La crise sanitaire a eu des conséquences dévastatrices pour l’ensemble de la société. Avec 4,5 milliards de manque à gagner, l’industrie de la musique a fait partie des secteurs d’activité les plus touchés. Plus de 15 000 concerts ont notamment été annulés ces derniers mois, ce qui a évidemment eu des conséquences colossales pour tous les acteurs de la culture. Avec des effets qui, malheureusement, ne sont pas tous encore connus.
Useless Pride, entreprise basée à Toulouse qui fabrique le merchandising de Radio Metal et est aussi réputée en tant que label, devrait perdre plus d’un tiers de son chiffre d’affaires cette année. Olivier Derouinau, son fondateur, revient dans cet entretien sur la manière dont il a géré la crise et communiqué avec ses dix salariés. Tout en évoquant son éthique de travail, Olivier partage également les solutions qu’il a tenté de trouver pour affronter cette crise sans précédent.
Il y a quelques semaines, Useless a dans cette optique lancé, sur son site internet, une grande opération en proposant des produits 100% exclusifs. Pour soutenir notre partenaire, Radio Metal propose ainsi sur le site de Useless un T-shirt Bouc (réalisé par Will Argunas), disponible en T-shirt unisexe ou débardeur, qui rentre dans le cadre de notre collection Satanimals. Mais avant de faire vos emplettes, nous vous conseillons de découvrir ce long entretien riche et instructif.
« Avec mes collègues et mes collaborateurs, nous n’étions clairement pas prêts au Covid-19. »
Radio Metal : Quel est ton état d’esprit à l’heure actuelle ?
Olivier Derouinau (fondateur de Useless Pride) : Disons que je suis passé par beaucoup d’états d’esprit dans les trois derniers mois. Mais je suis remotivé parce qu’il y a eu beaucoup de changements chez Useless Pride. Nous n’avons pas changé de cap. Nous changeons de locaux pour des bureaux plus grands. Les choses avancent. J’ai eu le Covid juste avant le confinement. C’était un peu compliqué parce que je me suis retrouvé confiné chez moi, et le confinement a commencé juste après. Avec mes collègues et mes collaborateurs, nous n’étions clairement pas prêts. J’étais déjà en télétravail mais à l’arrache et nous n’étions pas prêts. Donc, nous nous sommes retrouvés en plein dans la tourmente. Nous avions quand même pas mal de boulot et, d’un coup, tout le monde nous a appelés pour annuler les tournées, etc. Donc, c’était un peu le bordel. Pour répondre globalement à la question, nous sommes passés par la stupeur, le stress et nous avons même failli nous résoudre à nous dire : « Peut-être que la musique c’est bien mais, quand il y a des vrais problèmes dans la vie, on va plutôt acheter à manger ou des tonnes de papier toilette. » Mais là, nous sommes remotivés et à fond. L’équipe est cool et nous sommes à Toulouse où il fait beau à peu près tous les jours. Ça fait du bien à la tronche, parce que quand tu es confiné, qu’il pleut et qu’il fait bien gris, bah je te dis que là t’es pas bien [rires].
L’annonce du confinement a-t-elle été difficile pour toi sur le plan psychologique parce que tu as été malade ou, avant tout, pour les membres de ton équipe qui ont eu du mal à gérer la situation ?
Tout en même temps. Il y a un aspect dont on ne parle pas, ni sur Facebook ni autre part : quand tu as une structure… Sans rigoler, nous nous sommes tapé des centaines de pages de papiers. Il y a notamment les aides de l’Etat, l’activité partielle, le crédit garanti, etc. Je ne fais pas le détail, mais il y avait plein de trucs. Tout prend du temps, sauf que quand tu as une structure et que tu es dans la tourmente comme cela, tu réfléchis à ce que tu peux faire pour conjurer le sort. A savoir : pas de tournée, ni rien. C’était un peu galère. Nous avons une casquette de label et d’imprimeur de merchandising. Par conséquent, tout se joue en live. Tu peux vendre des disques sur Discogs, ou sur ton shop en ligne, mais ce n’est quand même pas pareil que quand tu fais des tournées ou des festivals. Ce qui se passe, c’est que tu es dans les tonnes de papiers, mais en même temps tu te dis : « Là, si je fais tous les papiers, en fait il ne va rien se passer à côté. » Donc, nous avons lancé un shop en ligne avec pas mal de clients/potes (maintenant nous nous connaissons tous ; c’est un petit monde). Beaucoup ont joué le jeu. Le shop en ligne a occupé deux personnes quasiment à temps plein pour tout gérer. En plus du Covid, du peu de ventes, de l’absence de concerts, etc., nous avons eu de grosses difficultés d’approvisionnement. Par exemple, nous devions faire des casquettes pour le Sylak, car nous leur avons fait beaucoup de merch de soutien, et au final nous n’avons pas reçu le bon modèle de casquettes. Nous en avons recommandé… À chaque fois, tout cela prend deux semaines. Tout est hyper lent. Donc nous avons connu de grosses galères d’approvisionnement.
D’où viennent les commandes que vous faites ?
Nous travaillons avec l’Europe entière pour les marques. Ces marques font ensuite de la production au Portugal, en Turquie, en Asie du Sud-Est ou en Amérique du Sud. Quand tout est chamboulé comme cela, il est très compliqué de faire fonctionner quelque chose. Du coup, tu as ta montagne de papiers, tu essaies de lancer de l’activité avec le shop en ligne, de contacter plein de groupes. Cela prend aussi du temps, mine de rien. À chaque fois, tu passes une demi-heure au téléphone pour expliquer : « Attends, on peut faire ça… On lance un modèle. T’es chaud ? On lance un truc exclusif… » Nous avons monté un shop en ligne à l’arrache. Il y en a qui vont rigoler et dire : « Ça, c’est un shop en ligne de bébés », mais nous avons essayé de faire les choses bien. C’est un autre métier, parce que d’habitude, mis à part les ventes que nous faisons sur Discogs, nous faisions tout sous-traiter à Deathwish Europe, par exemple, pour la vente en ligne. Nous ne faisions plus tout ce qui était envoi individuel. Là, nous nous sommes remis à le faire à fond. Cela a très bien marché, donc c’était très cool. Et cela marche toujours, donc c’est toujours cool ! Je remercie tous ceux qui font des petits achats.
En plus, nous sommes de gros gogols à Useless Pride puisque nous sommes des idéalistes. Nous avons envie de faire des trucs de bobos : du coton bio, des belles fringues, des produits de qualité avec de la valeur ajoutée – pas de la valeur marchande, mais quand tu fais un truc en Asie du Sud-Est, tu aimes bien te dire que le mec qui l’a fait est payé mieux que ceux des ateliers de Primark et H&M. En fait, nous nous sommes mis la difficulté maximale, c’est-à-dire que nous avons fait tous les papiers pour sauver la boîte. En même temps, nous avons relancé notre activité avec le shop en ligne. En même temps, nous avons essayé de gérer toutes les annulations de tournées, etc. Nous avons fait des pressages et les sorties de disques sont suspendues. En conséquence, nous nous sommes retrouvés avec plein de stocks de disques qui devaient partir sur des tournées et qu’on a gardés. Tu relances tout le monde pour avoir tes paiements. Tu paies tes fournisseurs pour éviter d’avoir un effet domino : s’il y en a un qui ne paie pas, son fournisseur n’a plus d’argent pour payer un autre fournisseur et ainsi de suite, et là c’est l’effet domino et c’est horrible. Donc, nous n’avons laissé personne en galère. Nous avons payé tout le monde. Nous avons fait tout ce qu’il fallait. Là, tu fais des journées où le cerveau ne s’arrête pas trop.
« Pour chiffrer, nous sommes à environ – 35% de chiffre d’affaires. C’est énorme. Notre chiffre d’affaires à l’année est à un peu plus d’un million d’euros. »
En gros, pour revenir à ta question de base sur l’état d’esprit, la majorité du temps, notre esprit était tellement occupé que nous n’avons pas baissé les bras parce qu’il y a des actions à faire. Tant qu’il y a des actions à faire, tu les fais. Tu essaies de faire les bons choix, tu essaies de faire au mieux. Comme je te disais, nous avons affronté une difficulté maximale parce que nous avons envie de faire des produits un peu chers, de qualité. Nous avons envie que les gens consomment différemment. Nous préférons vendre de la qualité et des trucs bien et que les gens se disent : « Ah putain, c’est une vraie fringue ! » plutôt qu’ils aient un T-shirt Gildan que tu laves quelques fois et qui garde la même forme une fois que tu l’as étendu ; on a l’impression qu’il est un peu cartonné. Donc, nous essayons de faire tout ça en même temps : notre utopie, comment nous aimerions faire notre métier. En même temps, nous essayons d’« éduquer », de partager cette passion avec nos clients. Quand il y a un groupe qui t’appelle, tu lui dis : « Ben écoute, mec, nous faisons des efforts sur les marges. Cela veut dire que tu peux avoir du coton bio, fair trade, avec teinture vegan/pas testée sur les animaux » et du coup tu essaies d’avoir des produits de bonne qualité à prix compétitif. Nous essayons de « convertir » la très grande majorité de nos clients à ça et ça marche. Il y en a beaucoup qui jouent le jeu. Souvent, la différence n’est pas énorme. Nous nous sommes dit : « On tente le truc. On baisse nos marges. On fait passer les gens sur du bio, etc. et ça va faire la différence. Parce qu’en concert, quand les gens vont voir le merch que nous faisons, ils vont dire : “Ah ouais, putain. La différence est cool.” » Quand tu vas acheter ton T-shirt Scorpions lambda chez H&M, tu vas voir que ce n’est pas pareil, quoi… Nous avons un peu fait les fous et je pense que nous ne le regrettons pas. Donc, état d’esprit : motivé. Et puis, comme je disais à mes collègues : « Les gars, soit on fait cela et cela nous plaît, et donc nous donnons la couleur que nous souhaitons à cette entreprise, que ce soit au niveau label ou au niveau merch, soit nous allons faire autre chose. Nous gagnerons mieux nos vies et au moins nous aurons tenté et nous aurons fait le max. » Je leur ai dit : « Si nous coulons, ce n’est pas parce que nous aurons été mauvais. Au pire, nous tentons des trucs et nous faisons vraiment ce que nous voulons », et puis, si nous coulons, nous serons tous désolés et je viendrai pleurer à ta radio, mais nous vivons le truc à fond. Je pense que cela se ressent.
Sur le plan de l’équipe, vous avez su rester unis parce que vous mettiez tout en œuvre pour sauver la boîte ou as-tu senti que, parfois, la situation était vraiment compliquée pour certains de tes collègues, ou même pour toi-même ?
Pas du tout parce que, au début, tu as des réactions de peur. J’étais confiné chez moi. Du coup, je donnais les consignes à distance. Ce n’est pas facile parce que c’est à l’écrit. Nous sommes une dizaine. Donc, je n’ai pas tout le temps tout le monde au téléphone. Il y en a qui ont eu peur pour leur santé, peur de ramener le Covid chez eux. Il y a le fait que tu te dis que ton emploi n’est pas pérenne. Il y en a qui s’en foutent. De toute manière, il y a le chômage. Nous sommes en France, pas en Indonésie. Donc, pour certains, ce n’est pas stressant. C’est juste que s’ils aiment leur travail, je ne vais pas parler en leur nom, peut-être que tous n’aiment pas bosser à UPR, mais s’ils aiment leur boulot, ils vont se dire : « C’est con parce que le travail me plaisait. » Mais ils ne sont pas fatalistes et puis il y a le chômage. Tu essaies de rebondir, et puis, au pire, il y a l’armée de terre qui recrute. De l’autre côté, il y en a qui sont un peu stressés par la perte de leur emploi et qui sont en mode :« Moi, je veux continuer à bosser ici. » Puis tu gardes dans un coin de la tête que si tu n’as plus d’argent pour payer tout le monde, tu es obligé de « faire des choix ». Tu n’as juste pas envie de vivre ça… Regarder tes collègues avec qui tu t’entends bien et dire : « Bah toi, tu t’en vas. Toi, tu restes. Toi, tu t’en vas. Toi, tu restes… » T’es obligé de mettre des critères. Useless Pride Records est une SARL. Nous sommes deux associés et il y a neuf salariés.
Peux-tu nous donner des données chiffrées sur le manque à gagner que tu as cette année ?
En vrai, c’est très compliqué à calculer. Selon les structures, il n’y a pas du tout la même manière de fonctionner. Il y en a qui, même avec l’activité partielle, vont quand même perdre beaucoup de sous parce qu’ils comptaient sur cette saison. Par exemple, il y a des structures qui font de gros chiffres en été avec les festivals et qui ne font pas grand-chose en hiver. Même si tu as l’activité partielle qui te paie les salaires, tu peux quand même perdre beaucoup d’argent parce qu’en hiver, tu es déficitaire de base et que tu comptes sur l’été, comme les restaurateurs ou l’événementiel. Il y a des restaurateurs dans les zones touristiques qui ferment l’hiver et qui comptent sur l’été. Dans tous les cas, tu as tes frais fixes qui continuent de courir, donc tu perds inévitablement de l’argent. Nous sommes restés ouverts tout le temps en équipe réduite. Nous étions toujours au moins deux ou trois pour essayer d’avancer et de créer des trucs, faire de la promo, du shop en ligne, créer des dynamiques. Pour chiffrer, nous sommes à environ – 35% de chiffre d’affaires. C’est énorme. Notre chiffre d’affaires à l’année est à un peu plus d’un million d’euros. Normalement, sur des mois comme mars, avril, mai, juin, juillet, nous travaillons comme des fous, nous faisons des heures sup’, nous sommes à fond. Là, ce n’est clairement pas le cas. À 17h30, il n’y a plus personne. Donc, c’est très difficile de chiffrer les pertes. Surtout que nous sommes en période de transition et que nous prenons des nouveaux locaux. Ce sont des investissements, des travaux, de nouvelles machines, etc. Là, tu te poses des questions : « Est-ce qu’on continue ce qu’on avait prévu ? Est-ce qu’on change de plan ? » Finalement, nous avons tout laissé comme c’était en prenant le pari que cela va se relever dans pas trop longtemps.
Concernant le Covid, à partir de quel moment ton activité peut-elle être en danger ?
C’est très simple : si les concerts ne reprennent pas, l’activité va être réduite de base. Donc, la structure ne va pas disparaître, mais je pense qu’elle va prendre cher. Ça, c’est pareil pour tout le monde. Après, c’est la vente en ligne. Si la vente en ligne s’arrête ou baisse significativement.
Concernant vos débuts, quand l’activité d’UPR en tant que structure a-t-elle démarré et comment ce sont passés vos débuts ?
Nous avons créé les statuts en 2010 et nous avons ouvert le compte en banque en janvier 2011. L’activité a dû démarrer mi-2011, l’été 2011. Concernant les débuts, on m’a posé plusieurs fois la question. Je ne me souviens pas exactement comment ça s’est passé. Je crois que mon analyse était hyper simple : je me souviens des concerts où les groupes français avaient toujours un merch pourri à côté des groupes américains. Les groupes américains arrivaient et ils avaient le merch avec de gros visuels, pleins de couleurs. Pour nous, c’était impressionnant. Dès que tu allais sur le stand du groupe français, il y avait un logo couleur A4 un peu pourri. Ce n’était pas le cas de tout le monde, mais en tout cas, en ce qui concerne les groupes petits ou moyens, je crois qu’il n’y avait pas de structures pour faire du merch un peu cool… Ou alors personne ne les connaissait. Ensuite, au fur et à mesure, j’ai commencé à essayer de gérer des trucs avec des ateliers de sérigraphie. J’allais dans les ateliers. J’étais en mode : « Voilà, on peut faire des visuels comme ça, on peut faire des trucs, etc. » Donc j’ai poussé un peu les sérigraphes dans leurs retranchements. Ils étaient en mode : « Bah non. Nous, on fait du A4 toute l’année. Casse-toi. » Cela n’a pas trop marché [rires]. Ils m’ont tous un peu envoyé chier.
« Comme un gros con, j’ai fait mon analyse marketing, mon étude de marché, après avoir monté la boîte. »
En plus, c’était après la crise de 2009 et la situation était déjà un peu galère à l’époque. Il y a pas mal de sérigraphes et de brodeurs qui ont fermé. C’était un peu compliqué. Du coup, je me suis dit : « Vas-y, je vais acheter du matos. » En fait, je n’ai pas acheté de matos, mais j’ai rencontré quelqu’un qui avait un petit carrousel manuel et qui était chaud pour s’y mettre. Nous avons fait de la merde parce que nous étions mauvais. Nous avons mis du temps et, vers 2014, nous avons commencé à bien nous équiper. Du coup, c’était une aventure parce que nous avons fait les autodidactes. Surtout que nous ne nous sommes pas entendus avec le premier gars qui avait la machine. Donc, nous sommes un peu repartis de zéro avec David, qui travaille encore aujourd’hui avec moi. En fait, David était le premier salarié. Il y a aussi Benji, mon associé. Il habite à Bordeaux, moi à Toulouse. Il m’aide sur le label et il fait plein de trucs, mais il n’a jamais été sur place pour l’atelier. Donc, nous avons fait le merch à côté. Nous nous sommes retrouvés avec David, le premier salarié, et quand tu as un salarié, il faut le payer. Nous avons fait un peu de bric et de broc un atelier et puis, avec les années, nous avons fait… On ne peut pas dire que c’était DIY de chez DIY, parce que tu achètes quand même du matos et que tu ne peux pas tout construire de tes propres mains quand tu veux faire un peu de merch cool, mais nous avons quand même pas mal charbonné en mode débrouille. T’as vu, c’est une belle phrase d’interview, cela [rires]. Et année après année, nous avons croisé des entreprises qui nous ont hébergés. Nous n’avions pas d’argent, donc nous ne payions pas. C’était un peu le bordel. Et année après année, il y a quand même des groupes qui nous ont suivis. Pour n’en citer que quelques-uns, nous avons travaillé quasiment depuis le début avec Rise Of The Northstar, Guerilla Poubelle et Birds In Row. Ce sont des gens avec qui nous travaillons toujours aujourd’hui et qui sont devenus des amis.
C’est quand même une belle histoire. Aujourd’hui, nous sommes une dizaine et nous sommes dans le Covid [rires]. Pour répondre à la question, en fait je n’ai pas fait d’analyse marketing, je me suis lancé un peu comme ça. J’ai quand même une anecdote rigolote. Je suis à la guitare dans Alea Jacta Est. En 2011, j’avais déjà lancé la boîte, mais c’était un embryon ; c’était vraiment en mode tranquille. Nous avons été bookés à Augsbourg (en Bavière, en Allemagne), sur le Hood Of Hate Fest et, au retour, nous avons raté l’avion ! [rires] C’était à l’époque du tsunami au Japon. Je me souviens que nous étions coincés à l’aéroport de Munich. Nous regardions les images du tsunami sur les télés et nous nous disions : « Oh putain ! On rate l’avion, c’est la fin du monde… » Vu que je parlais un peu allemand et que je n’étais pas pressé, les autres ont réussi à se caser sur des vols et je suis resté tout seul à l’aéroport peut-être quatre, cinq ou six heures de plus. À l’aéroport de Munich, il y avait des machines à café gratos – peut-être qu’elles n’y sont plus. Pendant ces quatre ou cinq heures, je me suis foutu à un endroit où il y avait des prises, du café gratuit, etc. et j’ai commencé à faire la liste des groupes et des gens que je connaissais dans la scène pour m’organiser au niveau marketing et voir jusqu’à quel point je pouvais développer l’activité, ne serait-ce qu’avec mon réseau. Au début, nous nous disions que nous ferions de la sérigraphie pour des entreprises ou d’autres trucs. Il se trouve qu’au final nous faisons 95% de musique aujourd’hui. Mais à l’époque, je me disais : « Si j’arrive à faire moit’-moit’, c’est bien. » Du coup, depuis ce jour à l’aéroport, j’ai commencé à démarcher un peu tout le monde, tous les copains qui avaient des groupes, etc. Quitte à rentrer des petites commandes, etc. Comme un gros con, j’ai fait mon analyse marketing, mon étude de marché, j’ai regardé les sites des concurrents, etc., et en fait je l’ai fait après avoir monté la boîte.
Le fait d’avoir commencé de manière détendue est très important. Parfois, les chefs d’entreprise démarrent leur boîte avec une ambition démesurée, avec une volonté de développer rapidement des objectifs très forts. De ton côté, tu as simplement fait ton truc dans ton coin de manière authentique.
Presque irréfléchie en fait. Du coup, j’ai arrêté les études… Je faisais des études de communication et commerce. J’ai fait un BTS communication. Ensuite, j’ai voulu faire une licence communication multimédia. Au cours de la licence, je me suis embrouillé avec l’école parce qu’au début de l’année, je les avais prévenus qu’ayant monté une boîte, j’aurais peut-être des rendez-vous. En fait, dès que je prévenais parce que j’avais un rendez-vous – à la banque, par exemple –, ils appelaient mes parents alors que j’avais vingt et un ans à peu près. En tout cas, j’estimais que je n’étais plus en âge d’être un bébé et que je pouvais me gérer. Un jour, nous devions faire une « tournée » (quatre jours environ) au Maroc avec Alea et j’avais prévenu que je recevrais un appel du consulat du Maroc pour les autorisations ou quelque chose comme ça. J’ai dit : « Je vais avoir un appel dans la matinée. Est-ce que je pourrais sortir du cours ? » J’avais quatre heures d’une même matière. Le prof m’a dit : « Ouais, pas de souci. Tu m’as prévenu, donc pas de souci. » Finalement, l’appel tombe au niveau de la pause, à 10h30. Donc, je me dis : « Nickel. Je suis en pause. Je réponds. » En fait, quand la pause s’est finie, les autres sont rentrés et j’étais encore au téléphone. J’ai fait un signe au prof pour lui indiquer que j’étais au téléphone. Je ne me souviens plus de sa réaction, mais il est retourné en cours. C’était dans un Algeco parce qu’il n’y avait pas assez de place dans les classes. D’un coup, j’ai vu la fenêtre de l’Algeco s’ouvrir et toutes mes affaires voler par la fenêtre. Donc, le prof avait décidé qu’en fait… ben non [rires]. Donc, j’ai fini mon coup de fil, je suis rentré, je l’ai insulté et je me suis barré de l’école, comme un sale gosse. Ça s’est fini là.
Une vraie attitude rock’n’roll ! [rires]
Je n’étais pas trop en phase avec les profs. Il y en avait des très bien. Par contre, quand il y en a des cons… Il y a ce rapport d’autorité et si le mec en face ne fait pas d’effort pour comprendre, toi, en face, t’es le « larbin ». Il y a quand même un rapport de hiérarchie, donc soit tu fermes ta gueule, soit t’es en mode : « Ben non. On s’était entendus sur un truc, non ? C’est toi qui n’as pas respecté ta parole. Moi, j’ai prévenu pour les coups de fil et tout… » Donc, je lui ai dit tout ça. Je l’ai défoncé. Il n’a rien répondu. Je me suis retrouvé dans le bureau de la directrice, comme dans les films, comme ça t’est sûrement déjà arrivé et comme c’est arrivé à beaucoup de monde. Ça s’est arrêté là. Je me suis retrouvé sur une mezzanine chez mes parents à mettre un bureau et mes parents m’ont dit : « Ben écoute, tu veux monter ta boîte. Très bien. T’as deux ans. Si dans deux ans, ça ne donne rien, t’auras vingt-trois ans et t’iras chercher du travail. » Et en fait, au bout d’un an ou un an et demi, j’ai pris un local, j’ai embauché un mec. Même si je ne me payais pas, mes parents ont dit : « Bon, vas-y mon pote » [rires]. Ils sont très cool mes parents. Donc voilà. J’étais chez mes parents et je faisais des allers-retours avec des horaires de gogol pour monter ce truc. Au final, je ne suis pas trop mécontent.
À la base, avais-tu cette ambition de label ? Le merch est venu au fur et à mesure…
Le label est venu en premier en 2008. Avec Alea, il manquait un label pour clôturer un budget. Nous avions un budget de sortie – que dalle en plus, cela devait être 1500 € – et nous avons fait une coprod’ avec un label espagnol et deux français. Il restait environ 400 € à financer. J’étais en alternance à cette époque, donc j’ai dit : « Je mets les 400 balles et je fais une asso. » C’est là que j’ai créé Useless Pride et après, c’est resté. Donc, en 2008, nous avons créé le label et en 2010, nous avons déposé les statuts. En 2011, nous étions en société, et en 2012, nous avons créé l’atelier de merch.
Aujourd’hui, est-ce avant tout le merch qui fait vivre ton activité ?
Oui. C’est le merch parce que nous sommes dix et, pour résumer, on va dire que le merch peut payer les dix salaires. Si tu veux, le label, c’est du gros bonus parce que quand cela marche bien, cela marche très bien. Quand il y a un disque qui marche bien, c’est génial parce qu’un pressage ne coûte pas très cher. Donc, si tu arrives à bien communiquer sans dépenser des milliers d’euros, que le groupe tourne… C’est surtout cela, ce sont les concerts, qui font vivre un artiste. On en revient au Covid : pas de concerts, beaucoup moins de ventes. Nous sommes principalement dans la scène hardcore, que ce soit punk hardcore ou metal hardcore. Donc, c’est une autre culture que le metal ou autre. Nous n’avons pas un public Fnac, Cultura, etc. Notre public est un public de petite distro, de concerts, de Discogs, etc. En concert, le hardcore vend beaucoup. Dès qu’il n’y a plus de concerts, effectivement tu as un peu mal. Ce qui est cool avec le label, c’est que tout cela s’entretient puisque le merch fait que nous rencontrons du monde ; nous faisons du réseau. Le label fait que nous tournons aussi. Lorsqu’il y a des groupes du label qui tournent, cela fait aussi la pub du merch parce que nous leur faisons le merch, etc. Les deux s’entretiennent un peu et le label, c’est bonus. Nous réinvestissons l’argent dans le label. Nous faisons des projets un peu plus gros. Nous avons un peu plus de budget sur les sorties.
« Parmi nos 2 500 clients merch, il y a des entreprises, mais les 95% ont un rapport avec la musique. «
En ce qui concerne le merch, avec combien de clients travailles-tu ?
Nous bossons avec 2 500 clients. C’est le chiffre de fin 2019. Il y en a qui, aujourd’hui, ne travaillent peut-être plus avec nous, ont arrêté parce que les groupes, ça splite, ça se crée, etc., mais le fichier client actif au 31 décembre, c’était à peu près ça. Parmi les 2 500 clients merch, il y a des entreprises, mais comme je te le disais tout à l’heure, les 95% ont un rapport avec la musique. Nous avons une grosse base de Français. Le deuxième pays pour lequel nous bossons, je pense que c’est la Suisse et le troisième est la Finlande.
Penses-tu avoir atteint le rythme de croisière de ton entreprise ou as-tu envie de la développer davantage ?
En fait, je pense que nous avions atteint notre rythme de croisière juste avant le Covid. Il va falloir remonter la pente pour revenir au volume que nous avions atteint avant le Covid. Sur 2019, nous avons fait + 30% de chiffre, ce qui est énorme. Pour moi, nous pouvions difficilement faire mieux. En termes de musique pour le label et en termes de capacité de production pour le merch. Après, tu peux acheter des machines et tout, mais, comme je te disais, nous avons envie de faire un truc qui nous ressemble. Nous avons envie que les gens qui bossent avec nous ressentent cela. Je te parlais de la qualité ou de l’éthique, etc. Ce n’est pas pour « tricher ». Quand on me demande, je dis : « Je ne veux pas gérer une boîte avec plein de personnes ; ça ne m’intéresse pas. » Moi, j’ai envie de me lever le matin, de faire un truc cool. J’ai envie que si tu m’interviewes ou que des gens parlent de nous, tu aimes ou tu n’aimes pas, mais en tout cas, tu peux dire que Useless Pride ce sont des gars qui font leur truc et ne font chier personne. Nous ne faisons pas d’embrouilles. Nous essayons d’être relativement compréhensifs, patients, etc.
Mon crédo, c’est que quand tu nous appelles pour faire du merch, même si on ne se connaît pas – et nous ne nous connaissons pas depuis longtemps, donc tu pourras me dire si c’est ce que tu as ressenti –, c’est comme quand tu appelles un pote pour avoir un conseil sur un truc. En gros, tu peux me dire : « Salut, c’est Amaury. Je suis de Radio Metal. Je fais du merch. Je n’en ai jamais fait ou j’en ai déjà fait. Je voudrais faire ça. Qu’est-ce que tu me conseilles ? En général, je fais telle quantité. Voilà les visuels. » Ou alors : « J’ai besoin d’aide pour les visuels. » Je te répondrai comme là pendant l’interview. Je verrai si je peux t’aider, te donner des conseils ou te guider un peu sur ta commande et faire en sorte que tu aies l’impression d’appeler un pote. Mais il y en a qui ne le captent pas comme ça. Bizarrement, les plus petits groupes sont les plus belliqueux. J’ai déjà eu des groupes qui m’ont dit : « De toute façon, vous n’en avez plus rien à battre des petits groupes, vous. » Bah, mec, en fait, si. Tous les jours, nous faisons des commandes de petits groupes. Des fois, si tu ne réponds pas assez vite, les mecs te demandent de suite : « Y’a un problème ? » alors que tu peux relancer en disant : « Excusez-moi. Je n’ai pas eu de réponse… »
On ne peut pas trop leur en vouloir pour cela. Je pense que c’est dû au fait…
Qu’ils sont mal éduqués [rires].
Non [rires]. Je pense que les gens peuvent devenir impulsifs surtout par une méconnaissance du fonctionnement des choses.
Oui mais je pars du principe qu’ignorant ou pas, si tu provoques une situation de conflit avec ton interlocuteur, dans tous les cas, c’est négatif. Et là, ce qui nous est arrivé plusieurs fois, c’est que de petits groupes estiment : « Ça y est, Useless Pride, vous êtes arrivé et vous vous en foutez de nous alors qu’on vous a aidé à monter », des trucs comme ça. Et toi, tu es là : « Mec, calme-toi. Moi, je bosse tous les jours. Je fais des commandes de vingt-cinq pièces, de cinq cents, etc. Faut pas s’énerver. » Ou alors, il y a des groupes qui t’envoient des démos pour le label et qui te disent : « De toute façon, il y en a que pour Get The Shot et Alea Jacta Est » et toi, tu es là : « Bah non, mais on a le droit de ne pas aimer ton disque non plus » [rires]. C’est difficile à dire des fois, mais si ça ne me parle pas, ça ne me parle pas. Ce n’est pas parce que tu es un petit groupe. S’il y a un petit groupe qui m’envoie un truc et que je trouve que cela défonce, bah je vais dire : « Ça défonce. Let’s go ! » Peut-être que nous ne pourrons pas travailler ensemble parce que ce n’est pas le bon timing ou que nous n’avons pas l’argent, mais, petit groupe ou pas, quand ça défonce, ça défonce.
Peut-être que c’est propre à Toulouse dont la scène est souvent fortement engagée politiquement ? Je pose la question car peut-être que certains peuvent se dire : « Putain, le mec ! Il n’a pas les pieds sur Terre » simplement parce que tu es patron.
Je suis d’accord. C’est hyper mal vu. Mis à part le public Hellfest, metalleux, informaticiens ou ceux qui bossent dans les assurances, les banques, etc., nous sommes dans une scène – les musiques extrêmes – où c’est très à gauche niveau politique. Moi, je ne suis pas encarté. J’ai beaucoup de mauvaises réactions alors que nous ne sommes pas là pour niquer les gens. Nous ne sommes pas là pour piller les groupes. Et le problème, c’est qu’effectivement il y a une méconnaissance du milieu de l’entreprise et tout, et ce n’est pas parce qu’on paie de la TVA qu’on est les suppôts du capitalisme. Je pense que c’est en fonction de tes actions que tu devrais être jugé. Si tu traites bien tes collaborateurs, si tu traites bien tes clients, si tu n’arnaques personne, que tu vends du merch, que tu bookes des groupes ou que tu fasses des deals de label, etc., si tu es réglo, tu n’as pas à être jugé parce que tu as monté une structure, etc. Pour moi, c’est un truc qui pèse. Cela pourrait faire le sujet d’une autre interview : voir le retour des gens qui portent des projets. Je ne suis pas Calimero. Je vais bien. Mais tu vas régulièrement te prendre une petite pique. En plus, nous sommes dans l’événementiel, les concerts, etc. Souvent, les gens ont un petit coup dans le nez en soirée. La parole se libère et tu prends des tirs parce que tu vends ton T-shirt tant d’euros ou que tu as des groupes de vendus dans ton bac. Toi, tu es là : « C’est quoi qui définit un groupe de vendus ? » Bref…
Il y a un truc que les gens – pas tout le monde, mais beaucoup – ne calculent pas, c’est que ça ne les dérange pas d’acheter des trucs sur Amazon, d’aller chez Primark, etc., mais ils vont faire des remarques par rapport au prix du disque ou au prix du merch. Je suis d’accord le premier, c’est cher. Quand tu aimes acheter des disques, tu claques vingt balles par disque. Cela fait mal, nous sommes d’accord. Mais, celui qui est en face, il ne se dit pas que tu es capable de penser comme lui. De base, il se dit : « Putain, il s’engraisse sur les gens. » Il n’ouvre pas la discussion. « Les prix ont augmenté… » : dans ce cas-là, tu peux discuter concrètement et voilà. Il y a ça et il y a le fait que tu as toujours le spectre de la politique autour, c’est-à-dire que quand tu as monté une boîte, tu es un macroniste, start-uper fils de pute, etc. C’est flippant le nombre de clichés que tu es obligé de démonter jour après jour. Je ne vais pas dire que c’est de l’ignorance. Tu as dit « méconnaissance » et je trouve cela moins violent, mais c’est exactement ça. C’est comme si moi je disais un truc sur un métier que je ne connais pas bien. Mais en fait, tu ne sais pas, donc ne juge pas. Tu as le droit de juger, mais de manière intelligente, c’est-à-dire, dire : « Moi, je trouve que les disques, c’est trop cher, que ce n’est pas forcément justifié, etc. » OK, on peut en discuter. Mais, le problème, c’est que souvent, comme je te disais, les gens ont un petit coup dans le nez en concert. Tu prends des tirs et tu gères ton truc. Tu n’es pas venu pour te bagarrer. Un jour, je perdrai patience peut-être…
Tu es d’une nature calme ou pas du tout ?
Je suis un faux calme, c’est-à-dire que je suis très patient. Par contre, si je vois clairement qu’on se fout de ma gueule, je monte très vite. C’est arrivé il n’y a pas longtemps. Il y a un client qui a mal parlé à ma collègue au téléphone – quelqu’un de maladroit aussi – et je suis monté très vite. Je lui ai dit : « Tu arrêtes ça ! » Je suis redescendu au bout de quelques secondes parce que le gars était limite choqué. Il n’était pas foncièrement méchant, mais il ne se rendait pas compte. Hyper maladroit. Pour l’anecdote, il nous a traités de boloss et je lui ai dit : « Mais mec, tu nous traites de boloss, mais en fait on ne travaille pas avec toi. Donc, va voir quelqu’un d’autre. » « Non, non. C’est pas une insulte ! C’est une expression… » Si moi, je te dis : « T’es un boloss », tu vas te dire : « J’achète pas mon merch chez eux ! » Après, il y a plein de gens dans la musique qui croient que tu es leur meilleur pote en deux secondes. Moi, mes potes, je ne les insulte pas. C’est ce que j’ai dit au gars d’ailleurs. En fait, je lui ai dit : « Tu fais ça avec tes potes, mais pas avec moi », et après j’ai dit : « Non, en fait, même pas avec tes potes. » Chacun fait ce qu’il veut, mais en gros, je lui ai dit : « Quand tu vas à la boulangerie, si tu dis : “Passe-moi la baguette, boloss !”, la nana ne va pas te servir. Elle va se dire : “Mais dégage !”, quoi. »
Quels sont les artistes les plus prestigieux avec lesquels vous ayez travaillé ?
Hors metal, c’est BigFlo & Oli et Cœur de Pirate. Dans le metal, Cela va surtout être du français… Mais nous avons fait Code Orange qui maintenant est important aux Etats-Unis. En France, nous faisons Ultra Vomit (pas tout le temps) et Mass Hysteria systématiquement depuis cet automne ou l’été dernier. Nous faisons Igorrr aussi. Ça marche très bien. Perturbator, ce n’est pas metal, mais c’est affilié à la scène metal. Là, nous bossons avec Carpenter Brut. Ce n’est pas metal, mais nous devions bosser avec Dionysos. En hardcore, nous faisons Rise Of The Northstar, qui est fat. Nous faisons Guerilla Poubelle, Les Sheriff et Burning Heads dans le punk. En tout cas, nous faisons pas mal de gros trucs dans le punk français.
En art corporate, nous avons fait de très gros clients comme Amazon, Pernod Ricard (pour les tournées de Ricard Live Music). Maintenant, nous bossons pour Adobe. Il y a une boîte française qui s’appelle Allegorithmic, qui fait de la 3D et qui a été rachetée par Adobe. Nous faisons leur merch. Ça, c’est cool. C’est « prestigieux » et ils sont très gentils.
« Chaque année, il y a soit un support, soit des couleurs qui marchent. Il y a des années où nous faisons beaucoup de gris et, l’année d’après, nous n’en faisons plus du tout. Donc, si tu as fait du stock, tu te retrouves comme une merde. »
Après, en metal ou assimilé, tu as vite fait le tour. Il y a de très grosses structures comme Season Of Mist et Soundworks. Ensuite, il y a Veryshow/ Verycords, qui fait des trucs un peu « maintsream » niveau metal français. Après, nous bossons beaucoup avec le black, le death, donc tout ce qui est Debemur Morti, Necrocosm qui viennent d’arrêter, mais nous faisions pas mal de trucs pour eux. Nous avons travaillé un peu pour le festival des Acteurs de l’Ombre. Donc, nous faisons pas mal de groupes de death/black. Il y a beaucoup de bouche-à-oreille, donc dès qu’il y a un mec qui joue dans un groupe et qui a bien aimé bosser avec nous, en général, il fait passer le mot. Nous bossons avec la scène un peu djent comme Landmvrks, Novelists, etc. Nous faisons quand même pas mal de trucs français. Il y a une majorité de Français. Et, évidemment, l’été, c’est des clients ponctuels, mais nous faisons des tournées de groupes ricains ou autres. Nous avons fait des tournées de gros groupes de hardcore, comme Madball, Sick of it All, etc.
À titre personnel, pour ta boîte, tu voyages beaucoup ?
Non. Quand je bouge beaucoup, c’est pour Alea Jacta Est. Sinon, tous les ans, en février, nous assistons à un salon pour tout ce qui est techniques de marquage. Il se déroule à Lyon, à Eurexpo. Sinon, nous faisons des festivals. Donc, nous nous déplaçons, mais de moins en moins, car nous ne faisons plus de festival à l’étranger. Ça ne vaut pas le coup. Nous sommes trop loin de tout. Par exemple, nous sommes à côté de l’Espagne et le festival espagnol, c’est le Resurrection et c’est à dix heures de route.
Au niveau du rapport que tu as avec les artistes qui demandent du merch, leurs sollicitations sont-elles assez spécifiques ou est-ce plus ou moins la même chose qui est recherchée ?
Il y a une tendance chaque année. Par exemple, cette année, c’est le masque (tiens, donc ! Tu es étonné ?). En gros, chaque année, il y a soit un support, soit des couleurs qui marchent. Il y a des années où nous faisons beaucoup de gris et, l’année d’après, nous n’en faisons plus du tout. Donc, si tu as fait du stock, tu te retrouves comme une merde. Il y a clairement une tendance. Après, nous partons du principe – ça rebondit sur ce que je disais au début de l’interview – que si nous voulons sortir notre épingle du jeu, nous devons nous démarquer. Ça passe par l’éthique. Ça passe par la qualité. Ça passe par le service. Ça passe aussi par la personnalisation du merch. Par exemple, là, nous bossons sur des projets où nous faisons de la couture, du print, de la broderie. Tu fais du merch ultra personnalisé. Jusqu’à présent, honnêtement, sur le marché français en tout cas, je ne sais pas qui pousse autant que nous. Là, nous avons deux personnes opérationnelles sur la couture, ou alors pour la sérigraphie, broderie, la quadri, etc. Donc, tu peux faire vraiment des produits quasi « marque haut de gamme ». Pour Perturbator, ils ont fait des pièces qu’ils vendent 130 € ou 150 €, mais dessus tu as du travail de ouf. Tout est personnalisé.
C’est quoi la demande sur Perturbator, par exemple ?
Là, c’est un blouson. Personne ne fait des blousons. Mais après, cela a un prix.
Pour terminer, parle-nous de l’opération que tu as mise en place avec tes partenaires.
Vu que nous n’avions plus trop de boulot… En fait il y a une vérité avant Covid : cela fait huit ans que nous nous disons : « Purée, il faut monter un shop en ligne de merch » parce qu’en fait, il n’y a personne sur ce créneau en France. Effectivement, il y a Season Of Mist qui vend du merch de metal à fond, Rock A Gogo qui vend des objets dérivés et du merch, mais beaucoup plus généraliste. Quand tu écoutes tous les groupes que j’ai cités (Rise Of The Northstar, Novelists, Landmvrks, Guerilla Poubelle, Birds in Row, etc.), tous les groupes avec qui nous bossons, il n’y a pas un shop en ligne où tu te dis :« Moi, j’aime bien… » Parce qu’aujourd’hui, les gens écoutent de plus en plus de trucs variés. Si tu écoutes Alea Jacta Est, tu as le droit d’aimer à côté Birds In Row ou d’autres trucs. Il n’y a pas d’endroit où tu peux acheter un T-shirt de punk avec un T-shirt hardcore et sludge, par exemple. Nous bossons avec les groupes. Nous écoutons de tout, en tout cas dans la scène metal et assimilée (punk, metal hardcore, musiques extrêmes). Nous sommes très éclectiques dans l’équipe : il y a des trucs que je n’écoute pas du tout et mon collègue écoute ça à fond, etc. Ça nous faisait plaisir parce que nous mettons en avant notre travail (vu que nous faisons les prints et les personnalisations) et, en même temps, ce sont des groupes que nous aimons bien. Donc, c’est tout bénéf’.
Etant donné que nous sommes des gogols, comme je te disais tout à l’heure, nous mettons la difficulté au maximum et nous faisons un truc de bonne qualité. Nous essayons d’avoir des designs plus ou moins exclusifs, en tout cas, que tu ne trouves pas partout. Là, ça joue pas mal le jeu. En backstage, nous reversons de grosses royalties aux groupes outre la TVA, les frais de tenue du site, PayPal, etc. Nous faisons un deal où si le groupe vend un peu, c’est hyper valable pour lui parce qu’il ne s’occupe de rien. Il ne sort pas de trésorerie, il ne paie rien. Nous avons les stocks de textile ou nous en rachetons. Nous nous occupons de la personnalisation, de la vente et de l’envoi. Donc, le groupe lambda se dit : « Putain, j’ai pas envie d’envoyer mes trucs, d’acheter des enveloppes, d’ouvrir un compte à La Poste, de faire ça le samedi ou le dimanche. J’ai envie de me concentrer sur la création ou à côté j’ai un projet qui me prend du temps, etc. » Le constat, c’est que nous avons les compétences, le savoir-faire, la logistique. Nous travaillons beaucoup avec Deathwish Europe là-dessus, avec Mathias et qui tient ça et Throatruiner, label avec qui nous bossons pas mal depuis longtemps. Là, vu que le Covid nous a mis une grosse gifle, nous avons checké tous nos potes et avons dit : « Les gars, est-ce que vous êtes chauds ? On fait un shop en ligne. On met vos fringues en ligne. On s’occupe de tout. On fait quelque chose de bien, d’éthique, clean, carré. » Nous faisons de notre mieux, parce que, comme je te disais, les casquettes Sylak, par exemple, c’était un peu un échec en approvisionnement. Les gens sont assez réceptifs. Les acheteurs sont plutôt cool. Il n’y a pas de prise de tête, donc c’est très positif.
Nous essayons d’avoir une offre un peu variée. Et nous allons essayer de faire tourner l’offre. En gros, ce qui serait bien, c’est que, même si des groupes restent sur le shop, de temps en temps, nous changions la couleur du T-shirt, la couleur du print, nous changions le visuel, nous proposions un autre support (par exemple, si nous proposons un T-shirt, le mois prochain, nous rajoutons un débardeur). Nous aimerions faire un truc un peu vivant qui corresponde, encore une fois, à notre vision du merch et du travail tel que nous avons envie de le faire. En gros, nous avons envie de faire un travail qui nous plaît. Nous avons envie de faire un travail de qualité. Nous avons envie que les gens nous disent : « Putain, les gars. C’est cool ! » Là, tout à l’heure, j’ai un client qui m’a dit : « Oh putain ! J’ai pas pris la bonne taille. Est-ce qu’il y a moyen de faire un échange ? » et je lui ai dit : « Ouais. Par contre, je suis vraiment désolé, mais ce n’est pas Primark ou Zalando. Je ne peux pas faire d’échange gratuit. » Rien que pour l’aller-retour du port, j’explose ma marge. C’est terminé, je ne peux plus rien envoyer aux groupes, etc. Et le mec m’a dit : « Aucun souci ! Je paie le retour. » J’étais là : « Ouf ! » Maintenant, les sites de vente en ligne ont tellement des services de gogols que toi à côté, quand tu montes un truc… Et en plus, Primark ne reverse pas d’argent à des groupes [rires]. Nous, quand nous faisons pas mal de vente sur un modèle, nous reversons jusqu’à 50% au groupe. C’est énorme. Quand je dis « 50% », je ne parle pas des bénéfices. Je parle du prix de vente. Ça veut dire qu’il nous reste 50% mais, dedans, il y a le prix du t=T-shirt, le temps de print, etc.
Pour nous, le but, ce n’est pas forcément de faire de l’oseille sur les ventes, mais de faire tourner l’atelier et de montrer notre savoir-faire. Du coup, nous allons essayer d’appliquer notre marque sur quasiment toutes les pièces autant que faire se peut, c’est-à-dire que quand t’achètes un T-shirt, à l’intérieur il y aura un petit print Useless Pride, une petite étiquette, etc. Il y a un constat : nous sommes très connus des professionnels, des illustrateurs comme Will Argunas et Fortifem, couple d’illustrateurs qui sont géniaux. Ils sont très talentueux ; je ne tarirai pas d’éloges à leur égard. Nous bossons avec des labels. Nous bossons avec des groupes, des festivals, etc. Et en fait, le public ne nous connaît pas. Le public hardcore nous connaît parce que nous sommes un label de hardcore : Get The Shot, Alea Jacta Est… Je n’arrête pas de citer les plus gros, mais en fait il y en a plein… Il y a Fatal Move de Belgique, il y a Kids Of Rage d’Espagne, etc. Donc, en gros, le grand public va découvrir un peu notre activité. C’était déjà un peu le cas, parce que nous faisons des packagings avec Useless Pride dessus. Donc les gens commencent à connaître un peu le truc, mais c’est d’autant plus parlant que c’est nous qui choisissons le support. Ça veut dire que le groupe lambda qui veut faire du Gildan, de l’entrée de gamme, parce qu’il veut le meilleur prix, nous le faisons, mais sur le site, tu ne trouveras pas d’entrée de gamme. Il n’y a que des T-shirts que tu vas laver quarante fois et qui seront toujours là. Pour nous, le principe, c’est de montrer notre savoir-faire, être contents de ce que nous faisons, de ce que nous vendons, et que les groupes soient contents. Parce que, du coup, les groupes ne font pas de concerts et là nous vendons pour eux, donc c’est cadeau. Nous voulons également que le grand public sache que nous existons. Je pense que c’est important quand tu es dans la musique, que ce soit Radio Metal, Fortifem ou Will Argunas (qui a fait un joli bouc Radio Metal pour nous sur cette opération) en illustrateurs, les labels comme Throatruiner, Debemur Morti, Necrocosm, Guerilla Asso, etc., les groupes, nous sommes tous liés.
S’il n’y avait pas les labels, nous serions dans la merde, s’il n’y avait pas les illustrateurs, nous serions dans la merde, s’il n’y avait pas le public, nous serions dans la merde et s’il n’y avait pas de structures comme les festivals, nous, en tant que merch printer, ou même les magasins, les disquaires, etc., si nous perdons un maillon de la chaîne, nous allons souffrir. Ça va nous manquer ensuite. Du coup, nous nous disons qu’il faut nous mettre tous en avant toutes proportions gardées parce que je ne suis pas du genre à faire des selfies, mais, en tout cas, mettre en avant notre savoir-faire et le fait que quand un groupe vient bosser avec nous, il y a un truc derrière. Je n’ai pas envie de faire genre : « Ah ouais, les gars ! Fabriqué en France, made in France, etc. » Si les gens veulent bosser avec nous, ce n’est pas parce que nous sommes français, mais c’est parce que nous faisons du bon travail et que nous ne sommes pas des trous-du-cul.
Interview réalisée par téléphone le 19 juin 2020 par Amaury Blanc.
Retranscription : Line Fachetti.
Site officiel de Useless Pride : useless-pride.myshopify.comcon