Uneven Structure, groupe inclassable, mi-progressif, mi-technique, et cent pour cent autonome, est de retour, quatre ans après Februus, avec ce qu’on pourrait appeler la suite de l’histoire : La Partition. On a envie de dire « enfin », puisqu’il a fallu quatre années au combo avant d’accoucher de cette oeuvre complète, à la fois efficace et complexe, aux atmosphères riche et pleine d’expérimentations sonores.
Ces quatre années, dont deux de no man’s land inspirationnel, comme nous l’explique Igor Omodei dans l’entretien qui suit, ont aussi permis au groupe de trouver sa ligne de conduite, et d’intégrer deux nouveaux membres à son line-up, dont Arnaud Verrier, anciennement batteur de Zuul FX notamment, qui rejoint la bande des six derrière les fûts.
Rencontre avec le tiers de l’équipage auteur de cette partition, qui pose un regard le plus objectif possible sur le résultat de ces quatre années de labeur.
« Nous avons fait tomber les barrières les unes après les autres, disant que nous n’avions plus besoin de ces limitations et que nous avions vraiment un champ des possibles complètement énorme. »
Radio Metal : La conception de La Partition a pris quatre années, ce qui peut paraître long. Qu’est-ce qui, pour cet album, a nécessité tant de temps et d’attention ?
Arnaud Verrier (batterie) : D’une part, nous avons tout fait nous-mêmes, de la composition à l’enregistrement, le mixage, le mastering, ce qui fait que nous ne nous sommes pas vraiment sentis pressés par le temps, dans la mesure où nous n’avions pas de deadline vis-à-vis d’un producteur ou d’un quelconque contrat, label, etc. Le pro de ce système, c’est que nous avons un contrôle absolu sur l’intégralité du processus créatif ; le downside, c’est forcément savoir à quel moment nous devons dire stop, et ça implique de faire un pas en avant, un pas en arrière de temps en temps. Ça a permis d’arriver à un produit fini qui nous satisfait et qui nous correspond d’un bout à l’autre.
Igor Omodei (guitare) : Il y a d’autres éléments qui sont entrés en jeu. J’ai eu beaucoup de mal à me remettre à la composition après l’album précédent, vu que j’avais vraiment l’impression que nous avions fait le tour de ce que nous avions à dire, musicalement, et il a en fait fallu que nous développions notre son pour retrouver des choses intéressantes à dire, que nous ouvrions un peu notre langage musical pour pouvoir nous ouvrir, et que ça redevienne excitant de faire de la musique. Ça a donc pris deux ans, mais deux ans de vide, car nous n’avons que fait des trucs que nous n’avons pas gardés, puis à partir du moment où ça s’est remis en place, ça a encore pris deux ans. Au final, c’est une durée de composition d’album plus ou moins classique, un peu longue, mais avec deux ans de vide.
Le risque est de peaufiner à outrance et perdre la spontanéité, et même s’y perdre soi-même. Comment avez-vous évité cela ?
Arnaud : Est-ce que nous l’avons évité ?
Igor : Nous ne l’avons pas évité !
Arnaud : Nous ne l’avons pas évité du tout. Je pense que le petit coup de presse, c’est que nous avons commencé à travailler avec une manageuse allemande qui est très compétente, qui a bien vu là où nous voulions en venir et qui a pris les devants concernant notre transition vers notre nouveau label, qui a bien compris nos besoins, qui a mené le projet à réalisation, ce qui fait qu’au final, nous avons forcément dû nous mettre un petit coup de presse et prendre un peu de recul pour nous rendre compte que ce n’était pas nécessaire d’aller plus loin, car en effet, quand tu es dans cette démarche-là, ça peut durer des années. C’est un processus de création qui est infini, il n’y a ni vrai début, ni vraie fin. Tu peux toujours pousser le travail plus loin, mais il y a un moment où il faut réussir à être honnête avec soi-même et prendre un peu de recul pour se dire que c’est peut-être ce qu’on pourra faire de mieux, et que ce n’est pas nécessaire de pousser la chose plus loin, au risque de la gâcher, d’une part. Et d’autre part, cette transition avec notre manageuse nous a forcément amenés à nous dire qu’il était temps, parce qu’il y a une sorte de période dans laquelle il faut quand même prendre des décisions.
Igor : Nous sommes arrivés sur une image de l’album, et nous nous sommes dit que nous n’avions plus qu’à synthétiser cela et faire ça au propre.
En quatre ans les choses et les gens ont largement le temps de changer. Du coup, sur cette durée, comment est-ce que votre vision de l’album et de votre musique a évolué ?
Pour ma part, ça a été beaucoup plus d’ouverture à d’autres styles et beaucoup plus de libertés. Je me limitais beaucoup sur les précédents albums pour rester dans une sorte de cadre assez réduit pour ne pas trop déborder, pour que tout soit très cohérent au niveau du style. Et avec le temps, je me suis rendu compte que ce n’était peut-être pas nécessaire d’être aussi bloqué sur les styles, sur les idées, sur la complexité de l’album, et que nous pouvions nous ouvrir au niveau des styles, des idées, et être plus « éclectique » par rapport à ce que nous allions apporter.
Arnaud : Plus honnêtes avec nous-mêmes… Nous avons fait tomber les barrières les unes après les autres, disant que nous n’avions plus besoin de ces limitations et que nous avions vraiment un champ des possibles complètement énorme et que nous voulions l’exploiter à notre mesure, de façon à nous permettre de faire quelque chose de vraiment en phase avec ce que nous voulions, avec ce que nous entendions, avec ce que nous recherchions. Ça fait que nous sommes arrivés à un résultat qui est carrément en phase avec ce que nous voulions.
Igor : Nous avons joué un peu perso sur l’album. Nous n’avons pas trop réfléchi à ce que les gens attendaient, et puis nous voulions surtout nous éclater et nous reconnaître dedans.
Arnaud : Je pense que c’est la meilleure démarche. Tu ne peux pas créer de meilleur matériel autrement qu’en étant déjà parfaitement honnête avec toi-même. Tu peux difficilement plaire aux gens avant de te plaire déjà à toi-même et être satisfait de ce que tu fais.
Tu parlais d’être honnête avec soi-même, est-ce qu’il n’y avait pas parfois un déphasage entre les passages composés il y a quatre ans et ceux composés à la fin du processus ?
Igor : Oui, il y a eu un peu de ça, mais ça s’est remis en place au fur et à mesure. En gros, au niveau du process de compo, vu que c’est plus ou moins un seul gros morceau, ça nous est arrivé de devoir retoucher la fin de l’album et du coup, d’avoir envie de retoucher le début, parce qu’il y avait un déséquilibre au niveau de la qualité de la compo ou de la direction qui était prise. Ça a été un travail de retoucher un peu par-ci, un peu par-là, et au bout d’un moment, il y a tout qui s’équilibre, qui s’harmonise, et c’est à ce moment-là qu’on peut se dire que c’est terminé.
« C’était un soir, au studio, avec Matthieu, où nous cherchions le concept pour l’album, et nous avons fumé et c’est sorti comme ça ! [Rires] «
Avec cet album, il y a eu un effort d’aborder la composition et l’enregistrement de façon différente par rapport à Februus. Qu’est-ce que cela a impliqué concrètement ? Pourquoi cette démarche ?
Ça n’a pas été un choix conscient. Au final, ça ressemble à ce que nous avons fait pour l’album précédent, sauf que ça a donné un résultat complètement différent, c’était juste chaotique… Nous enregistrions en même temps que nous composions, les deux progressaient l’un avec l’autre, mais du coup, nous n’avions pas vraiment de direction, c’était un peu aléatoire. Et de ce gros bordel, il y a eu des moments où des petits trucs se mettaient en place. Ça nous a donné des points d’ancrage, et à partir de là, nous avons pu affiner la composition, affiner le son, et commencer à savoir vers où nous allions.
Arnaud : C’est ça. C’est un truc qui, humainement, était hyper demandeur, mais j’imagine que c’était le prix à payer pour que nous ayons, au final, un produit qui colle parfaitement à notre vision.
Igor : C’est ça. Ça a forcé chacun d’entre nous à nous investir dans la composition. Ça demande du temps.
Arnaud : Même s’il y avait un truc sur lequel nous étions déjà passés dix fois, nous n’hésitions pas à dire si ça ne nous allait pas, ou quoi que ce soit. Nous n’étions pas restreints par le temps, par les moyens, dans la mesure où nous faisions tout nous-mêmes. Nous avions zéro vraie limitation, au final. Ça a été un process dans lequel nous avons beaucoup appris, beaucoup souffert j’imagine, par moments [petits rires], mais c’était vraiment le prix à payer pour que nous ayons vraiment quelque chose qui colle parfaitement avec ce que nous voulions, et le résultat est là.
En 2015, donc en quelque sorte au début du processus de compo, vous aviez déclaré que vous souhaitiez aller vers des sonorités plus organiques et vers un contenu plus « digéré », plus « cohérent ». Cette démarche était-elle en réaction à votre album précédent que vous trouviez trop confus et pas assez organique ?
Igor : C’était une réaction par rapport à la façon dont nous abordions les morceaux de cet album sur scène. Nous nous sommes rendus compte que, déjà, au niveau de l’énergie, nous avions développé un feeling, un toucher, un caractère, chacun avec son instrument, que nous n’avions pas avant cet album, car nous ne jouions pas sur scène avant. Au fur et à mesure, nous nous sommes rendu compte que les compos étaient plus claires sur scène que sur album. Elles avaient une énergie un peu différente, qui était peut-être plus en phase avec ce que nous voulions faire comme musique. Du coup, inversement, pour cet album, nous avons carrément décidé de partir de ce feeling-là, de ce processus-là, et de vraiment laisser chaque musicien s’exprimer, exprimer ses caractéristiques, son son, sa façon de jouer, et en faire quelque chose. Du coup, le son devient beaucoup plus organique, les idées sont beaucoup plus claires, ça tape plus.
Même si les structures alambiquées et la technique sont présentes, elles ne sont pas omniprésentes et sont même plutôt en retrait par rapport aux ambiances. Est-ce que c’était aussi vers cela que vous souhaitiez aller quand vous parliez de « plus digéré et plus cohérent » ?
Arnaud : Je ne sais même pas si « digéré » et « cohérent » sont des termes que l’on peut utiliser, dans la mesure où justement, ce qui est ressorti de cet album, c’est que c’est malgré tout un travail qui a été fait en avant, en arrière, dans tous les sens, c’est quand même une musique qui reste carrément plus brute et que nous adorons aujourd’hui sans filtre. Dans la mesure où c’est quand même un matériau à la fois brut et travaillé mais dans les émotions, dans le contraste, il n’y a pas vraiment de seuil, de cadrage. C’est vraiment un truc qui, au final, est brut, pas tant digéré, d’organique, de véritable…
Est-ce que vous pouvez nous parler des diverses expérimentations que vous avez faites sur cet album ? Je sais par exemple que des voix ont été traitées via un Kaoss Pad, par exemple…
Igor : Il y a eu pas mal de Kaoss Pad pour les voix, – souvent des voix en retrait, pas les voix principales – c’est con mais nous avons beaucoup bossé les larsens. Sur le dernier tiers de l’album, nous étions vachement curieux par rapport à ça, donc nous avons bossé là-dessus. Nous avons eu beaucoup de travail de percussions, avec différentes textures. Nous nous sommes retrouvé avec des chaises en guise de percus, genre des dos de chaises, des éléments qui traînaient, des fûts de bière, des bouteilles de pastis…
Arnaud : …c’est la signature du groupe !
Igor : Et à côté de ça, il y avait aussi des percus plus traditionnelles, des darboukas, …
Arnaud : Nous nous sommes aussi retrouvé à enregistrer des tout petits bouts de transition via le micro d’un appareil photo…
Igor : C’est vrai, il y avait de ça ! [Rires] Nous avons eu pas mal de petites expérimentations comme ça qui se sont passées un peu sur le moment, sur l’énergie du moment, dans le studio. En général, c’était quand nous enregistrions Matt [Matthieu Romarin] pour le chant, car c’est là où nous pouvons le plus nous amuser. Il y a un bordel monstre là-bas, il y a tout qui sonne, je ne dirais pas « bien », mais il y a toujours moyen de faire un truc.
« Cette histoire de sirènes et de partition, c’est l’asservissement, l’espèce de situation où peu à peu, on passe de maître à esclave, avec tout un processus où l’on s’inflige cela à soi-même et où l’on passe d’acteur à observateur extérieur sur notre propre déclin, sur notre condition. »
L’album est un concept album sobrement intitulé La Partition, racontant l’histoire d’un protagoniste qui est chargé par des sortes de sirènes, qui ont perdu leur voix, de retrouver une partition. Quelle est l’idée derrière ce concept ? D’où cela vous est-il venu ?
C’était un soir, au studio, avec Matthieu, où nous cherchions le concept pour l’album, et nous avons fumé et c’est sorti comme ça ! [Rires] Non, enfin, grossièrement, ça a été ça, cette idée de sirène qui perd sa voix et de marin qui rapporte la partition, nous trouvions l’image assez intéressante, et nous avons commencé à développer à partir de ça, ça a été notre point de départ pour tout l’album. En fait, nous avions le nom de l’album avant de savoir de quoi il allait parler.
Est-ce qu’il faut y voir un message relatif à la musique en tant qu’art ?
Indirectement, oui. Nous n’y avons jamais vraiment pensé, en fait. C’est plus une grosse coïncidence, je pense.
Arnaud : Au final, c’est une somme de messages et d’expériences métaphorisées. Cette histoire de sirènes et de partition, c’est l’asservissement, l’espèce de situation où peu à peu, on passe de maître à esclave, avec tout un processus où l’on s’inflige cela à soi-même et où l’on passe d’acteur à observateur extérieur sur notre propre déclin, sur notre condition. C’est la métaphore d’une somme d’expériences et d’observations… Putain, je vais avoir l’air d’un intello, t’as pas un foulard ou quoi ? Je vais même croiser mes jambes pour l’occasion ! [Rires]
Cette histoire est basée dans le même univers que votre premier album Februus. Est-ce que vous pouvez nous parler de ce lien ?
Igor : En fait, les sirènes perdent leur voix à cause d’un événement qui se passe dans Februus, sur le morceau « Awe ». Le personnage principal se rend compte qu’il est très puissant, mais il n’a pas encore la maturité pour se servir de sa puissance pour quelque chose de bien, et dans une envie de vengeance un peu aveugle par rapport à ce qu’il lui est arrivé avant dans l’album, il se met à détruire un peu tout l’écosystème autour de lui, et en l’occurrence, les sirènes en prennent plein la gueule à cause de ça. Du coup, La Partition part de cet événement-là, et on retrouve le protagoniste de Februus sur le morceau « Incube », qui est le rapport direct du morceau « Quittance », sur Februus. Les deux morceaux sont liés, on voit le point de vue du protagoniste de Februus d’un côté, et du protagoniste de La Partition de l’autre.
L’album est décomposé en trois parties de trois chansons séparées par deux interludes. Quelle est l’idée derrière cette structuration de l’album ?
Le premier tiers est une mise en place de cette sorte d’addiction qu’il a à vouloir rapporter la partition, il y a une prise de conscience de quelque chose qui ne va pas par rapport à ça. Le deuxième tiers est une présentation des personnages principaux de cet album. Le dernier tiers, est la descente vers les sirènes, qui n’est plus du tout imagée.
C’est important pour vous qu’un album soit une œuvre artistique complète qui se tient par un fil conducteur, par opposition à une simple collection de chansons individuelles ?
Ça ne m’empêche pas d’adorer des albums classiques. C’est juste que, personnellement, je trouve ça vraiment intéressant d’avoir un fil conducteur, raconter une histoire, avoir cette sorte de lien, et paradoxalement, le fait d’avoir ce fil rouge permet d’aller plus loin, musicalement, de partir dans des directions plus extrêmes entre chaque morceau, tout en gardant une cohérence sur tout l’album. C’est assez intéressant, plutôt que d’avoir une cohérence musicale, on a une cohérence conceptuelle, qui nous donne une plus grande liberté musicale.
Igor, tu as déclaré que les paroles sur cet album étaient plus directes. Qu’est-ce que tu veux dire par là ? Et qu’est-ce qui a motivé cette nouvelle approche ?
Avec le temps, à relire les paroles que nous avions faites sur Februus, celles-ci manquaient peut-être d’un peu de… ni recul, ni sincérité, ni maturité, mais du fait qu’elles soient directes, qu’elles soient moins filtrées. Par exemple, nous avions beaucoup de recherche sur les mots, qui étaient un peu alambiqués, et ça n’apportait pas forcément plus d’information. Nous voulions que le message passe plus clairement, nous voulions faire parler les personnages de l’album, et vraiment leur donner vie plutôt que de rentrer dans quelque chose qui semble tout droit sorti d’un lexique.
« Pour créer un univers cohérent, il nous faut ce contrôle, et cette capacité à pouvoir produire nous-mêmes les vidéos, les artworks, la production… […] Pouvoir déléguer à des personnes externes au groupe, c’est compliqué, voire impossible. »
Vous avez accueilli deux nouveaux membres ces dernières années, dont Steeves Hostin pour la troisième guitare. C’était important pour le groupe de conserver cette configuration à trois guitares ? Qu’est-ce que cela vous apporte ?
Ca nous apporte beaucoup de liberté au niveau des compos, vu que nous avons toujours des éléments très en avant-plan, comme la rythmique, les leads, et des éléments plus en arrière-plan, ambiants. Ça nous permet de faire plus ou moins ce que nous voulons mélodiquement, harmoniquement, dans la progression et la texture que nous allons utiliser. La Partition a été écrit dès le début pour trois guitares, donc il fallait absolument que nous remplacions Auré [Aurélien Perreira], sinon, nous ne pouvions pas jouer les morceaux sur scène.
À la batterie, il y a également Arnaud Verrier, ici présent. Qu’est-ce que ces nouveaux membres ont apporté à Uneven Structure ?
Un coup de fouet, beaucoup de fraîcheur. Nous, ça fait quelques années que nous sommes dans le projet, et le fait de les avoir tout excités, au taquet, avec un regard nouveau, ça réveille !
Arnaud : C’est tout ce que tu as de gentil à dire sur moi ?
Igor : J’ai fait beaucoup d’efforts ! [Rires] Toi qui fais de la batterie, si tu as quelque chose à rajouter, vas-y…
Arnaud : Non. Je fais de la batterie, c’est vrai. Ce fait est exact [rires].
Actuellement, dans les sphères rock et metal, la musique technique telle que le djent, mais aussi la musique plus ambiante, comme le post-rock, se sont particulièrement développées et ont le vent en poupe. Diriez-vous que le contexte vous est favorable ou que, au contraire, l’abondance de groupes rend les choses plus difficiles ?
Non. Je pense que nous avons un regard différent parce que c’est un style au travers duquel nous avons évolué, donc nous avons un regard vachement précis, constamment mis à jour. Ce n’est pas un truc que nous lisons dans les vieux magazines, ou une histoire qui nous est relatée par des proches, ou par des vidéos, etc., c’est vraiment un truc que nous vivons, donc c’est difficile au final d’avoir autant de recul sur une situation que tu vis quasiment de A à Z. Je pense que, comme dans l’essor de n’importe quel style, il y a un tri qui s’est fait, il y a évidemment eu un surplus. Parce que c’est au-delà d’un style, c’est aussi une espèce de culture où le do it yourself s’est vachement démocratisé, où t’avais systématiquement des mecs qui explosaient, qui étaient d’excellents guitaristes et d’excellents compositeurs, qui avaient les capacités de produire leur musique tout seuls, etc. Donc ça, c’est un truc qui est déjà vachement intéressant. Il y a eu aussi une direction prise sur les contenus visuels, textuels, artistiques, d’une façon générale, et c’est quelque chose qui commence vraiment à s’ouvrir sur le reste. Quand il y a encore quatre ou cinq ans, lorsque j’ai fait mes tout premiers concerts de djent, tu voyais des ingé sons ou des régisseurs de salle qui ne comprenaient pas qu’on avait des guitares à sept ou huit cordes, et maintenant, tu vois des groupes comme Animals As Leaders qui partent en tournée des stades avec Korn, ou des groupes comme The Contortionist qui jouent au Download… Ce sont des trucs qui sont géniaux ! Et j’espère que ça va encore aller plus loin, parce que, au-delà du fait que je sois dans ce truc et que j’en sois un observateur direct, je pense vraiment qu’il y a une foule de talents monstrueux dans ce style-là, et j’espère sincèrement que ça va encore plus s’ouvrir et qu’on va avoir des mecs comme Jakub Zytecki, David Maxim Micic, ce genre de mecs qui vont pousser le truc un peu plus loin, parce qu’autant, à un moment, tout le monde a convergé vers le djent, maintenant, tout en gardant ces racines-là, les mecs se dirigent vers leur style de prédilection, que ce soit fusion, jazz, rock, pop, etc., et ça mène à un brassage des genres complètement génial, et j’espère que la reconnaissance pour ce genre et les musiciens qui le composent va être encore plus poussée, et qu’on va voir la naissance de nouvelles collaborations, de nouveaux genres, de nouvelles opportunités, et une démocratisation encore plus vaste de ce style et de ces musiciens.
Vous aviez déclaré dans une interview que vous vouliez pousser tous les aspects de votre musique au maximum. Pourquoi ce jusqu’au-boutisme ?
Igor : Vu que nous créons un univers par rapport à la musique, aux paroles, au concept, au visuel, nous nous retrouvons un peu « contraints » d’avoir un accès et un droit de regard et d’avis sur tout. Parce que pour créer un univers cohérent, il nous faut ça, il nous faut ce contrôle, et cette capacité à pouvoir produire nous-mêmes les vidéos, les artworks, la production… Si tu regardes sur l’album, nous nous retrouvons avec des sections où il y a cent vingt, cent cinquante couches l’une sur l’autre… T’envoies ça à un ingé son, le mec va regarder, il ne va pas comprendre quelle est la ligne principale à composer. C’est trop flou pour qu’une personne externe s’intègre juste le temps de faire son travail. En gros, tu t’intègres dans le projet, et il faut s’imprégner du projet, s’imprégner de l’énergie du truc, comprendre toi-même où est-ce que tu peux te placer dans le projet. Pouvoir déléguer à des personnes externes au groupe, c’est compliqué, voire impossible, car il y a une chance sur un million pour que ça tape dedans.
Interview réalisée en face à face le 23 mars 2017 au Hard Rock Café Paris par Aline Meyer.
Fiche de questions : Nicolas Gricourt & Philippe Sliwa.
Retranscription : Robin Collas.
Site officiel d’Uneven Structure : www.unevenstructure.net
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