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Interview   

Unto Others : « des gars en manteau noir »


Mana d’Idle Hands, sorti en 2019, un peu comme l’Opus Eponymous de Ghost pratiquement dix ans plus tôt, fait partie de ces premiers albums qui laissent d’emblée entrevoir une identité et un potentiel. Un potentiel que l’écurie Roadrunner Records a vraisemblablement elle-même décelé en signant le groupe pour la sortie de son second disque Strength. Mais avant d’en arriver là, le groupe a dû affronter un certain nombre d’embûches : des problèmes d’ordre légal qui l’ont poussé à changer de nom pour devenir Unto Others, un guitariste bloqué pour causes de problèmes administratifs, une pandémie… Mais il en aurait fallu plus pour arrêter Gabriel Franco et sa bande, surtout compte tenu de l’élan dont jouissait le groupe.

C’est donc à l’occasion de la sortie de Strength que nous revenons sur ces péripéties et la conception du disque avec le frontman. L’occasion d’en savoir plus sur les origines du style d’Unto Others, quelque part entre heavy metal et rock gothique, le tout avec une grosse touche héritée des années 80, mais aussi sur Gabriel Franco lui-même – qui aborde dans ce disque des thématiques beaucoup plus terre à terre –, son approche personnelle de la musique, ses aspirations, etc.

« Je ne crois pas que l’art doit naître dans la douleur, non, mais j’ai clairement une tendance sadomasochiste avec mon art, c’est certain. On dirait que plus je sacrifie de ma vie, meilleures les chansons deviennent. »

Radio Metal : Il y a tout juste un an, vous avez changé de nom, passant d’Idle Hands à Unto Other. Peux-tu nous expliquer concrètement ce qui s’est passé ?

Gabriel Franco (chant & guitare) : Je n’avais pas du tout prévu de changer de nom. Nous avons signé chez Roadrunner et en gros, ils nous ont dit : « Il faut que vous ayez votre marque déposée. On ne peut pas signer un groupe qui ne possède pas son nom, parce qu’on n’a pas le droit de dire qu’on ne possède pas son nom et signer sur un label sous ce nom. » Nous avons donc essayé d’acheter le nom auprès des gens qui le possédaient et ils ont catégoriquement refusé, donc ça n’allait pas marcher. Enfin, je condense l’histoire. En gros, ils n’ont pas voulu nous vendre le nom. Il était clair que nous devions changer de nom parce qu’il n’y avait aucun moyen pour nous d’obtenir les droits d’Idle Hands. Quelques idées ont été suggérées, genre Idle Hands PDX, My Idle Hands ou ce genre de chose, mais j’étais là : « Non, je ne veux pas, ça ne m’intéresse pas. » En plus, les avocats ont dit que ça n’irait probablement pas pour déposer une nouvelle marque. Nous avons choisi Unto Others comme nouveau nom. J’ai passé dix mois à réfléchir à des noms et celui-ci semblait le mieux s’accorder avec notre son et la direction que nous prenions musicalement à ce moment-là. Nous nous sommes mis d’accord là-dessus, nous avons déposé le nom. D’ailleurs, un autre groupe le possédait aussi. J’ai dû les contacter et nous leur avons acheté le nom pour une certaine somme, mais ils étaient plus que contents de nous le vendre.

N’aviez-vous pas peur de perdre ce que vous aviez construit en tant qu’Idle Hands ou avez-vous aussi vu ceci comme une occasion de vous réinventer ou au moins de faire un nouveau départ ?

Non. Il n’y avait pas vraie réinvention. Peut-être que c’était un faux pas ou je ne sais quoi, mais je ne l’ai pas vu ainsi. Pour moi, c’est la continuation de ce qu’était déjà le groupe. Peut-être que les gens verront Unto Other comme une réincarnation ou une nouvelle direction, mais si tu nous regardes, nous sommes vraiment le même groupe. Je pense que le nom fonctionne bien avec ce que nous faisons aujourd’hui.

Vous avez donc eu ce problème de nom, mais il y a aussi l’histoire de votre guitariste Sebastien Silva qui a rencontré des problèmes administratifs qui l’ont empêché pendant un moment d’être avec le reste du groupe, et on peut ajouter à ça la pandémie : qu’est-ce qui vous a donné la force ou la motivation de persévérer ?

Nous avions déjà pas mal avancé avec le groupe, mais j’ai choisi la musique comme chemin de vie et je voulais continuer à faire avancer cette musique. A aucun moment nous ne nous sommes dit : « On arrête. » Mais oui, on nous a balancé pas mal de merde à la gueule. A chaque fois que tu crois en avoir fini avec les obstacles de la vie, elle t’en met d’autres en travers de ta route. On peut tous les surmonter. Tout dépend comment on s’y prend. Nous avons encaissé les coups. Sebastian a maintenant ses visas pour vivre ici avec sa famille, il peut tourner à l’international – grâce à l’aide de notre management et des avocats de l‘immigration ici aux Etats-Unis, nous avons pu obtenir tous ses visas. Je ne pourrais pas en être plus heureux. Concernant la pandémie, tout le monde a dû gérer ce problème, donc je ne peux pas vraiment me plaindre. Je pense que le pire c’est l’élan. Nous avions un super élan avec Idle Hands, les tournées et tout. Nous devions ouvrir au Bloodstock avec Judas Priest l’an dernier, nous avions une tournée de huit jours avec Danzig de prévue en Europe – c’était juste nous et Danzig – tout est tombé à l’eau à cause de la pandémie et j’étais là : « Fait chier ! » Tu te demandes ce que ça aurait pu donner, mais à la fois, peut-être que c’est un mal pour un bien parce que quoi qu’il arrive, nous aurions dû changer notre nom. J’imagine que c’était un peu mieux d’avoir toute une pandémie pour le faire plutôt que de devoir le faire sur la route en changeant de bannière entre deux concerts.

« On ne devrait pas faire n’importe quoi avec les idées centrales, les textes et ce genre de chose, il faut que ce soit personnel. Autrement, on ne fait que créer un produit, pas une chanson. »

Ces épreuves sont-elles la raison pour laquelle vous avez choisi d’appeler cet album Strength, avec cet étalon sur la pochette qui a l’air épuisé mais qui continue tout de même à avancer ?

[Rires] Je dirais que c’était peut-être un heureux accident, pour être honnête. Lorsque j’ai pensé à cette idée, je ne songeais pas spécialement à ma vie, mais en y repensant, peut-être que c’était inconscient. Mais c’était tout. J’ai juste pensé que ce titre fonctionnerait. Nous avions eu Mana avant et je me suis dit : « Hmmm, peut-être que ce serait sympa d’avoir une autre caractéristique. Je pourrais faire la force cette fois, et je pourrais faire la vitesse la prochaine fois ou quelque chose comme ça, qui sait ? » C’est un peu comme les jeux vidéo. J’ai trouvé que c’était un titre marrant. J’ai trouvé ça puissant. Quand je me suis imaginé ce qui représenterait la force, cet étalon était la première chose qui m’est venue en tête.

Tu as déclaré que Strength était le fruit d’un « processus difficile, pour le composer, l’enregistrer et le mixer. C’était dix mois du début à la fin, et [tu n’as] jamais passé autant de temps sur un album. » Qu’est-ce qui a fait que cet album était un tel défi ?

J’avais trop de temps. Ce n’était pas vraiment sa conception qui a été difficile. A partir du moment où je me mets au travail, c’est toujours facile. C’était de commencer à travailler qui a été difficile, parce que parfois on se sent désespéré, on a l’impression d’être dans un long tunnel sans lumière au bout, surtout en pleine pandémie quand les gens disaient : « On ne verra probablement pas de concert pendant des années. » Et tu es là : « Oh mon Dieu ! Qu’est-ce que je vais faire ? » Le problème c’était surtout d’avoir autant de temps libre et vraiment… Avant la pandémie, nous foncions à plein gaz tous les jours, nous étions constamment occupés. J’adore ça. J’adore ce genre de cadence. J’adore le changement. J’adore bouger. Puis, juste après le début de cette pandémie, ce n’était plus que stagnation, à se demander : « Eh, on est encore un groupe, n’est-ce pas ? » Mais tout ce qu’on fait, ce sont des va-et-vient au studio, et se poser dans sa chambre, et on n’a pas vraiment l’impression d’être un groupe. On l’impression de n’être, je ne sais pas, plus qu’un compositeur. Il n’y avait pas de pression. Enfin, il n’y avait aucune pression de temps, mais une énorme pression parce que c’était notre premier album sur une major. Donc tu n’as pas vraiment de pression pour faire l’album, mais quand tu te mets vraiment à le faire, il faut qu’il soit putain de bon. Tu as donc constamment ça dans un coin de la tête. C’était un album difficile à faire.

Tu as dit que c’était « un rappel constant à [toi]-même que [tu] ne fais pas les choses parce qu’elles sont faciles, [tu] les fais parce qu’elles sont dures ». Y a-t-il un côté sadomasochiste dans ta conception de la création artistique ? Penses-tu que l’art doit naître dans la douleur pour être bon ?

Je ne crois pas que l’art doit naître dans la douleur, non, mais j’ai clairement une tendance sadomasochiste avec mon art, c’est certain. C’est par intermittence. On dirait que plus je sacrifie de ma vie, meilleures les chansons deviennent. Je ne saurais pas complètement le décrire. Quand je compose la majorité de ma musique, généralement je m’amuse bien, je passe un moment agréable, mais parfois, c’est vraiment beaucoup de travail et c’est dur. C’est comme tout dans la vie. Il y a juste un équilibre. Parfois c’est très amusant, d’autres fois je n’ai même pas envie de toucher à mon putain d’ordinateur pour essayer d’écrire de la musique. Ceci dit, je ne peux pas en dire autant de mes guitares. Je ne me lasse pratiquement jamais de jouer de la guitare, donc c’est sympa.

Cet album peut paraître plus urbain et direct, moins ésotérique que le précédent. Etait-ce intentionnel ?

Oui, je dirais qu’il a l’air un peu plus cru et crasseux. Là encore, ce n’était pas intentionnel. Je ne sais pas trop. Je pense que c’est en grande partie dû à la production d’Arthur [Rizk], mais aussi aux thèmes des textes ; on a « Heroin », on a « Downtown », on a même « Little Bird » et « Why ». C’est effectivement un album qui paraît plus proche de la réalité que Mana. Mana était très fantastique et fantaisiste, comme un livre de contes de fées. Celui-ci est plus un livre de d’histoires vraies. Pour le prochain album, je vais probablement retourné dans mon monde de contes de fées, parce que je préfère ça [rires].

« Je parle à n’importe qui, du moment que la personne ne me donne pas un sentiment bizarre ou ne me traite pas comme si j’étais un objet plutôt que comme un être humain, car c’est aussi souvent à quoi on est confronté. Tu te retrouves avec des gens qui te traitent comme une sorte de jouet pour s’amuser. »

Il y a des chansons sur la toxicomanie et le suicide. Dans quelle mesure ces sujets difficiles ont fait partie de ta vie ?

Les choses au sujet desquelles j’écris sont des choses que je vois et que j’ai côtoyées dans ma vie. Quand j’étais plus jeune, des amis et des gens que je connaissais se sont donné la mort. J’ai des amis qui ont été toxicomanes et ont pris cette voie. Par exemple, l’un des enfants de ma troupe de boy scout vit à une rue de chez moi sous une tente aux abords de l’autoroute. Il vient fouiller mes poubelles à la recherche de boites de conserve, il a une salle tête et je suis là : « Eh mec, comment ça va ? » Ce genre de truc s’insinue dans le processus de composition et d’écriture des textes. C’est parfois ce qui ressort. Je vois un paquet de trucs merdiques, surtout dans cette ville. L’année dernière a été assez lugubre. Portland a été sur le déclin. J’ai vu plein de gens déménager. C’est un sentiment général que j’ai. La ville est légèrement en train de rebondir, mais l’année et demie passée, ça a craint ici.

D’un autre côté, certains textes semblent parler de se libérer et d’être soi-même. Est-ce l’idée que tu te fais de la musique ?

Oui, à cent pour cent. Enfin, quelle autre idée pourrait-on se faire de la musique ? C’est un genre d’échappatoire, n’est-ce pas ? Tu écoutes de la musique et tu t’évades de la réalité, ou alors tu joues à un jeu vidéo ou tu regardes un film. Le processus créatif lui-même est une échappatoire aussi. C’est un endroit où on doit être soi-même parce qu’autrement, on ne s’évade pas vraiment. Je trouve que c’est très important que notre personnalité se déverse directement et librement dans la musique. En tout cas, on ne devrait pas faire n’importe quoi avec les idées centrales, les textes et ce genre de chose, il faut que ce soit personnel. Autrement, on ne fait que créer un produit, pas une chanson.

Vous avez enregistré une reprise du classique de Pat Benatar « Hell Is For Children », qui est une chanson sur la maltraitance de l’enfant. Est-ce un sujet qui te parle ou ce choix était-il purement musical ?

Non, ce choix est assez simple à expliquer. J’avais entendu la chanson il y a des années. Mon batteur est arrivé et était là : « Eh, tu as entendu cette chanson ? » Je lui réponds : « Ouais. » Il me dit : « On devrait la reprendre. Elle est parfaite. » Je lui réponds : « D’accord » et c’est tout [rires]. Elle n’était pas censée être sur l’album. Je ne voulais pas qu’elle soit dans l’album, pour être honnête avec toi, mais le label a vraiment insisté pour qu’elle y soit. Finalement, elle y est et maintenant, on dirait que c’est l’une des chansons les plus populaires. J’imagine qu’une petite partie de moi a peur que ça devienne une situation à la Alien Ant Farm où les gens ne veulent entendre que notre reprise ou quelque chose comme ça. C’est un peu la raison pour laquelle je ne voulais pas la mettre dans l’album. Je veux dire, regarde les albums de Metallica, c’est un groupe que je respecte totalement, ils n’ont aucune reprise dans leurs grands albums. Mais ensuite, il y a Judas Priest qui a « The Green Manalishi » et « Diamonds & Rust ». Donc je pense que cette reprise a sa place, tant que nous nous l’approprions.

« Downtown » est une chanson qui parle de ta phobie sociale. Comment parviens-tu à concilier cette phobie avec le fait d’être un musicien qui tourne, rencontre plein de monde, doit faire des interviews et joue devant beaucoup de gens ?

C’est ça le truc, je ne suis pas tout le temps socialement anxieux. Je dirais que je suis autant socialement anxieux que n’importe qui. Il y a des fois où je n’ai pas envie de parler aux gens, c’est sûr, et c’est un peu ce dont cette chanson parle. En matière de phobie sociale, non, je ne pense pas avoir un trouble ou un problème. D’ailleurs, je suis plutôt bon quand il s’agit de parler aux gens, à mon avis. Je peux discuter avoir toi pendant des heures si tu veux. Là tout de suite, tu m’as surpris tôt le matin… Parfois en tournée, ça devient un peu lassant parce que tu vas te retrouver avec des gens qui posent la même question ou qui veulent t’offrir une bière ou autre, et tu es là : « Mec, j’apprécie beaucoup, mais je ne suis pas une machine à bière » [rires] ou « J’ai des choses à faire ». Je suis toujours partant pour avoir une conversation, mais parfois les gens ne te laissent pas partir et il n’y a pas vraiment de façon sympa de s’en aller, donc tu te retrouves un peu piégé. En dehors de ça, ce n’est pas très grave. Je parle à n’importe qui, du moment que la personne ne me donne pas un sentiment bizarre ou ne me traite pas comme si j’étais un objet plutôt que comme un être humain, car c’est aussi souvent à quoi on est confronté. Tu te retrouves avec des gens qui te traitent comme une sorte de jouet pour s’amuser. C’est un peu le mauvais côté, mais oui, en dehors de ça, ça ne me dérange pas.

« Avec cette histoire de grognement de loup, je suis là : putain, mais c’est quoi un grognement de loup ? […] J’appellerais ça plus un grognement de barbare ; pense à Arnold Schwarzenegger dans Predator, j’adore ce genre de connerie, le côté gros dur macho kitch. C’est marrant. »

On pourrait dire que votre musique est grosso modo le chaînon manquant entre Iron Maiden et Sisters Of Mercy. Traditionnellement, on a tendance à opposer le metal et la musique gothique, et pourtant, ces dernières années, de nombreux groupes de metal se sont inspirés de la musique gothique. Comment l’expliques-tu ? Penses-tu que le temps de la rivalité entre les styles est révolu ?

Je ne crois pas que la rivalité entre ces styles ait jamais vraiment existé, pour être honnête. On dirait que la plupart des groupes dans les années 80 et même 90 ont toujours fait des mélanges avec ça, parce qu’ils partageaient le même sens de l’obscurité, sur le plan des paroles. La seule différence, c’est le son de leurs guitares. Donc non, je ne pense pas qu’il y ait encore une rivalité. Concernant les groupes de metal qui se mettent au gothique, je pense que c’est juste une mode, je ne sais pas. J’ai découvert le rock gothique et je m’y suis intéressé quand j’avais vingt-trois ans, donc c’était vers 2014, et c’était juste un truc mineur dans ma vie. C’était du genre : « J’adore le metal. » « Oh mais est-ce que tu as écouté cet album de gothique ? » Un album de Sisters Of Mercy, ce genre de chose. Au fil du temps, j’ai commencé à en voir de plus en plus apparaître. Et maintenant, on voit des groupes purement gothiques et de new wave qui arrivent, presque de la new wave rétro, du gothique rétro, et qui n’apportent pas énormément au genre. Ils font juste comme s’ils étaient un groupe gothique des années 80 et ils reçoivent beaucoup d’attention. Je pense que ce n’est qu’une mode, pour être honnête. C’est comme lorsque le thrash est revenu ou la nouvelle vague de heavy metal traditionnel, c’est juste une autre mode underground. Il y en aura une autre après ça. Le doom a été un gros truc pendant un temps. Aujourd’hui, c’est le death metal et le gothique. L’année prochaine, ce sera autre chose. Pour ma part, j’essaye simplement de balancer toutes mes influences dans une seule musique. J’ai dit à pas mal de monde que oui, peut-être que nous sommes une mode, j’imagine que le temps le dira, mais ce n’est clairement pas le sentiment que j’ai. La raison pour laquelle je chante comme je chante dans mon groupe, c’est parce que je ne peux pas chanter aigu. Et si les gens écoutent la musique, je ne chante pas tout le temps comme un mec hyper triste. On verra où ça nous mènera !

C’est intéressant que tu dises que la musique gothique soit arrivée assez tard dans ta vie, car c’est une composante importante de ta musique…

Oui. C’est juste la vérité. J’écoute surtout du heavy metal. J’ai toujours dit que nous étions d’abord un groupe de heavy metal. Nous aimons fusionner les styles et tout, mais à peu près le seul album de gothique que j’ai écouté avant de créer ce groupe était un album de Sisters Of Mercy et un peu de The Cure, et peut-être une chanson des Smiths ou des trucs que j’ai entendus dans des vidéos de Skateboard. J’aime quelques trucs de rock indé et un tas de heavy metal classique. Enfin, j’ai fait partie de la nouvelle vague de heavy metal traditionnel avec mon groupe Spellcaster, quand nous tournions, etc. Je ne sais pas d’où ça vient. J’essaye juste d’écrire la meilleure musique que je peux.

Tu as mentionné ta voix qui a ce côté gothique, mais il y a des fois où tu fais ressortir quelque chose de plus « animal », quand tu balance ces cris ou emploies cette voix plus rugueuse. A quoi chanter cette musique fait appel en toi ? Est-ce quelque chose de viscéral voire d’incontrôlé parfois ?

Je trouve que ça fait du bien de crier. Je pense que c’est pour ça que les gens aiment crier, et qu’ils aiment aller aux concerts et tout. J’écoute du black metal. J’ai écouté du death metal. J’ai écouté un tas de thrash metal. En fait, le thrash metal est peut-être bien mon genre musical préféré, même si je n’en ai pas autant écouté que j’aurais dû le faire ces deux dernières années. Il y a quelque chose dans le thrash, dans l’énergie que cette musique dégage, qui me fait péter les plombs, comme Metallica, Megadeth et même… Je dirais que le meilleur groupe de thrash moderne est clairement, selon moi, Municipal Waste. Ils ont vraiment relancé tout le truc. On dit pas mal de conneries sur eux, mais c’est un groupe vraiment génial. Bref, je digresse. Je pense que le chant agressif vient probablement en grande partie du thrash metal que j’aime. Je trouve que ça apporte des couilles là où il y en a besoin. Je ne vais pas me contenter de chanter tout le temps avec la même voix monotone, à moins que la chanson le nécessite. Et c’est contrôlé : il faut toujours contrôler les cris. On peut crier aussi fort qu’on veut, mais ça ne sonnera probablement pas bien. Il faut quand même atteindre une sorte de note. Je pense que c’est ce que beaucoup de gens ne comprennent pas à propos du death metal, ils disent : « Oh, ils ne font que crier. » Or ils doivent faire une certaine note pour que ça sonne bien aux oreilles. S’ils ne font pas correctement la note, ça sonne comme de la merde. C’est pourquoi si un membre du public montait sur scène et commençait à essayer de crier, tu te dirais : « Oh, ce mec est nul. » C’est parce que le chanteur, lui, chante une note. Slayer en est le meilleur exemple, tu te dis : « Oh mec, ça déchire ! » Mais en fait il chante une mélodie. Pareil avec Metallica. On a l’impression qu’il est là : « Whoa, yeah ! » Mais il chante des mélodies en faisant ça.

Les gens ont comparé ton approche du chant au grognement et au hurlement d’un loup…

Oui, avec cette histoire de grognement de loup, je suis là : putain, mais c’est quoi un grognement de loup ? Je ne suis pas sûr qu’ils grognent, et si c’était le cas, ça ne sonnerait probablement pas comme ça. Mais le hurlement, je comprends. J’appellerais ça plus un grognement de barbare ; pense à Arnold Schwarzenegger dans Predator, j’adore ce genre de connerie, le côté gros dur macho kitch. C’est marrant.

« Il y a quelque chose qui fait que nous sommes une génération de nostalgiques, la génération Y. […] C’est comme si les gens ne voulaient pas accepter le futur. Je pense que c’est en partie lié au fait que le futur arrive presque trop vite de nos jours. »

On dirait que tu as une manière spéciale de produire ta voix claire, donnant presque un effet d’Auto-Tune. Qu’est-ce qui crée cet effet ?

Je n’ai pas produit les parties de chant. Je n’ai fait que les chanter. Donc je ne sais pas pour ce qui est de la production, mais je suis à peu près certain que les hurlements de loup n’étaient pas faux [rires]. Je ne fais que chanter une note et peut-être que ça sonne comme ça. Il y a évidemment de la réverb et du delay dessus aussi. Peut-être que ce que tu entends, c’est le chant qui se retarde par-dessus lui-même par effet de delay.

On a parlé de tes influences, et nombre d’entre elles sont ancrées dans les années 80. Qu’est-ce qui t’attire dans les années 80 ?

C’est le hasard. Mon père a grandi en écoutant ces trucs. J’ai été exposé à la musique des années 80 durant presque toute mon enfance. Puis en tant qu’adulte, quand je me suis intéressé à mes premiers groupes, ce n’était que du heavy metal des années 80. Ensuite, j’ai été aspiré dans ce monde du heavy metal des années 80 et je dirais que c’est purement le fruit du hasard. J’ai adoré. Je me suis éclaté. Le côté authentique, les guerriers du metal, tous ces trucs… Je suis tombé dans cet univers. Je n’avais pas prévu de me retrouver là-dedans. Mais je suis ouvert d’esprit. Je pense que j’aurais pu tomber dans n’importe quel univers et l’aimer tout autant. Aujourd’hui, je n’ai pas l’impression que cette époque soit derrière moi. Je vais voir tous les groupes que je peux voir. J’aime toujours les groupes que j’aimais, bien sûr, j’adore aller à des festivals, j’ai ma veste à patches sur laquelle je suis en train de travailler, mais je m’intéresse aussi à de nouvelles choses. Je chercherai toujours à profiter de différentes parties de la vie. Je pense que c’est une erreur de dire qu’une chose en particulier est la meilleure et de se limiter à ça.

La nostalgie fait-elle partie de votre processus créatif en tant que groupe ?

Oui, c’est sûr. Je pense que la nostalgie est une émotion très puissante. C’est probablement l’une de mes émotions les plus puissantes. C’est dur de l’éviter. Surtout ma génération, il y a quelque chose là-dedans qui fait que nous sommes une génération de nostalgiques, la génération Y. C’est la raison pour laquelle tous ces jeux huit bits ressortent et tout. Il y a les jeux vidéo rétro, les films rétro, les groupes rétro, etc. C’est comme si les gens ne voulaient pas accepter le futur. Je pense que c’est en partie lié au fait que le futur arrive presque trop vite de nos jours. On dirait que les choses évoluent très rapidement et peut-être que ça a quelque chose à voir. Ceci dit, je suis certain qu’il y avait des gens comme ça dans chaque génération.

Il y a un autre groupe qui joue sur un côté nostalgique et rencontre un grand succès, en enchaînant les tubes : Ghost. Penses-tu qu’Unto Others pourrait être aux années 80 ce que Ghost est aux années 70 ?

Oui et non. J’adore Ghost, mais le truc c’est qu’ils ont aussi un angle marketing. Ils ont une histoire derrière et tout. Mon groupe est un peu plus réservé. Nous ne faisons rien de particulier à ce niveau. J’aime penser que nous racontons les choses telles qu’elles sont. Je n’essaye pas d’embellir quoi que ce soit. Surtout par rapport à la présence sur les réseaux sociaux, je ne me vois pas comme un influenceur ou autre. Malheureusement, il faut presque être ce genre de personne aujourd’hui pour se faire remarquer. Ghost avait ce qu’il avait. Ils avaient de supers chansons. Je ne vais pas essayer de comparer notre musique et la leur parce que Ghost est un groupe à part. Je respecte et j’adore leur musique, mais ils avaient aussi l’angle marketing qui était dès le début parfaitement au point. Forcément, ça fait que plus de regards et d’oreilles se tournent vers les chansons elles-mêmes, qui étaient déjà superbes. Donc je pense qu’ils avaient le meilleur des deux mondes. Pour notre part, je ne pense pas que nous ayons un angle marketing de fou. Nous sommes juste des gars en manteau noir. Nous sommes nous-mêmes, nous essayons de proposer de bons concerts et de jouer la meilleure musique que nous pouvons. Donc je ne sais pas, peut-être que nous serons comme ça à plus petite échelle. Peut-être que nous aurons le même succès. Qui sait ? Je n’aime pas avoir de super grandes attentes comme ça. Je travaille toujours dans ce but, comme tu peux le voir, nous travaillons dur, mais je suis aussi très pragmatique à cet égard. On verra.

« La quantité de travail qu’implique la mise en place d’un très bon concert, c’est complètement dingue. Je n’aime pas cette partie du truc, parce que j’ai l’impression de perdre mon temps et que celui-ci serait mieux employé si je mettais toute cette énergie dans l’écriture d’une bonne chanson, car au bout du compte, la chanson est ce qui vend le concert. Ce n’est pas le concert qui vend la chanson. »

Tu viens d’un milieu assez inhabituel : tu es moitié mexicain, moitié allemand, et tu as été élevé par un beau-père vietnamien en étant assez pauvre dans le sud-est de Portland. Comment est-ce que ça a façonné l’homme et l’artiste que tu es aujourd’hui, ainsi que tes ambitions dans la vie ?

Je ne suis pas du genre à rentrer dans la complexité du développement du cerveau de l’enfant ou ce genre de chose, mais je mentirais si je disais que ça n’a pas eu un effet. Evidemment, quand on grandit sans la présence de son père biologique et sans jamais le connaître, il y a quelque chose. Donc même si j’ai a priori eu une enfance heureuse, j’ai aussi l’impression que j’ai peut-être toujours été aigri, comme si j’avais quelque chose à prouver. J’avais aussi cinq ou six frères, donc tu te bats toujours pour avoir l’attention, et je suis un cadet. On peut rentrer dans l’aspect psychologique du truc, mais tout ce que je sais, c’est que je voyais ce que j’avais et je savais que je voulais… Je ne voulais pas vraiment plus, ça ne m’intéresse pas d’avoir une tonne d’argent. Je veux pouvoir faire ce que je veux, comme tout le monde, mais ça ne m’intéresse pas d’accumuler de l’argent. Tu me donnes de l’argent, je le dépense. C’est ce que je fais. Ce que j’ai vraiment envie de faire, c’est voyager et voir le monde. C’est mon objectif. Je veux gagner suffisamment d’argent avec ce groupe, tout en voyageant et en explorant le monde, en allant dans des endroits où ma musique ne peut pas aller pour l’instant. J’ai envie de voir l’Afrique et de voyager en Inde et en Asie, aller dans les parties étranges du monde où je n’aurais jamais cru aller. Je trouve que me balader dehors et voir quelque chose de neuf, c’est l’un des trucs les plus amusants à faire. Donc oui, j’ai envie de voyager, c’est la raison pour laquelle je me suis mis dans la musique, honnêtement ; la plus grande raison, c’était pour voyager. C’est un peu mon but ultime, mais pour l’instant, je suis en train de travailler sur l’album, puis le prochain et encore le prochain, et peu importe ce qui arrivera, jusqu’à ce que je décide que je n’ai plus envie [rires]. Je n’arrêterai jamais de jouer de la musique, mais il se peut que je m’en aille de la machine.

Vous allez tourner avec Carcass, Behemoth et Arch Enemy. Qu’est-ce que ça te fait de jouer avec des groupes aussi différents mais également aussi extrêmes comparés à Unto Others ?

Je m’en fiche totalement. Je suis excité par cette tournée, mais ça ne me dérange pas. Ça ne m’intimide pas. Je sais quelle est notre place, nous sommes le groupe d’ouverture et je vais faire de mon mieux pour proposer un bon concert. Nous aurons environ trente minutes. Je suis capable de faire ça. Je peux y aller à fond pendant trente minutes. Je pense qu’à notre époque, avec internet, plein de gens qui sont fans de certains genres musicaux sont aussi fans d’un tas d’autres genres musicaux. Nous avons la capacité de convaincre des gens dans ce public, comme dans n’importe quel autre public. Honnêtement, la musique se résume à la mélodie de base et c’est ce que nous avons dans nos chansons. Donc j’ai l’impression que tant qu’on nous met devant des gens ouverts d’esprit, nous pouvons les rallier à nous.

Pas mal de chansons dans Strength ont l’air d’être faites pour la scène. Comment abordes-tu vos prestations live ? Est-ce la partie la plus importante de ton boulot ou bien préfères-tu le studio ?

Non, je suis un compositeur. C’est ce que j’aime le plus faire. J’aime beaucoup les concerts, mais le truc, c’est qu’ils prennent tellement… C’est un processus très logistique. Il y a tous ces gens et toutes ces choses synchronisés. Faire en sorte qu’une tournée fonctionne parfaitement, c’est presque comme écrire un autre album. La quantité de travail qu’implique la mise en place d’un très bon concert avec les lumières, la pyrotechnie, tout le côté scénarisé, les plaisanteries et les chansons, c’est complètement dingue. Je n’aime pas cette partie du truc, parce que j’ai l’impression de perdre mon temps et que celui-ci serait mieux employé si je mettais toute cette énergie dans l’écriture d’une bonne chanson, car au bout du compte, la chanson est ce qui vend le concert. Ce n’est pas le concert qui vend la chanson. La chanson est ce que les gens entendront à la radio. C’est ce qu’ils écouteront pendant leur marche le matin. Ils n’écouteront pas le concert, mais la chanson. A l’avenir, je vais davantage travailler sur le live show, bien sûr, mais pour moi, ça a toujours été un peu secondaire. Je me contente de monter sur scène et de jouer nos chansons. Je n’éprouve aucun remords avec ça. A vous de décider si nous sommes nuls ou géniaux. Ce n’est pas comme si je n’essayais pas. Il est clair que je répète à fond nos morceaux avant de partir sur la route, mais oui, c’est genre… Je ne sais pas. Il y a aussi que tu m’as surpris un matin bizarre où, aujourd’hui, je suis très apathique [rires]. Nous ferons un bon concert. Nous avons des décors de scène. Nous avons des bannières. Nous avons des lumières. Nous ferons un bon spectacle.

Interview réalisée par téléphone le 29 septembre 2021 par Nicolas Gricourt.
Retranscription & Traduction : Nicolas Gricourt.
Fiche de questions : Chloé Perrin & Nicolas Gricourt.
Photos : Peter Beste.

Site officiel d’Unto Others : www.untoothers.us

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