Rien de plus compliqué que de décrire à quoi pourra ressembler « l’industrie musicale » dans dix ans. Dans vingt ans ? N’en parlons même pas. Voilà plus d’une décennie que le secteur musical (pour ne pas dire le secteur culturel dans son ensemble) se bat pour conjuguer avec la dématérialisation de la musique et, conséquence plus ou moins directe, le téléchargement illégal. Car il ne s’agît plus tant de lutter – à coups de procès coûteux – contre le phénomène que de trouver un moyen de reprendre du terrain dans le domaine de l’échange – si possible commercial pour les professionnels – de la musique.
Il n’appartient donc qu’aux personnes qui font les lois et les font respecter de juger si les causes de l’évolution de cette industrie doivent être traitées plus sévèrement ou non ; le reste est au mieux philosophie, sinon pure opinion personnelle que chaque citoyen est libre de formuler ou de garder pour lui. Mais même les lois restent relatives : dans vingt ans, quand une nouvelle génération de légistes et de politiques prendra le relais sur les bancs des assemblées, une génération qui a grandi avec ces changements, ces nouveaux modes d’échange, ne va-t-elle pas considérer obsolètes ces législations votées aujourd’hui pour consolider un système fondé dans le passé, pour en voter de nouvelles plus adaptées ?
Donc, pour le moment, comment faire avec ? Du côté des labels et des maisons de disques, ils sont de plus en plus nombreux à préférer offrir eux-mêmes, gratuitement, quelques singles de leurs artistes aux fans plutôt qu’ils aillent se servir ailleurs en mp3. Mais est-ce vraiment révolutionnaire ? Les échantillons gratuits, ce n’est pas récent comme invention, c’est une forme de promotion comme une autre. Mais c’est aussi pour cela que les artistes continuent à faire confiance aux labels, malgré toutes les accusations d’archaïsme contre ce système. Le travail de promotion, le soutien financier pour ne pas avoir à sortir tout de sa poche (au risque de ne pas voir l’argent revenir) pour les enregistrements, les pressages, la distribution, ne pas avoir à prendre sur son temps de création pour chercher des concerts, pour être mis en lien avec les médias, d’autres professionnels comme des producteurs, des ingé-son… Pour toutes ces raisons, les artistes espèrent toujours décrocher un contrat avec un label ou une maison de disques, comme le démontrent par exemple de récentes études en Angleterre et en Allemagne, où l’on voit qu’entre 70 et 75 % des groupes encore non-signés visent la signature. Les labels n’ont peut-être pas encore trouvé comment parvenir à un prochain âge d’or et de faire rouler sur le métal jaune leurs protégés dans l’ère numérique mais mieux vaut ça que de tenter le diable.
Car, aujourd’hui, dans le monde de la musique, ceux qui cherchent véritablement de nouveaux moyens de protéger les droits d’auteur des artistes et la sécurité financière de ces hommes espérant vivre dignement de leur activité sont des avant-gardistes, au sens stratégique du terme : ils partent les premiers sur le champ de bataille, au risque de ne pas en revenir, pour pouvoir ou non nous ramener le témoignage de ce qu’ils y ont trouvé. Et bien souvent, ce sont les artistes eux-mêmes qui osent l’expérience. Et tant pis s’ils doivent hériter de tout le travail de promotion, booking, relations presse, etc. Tant pis s’ils doivent financer eux-mêmes leurs projets. Pour récolter les fruits de son travail, ne laissons rien à d’autres, le travail comme les fruits. Pour cela, ils sont de plus en plus nombreux à créer leur propre structure, leur propre label pour conquérir leur indépendance.
Mais combien coupent vraiment les ponts avec tout ça ? Combien de ces labels fondés par des artistes ne sont plus rattachés à la moindre maison de disques, au moindre distributeur tiers voire à certains des moyens de distribution actuels majeurs ? Vous n’avez pas de réponse à cette question ? En voilà une dont vous pourrez vous resservir à l’occasion : Ulver.
L’ancien groupe de black metal norvégien devenu formation expérimentale de renom avait déjà son propre label, Jester Records, mais avait pu compter sur KScope pour sortir ses derniers albums. « Des mecs corrects » tout de même, comme ils le disent dans un message publié sur leur site et intitulé « L’art de mourir ». Mais là, il faut choisir. « L’art de mourir », c’est rester sur la voie qui mène à la misère du groupe, qui signe un accord pour être sacrifié dans ce « cirque » plutôt que pour vivre dignement, en acceptant de conclure un contrat avec un système qui se sert le premier et lui laissera les miettes. Alors, Ulver ne comptera plus que sur lui-même désormais.
Mais il va plus loin : iTunes, Spotify et consorts ne se feront pas d’argent sur leur œuvre en ne leur refourguant qu’un maigre pourcentage. Dans son discours, Ulver nous les fait voir plus dangereux que ceux qui téléchargent ou partagent illégalement de la musique. Si vous voulez maintenant acheter notre musique, nous disent-ils, très bien, nous vous la vendons mais nous-mêmes, sans autre intermédiaire. Le groupe en appelle à la conscience de chacun et pas uniquement dans son intérêt, mais dans celui de tous les artistes : « Nous encourageons à l’avenir tous les fans de musique consciencieux à acheter directement leur musique auprès des artistes dès que cela leur est possible. Cela aidera bien plus que vous ne pouvez l’imaginer. »
Et ce n’est pas le caprice d’un groupe qui a les moyens de s’offrir une attitude rebelle, c’est le manifeste d’artistes qui, malgré la qualité et le succès de ce qu’ils entreprennent, restent dans le rouge et n’avancent pas aussi bien qu’il le voudrait.
Ci-dessous la traduction de leur communiqué :
« Voici, le salaire des ouvriers qui ont moissonné vos champs, et dont vous les avez frustrés, crie, et les cris des moissonneurs sont parvenus jusqu’aux oreilles du Seigneur des armées. (Jacques 5:4) »
« Les loups se retirent une nouvelle fois pour évoluer. L’industrie du disque va mal et la panique qui touche le business a été la cause de graves dépressions pour des musiciens du monde entier. Nous avons du nouveau à vous proposer à la fois en musique et en médium. Mais avant toute chose :
La politique :
Presque tout a été dit, sur des sujets comme le financement par le public, les partages de fichiers, la mort du format physique de la musique tel que nous le connaissons aujourd’hui. Les réponses sont ambiguës, mais une chose est certaine : les musiciens sont invités aujourd’hui à réfléchir plus sérieusement à la directe implication financière de leurs activités.
Cette industrie si pesante, avec leurs PDGs et managers et sections vente et marketing, est évidemment très coûteuse. Une fois que leurs dépenses ont été couvertes, il ne reste presque plus rien, et les artistes sont laissés pour compte. C’est une injustice flagrante surtout quand, à l’heure actuelle, leur manière de procéder s’est transformée en un véritable anachronisme.
Nous ne pouvons plus supporter le poids de ce cirque, alors une fois de plus nous avons (la première fois remonte à l’époque où nous avions monté notre propre label, Jester) décidé de prendre les choses en mains de façon encore plus autonome qu’avant. Nous avons été assez prudents pour nous assurer d’être les propriétaires de notre musique – depuis Nattens Madrigal – qui n’est en aucun cas un acquis dans ce business véreux, et qui en lui-même nous a plus pénalisé lorsqu’il fut question à l’époque des avances, pourcentages et des relations publiques.
Ces cinq dernières années, cette maladie insidieuse qu’est le business de la musique se montre sous son vrai jour. Si aujourd’hui vous voulez que votre album soit fabriqué, distribué et qu’on en fasse éventuellement la promotion il va presque de soi que le label/ le sous-traitant/ le distributeur doivent recevoir des indemnités exceptionnelles.
Mais ce qui est encore plus triste : une situation similaire (disproportionnée) supprime vos ventes numériques et on s’attend à un revenu fluctuant. C’est comme après avoir croqué dans la Pomme.
C’est un pêché. Ils ne font aucun véritable travail pour gagner cet argent. Certains « costard- cravates » ont commencé à exiger une diminution des gains de leurs groupes ou artistes leur offrant en échange l’hypothèse de les signer. Nos pensées se dirigent sincèrement vers la jeune génération d’artistes, car nous avons littéralement vus les émergents signer des contrats d’esclavages.
C’est vraiment tragique. Étouffé dans l’œuf.
Si seulement les Richard Branson appliquaient d’abord leurs actions humanitaires à leur propres artistes…ce n’est qu’une idée. Ce n’est pas la promesse d’une bonne promotion qui permet de gagner son pain.
Et tandis que nous nous attaquons au système : iTunes, Spotify et les autres, allez vous faire foutre, c’est toujours la même histoire qui se répète : des monstres énormes s’enrichissent et deviennent de plus en plus puissant, tandis que cela prend des années et beaucoup de travail sur le terrain pour quelque chose, ou plutôt pour revenir à ceux qui ont fait la musique, c’est-à-dire initialement leur produit.
En ce qui concerne les ventes, ULVER a toujours opté pour les moins diaboliques, et nous avons bossé avec des mecs corrects, notamment VME et Kscope. Mais vu le contexte, il faut admettre qu’au fil du temps nous avons fait gagner beaucoup d’argent à pas mal de personnes et/ ou d’entreprises extérieures.
Regardons l’envers du décors :
Nous avons joué devant une salle complète à l’Opéra National de Norvège et comme il s’agissait d’une grosse organisation, les places étaient chères. Le personnel de l’opéra a ramassé un joli paquet, nos managers à l’époque avaient récolté une montagne d’oseille et le DVD/Blu-ray qui s’ensuivit avait très bien marché.
ULVER ? Toujours la même chanson. Dans le rouge.
Cette nuit-là notre excédent a servi à payer l’équipe de tournage puisque les subventions qui nous avaient été allouées n’avaient pas suffit à couvrir tous les frais. En outre, le management avait aussi la main mise sur un gros pourcentage de la recette. Oh, l’ironie. Pour couronner le tout, et après que nous ayons enfin terminé, du moins c’est ce que l’on pensait, on s’est vu écrasé par une taxe s’élevant plus de 6000 euros pour la réalisation et le mastering du DVD, ce qui semble avoir mis les royalties en cale-sèche permanente.
Maintenant, étant ceux qui sont véritablement montés sur scène, qui avaient répété et préparé le concert, avec tout ce que cela implique : des mois passés à préparer ledit DVD, à l’éditer, le mixer, à composer les notes d’informations etc. nous trouvons qu’il est pertinent de s’interroger sur nos revenus négatifs typiquement symboliques. Nous sommes très fiers du concert et de la production qui en a découlé. Mais à notre grande déception, il semblerait que la fierté non plus ne permette pas de gagner son pain. Ni la patience – bien que cela soit une vertu.
Nous privilégions le cœur à l’or, sincèrement, mais nous avons consacré toutes nos vies d’adultes – vingt ans maintenant – à ce groupe. Nous vieillissons et devenons plus responsables et nous avons aussi besoin de savoir si l’on peut payer quelques factures et nourrir nos enfants à la fin de la journée. Personne n’a autant ou plus travaillé pour ULVER que…. ULVER.
La triste réalité c’est que nous sommes une proie pour trop de de gens – dans un environnement hostile – nous n’avons pas d’autres choix que de nous élever.
Nous ne pleurnichons pas contre les « spécimens » qui diffusent la musique sur des plate-formes illégales, qui téléchargent sur les torrents, etc. De tels projets servent un objectif similaire à ceux des labels et des distributeurs – de la part desquels nous ne voyons dans tous les cas qu’un minuscule rendement. Oublions ça.
Mais cela est naturellement un problème lorsque même les fans authentiques ne prennent plus la peine de payer pour le travail de leurs artistes préférés.
Nous encourageons à l’avenir tous les fans de musique consciencieux à acheter directement leur musique auprès des artistes dès que cela leur est possible. Cela aidera bien plus que vous ne pouvez l’imaginer.
Certains affirmeront peut-être que nous ne sommes pas assez importants ,et que donc nous n’avons aucun droit sur la vie… et tandis que nous ne sommes clairement ni Radiohead ni Bjork, cela serait marginal. Permettez-nous de nous vanter un instant : ULVER vend des quantités respectables et est en musique numérique, selon les statistiques actuelles de Last.fm, en Norvège, nous sommes les quatrièmes exportateurs de musique, seulement supplantés par A-ha, Dimmu Borgir et Röyksopp.
Si nous avions un centime par écoute en streaming. Nous avons le droit de rêver.
Le fait est que nous savons qu’il existe des ressources – que les choses peuvent être modifiées – pourvu que nous puissions mettre en place un modus operandi où nous, les artisans, toucherions une plus grande part sur la recette totale. Nous investissons beaucoup dans nos productions, en studio mais aussi en concert, afin de faire en sorte que chaque nouvelle étape soit meilleure, plus importante, plus intéressante. Creusant sans relâche notre propre tombe.
Mais il doit forcément y avoir un moyen de garantir à la fois une bonne qualité de vie et des arts en même temps ?
Ce qui nous pousse à passer à la vitesse supérieure : nous pouvons maintenant, grâce aux nouvelles technologies, vous vendre directement notre musique.
Celle ci sera produite par nous, ici – à travers l’éther – l’année prochaine, et disponible au téléchargement seulement via notre nouvelle application et les réseaux en ligne du même type.
C’est vrai, chers amis d’ULVER : étant donné que beaucoup de personnes de nos jours possèdent des smartphones nous avons, avec l’aide généreuse de Effektor aka Rune Michaelsen, développé une application pour iPhone/iPad et Android et nous la proposons au prix de $ 1.99, une somme que nous espérons à votre portée. Il s’agît, dans un premier temps, de couvrir les coûts de développement et d’hébergement, mais c’est également d’une sorte de test. Si vous la téléchargez, cela renforcera notre foi et nous apportera un léger revenu pour nous permettre de nous développer encore davantage.
Plus d’infos sur Messe I.X–VI.X – formats et pré-ventes etc. – suivront rapidement. En parallèle jetez un œil aux quelques extraits du concert de Tromsø, constituant la base de l’album :
Live At Roadburn est aussi sur le point de sortir. Roadburn Records va sortir une version vinyle limitée à mille exemplaires l’année prochaine, tandis que nous le sortirons sous format digital dans notre nouvelle boutique en ligne reliée directement à notre application et nos pages internet. Il est actuellement (bien évidemment) encore interdit de vendre directement de la musique à travers l’application, mais les lois sont en train de se modifier alors il faut espérer que les artistes pourront prochainement vendre directement sans se faire voler par iTunes, Amazon, et autre Digimons.
Certains de nos albums seront – en fonction de la bonne ou mauvaise volonté – toujours rattrapés par des clauses d’exclusivité et des contrats, mais nous espérons pouvoir rendre la majorité de l’historique de notre musique disponible d’ici un an, tout comme les futurs essais et matériaux exclusifs.
Nous vous encourageons tous, une fois encore, à acheter notre musique, disponible sous format numérique directement sur notre webstore et non pas via iTunes etc. La qualité est meilleure, nous touchons directement l’argent et les prix sont accessibles : 5 euros par album, 3 euros par EP. Nous avons également rassemblé quelques raretés disponibles en téléchargement au prix de 2 euros sur notre boutique jusqu’à Noël :
– « Another brick in the wall (part 1) », cover from Mojo presents: The Wall Re-Built! (Mojo magazine cover CD 2009).
– « Be drunk », from Die Künstlichen Paradiese – Charles Baudelaire (Hörbuch Hamburg/Radio Bremen 2011).
– « In the kingdom of the blind the one-eyed are kings », cover from The lotus eaters – tribute to Dead Can Dance (Black Lotus Records 2004).
– « Strange ways », cover from Gods of thunder – a Norwegian tribute to Kiss (Voices Music Publishing 2005).
– « The night before », discarded Lee Hazlewood cover (rough 2002).
– « Thieves in the temple », cover from Shockadelica – 50th anniversary tribute to the artist known as Prince (C+C Records 2008).
– « Uno », « Avhør », « Brødre », « Brødre rev. », « Flukt », « Gravferd » and « David til ulvene », from Uno – original motion picture soundtrack (Bonnier Amigo Music Group 2004).
Ces chansons sont disponibles gratuitement avec l’application, tout comme les vidéos et les images etc. Tout rassemblé au même endroit. Nous espérons et pensons que l’application sera un support approprié, rendant les choses plus pratiques autant pour nous que pour vous à partir de maintenant. Il nous sera ainsi possible de communiquer et de partager nos créations de manière plus efficace et directement avec vous. Dieu nous en garde, vivant dans les poches des uns et des autres.
Imaginez que l’on puisse vous envoyer une notification dès qu’une chanson est terminée.
Au fil des années, vous avez été tellement nombreux à nous écrire – si nombreux que nous n’avons pas été en capacité de tous vous répondre- nous disant, de toutes les manières possibles, à quel point notre travail avait compté. Nous vous remercions tous du fond du cœur et nous espérons que vous resterez dans les parages et que vous nous suivrez dans l’ère du code des réponses rapides.
Nous continuerons évidemment à réaliser des éditions limitées de vinyles et divers beaux produits pour ceux d’entre vous qui apprécient l’expérience tactile, et qui pourront directement être commandés et expédiés depuis notre site, ou auprès de nos proches et/ou partenaires d’intérêts équitables.
Afin d’éviter toute confusion : nous pourrions bien sortir des éditions CD génériques avec un tiers, dans le but de répondre à nos objectifs. Cependant cela se fera rétrospectivement, après avoir d’abord partagé la musique d’une manière et sous un format répondant à nos besoins.
Pour que les choses soient bien claires : nous aurions certainement grandement amélioré notre production s’il n’y avait pas eu ces foutus problèmes d’argent permanents. C’est aussi la raison pour laquelle nous avons, bien qu’à contrecœur, mis en place sur notre site un compte pour recevoir des donations. Si vous pensez qu’ULVER est estimable. Les noms des bienfaiteurs seront publiés avec tout le respect qui leur sera dû, sauf avis contraire de leur part.
Cependant nous ne rendrons pas hommages aux vautours. Ils appartiennent à notre passé.
ULVER, îles Caïmans, Le 5 décembre 2012. »
Traduction : Isa
bon,ils continueront a vendre des skeuds,ça me rassure, parce qu’ils sortent toujours de beaux objets,notamment le dernier,childhood’s end,qui est vraiment sympa
Chapeau bas. Fallait oser, même si ils sont visiblement au pied du mur.
En gros, ils viennent d’inventer le Max Havelaar de la musique. 😉
Et d’insinuer par la même occasion que le CD est un objet obsolète, point de vue que je ne partage pas.