peut pas faire ça. C’est pas possible ! »
Flockos : Et en fait, c’est peut-être la meilleure chanson qu’on ait jamais faite.
Manard : Et finalement, six mois ou un an plus tard, des fois on feuillette notre cahier, pour voir, et on tombe là-dessus et là, crise de rire. Genre « on va le faire ! » Direct on prend les instruments et je crois qu’on l’a composée…
Fetus : …rapidement mais en fait, elle est ultra chiadée. Musicalement, c’est l’une des plus chiadée.
Manard : C’est l’une des plus dures à jouer, c’est l’une des plus chiadées, et les paroles sont nulles à chier.
Fetus : C’est un bon exemple, je trouve, aussi, quand on parlait tout à l’heure de soigner la musique : si tu es un chinois et que tu écoutes le morceau, tu fais « oh bah c’est un pur groupe de heavy, ils se sont fait chier, la structure, les harmonies, les grattes, les solos et tout. » Et puis, en fait, tout ça pour quoi ? Pour dire « evier metal » [rires]. C’est énorme ! C’est pour ça que c’est ma préférée, je pense.
Manard : Mais tu vois, ce sont des trucs, on n’est jamais sûrs à l’avance de comment les gens vont l’accueillir.
Fetus : Oui, parce que c’est tellement bizarre, c’est tellement panaché, on va dire, que tu peux te prendre un gros bide aussi avec ça. Franchement. Je ne pouvais pas parier que beaucoup de gens allaient adhérer à ça.
Manard : On a quelques retours sur le nouvel album où les gens, justement, nous reprochent ça, la faiblesse des vannes, des paroles, des trucs comme ça. On peut comprendre l’argument.
Fetus : Mais c’est vrai que sur tout ce qu’on a vu, c’est quand même hyper minoritaire.
Manard : Oui, c’est minoritaire, mais ça existe.
« [C’est] chaud de trouver à la fois un bon riff et une bonne vanne, donc ça double la difficulté, et il faut que la vanne colle, donc c’est encore plus dur. »
Ca rejoint un peu ce que vous disiez plus tôt, mais est-ce que c’est plus compliqué qu’on peut le penser de faire un album d’Ultra Vomit ?
Flockos : Ouh !
Fetus : En fait, ça dépend parce que je me suis rendu compte d’un truc : au départ, je me disais : « Personne ne s’en rend compte, on est seuls au monde, merde, tout le monde nous dit ‘ouais c’est quand ?’ » Et puis, en fait, en parlant avec des gens de manière plus approfondie, ils disaient : « Putain mais quand même, c’est chaud en fait… » La plupart s’en rendaient compte, quand même. Ils disaient que ça doit être chaud de trouver à la fois un bon riff et une bonne vanne, donc ça double la difficulté, si on peut dire comme ça – et il faut que la vanne colle, donc c’est encore plus dur. Ce n’est pas comme si c’était un chanteur qui écrivait des paroles « in the middle of the night », on fait un riff et puis « vas-y, on essaie de faire coller, on fait des structures et tout. » Là, c’est particulier quand même.
Manard : Il y a pas mal de groupes « sérieux » qui fonctionnent, genre, ils composent une musique et puis pendant très longtemps, le chanteur fait du yaourt dessus – notamment Metallica fait ça. Et nous, on ne peut pas se permettre de faire ça, parce que ce qui est hyper important, c’est l’adéquation entre la musique et les paroles qui iront dessus.
Flockos : Même s’il y a trois mots…
Manard : Attend, il y a Fetus qui lève le doigt.
Fetus : Exact. C’est parce que je voulais intervenir sur ce sujet-là : ça me fait penser aux slogans publicitaires, par exemple. Genre : « Carglass répare, Carglass remplace ». Quand tu écoutes, c’est une évidence, tu fais : « Bah, oui ! C’est ça le truc ! » Mais c’est ça qui est énorme, c’est que c’est une évidence mais si on te dit « vas-y trouve un slogan dans ce genre-là », tu dis : « Bah, je sais pas moi… » Tu ne trouveras jamais un truc aussi percutant, aussi efficace. Il faut l’idée qui paraît facile mais qui ne l’est pas.
Matthieu : C’est de l’auto-pipe…
Fetus : C’est de l’auto-pipe en Centre Afrique [rires].
Manard : Non mais c’est pour ça qu’on galère. Ce n’est pas facile pour nous non plus.
Fetus : C’est ça qui est dur : ça paraît facile mais ça ne l’est pas.
Flockos : En gros, il faut être un petit peu au-dessus du lot, quoi [rires].
Fetus : Ah la la, il fallait qu’on y arrive à l’auto-pipe au bout d’un moment.
Manard : Après, on n’est pas obligé de s’auto-piper, on peut se piper les uns les autres. « Circle pipe ! Allez ! Faites-moi un circle pipe ! »
Fetus : Non mais bonne analyse ou pas ?
Flockos : Bonne analyse !
Manard : Ouais, c’est pas mal !
Fetus : Tu dis : « Ouais, c’est facile, c’est bon, vas-y, je suis payé pour ça, je t’en fais des slogans de pub ! » « Eh ben vas-y ! » Faut le faire.
Manard : Je me souviens d’un slogan qui m’avait choqué tellement il était incroyable, c’était : « Black et Decker ».
Tous : [silence puis rires]
Manard : Il y avait aussi : « Seb, c’est bien. »
Fetus : Il est panaché celui-là, au moins.
Manard : Attend parce que pour trouver ça… On croit que c’est facile à trouver « Seb, c’est bien », mais non, le mec qui a trouvé ça, c’est un porc [rires].
Fetus : Le pire, c’est que je pense que c’est un porc, moi, du coup ! Puisqu’il a gagné !
Manard : Le mec, il a un rideau sur son pur écran : « Attention, je vais vous trouver notre nouveau slogan » [Son d’un rideau qu’on tire] « Seb, c’est bien ». « Je vous fait un chèque de cinquante mille euros tout de suite ! »
Fetus : Mais pourquoi c’est énorme ? Je vais t’expliquer pourquoi c’est bien : parce qu’il y a la répétition de « Seb ».
Manard : « Seb, seb-ien. » Oh ! Je n’avais même pas analysé ce truc !
Fetus : Non, c’est vrai ?
Manard : Je te jure ! Ca y est, je viens de me prendre une gifle ! « Seb, seb-ien » C’est énorme en fait !
Tous : [Rires]
Manard : Et « Black et Decker » alors ?
Fetus : Ca, c’est la marque…
Manard : Bon, bref.
Une chose qui peut aussi paraître compliquée, ce sont toutes ces imitations : Rammstein, Babymetal, Tagada Jones, Pantera ou même le jeu de batterie dans « Calojira », on a l’impression d’entendre Mario Duplantier…
Oui, c’est lui qui a enregistré d’ailleurs. Moi, je ne suis pas capable de jouer cette merde.
A vrai dire c’est vraiment bluffant. Quel travail de préparation ça nécessite d’arriver à un tel mimétisme ? Est-ce qu’il y a une étude préalable nécessaire ?
Fetus : Un minimum, ouais.
Manard : L’étude est un peu inconsciente. C’est-à-dire que ce sont quand même des trucs qu’on écoute plus ou moins. On ne se force pas.
Fetus : Manard, ce qu’il faut dire, c’est que les trucs, on les écoute et au bout de deux secondes, voilà, c’est bon [rires].
Manard : En fait, on arrive difficilement à faire une parodie de quelque chose qu’on n’aime pas.
Flockos : En tant qu’imitateur, c’est quand même Fetus qui a quelques « skills », comme on dit en anglais. C’est-à-dire que moi, j’imite très, très mal, donc pour moi, c’est mort. Au niveau timbre, etc., je suis humilié.
Fetus : Oui, t’imite mal, mais bon, si tu fais un riff, tu imites le riff. C’est comme Manard, il imite le style de batterie, c’est varié, etc.
Manard : Musicalement, ce n’est pas aussi difficile que ça. Il suffit de prendre un ou deux plans caractéristiques. Tu prends l’exemple de Mario, je sais qu’il met des patterns ternaires dans les trucs binaires, des trucs [chante un rythme] qui sautillent, voilà, c’est facile.
Flockos : « Calojira », c’est tout simplement « Vacuity », c’est le même morceau à la batterie.
Manard : Quasiment. Déjà, j’ai repris presque les mêmes parties de batterie, mais j’ai quand même rajouté les « ting, ti-ting », mais ils sont sur d’autres morceaux, je crois. Mais sinon, c’est vrai que vocalement, quand tu as une espèce de Fetus qui arrive quand même très facilement à s’approprier les types de chant, ça marche tout seul. Après, musicalement, voilà.
Flockos : Ca rejoint un peu la théorie du « un chouille au-dessus du lot. » [Rires]
Fetus : Cette odieuse interview…
Manard : C’est assez affligent.
Flockos : « Comment ça se fait que vous êtes excellents ? » « Bah, parce qu’on est énorme. »
Manard : Non mais on a chacun des petits trucs d’analyse sur ce qu’on aime bien. Comme ce qu’on parodie, ce sont des groupes qu’on écoute et aime bien, ce n’est pas forcément si difficile que ça de se les approprier et reprendre des gimmicks. Le plus difficile, je pense, c’est vocalement, et là, c’est le travail de Fetus.
Fetus : Plus difficile… Ce qui est difficile, c’est de faire ça tous les soirs à fond, passer d’une voix à l’autre ; c’est l’endurance qui est difficile.
Manard : C’est vrai que sur le nouvel album, il y a un spectre assez large, entre « Evier Metal », « Pink Pantera », « La Ch’nille »…
Flockos : Je pense que ça rejoint la phrase qui résumerait la situation, c’est que nous sommes un chouille au-dessus du lot [rires]. Mais ce n’est pas désagréable, moi j’aime bien ! Je suis content…
Matthieu : Moi je me sens un peu humilié du coup de me retrouver avec des gens comme vous.
Flockos : T’inquiète, ça va venir !
« Il y a un esprit de synthèse. Parce que […] pour moi, saouler les gens, c’est horrible. Donc, que ce soit un prof, un auditeur ou tout ce que tu veux, je n’ai pas envie de le saouler. »
Au niveau des voix, quelle est la part de voix naturelles et voix trafiquées en studio ?
Fetus : Tu sais à partir du moment où ça passe dans un microphone, c’est trafiqué, c’est déjà de la triche [rires]. Il y a quelques effets de voix, c’est sûr mais ils sont assez audibles.
Flockos : Ce sont des délais…
Manard : Par exemple, sur « Pink Pantera », il y a à peu près les mêmes effets qu’il y a sur la propre voix de Phil Anselmo, il y a une petite disto, des petites reverbs, des trucs comme ça. Ca dépend des morceaux. Il y en a qui sont plus naturels mais grosso-modo, il n’y a pas trop d’effet de style pitch ou autre.
Fetus : Non, il n’y a pas trop d’effet. Après, évidemment, de toute façon, quand la voix passe dans des putain de machines, des compresseurs de ouf et tout, tu chantes et tu as l’impression que c’est déjà énorme, donc c’est sûr qu’elle est déjà trafiquée d’une certaine façon.
Flockos : Mais elle est traitée comme sur un album d’une production relativement élevée. C’est juste une belle compress, une belle reverb, de beau préamps, un putain de micro à trois-milles balles, mais ça reste la voix de Fetus. Il n’y a pas de pitch, d’auto-tune ou de voccoder, à part sur « E-Tron » mais c’était le but.
Fetus : Mais ça, d’ailleurs, ça a été un petit sujet pour le studio, parce que forcément, quand tu as ces outils-là, t’as envie d’essayer, tu vois ce que ça donne, et l’auto-tune, on s’est rendu compte que, moi, il y a des morceaux pour lesquels je sais que c’est faux, mais c’est faux mais c’est cool. Et quand on mettait l’auto-tune, ça devenait super plat, c’était dégueulasse.
Avec une chanson comme « Calojira » est-ce que vous ne démontrez pas, en fin de compte, que les étiquettes, les styles musicaux, ce n’est qu’une question d’emballage, d’interprétation ?
Il y a un peu de ça forcément.
Flockos : Là, « Calojira », c’est particulier. C’est vraiment le jeu de mot et le riff d’abord. Parce qu’on dit qu’on parodie toujours les trucs qu’on aime bien, mais on ne peut pas dire qu’on soit fans de la chanson de Calogero de manière générale ; c’était vraiment le côté Gojira. Donc pour prouver que, finalement, la variété, c’est super bien parce qu’on peut la mettre à la sauce Gojira, je ne sais pas trop si c’était vraiment ça.
Manard : Après, ça reste des notes de musique et je pense que le plus important, c’est quand même le contexte. C’est-à-dire que tu n’as que douze notes, tu peux prendre des notes dans une chanson de variété, si tu les fais avec des gros palm-mutes sur une grosse guitare avec de la double à fond, c’est du metal et ça peut marcher. C’est une question de contexte. C’est vrai qu’après, il y a quand même des gammes qui sont plus connotées variété et d’autres, genre le triton, qui sont typiquement du metal et très peu utilisées en variété, parce que c’est satanique [petits rires]. Tu as des gammes mineures qui sont moins utilisées dans les gros tubes. Mais après, à partir du moment où ce sont des notes et que tu peux les jouer avec une grosse guitare et tout, ça peut marcher en metal. L’inverse peut être fait aussi. Tu peux prendre des chansons de metal, bon, pas du death metal en général, mais tu prends des chansons de heavy, par exemple, de Maiden, Judas Priest ou n’importe quoi, tu peux prendre une mélodie et la mettre en variété, ça marcherait, je pense.
Fetus : On le sait, pour l’avoir eu en tête pendant toute la session de mixage : on pourrait prendre une chanson comme « Evier Metal » et la faire en zouk avec Magic System ! Ça serait odieux. On va le faire, de toute façon, au bout d’un moment.
Manard : [Chante la version zouk de « Evier Metal »] Ouais, il y a beaucoup de contextes. Après, il y a quand même quelques règles propres à chaque style mais c’est vrai que des fois, tu peux trouver des compatibilités entre deux chansons qui n’ont rien à voir, comme sur « Calojira » où ça marche, et ça marche pour d’autres chansons, pour d’autres styles, etc. De là à dire que toutes les chansons variétés peuvent être transposées en metal, je ne pense pas.
Flockos : Ah, c’est long quand on répond !
Manard : Il y a Flockos qui se fait chier !
Et le passage où vous détournez Marc Lavoine dans « Kammthaar » ? On écoute ça et on se demande vraiment « comment ils ont eu l’idée de mettre ça là-dedans ? » C’est tellement inattendu…
Manard : Ça vient du jeu de mot, je pense, la première phrase, tout simplement. Je crois que c’est toi qui l’as sortie…
Flockos : Je ne suis pas sûr d’avoir sorti « il a l’essieu revolver », pas contre « l’heureux garde-boue », c’est moi.
Fetus : Je crois que c’est toi Manard, « l’essieu ».
Manard : Ah c’est moi ?! Ah putain mais je suis énorme !
Flockos : Et Fetus il était en mode « je nie, je refuse ! »
Manard : C’est vrai qu’au début, c’était compliqué. On s’est demandé aussi si ce n’était pas un peu trop obscure, parce que Marc Lavoine, il n’est pas à son top de popularité…
Fetus : Après je me suis rendu compte que c’était exactement ce qui manquait à la chanson. Elle était hyper sérieuse et tout, et puis…
Flockos : …il y a Marc Lavoine qui arrive et qui fait « salut ! »
Manard : Enfin voilà, on a trouvé ce jeu de mots, « l’essieu revolver », Flockos qui surenchéri avec « d’heureux garde-boue »…
Matthieu : Moi, je n’ai rien trouvé, je tiens à le préciser.
Manard : C’est vrai et tu seras payé pour ça. Mais voilà, on a hésité à le mettre au début et puis, finalement, effectivement, on s’est rendu compte que ça allégeait un peu le truc. En fait, on avait un pont où on ne savait pas trop quoi dire, c’est arrivé comme un cheveu sur la soupe et finalement, c’était peut-être ça qui allait marcher. Mais il n’y a pas de raison spécifique. C’est juste que le jeu de mot, « l’essieu revolver », est sorti comme ça, sans savoir pourquoi, et du coup on a étoffé le truc.
Est-ce que vous avez eu des retours, par exemple de Calogero ?
Manard : Ecoute, Gojira, en tout cas, ils nous ont refait un retour bien sympa sur la version studio. Mais sinon, non, on n’a pas eu de retour de gens comme Calogero.
Fetus : On a un peu peur, je t’avouerais…
Manard : Eh tu sais quoi ? Justement, j’ai regardé sur notre page, il y a un mec qui a taggé la page officielle de Calogero, en partageant le morceau « Calojira ». On est partagé sur le fait que si ça se trouve, il ne va pas aimer, il va nous poser des problèmes, pourquoi pas, ou alors il va trouver ça fun.
Fetus : C’est vrai qu’on ne le connait pas, donc on ne peut pas savoir comment il réagit. Mais bon, honnêtement, c’est quand même tellement revisité et c’est une parodie. Je sais que c’est toujours flou là-dessus les codes de ce qu’on peut faire ou pas…
Manard : C’est pareil, on verra si on a des retours de Rammstein ou des mecs de Pantera. Je ne pense pas qu’on ait des retours. Après, Pantera, il faut voir parce que Phil Anselmo est au Hellfest tout le temps, apparemment, et on y est cette année, donc à priori peut-être que des gens pourraient lui dire « tiens écoute ça », je ne sais pas. Peut-être, ça peut se faire.
Flockos : Il ne va rien comprendre.
Manard : Il faudra que les mecs lui expliquent, je pense.
Et au niveau des droits, comment ça se passe ?
Flockos : C’est flou. On en apprend un peu tous les jours là-dessus. La parodie, par exemple, « La Ch’nille », au début, on l’avait appelée « La Chenille » et il fallait qu’on change le titre. On l’a appelée « La Ch’nille », avec l’apostrophe, parce qu’il ne faut pas qu’on confonde avec l’œuvre originale. On a le droit à la parodie avec l’intention de faire rire, pas besoin d’autorisation, tu crédites l’auteur. C’est pareil, pour « Calojira », on crédite les auteurs, ce n’est pas nous qui avons fait les phrases du refrain en tant qu’auteur.
Manard : C’est une parodie, donc à priori il n’y a pas de souci, parce qu’en plus, ce n’est pas le même titre de chanson, donc il n’y a pas de possibilité de confondre l’œuvre originale avec notre parodie. A partir du moment où tu crédites les vrais auteurs…
Flockos : A partir du moment où tu ne fais pas croire que c’est toi l’auteur… Même si dans « Calojira », il y a plein de riffs à nous.
Manard : C’est ça qui est dur, c’est de quantifier ce qui appartient à l’œuvre originale et ce qu’on a rajouté. Il y a un moment où on peut se dire que, finalement, il y a plus de riffs qu’on a créé que [d’emprunts].
Flockos : On est dans une zone un petit peu flou mais pour l’instant ça va.
Manard : Pour l’instant on n’a pas eu de problème, je touche du bois.
« C’est tellement nul qu’au bout d’un moment, il faut le faire. »
Les chansons sont toujours très courtes. Est-ce parce que, comme dit l’adage, les blagues les plus courtes sont les meilleures ?
Fetus : Il y a un esprit de synthèse. Parce que moi, par exemple, quand j’étais à l’école, qu’est-ce qui s’est passé ? Même au lycée et tout, quand je faisais des dissertations de philo, je voyais toutes les meufs qui étaient là, qui remplissaient les feuilles – la panique ! Et puis moi, je n’y arrivais jamais et du coup, je faisais de la pure synthèse. Je ne me faisais pas défoncer, j’avais des notes correctes, mais je n’arrivais pas à écrire pour ne rien dire, ça me saoulait. Et pour moi, saouler les gens, c’est horrible. Donc, que ce soit un prof, un auditeur ou tout ce que tu veux, je n’ai pas envie de le saouler. Du coup, les morceaux sont courts parce que je n’ai pas envie de vous saouler. Et puis dans ce qu’on fait, il y a un côté « petits jingles ». On aime bien faire de petites pastilles qui vont droit au but, qu’il n’y ait pas un moment dans la chanson où on pense qu’on va se faire chier. Parce qu’il y en a qui vont dire que c’est la facilité de faire un truc court, mais d’un autre côté, quand tu fais du A-B-A-B et que tu copies-colles les refrains et tu changes trois mots, c’est aussi facile.
Manard : En fait, c’est ça, tu ne peux pas sérieusement dire que c’est parce qu’on a la flemme, parce que si tu étudies bien les morceaux, il y a matière à faire des morceaux de quatre ou cinq minutes facilement. Si tu prends « Kammthaar », elle fait deux minutes, mais si tu doubles le couplet-refrain, déjà tu rajoutes une minute de plus, si tu rajoutes un solo qui ne sert à rien comme dans la plupart des chansons de metal – je ne suis pas très solo, sauf vraiment ceux qui sont réussis, mais la plupart, j’estime que, bon, c’est pas trop réussi -, ça te rajoute encore vingt secondes… Tu vois, c’est assez facile. On pourrait le faire sans vraiment beaucoup plus d’efforts.
Fetus : Déjà, on se fait une petite violence là, parce que certains morceaux… Quand tu parles de « Kammthaar », pour moi, c’est énorme parce que les gens vont dire « ah, il est court » mais pour moi c’est une longue chanson !
Manard : Il y a deux refrains !
Fetus : Elle doit faire deux minutes trente, donc ça fait partie des morceaux longs, comme les « Canard », comme « Cousin », etc. Il y a quelques morceaux que je trouve longs. Ca, pour moi, c’est quasiment le max qu’on puisse faire. Après, je n’en sais rien, si ça se trouve…
« Evier Metal » et « Jésus » sont plus longs encore…
Manard : Disons que pour « Evier Metal », ça fait partie de la vanne.
Fetus : Quand tu l’arrête à sa vraie fin, quand tu commences à répéter les « evier metal » ad lib, on doit être à peine à trois minutes, mais c’est vrai que c’est celle qui se rapproche le plus d’une vraie chanson au niveau de sa structure.
Manard : « Jésus », c’est l’inverse, c’est qu’il n’y a que des refrains !
Fetus : C’est le comique de répétition. Nous, ce qui nous faisait marrer à la base, le concept, c’était vraiment que ça s’arrête et ça reparte exactement pareil.
Manard : Ça s’arrête, tu crois qu’il va y avoir une variation, et puis non, ça repart pareil, quasiment avec seulement de petites variations.
L’absurdité, c’est quand même une des marques de fabrique de votre humour, je pense au thème de « Un Chien Géant ». Qu’est-ce qui vous plait dans l’humour absurde ? Et qu’est-ce qui peut rendre quelque chose d’absurde drôle ?
Ce qui me plait dans l’humour absurde, c’est que c’est marrant.
Fetus : C’est que c’est absurde aussi.
Manard : C’est difficile de répondre. Pourquoi ça nous fait rire ?
Flockos : Je suis pété de rire devant Chevallier et Laspalès, je suis pété de rire devant les Robins Des Bois… Ouais, les trucs complètement what the fuck, on appelle ça des éJignâts. On se fait éJigner la gueule quand ça n’a aucun sens, c’est trop cool. Le comique de répétition…
Manard : C’est assez personnel, l’humour. C’est subjectif. On a beaucoup choses en commun, il y a aussi des trucs qui vont me faire marrer mais pas Flockos, mais on a quand même une bonne base en commun.
Fetus : Carrément. A la limite, entre Manard et moi, ce qui match le plus, c’est l’humour plus que la musique.
Manard : Ouais parce que t’écoutes quand même de la belle merde.
Fetus : Non mais voilà, on s’est plus retrouvés là-dessus. On se marre sur les mêmes trucs ; Après, musicalement, on essaye de faire un mash-up, et c’est ça qui est cool.
Et comment on tombe aussi bas qu’un morceau comme « Pipi Vs Caca » ?
En étant d’une bassesse affligeante [rires].
Flockos : Je crois qu’on était en train de partir de Valence ou Valenciennes, la phrase est sortie toute seule dans le camion. Ca a fait marrer Fetus.
Fetus : C’est un peu pareil que « Evier Metal », c’est tellement nul qu’au bout d’un moment, il faut le faire.
Manard : C’est un peu plus dur à assumer…
Flockos : Il y a un moment, j’ai bientôt trente-quatre balais, mais voilà, le caca ça nous fait marrer, c’est chaud, c’est la route, dès que je pète tout le monde est mort de rire, ça pue… C’est vraiment tout con [rires].
Manard : C’est là où je dis qu’il y a des limites à l’humour commun. Non, ça me fait marrer aussi, mais quand ce n’est pas moi qui le dit.
Matthieu : Putain, non mais elle vraiment ultra nulle celle-là…
Flockos : C’est la honte totale !
Fetus : Non mais quelque part, si on devait donner une raison : quand on regarde les commentaires sur des trucs comme VS Webzine, on se faisait déglinguer, « putain, l’humour pipi caca ». Limite c’était presque une façon de dire : « Regardez, tant qu’à faire, on y va carrément. »
Manard : Parce que sur Objectif : Thunes, il n’y a pas cet aspect et les mecs déjà disaient que nous faisions du pipi caca. Donc finalement, on s’est dit que quitte à se faire insulter pour ça…
Flockos : Et encore on n’a pas parlé du nom de projet de l’album…
Fetus : Puissance Caca ?
Flockos : Ouais, c’est chaud. On ne pouvait pas.
Fetus : C’était effectivement un nom qu’on avait retenu, c’était dans la short list. Mais on ne peut pas… En titre d’album, quoi… Tu sais que déjà il y a « E-Tron (Digital Caca) » et « Pipi Vs Caca ». Il y a deux fois « caca » !
Donc en fait, c’est une marque de rébellion…
Fetus : Moi, je pense qu’il y a un peu de ça quand même. On nous a tellement dit… Des gens qui pensent par rapport à ce qu’on fait : « Moi je le fais, je fais un riff, je dis ‘caca’ dessus et c’est bon ! » Et du coup on se dit : « Bah, vas-y, on le fait ! »
Flockos : Mon neveu qui a cinq ans, il se ramène, il est là : « Ouais, c’est tonton caca ! » Et ma belle-sœur elle est là : « Quand est-ce qu’il va finir sa période caca ? » « Tu sais, trente-trois ans… Toujours dans la période caca. » C’est chaud.
Sur « Jésus », vous détournez la célèbre intro du « Thunderstruck » d’AC/DC pour en faire un gospel. Est-ce que vous voyez quelque chose de religieux dans AC/DC et dans le hard et le metal de façon générale ?
Manard : [Rires] Trop pas, en fait ! La chanson existait avant l’intro, on avait ce truc de répéter Jésus sur des accords sucrée, ça nous faisait marrer, parce que c’est absurde, pour en revenir là. Et du coup, un jour, on a eu l’idée de cette intro qui était marrante…
Flockos : Et puis on sait très bien qu’AC/DC, Kiss ou même Ghost, ça n’a rien de religieux, c’est juste des thématiques cool, c’est juste du visuel, de l’univers…
Fetus : Même si pour certains, ces musiciens sont des Dieux.
Manard : On trouvait que c’était cool de rajouter ça en intro du morceau.
Flockos : Après, il y a toujours Angus avec les cornes, donc effectivement, c’est qui l’inverse de Satan ? C’est un peu Jésus quand même.
Fetus : J’avoue que je n’y avais pas pensé et du coup ça fait sens.
« Il y a le bonbon qui va par-dessus, c’est-à-dire, les vannes ou la parodie, mais la base est déjà là et elle est sérieuse. La musique qu’on fait est sérieuse. »
« Le Train Fantôme » : vous avez été traumatisés par le SNCF ?
Fetus : C’est plus Manard qui a été traumatisé.
Manard : Il faut savoir qu’à la sortie d’Objectif : Thunes, pendant toute la tournée, j’étais à Montpelier et les autres étaient à Nantes, donc je les rejoignais en train sur les premières dates sur les weekends, et effectivement, j’ai eu beaucoup de mésaventures avec la SNCF. Mais bon, tu remarqueras que sur le morceau on ne cite rien, on en fait pas non plus de… C’est un train fantôme, il a du retard, il y a des chiards qui montent dedans qui se mettent juste à côté du mec…
Flockos : Et à vrai dire, à la base, ce n’était pas un morceau sur la SNCF.
Manard : Ouais, il faut savoir qu’à la base dans « Le Train Fantôme », il n’y avait pas de train fantôme, il y avait une maison hantée et un diner de famille, et puis finalement on a décidé de recentrer le truc sur un train fantôme. Mais ouais, j’ai quand même été un peu traumatisé, donc quelque pas c’était un peu logique que ce soit moi qui la chante.
Flockos : Ma meuf bosse à la SNCF, donc tu vois, ça a fait un petit clash.
Manard : Ouais, on a claché un petit peu, parce que je lui ai dit tous les griefs et puis elle m’a expliqué le pourquoi du comment. Mais ça c’est bien passé.
Il y a une chanson qui paraît plus sérieuse que les autres : « Batman VS Predator ». Il y avait une vraie volonté de proposer quelque chose de sérieux ?
C’est de la pure zizik, en fait !
Fetus : Si, clairement, c’est pour faire une sorte d’équilibre. C’est comme pour le vomit, il y a des petits morceaux de plein de gouts différents [petits rires]. Et quand tu claques un « Pipi Vs Caca », c’est super, on adore, mais s’il n’y avait que ça, l’album serait un petit peu…
Manard : …Indigeste…
Fetus : …difficile, et s’il n’y avait que des « Batman Vs Predator », il serait trop sérieux. Donc on trouvait que ça équilibrait bien l’album d’avoir un truc comme ça.
Manard : On avait déjà fait sur Objectif : Thunes. D’ailleurs, on ne s’en cache pas, on a repris quelques éléments clefs d’Objectif : Thunes. Sur Objectif : Thunes, on avait fait « Gremlins At The Gates » et on avait pris goût à le faire en live. C’est-à-dire que sur la tournée Objectif : Thunes, on avait fait les interludes cinémas – je crois qu’on en a fait jusqu’à quatre – où on reprenait Gremlins, Retour Vers Le Futur, Batman, Le Dernier Des Mohican, des choses comme ça. Du coup, c’est quelque chose qu’on aime faire, ça fait partie de notre culture : le cinéma des années 80, les thèmes de films un peu cultes, etc. Du coup, on trouvait ça fun de reprendre ces thèmes en metal. Ce n’est pas « marrant » mais on trouve ça fun, surtout de le faire bien. Donc on a voulu le refaire sur Panzer Surprise !.
Fetus : A un moment donné, quand on n’avait pas d’inspiration au niveau des vannes, on s’est aussi dit « tiens, on ferait bien ça, on ferait bien un mini-album avec que des reprises de cinéma. » On a sérieusement pensé à le faire, on avait déjà des idées de visuels, etc. et puis on s’est dit « mouais… » Le truc, c’est que plus le temps passait, plus on se disait que les gens attendent… On aurait sorti ça un an après Objectif : Thunes, aucun problème, mais quatre ans après, se dire de faire ça, on savait très bien que les gens voulaient des compos, des trucs à nous, plus personnels, et ça aurait été compliqué… On s’est un peu retrouvé piégés pour faire ça.
Manard : On le fera peut-être plus tard, on ne sait pas.
Dans Ultra Vomit, il y a quand même une vraie musicalité, de vrais bons riffs, etc. Ça ne vous a jamais intéressé de monter ensemble un genre de projet parallèle de musique dite « sérieuse » ?
Comme tu viens de le dire, les compos en elles-mêmes sont sérieuses, musicalement. Donc on n’a pas besoin d’un autre groupe pour le faire. Après, il y a le bonbon qui va par-dessus, c’est-à-dire, les vannes ou la parodie, mais la base est déjà là et elle est sérieuse. La musique qu’on fait est sérieuse. Donc on ne sent pas le besoin… Si tu veux, j’ai des groupes sérieux à côté, il n’y a pas de problème, parce que je suis metalleux, de base. Avant Ultra Vomit, j’avais des groupes sérieux et j’en ai maintenant aussi d’autres, mais avec Ultra Vomit, je pense qu’on ne ressent vraiment pas le besoin.
Fetus : Après, c’est au niveau du propos aussi. Quand on est sérieux, il faut raconter quelque chose… Après, si on fait juste des reprises de cinéma, c’est vrai que ça pourrait être du Ultra Vomit alors qu’il n’y a pas de vanne, je suis d’accord, ça reste cool. Mais sinon, au niveau du propos, vu qu’on n’est pas politisés et qu’on ne veut pas l’être, parce qu’on ne veut pas faire un truc qui s’engage… Nous, à la limite, notre seul engagement, c’est de dire « détendez-vous un peu le slip… » Tu vois, sur cette période d’élection, il y a plein de gens qui nous disent : « Ah merci, ça fait du bien ! » Parce que justement, nous, c’est l’inverse de ça, c’est « débranchez votre cerveau et marrez-vous, détendez-vous. » C’est con mais c’est un message, en fait. Quand tu y réfléchis bien, il est largement aussi valable. C’est juste qu’il s’exprime sous forme de conneries mais au final, le message, c’est ça. Mais moi, je ne sais pas ce que je raconterais ; je n’aurais pas envie de faire un groupe et parler d’elfes [petits rires].
Manard : En fait, Ultra Vomit retranscrit vraiment ce qu’on est. C’est-à-dire que dans la vie de tous les jours, on est vraiment comme ça. On prend tout… Enfin, il y a des moments où on est sérieux mais, grosso-modo, on est des marrants, donc c’est normal que ce soit retranscrit dans Ultra Vomit, c’est naturel.
Fetus : C’est ça, c’est naturel. Ce n’est pas un truc où on se dit « tiens, je vais faire un groupe marrant. »
Manard : Parce que les débuts d’Ultra Vomit n’étaient pas forcément aussi marrants que maintenant. C’est-à-dire qu’on avait déjà nos personnalités, mais on était dans ce carcan un peu grindcore, où on distillait de légères touches, c’était les prémices. Au début, c’était dans les titres de morceaux. On faisait un morceau ultra bourrin avec des gros riffs de grind, mais on l’appelait « Arf ! », tu vois. Et petit à petit, il y a eu des progressions, et il y a un moment où on s’est lâché. Sur le premier album, à la toute fin, on a commencé à se lâcher, sur les morceaux comme « Judas Prost » et puis finalement, ça a explosé dans Objectif : Thunes ; on s’est dit « mais pourquoi est-ce qu’on se restreint dans un carcan ? » C’est venu progressivement mais c’est parce qu’à la base, on était déjà comme ça. On n’a jamais réussi à faire un truc sérieux. On a essayé au début…
Fetus : Et puis si je faisais un truc sérieux, ce ne serait peut-être pas forcément du metal. Je ne crois pas que ce serait ça que j’utiliserais. Je préfèrerais faire des chants harmonisés à la Cocoon ou de faire de la musique classique, même si je suis infoutu d’en faire, mais je préfèrerais faire ça, à la limite. Parce que c’est ce que j’écoute le plus, j’écoute plus des trucs comme ça que du metal. Et là, dans Ultra Vomit, je trouve vraiment que c’est parfait pour illustrer ce propos : il n’y a rien de plus cool que de foutre de gros accords avec de la double, etc. C’est énorme. Je n’aimerais pas que ça sonne comme de la pop.
Manard : Il y a cette espèce de contraste entre la puissance du metal et la légèreté du propos.
Fetus : Oui, c’est ça, c’est ce contraste. J’aime bien le metal, j’en ai écouté plein, mais je ne me verrais pas faire un groupe sérieux. C’est pareil, au niveau de l’originalité, comment tu fais ? Parce que nous, souvent, on nous dit « vous avez pris tel truc et tel truc. » Parce que tous les groupes de metal…
« Notre seul engagement, c’est de dire ‘détendez-vous un peu le slip…’ Tu vois, sur cette période d’élection, il y a plein de gens qui nous disent : ‘Ah merci, ça fait du bien !’ […] C’est con mais c’est un message, en fait. Quand tu y réfléchis bien, il est largement aussi valable. »
Manard : Ca, c’est énorme, en fait. Pour faire une petite parenthèse, on digresse un peu de la question, mais là, le nouvel album, on a tout mis sur YouTube, et il y a des commentaires de gens qui souvent disent : « Oh, là ! A une minute onze, un riff pompé sur tel groupe, telle chanson ! » Un truc qu’on ne connait absolument pas ! Et tu as même des mecs qui s’engueulent : « Mais non, je te dis que ça vient de bidule, mais non c’est du AC/DC, mais non c’est du machin ! » Et en fait, ce qui est marrant, c’est que les mecs se posent la question avec Ultra Vomit parce qu’ils savent que c’est ouvertement inspiré de choses, on ne s’en cache pas. Mais ce qui est énorme, c’est qu’ils n’ont pas cette présence d’esprit de se dire que tu peux faire la même chose avec tous les groupes ! Tous les groupes, tu peux dire « eh là, à une minute onze on dirait trop le riff d’un autre groupe ! » C’est parce qu’au bout d’un moment, c’est comme ça, presque tout a été fait dans le metal et ça devient de plus en plus dur de trouver le petit truc en plus.
Fetus : Tu peux dire à un mec « tiens, fait-moi un riff dans tel style », tu peux le retrouver ailleurs, à peu près. J’étais surpris, d’ailleurs, parce que les gens faisaient une sorte de jeu sur YouTube – c’est excellent, d’ailleurs, c’est marrant à suivre -, où ils disent « tiens regarde, l’intro, c’est tel riff de tel album… » Et du coup, de temps en temps, j’allais regarder les commentaires et puis j’écoutais, et puis je fais : « Putain, j’avoue, ça ressemble à mort ! Mais je ne l’ai jamais entendu ! »
Malgré tout, vous le cherchez un peu quand même. Tu prends « Noël », par exemple, avec le petit solo de Noel Gallagher, vous disséminez pas mal de clins d’œil de ce genre…
Manard : Oui, ça c’est volontaire.
Fetus : C’est vrai que les pistes sont brouillées, par contre. Tu as des trucs qui sont vraiment copiés-collés et d’autres, c’est complètement original, si on peut dire ça.
Manard : Ce qui est excellent avec « Noël », c’est qu’on a repris le solo d’Oasis mais on n’a même pas fait exprès que le guitariste d’Oasis s’appelle Noel, en fait ! C’est une pure coïncidence. Il y a des gens qui pensent qu’on a fait exprès de mettre « Jésus » en douze, pour faire « doux Jésus » [rires], ou même pour faire les douze apôtres de Jésus. Là, c’est de la pure chance. Après, il ne fallait peut-être pas le dire… Laisse les gens croire qu’on est des malades et qu’on pense à tout ça !
Pour finir, ce qui peut être étonnant, c’est que ça faisait huit ans que vous n’aviez pas sorti d’album et pourtant votre popularité n’a pas cessé de monter. Comment expliquer que non seulement vos fans ne vous ont pas oubliés depuis Objectif : Thunes mais surtout qu’ils sont toujours plus nombreux ?
Fetus : Parce que je pense qu’ils ont eu le temps de faire des gosses entre temps, du coup ça fait des générations de fans en plus… Non, je déconne, mais je ne sais pas, c’est difficile à dire.
Manard : Il faudrait leur demander à eux, en fait… C’est vrai que ça nous avait surpris en 2015. On avait fait une petite tournée d’appoint, une dizaine de dates. En fait, on avait tout bonnement pris la température, on se demandait si les gens se rappelaient de nous depuis 2008, et ça nous avait effectivement étonné que la plupart des dates étaient quasiment complètes. Et c’est vrai qu’on n’explique pas trop pourquoi sept ans après la sortie d’Objectif : Thunes il y avait toujours un engouement, les gens voulaient toujours venir en concert. Ça s’est surtout vu au Motocultor – on a fini la tournée avec ce concert – où c’était un peu la folie, c’était un peu n’importe quoi, on avait fait des dédicaces, il y avait la queue sur tout le festival… Mais je t’avoue que je ne l’explique pas.
Fetus : Je n’en sais rien mais si je devais l’expliquer… Ça risque encore de vite tourner à l’auto-pipe, attention [petits rires], mais comme on disait, l’album Objectif : Thunes a été conçu sur plusieurs années et quand on a fait cet album, on a fait une sorte de best-of de cinquante compositions, et je pense que mine de rien, le fait qu’on valide les vannes au bout de quatre ou cinq ans, on se dit : « Là c’est sûr, il y a une bonne durée de vie parce qu’on se marre toujours avec ce concept. » Et ça fait qu’il était durable, c’est-à-dire que les gens ne s’en sont pas lassés. Une durée de vie d’un album moyen, je ne sais pas ce que c’est mais… Et les vannes, en plus, c’est difficile parce que c’est ce dont on peut se lasser le plus vite. Un riff, à priori, tu ne peux pas trop t’en lasser, mais une vanne… Et je pense que là, il y avait une bonne durée de vie dans les vannes qu’on a mis dans Objectif : Thunes, ce qui fait que finalement il n’y a pas eu cet effet de « oh, il a mal vieilli votre truc ! » Même nous, on le trouvait toujours bon, on ne lui a jamais vraiment chié dessus, cet album, on ne s’est jamais dit : « Ah, il est temps qu’on en fasse un autre parce qu’il craint. » Ca peut expliquer, et il y a aussi toujours un bouche à oreille qui fait que nos clips sont toujours en train de circuler sur internet et ça se passe comme ça de soirée en soirée.
Manard : Peut-être une autre piste est que lorsqu’on a sorti Objectif : Thunes, qu’on a vu que ça commençait à bien marcher, on s’est dit qu’il allait y avoir des groupes qui allaient s’engouffrer dans le créneau, et qui vont aussi faire du metal avec des vannes pour surfer sur le truc. Mais en fait, on s’est rendu compte que non ! Il n’y avait pas d’autre groupe qui le faisait. En 2015, sept ans après Objectif : Thunes, on n’a pas vu d’autres groupes qui ont percé dans ce style-là. Et du coup, je pense qu’il y avait une attente de la part des gens, puisque le marché n’était pas du tout saturé à ce niveau-là.
Fetus : C’est ça, c’est comme si tu avais un créneau – on appelle ça metal parodique ou ce que tu veux, du metal avec un peu d’humour dedans -, et que ce créneau était complètement vide, qu’il n’y a qu’un seul groupe, quasiment, qui existe comme ça. Forcément, nous, au bout d’un moment, on se dit « putain, ça donne envie de s’y remettre » parce que personne d’autre le fait. J’ai aussi une autre idée à ce sujet-là, et qui pourrait s’apparenter à de l’auto-pipe également, c’est qu’en fait, c’est aussi que, comme on disait, peut-être que ce n’est pas si facile que ça, et peut-être qu’il y en a qui ont essayé ou ont eu envie de le faire et se sont dit « en fait, c’est chaud ! » Parce que vraiment, c’est chaud !
Manard : C’est vrai que ce n’est pas forcément facile de trouver le bon équilibre, etc. Après, je pense qu’il y a des groupes qui ont essayé mais qui ont eu moins de chance que nous. Nous, on a eu de la chance, on a eu des bons contacts, etc. et peut-être qu’il y a d’autres groupes qui sont dans le créneau mais qui n’ont pas réussi à percer, tout simplement.
Interview réalisée en face à face le 29 avril 2017, puis complété par Skype le 10 mai, par Nicolas Gricourt.
Retranscription : Nicolas Gricourt.
Site officiel d’Ultra Vomit : www.ultra-vomit.com.
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Les interviews de ces mecs sont toujours de très grands moments, merci !
C’était cool de découvrir l’histoire derrière certains morceaux, parce qu’à écouter l’album, on ne peut pas s’empêcher de se demander comment ils en sont arrivés à pondre des trucs aussi cons.
Et Evier metal est une grosse tuerie, tellement plus efficace que ce que font certains « vrais » groupes de heavy. Le seul problème, c’est qu’il reste ancré dans la tête et que tu peux pas le chantonner de peur de passer pour un demeuré…
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Très bonne interview, merci !
Super album, que j’ai préféré à Objectif Thunes, plus aboutie je dirais.
Dire que mon fils de 4 ans me saoule tout les jours pour mettre « Le train Fantômes », c’est excellent ! Plus tard je pourrais lui dire : Mon fils, ta 1ere chanson favorite c’était « LTF » d’Ultra Vomit ! La classe !
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« Manard : Ouais, voilà, ils sont venus nous voir en disant : « Ah excellent ! C’est un honneur d’être parodié par Ultra Vomit. » »
Putain, tu peux raccrocher les guitares le jour où tu as entendu ça…
Bon, j’aurais bien voulu une question sur la chanson médiévale. Du genre « MAIS PUTAIN POURQUOI ELLE EST PAS SUR L’ALBUM ???!!! »
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Mais à part ça très bonne interview, où entre deux conneries on apprend même des choses sur le groupe, ce qui est particulièrement rare 😀