Certains disques possèdent des caractéristiques de mise en abyme, un potentiel pour plonger l’auditeur dans un monde particulier ; l’écoute du quatrième album des Britanniques d’Uncle Acid And The Deadbeats a dans ce sens définitivement quelque chose d’inquiétant ; à écouter la voix geignarde et sombre de Kevin Starrs, on s’imagine au coin du feu, dans une vieille maison de Cambridge à écouter des récits de sorcières et autres démons, avec un fond de whisky et une couverture écossaise. Voilà la grande réussite de The Night Creeper, un album qui ne peut laisser indifférent tant il immerge celui qui se laisse emporter dans une époque révolue ou un contexte des plus effrayants.
Depuis Volume 1 en 2010 et Blood Lust en 2011, réédité en tant que premier album du groupe chez Rise Above Records, Uncle Acid And The Deadbeats a marqué de son empreinte le doom britannique par sa façon de recréer une ambiance lo-fi, un son marqué entre les 60’s et 70’s, obtenu par des instruments, amplis et effets Vintage. Cultes sataniques, Charles Manson, films d’horreur classiques de Giallo, le groupe veut donner un grain rétro à son univers par ses multiples références à une époque bien distincte, et atteint une forme de paroxysme dans cette démarche avec The Night Creeper. Celui-ci se révèle être un concept album où l’auditeur est plongé dans une enquête, devant lui-même débusquer un tueur en série, trouver qui est le « Night Creeper »… Plus sombre, profond et alambiqué que le précédent Mind Control, il n’est pas nécessaire, comme c’est très souvent fait, d’ajouter l’étiquette « psychédélique » au monde musical déployé par le groupe, sauf si on imagine les hippies se promenant avec un couteau ensanglanté dans les rues du vieux Londres à la nuit tombée… S’il y a une référence musicale passéiste à trouver décrivant l’ambiance générale, elle est bien entendu à aller chercher du côté de Black Sabbath, voire chez les tous premiers travaux d’Alice Cooper ou même les plus sombres des Beatles, pour la verve 60’s.
Pour la musique en elle-même, on ira plutôt lorgner chez les chantres du New Wave Of British Heavy Metal : quelques riffs rappelant Venom, des rythmes à la Pagan Altar et des compos proches de Witchfinder General… Des références plus 80’s, finalement, avec un son des années 60, voilà en quelque sorte le concept développé par tonton Acid et ses acolytes, dans un ensemble moins accrocheur et accessible que Mind Control, qu’on rattachait plus aisément à la façon dont beaucoup de groupes envisagent le stoner/doom en 2015. Night Creeper, comme tout concept album, prend plus de risques mais aussi de libertés, et propose un panel assez large de compositions différentes. Quand le catchy « Waiting For Blood », d’une facture stoner classique, insuffle une certaine énergie d’entrée, les Britanniques feront tout de suite redescendre l’ambiance et le tempo avec le traînant « Murder Nights », puis nous feront tanguer jusqu’à l’écœurement dans les bas-fonds londoniens avec un langoureux et ternaire « Downtown », avant d’asséner un sludgy « Further Man » qui ne serait pas sans rappeler Kylesa, ou faire planer l’incertitude avec l’éponyme « Night Creeper » et son mantra guitaristique entêtant dans la plus pure tradition Doom… Comme dans tout bon film noir, la tension redescend à un certain moment de l’intrigue : c’est « Yellow Moon » et son inquiétante douceur qui s’y colle, un morceau instrumental jouant à merveille le rôle d’entracte dans cette chasse au tueur en série.
The Night Creeper a les défauts de ses qualités. S’il renvoie directement aux années 60 grâce au son, obtenu à l’aide de matériel spécifique de cette époque, il manque d’une certaine dynamique pour un album sorti en 2015. Si celle-ci n’est pas apportée par le son ou le mix, elle doit venir des compositions ; et malheureusement, la linéarité de l’enchaînement de celles-ci, malgré quelques passages émoustillants telle l’introduction de « Melody Lane » et d’autres riffs plutôt bien sentis, rend l’expérience d’écoute un tantinet monotone sur l’ensemble de l’album, si on ne suit pas le concept album avec les paroles des titres, ce que seul un public anglophone averti est en mesure de faire. Il y aussi cette voix, si particulière, de Kevin Starrs, qui bien entendu ramène loin en arrière, mais à laquelle on pourrait trouver un certain manque d’intérêt par la répétition des artefacts mélodiques utilisés. Quoi qu’il en soit, la démarche reste plutôt originale, et The Night Creeper s’écoute avec plaisir dans son intégralité, et atteint son but, faisant marcher l’imagination à plein régime, quand on prend le temps de s’éterniser dans cette ambiance brumeuse aux relents d’enquête macabre.
Ecouter « Waiting For Blood » et voir le clip de « Melody Lane » :
Album The Night Creeper, sorti le 4 septembre 2015 via Rise Above Records.