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Interview   

Véhémence : la guitare et la plume


L’épopée de Véhémence commence véritablement en 2019 avec Par le Sang Versé qui a eu un rayonnement particulier dans la scène black metal underground, à commencer par la scène hexagonale. Les mélodies épiques de cet album ont conquis le cœur de bien de ceux qui ont voulu y prêter une oreille attentive, la deuxième galette se voyant s’offrir une place de choix dans bien des classements de fin d’année dans les webzines spécialisés. Ainsi de nombreux adeptes de métal noir se sont ornés de t-shirts Véhémence dans les salles obscures et le nom du groupe a progressivement circulé dans les conversations entre passionnés. Mais rien n’est jamais acquis et le véhément duo le sait, gagner une bataille ne signifie pas forcément gagner la guerre…

Derrière ce langage guerrier réside en réalité davantage une histoire d’amour, celle que les musiciens entretiennent pour un black metal artisanal, fait avec sincérité. Derrière ce savoir-faire, des paroles et des représentations qui maquillent des discours personnels, marquant une complicité qui semble sans faille entre les artistes, mais surtout un troisième disque qui s’étoffe en qualité de compositions et avec une production plus massive. Ordalies était très attendu par son public et poussés par la réception des précédentes œuvres, Hyver et Tulzcha y ont mis du cœur, comme ils nous le racontent dans cet entretien fleuve.

« Si on se concentre sur l’étymologie de Véhémence, on a une bonne définition de là d’où viennent les riffs, c’est-à-dire des titres qui portent l’esprit, et qui portent un état d’esprit avant tout. »

Radio Metal : A en croire vos chiffres sur bandcamp vous êtes bientôt sold-out sur toutes vos éditions limitées. Vous vous attendiez à ça ?

Tulzcha (guitare, basse, claviers…) : On ne s’y attend jamais… C’est vrai que Par Le Sang Versé a eu un écho auprès de la scène underground, ça nous en sommes très contents et nous ne nous y attendions pas du tout. Quand nous sortons un album, nous nous disons : « Est ce que… ? » En trois ans, il y a plein de choses qui se passent et nous ne savons jamais si quelque chose va marcher ou pas, c’est compliqué à dire.

Hyvermor (chant) : Nous nous disons aussi d’une certaine manière que les gens peuvent aussi passer à autre chose et oublier. Mais d’un autre côté il y a toujours eu une constante d’intérêt du public vis-à-vis de Par Le Sang Versé et même d’Assiégé, l’album précédent, du coup c’est ce qui nous a fait penser aussi que cet album-là, toute humilité gardée, était quand même un petit peu attendu. Attendu au tournant, peut-être, d’un certain point de vue, mais aussi peut-être attendu réellement et vraiment par quelques fans.

Il y a trois ans vous étiez cités de partout dans le milieu extrême français, dans les tops, etc. Par Le Sang Versé, votre deuxième album, c’est vraiment ce qui vous a fait exploser. J’imagine que quand on est dans le black underground ça doit être assez flatteur. Comment vous expliquez la réception de cet opus avec le recul ?

Tulzcha : Nous faisons de la musique parce que nous sommes passionnés, nous essayons de créer un univers, et le fait que notre univers trouve écho auprès d’autres personnes, c’est une super récompense pour nous. Après, nous ne l’avons pas fait pour ça à la base. Bien qu’évidemment, quand nous sortons un album, l’idée est quand même que les gens l’écoutent. Donc, bien évidemment, c’est très flatteur que notre album Par Le Sang Versé ait autant plu dans le milieu underground. Est-ce que nous l’expliquons par l’authenticité de l’album ? Je pense que ça n’arrive jamais au moment où l’on s’y attend, in fine.

Hyvermor : Je pense qu’il y a des bribes d’explications : la qualité des riffs, la manière de les avoir enregistrés et d’avoir enregistré tout l’album, la qualité du son en général, mais aussi une certaine cohérence conceptuelle et musicale. Je pense que c’est ce qui a plu, ce petit univers immersif, ce petit globe ciselé dans lequel on peut se projeter d’un seul coup et se retrouver dans un monde complètement différent.

Tulzcha : Tu as tout à fait raison Hyver, quand nous créons de la musique, nous créons une histoire, une épopée, un conte, et nous créons des chapitres à chaque nouveau morceau, donc nous essayons vraiment d’aller envoûter et absorber l’auditeur. C’est une volonté chez nous.

Hyvermor : Quand nous avons eu des retours, ils disaient qu’il y avait ce côté immersif, comme une plongée dans l’océan, c’est peut-être un élément de réponse.

Ordalies plaira à ceux qui ont aimé le précédent car on y retrouve les apports folks, les accroches blacks, les petites orchestrations, les ambiances et le fait aussi de laisser respirer les mélodies quitte à ce qu’elles prennent une tournure quasi progressive dans des compos assez longues. Maintenant qu’on a dit ça, pour vous, qu’est-ce qui représente la musicalité, la tessiture et l’esthétique musicale particulière de Véhémence ?

C’est vrai que c’est une question qui te concerne plus Tulzcha, je donne mon avis au départ et tu développeras plus en profondeur. Je dirais que ce côté immersif est dû principalement à la teneur des riffs parce que les riffs restent quand même le squelette, l’armature principale, la carapace de Véhémence, donc j’aurais envie de dire que c’est les riffs, leur manière d’être. Mais tout ça réside dans la tête de Tulzcha.

Tulzcha : Merci Hyver [rires]. Les chansons de Véhémence, c’est avant tout de la guitare et de la batterie, donc c’est avant tout pensé comme tel, c’est la base de tout morceau. Par exemple, je compose la batterie moi-même, ensuite j’y place des riffs, etc. Au début la batterie n’est qu’une base que j’améliore, donc une base sur une boîte à rythmes. À la base de Véhémence il n’y a pas de vraie batterie, c’est vraiment pour construire des riffs, justement. Ensuite tout ça se construit jusqu’au point d’orgue, et ensuite à la finalisation des morceaux. Il y a des ajouts de folk, etc. Mais c’est vraiment une superposition dont la base c’est de la guitare et de la batterie.

« C’est un opus qui fait la part belle aux flammes et à la définition du chevalier véhément ou de ce que l’on peut appeler le « chevalier céleste », le chevalier qui a le casque enflammé ou la tête formée de flammes, qui est en fait la représentation de la véhémence. »

Est-ce que vous avez d’abord les thèmes et l’intention conceptuelle ou d’abord l’instrumental ?

C’est d’abord l’instrumental, et effectivement après Hyver est inspiré – je le pense, en tout cas – et essaye d’écrire de très bons textes sur la musique et pose le chant par la suite.

Hyvermor : C’est particulier parce qu’il faut avoir connaissance de ce fonctionnement qui est à la base de la collaboration entre Tulzcha et moi : Tulzcha écrit des commencements de chanson, voire même des chansons entières, ensuite il leur donne un titre de ce qu’il pense être l’état d’esprit. C’est lui qui trouve les titres, en fait. Ensuite, je me greffe sur le titre et je développe mon imaginaire, mais à partir d’une première projection « tulzchadienne » [Rires]. Ça va partir d’un riff qui peut sembler océanique, il va y avoir un titre qui fait penser à des rivages éloignés. Il va juste y avoir le titre et le morceau, et rien qu’en partant de là, je développe l’imaginaire autour de la qualité des riffs et de ce qu’ils me semblent évoquer.

Quand est-ce que vous avez commencé à travailler sur ce nouvel opus ? Dans la foulée du précédent ? Ou y a-t-il eu un temps de pause ?

Tulzacha : Je crois que les tout premiers titres devaient être trois mois avant la sortie officielle du précédent album. Après il y a eu une période de pause, donc j’ai dû écrire un ou deux titres, et une longue période de pause jusqu’au confinement. C’est vraiment lors du confinement que j’ai pu écrire de nouveaux titres, en peaufiner d’autres. Au final, nous nous sommes retrouvés à avoir trop de titres pour cet album, donc on a un ou deux titres dans le tiroir que nous n’avons pas mis sur Ordalies. Donc nous avons un peu de matière pour un EP ou un split. Le confinement a beaucoup aidé pour développer les nouvelles compositions. Le Covid, etc. ça a été un moment d’introspection qui, je pense, a été bénéfique aux d’artistes qui ont souhaité se plonger un peu dans la composition. Le monde était arrêté, et ça m’a permis de vraiment projeter ma créativité dans Véhémence.

C’est à nouveau Stefan Traunmüller qu’on retrouve pour le mixage et le mastering. Pourtant, au niveau de la production, Ordalies semble avoir franchi un véritable pas. C’était une exigence majeure pour cet opus ?

Hyvermor : D’exigence, je ne sais pas, je sais que le matériel a changé du côté Tulzacha, je pense qu’il pourra développer, et je sais que le matériel a changé au niveau de Thomas Leitner qui fait la batterie. Il a son propre studio, il a augmenté aussi son niveau ; entre-temps, il a sorti un album d’Irdorath qui est très technique à la batterie. Quant à Stephan, lui-même, il a peut-être un peu appris du succès de Par Le Sang Versé et il a essayé d’aller plus loin dans ce sens.

Tulzcha : Exactement. Grâce à Par Le Sang Versé j’ai fait l’acquisition d’une nouvelle guitare pour Ordalies, parce que celle avec laquelle j’ai enregistré Par Le Sang Versé avait quand même quinze ans, donc elle était quand même assez vieille. J’ai fait l’acquisition également d’un nouveau matériel d’enregistrement, donc tout ça a fait également évoluer le son. Après, j’ai cherché un son qui se rapprochait quand même de Par Le Sang Versé à la guitare, parce que c’est un son qui me convient, j’ai mis un peu de temps à le trouver. J’ai essayé quand même de l’améliorer un petit peu par rapport à l’album précédent. Il n’y a pas d’exigence spécifique mais je pense qu’effectivement, ce qu’a bien dit Hyver, tous les intervenants se sont améliorés dans leur technique et dans ce qu’ils faisaient, c’est pour ça qu’in fine le résultat est peut être un cran supérieur en termes de production que Par Le Sang Versé.

Hyvermor : Léo également avec sa basse et son matériel qui est dédié.

Tulzcha : Effectivement, tu fais bien d’en parler Hyver, parce que, contrairement à Par Le Sang Versé, je n’ai pas fait la basse sur cet album-là. C’est un ami commun que l’on a avec Hyver qui a fait la basse et qui joue également dans Griffon.

« Tulzcha me surprend avec des riffs, il me fait des cadeaux, des offrandes de riffs, et moi je lui fais des cadeaux et des offrandes de paroles. »

Le côté extrêmement fédérateur est un des traits du black épique et médiéval, que vous aviez déjà sur vos deux précédents opus, mais on a l’impression que là vous vouliez réellement aller plus loin dans cette démarche, à l’instar du premier titre « De Feu et D’Acier ». Était-ce le cas ?

Je pense que le côté fédérateur, en tout cas sur la partie « De Feux Et D’Acier », vient beaucoup du chant et des chœurs qu’Hyver a rajoutés sur le refrain. D’un point de vue strictement musical, quand un titre est composé, je ne cherche pas à ce qu’il soit fédérateur ou pas. Je suis inspiré, j’imagine les titres, mais je ne les imagine pas spécialement fédérateurs. Il se trouve que parfois ça donne des titres fédérateurs comme « De Feux Et D’Acier » et ça c’est, je pense, surtout grâce au chant d’Hyver.

Hyvermor : C’est un peu la question de l’œuf ou la poule, mais je pense que le côté fédérateur vient après. Je pense que c’est le style qui le veut, que les riffs soient très emportés, très véhéments, en fait ! Si on se concentre sur l’étymologie de Véhémence, on a une bonne définition de là d’où viennent les riffs, c’est-à-dire des titres qui portent l’esprit, et qui portent un état d’esprit avant tout.

Hormis ce que nous avons mentionné, qu’est-ce que vous aviez envie de faire évoluer musicalement dans Véhémence avec ce deuxième opus ? Où est-ce que vous avez poussé les potards selon vous ?

Tulzcha : De mon côté, j’ai essayé de complexifier les riffs, de faire des choses qui étaient tout de même… Quand tu dis « fédérateur », j’entends ça dans le sens « efficace », donc il s’agissait d’essayer de faire des riffs efficaces, mais en même temps de faire des choses qui n’ont pas été forcément entendues. Après, ce n’est pas voulu, encore une fois je ne me suis pas dit : « Je ne vais pas faire comme Dissection parce que ça a déjà été entendu » ou « Je ne vais pas faire comme Taake parce que ça a déjà été entendu ». C’est juste que j’ai essayé de faire des riffs plus longs parfois, qui évoluaient tout au long de l’album, et donc d’amener une puissance. Je pense que ce que nous avons voulu avec cet album, c’est d’amener une puissance supplémentaire par rapport à Par Le Sang Versé. Nous avons voulu pousser le niveau de « mandale dans la gueule » au cran supérieur. Je pense que les titres sont variés.

Hyvermor : Je dirais qu’il est plus varié, qu’il est quand même un peu plus technique à tous les points de vue, et surtout, oui, les riffs sont plus fouillés. Les paroles ont été aussi plus travaillées pour faire des sens profonds, des sens cachés, des demi-sens. En gros, je les ai travaillés pour coller vraiment au travail des guitares.

Tulzcha : Ce que j’ai voulu pousser, et Hyver m’y a aidé, c’est de placer des instruments folks sur des parties metal. Chose qu’il y avait peu dans Par Le Sang Versé, hormis dans « Passages Dans Les Douves » où on a une flûte qui se joint à la guitare électrique, et un petit peu aussi sur « La Dernière Chevauchée », on a des trompettes qui arrivent, etc. Ici nous avons voulu pousser le bouchon un peu plus loin avec notamment des titres comme « La Divine Sorcellerie » où tu as une vielle à roue en seconde partie de titre sur une guitare électrique, ou le titre « Quand L’Hiver Viendra » où nous avons poussé la partie folklorique à son paroxysme en faisant intervenir la batterie, de la flûte et de la nyckelharpa sur le final.

Hyvermor : Sans donner dans le folk metal non plus. C’est ça qui est la gageure en quelque sorte.

Tulzcha : Exacerber le côté folklorique, ça c’est sûr, je pense que ce sont des choses que les gens retrouveront, sans pour autant faire disparaître le côté black metal ou même le diminuer d’un iota.

« Ordalie », ou « jugement de Dieu », était une épreuve judiciaire employée au Moyen Âge pour établir l’innocence ou la culpabilité de l’accusé. Il pouvait y avoir des ordalies par l’eau, par le feu ou par combat/duel. Comment l’album s’articule-t-il autour de cette thématique, est-ce qu’elle est centrale dans ce nouvel opus ?

Hyvermor : Oui, tout ce que tu as dit était juste. C’est très compliqué à expliquer. En gros, le monde de Véhémence est un monde où le merveilleux est accepté, où il existe de façon tangible, les manifestations du merveilleux sont bel et bien réelles. Malgré tout, certains de ces événements peuvent parfois évoquer l’effroi, la stupeur, l’étonnement, et donc il y a des incursions du fantastique dans le monde merveilleux. Dans cet ordre d’idées-là, « ordalies » n’est pas forcément vu sous sa définition chrétienne et occidentale du terme mais plutôt comme le challenge et l’épreuve du « chevalier céleste » en quelque sorte. J’avais remarqué que cet album – et le précédent, et celui d’avant encore – avait la thématique du chevalier céleste qui se manifestait, c’est-à-dire le chevalier pur, le chevalier droit, le chevalier parfait, celui qu’on attend, en quelque sorte. Il y avait déjà cette présence-là, donc c’est vrai que quand nous avons commencé à réfléchir au titre de l’album, effectivement l’idée d’un challenge et d’une épreuve finale du chevalier parfait méritait d’avoir son nom comme opus. Parce que c’est vrai que c’est un opus qui fait la part belle aux flammes et à la définition du chevalier véhément ou de ce que l’on peut appeler le « chevalier céleste », le chevalier qui a le casque enflammé ou la tête formée de flammes, qui est en fait la représentation de la véhémence. C’est donc plutôt plusieurs histoires dans le même univers, qui évoquent parfois des concepts qui sont proches.

« Tulzcha fabrique. Il est artisan, il est ferronnier de riffs très travaillés, très ciselés. Je le vois comme un orfèvre, comme un forgeron qui tape cent fois sur son métal pour obtenir quelque chose d’acéré. »

Si le précédent opus voyait se succéder des ambiances très poétiques et enchanteresses grâce aux passages folks, Ordalies semble beaucoup plus guerrier et incisif…

Oui, il est un peu plus martial, un peu plus trépidant… Il y a moins l’étrangeté alchimique que Par Le Sang Versé qui va évoquer l’idée d’une transformation, l’idée d’un « upgrade ». Là c’est effectivement plus l’idée d’un challenge, d’une confrontation aux éléments, et notamment à l’élément du feu que l’on retrouve dans « Notre Royaume… En Cendres », que l’on retrouve dans « Au Blason Brûlé ».

Tout ce que tu dis fait écho à la poésie médiévale, avec notamment la conception chevaleresque un peu rêvée qui se mélange aussi avec des réalités médiévales. Comment cet univers t’a-t-il impacté dans l’écriture de ces chansons et quel rapport as-tu avec la poésie médiévale ?

J’aime beaucoup. J’ai notamment redécouvert pendant la réalisation d’Ordalies Bertrand de Born et les sirventès du XIIIe-XIVe siècle. Ce sont des poèmes, généralement très guerriers, où il y a de véritables insultes dans le texte, c’est ultra violent. C’est cette poésie très guerrière et très emportée qui m’a fait penser au côté virevoltant, virulent et effréné des rythmes de Véhémence. Je peux te citer un passage si tu veux. Bon, il y a la version occitane, mais on ne comprendrait pas grand-chose [rires]. Par exemple, dans ce sirventès d’un poète du sud de la France qui s’insurge contre les incursions françaises chez les Provençaux, il dit dans son troisième couplet : « Des prêtres, des fourbes et des misérables m’ont abandonné ainsi que leurs serviteurs. Je ne m’en plains pas car je ne vaudrais pas moins, et j’attendrais car j’ai encore de nombreuses maisons, et j’ai mes gens sûrs. Et les traîtres s’en vont, Dieu les ruine ! Et peu m’importe s’ils en acquièrent un grand pouvoir [: ils feront au Comte ce qu’ils m’ont fait]. » C’est ce côté un peu enflammé de cette partie-là de la poésie qui fait écho chez moi. J’en profite pour dire que je n’essaye pas de faire un pastiche de poésies médiévales et que ce que nous racontons dans les textes sont des choses qui font partie d’un monde réel et imaginaire et fantastique, mais qui ont aussi leur écho dans nos vies personnelles, et c’est ça qui est amusant. Il y a des petites références qui ne parlent qu’à Tulzcha et à moi-même. C’est la petite surprise [rires].

Tu te prêtes à l’exercice de créer un imaginaire médiéval, mais par rapport à vos propres vécus…

Il y a de très fines incursions de morceaux de vies personnelles, des petites références, des clins d’œil, des choses dont nous ne pouvons pas vraiment parler parce qu’il ne s’agit que de fulgurances poétiques, mais qui font écho dans nos cœurs, et c’est suffisant que nous le sachions. Après, ce ne sont pas des choses qui intéresseraient le grand public. Il y a une part de réalité dans les paroles de Véhémence.

Tulzcha : Tout à fait. Parfois sur certaines parties, mais de façon très contournée, Hyver fait écho à des conversations que nous avons eues, donc c’est assez drôle. Mais effectivement, nous sommes les deux seuls à pouvoir le comprendre.

Hyvermor : C’est joli de cacher des sens comme ça aussi, c’est important.

Vous en parlez avant ou, Tulzcha, tu découvres les paroles au moment où il les a écrites ?

Tulzcha : Non je le laisse. Hyver a une liberté totale sur les paroles, et donc je les découvre au moment où il les écrit.

Hyvermor : C’est un jeu de surprise. Tulzcha me surprend avec des riffs, il me fait des cadeaux, des offrandes de riffs, et moi je lui fais des cadeaux et des offrandes de paroles avec les versions déjà enregistrées. Nous nous faisons comme ça des espèces de présents comme des seigneurs du Moyen Âge. Nous nous s’offrons des ours blancs et des rhinocéros [rires].

Est-ce qu’il y a des choses que tu n’avais pas remarquées dans les paroles d’Hyvermor et que c’est après coup qu’il t’a fait remarquer les références ? Ou est-ce que tout a été très limpide et que vous vous connaissez tellement qu’au final c’était facile pour toi, Tulzcha ?

Tulzcha : C’est une bonne question. Sur Par Le Sang Versé, oui, parce que nous ne nous connaissions pas encore suffisamment, donc effectivement j’avais des petites surprises comme ça. Mais maintenant que nous savons les thèmes que nous abordons, je pense que je repère à peu près cent pour cent des petites cachotteries d’Hyver, les petites références qu’il fait à droite à gauche. C’est toujours extrêmement bien écrit, donc il est toujours assez facile de deviner.

Hyvermor : De la même façon, cent fois après avoir écouté les riffs je redécouvre des petites notes. Même au mastering final, ça réapparaît parce que peut-être que les guitares de soutien vont sublimer certains passages. Je redécouvre des petits pans cachés dans les notes qu’avait placées Tulzcha. Donc c’est marrant, c’est vraiment un jeu de surprise et de franchise. C’est très amusant, c’est chouette à pratiquer en tout cas.

« Il n’y a rien de plus décevant qu’un bel album mais dont la forme n’atteint pas le fond, et qui est pauvre visuellement et conceptuellement. Il n’y a rien de pire, à mon sens. »

Hyvermor, tu as de nouveau réalisé l’artwork. Est-ce que tu peux nous en dire un peu plus sur l’approche graphique assez singulière que tu utilises pour Véhémence ? En quoi ça a du sens conceptuellement parlant ?

C’est très difficile d’en parler parce que l’artwork a été vu pour être deviné plutôt que pour être expliqué. On voit deux tours qui se font face et un pont qui est entre les deux, un pont à quatre arcs qui n’est pas en ruine, qui est en bon état. Donc, deux châteaux, deux tours qui ont probablement des choses à se dire. Devant : deux chevaliers, chacun vêtu de violet et de pourpre – là encore la couleur est importante –, qui passent les armes l’un contre l’autre, mais est-ce qu’il se battent vraiment ? Est-ce que leurs épées sont réellement enflammées ? Quelle est la signification du fait que le chevalier violet a le bouclier pourpre et que le chevalier pourpre a le bouclier violet ? En tout cas, tout ce que l’on peut voir dans cet artwork ce sont des choses à deviner. Tout a un sens, rien n’a été laissé au hasard, même pour ce qui est de l’entourage, le cadre, et la partie parcheminée qui est derrière. Il y a du sens à voir dans tout, mais il faut le rechercher dans l’album. C’est un jeu de piste et c’est le sens du chevalier céleste. Il faut faire attention aux petits détails aussi de ce qui se trouve au niveau des pieds des personnages, etc.

Tu as donné pas mal d’indices, du coup [rires].

Oui, j’en ai donné beaucoup [rires], maintenant je vais retourner dans le silence. Mais l’artwork est très important et l’intérieur du CD et celui du vinyle sont pareils, avec plein de sens cachés, ça va être limite un jeu de piste alchimique.

Nous n’avons pas l’objet sous la main, mais en voyant les infos sur l’album on imagine que vous souhaitez proposer quelque chose qui s’apparente à un livre aussi, j’imagine que le digibook sera aussi stylisé comme la pochette. Avez-vous la volonté de dire que Véhémence est un tout artistique, que ce n’est pas que de la musique ?

Tulzcha : Oui, tout à fait. Sur les éditions limitées nous avons voulu surpasser, sublimer, rendre hommage aussi à l’album parce que c’est une histoire qui nous a pris beaucoup de temps à tous les deux, donc autant marquer le coup et faire de belles éditions. Également faire plaisir aux gens qui soutiennent le groupe en proposant vraiment des éditions de qualité. Sur le dernier album, les éditions limitées étaient, pour le coup, trop limitées, donc l’idée était de proposer plusieurs éditions. Cette fois-ci nous avons deux éditions limitées, plus le digibook.

Hyvermor : Nous avons vraiment marqué le coup. Pour ce qui est des visuels dans le digibook A5 du CD, parce que c’est vrai qu’il fait seize pages, chaque chanson est illustrée par des dessins qui permettent de comprendre l’intertextualité et leur sens caché. Effectivement, il y a aussi ces deux éditions limitées dont on peut dire, sans rougir de fausse modestie, qu’elles vont quand même se classer parmi les beaux objets.

Justement, ça a du sens aussi de revenir à « l’artisanat du metal » en proposant de beaux objets, et en redonnant une importance à la musique physique ?

Oui. Tulzcha fabrique. Il est artisan, il est ferronnier de riffs très travaillés, très ciselés. Je le vois comme un orfèvre, comme un forgeron qui tape cent fois sur son métal pour obtenir quelque chose d’acéré, de ciselé. Donc, c’est difficile de fournir des objets du commun, nous devons quand même fabriquer des écrins pour la musique.

Tulzcha : Merci beaucoup, Hyver. C’est vrai que la partie physique pour moi est tout aussi importante que la partie musicale, dans le sens où c’est un peu la prolongation d’un album, dès qu’on voit la pochette, dès qu’on voit l’objet, l’idée est d’en connaître déjà les prémices, et de pouvoir en déduire le fond, la musique. Donc oui, c’est super important. En ce qui me concerne, je suis assez collectionneur, j’ai une grande discographie physique : pas mal de vinyles, pas mal de tapes et pas mal de CD. Je ne peux pas apprécier un album sans l’avoir fait jouer sur ma platine vinyle ou dans un lecteur CD.

Hyvermor : Et il n’y a rien de plus décevant qu’un bel album mais dont la forme n’atteint pas le fond, et qui est pauvre visuellement et conceptuellement. Il n’y a rien de pire, à mon sens.

Tulzcha : Je suis d’accord, et j’ai de la chance d’avoir Hyver parce qu’il comprend l’univers que je veux donner aux différents titres et il peut l’illustrer. Je ne pourrais jamais faire ce qu’il va faire en tant qu’illustrateur, en tant qu’artiste visuel du groupe, donc nous nous complétons vraiment bien de ce point de vue.

« Je me vois comme un paysan ou comme un ouvrier, plutôt, du domaine de la culture musicale certes, mais pas très éloigné de la façon dont je voyais mes précédentes activités d’archéologue, d’historien du bâti. »

Si je ne me trompe pas, pour l’instant Ordalies n’est pas encore disponible en vinyle, est-ce dans les tuyaux ?

Hyvermor : Oui, oui, ça vient très vite, je suis en train de finaliser les artworks et ensuite ça part à l’usine, mais il ne faudra pas s’y attendre avant un bon moment.

Tulzcha : Il y a des retards sur les pressages de vinyles. J’ai l’impression que tous les artistes sont en retard.

Hyvermor : Il y a une grosse crise qui touche le monde entier, et il ne faut pas croire les menteurs qui disent que d’ici un an ce sera résolu. Le retard est pris et maintenant il y aura toujours plus de retard parce qu’il y a toujours plus de commandes qui s’accumulent. Je ne sais pas si ça va se résoudre. C’est encore d’autres détails techniques, il y a des questions de pollution aussi notamment. Donc effectivement le vinyle prend tu retard partout, et celui d’Ordalies va être disponible mais d’ici quelques mois je dirais.

Tulzcha : Je dirais entre juin et septembre.

Hyvermor : Quoi qu’il en soit, il y aura et, comme avec Par Le Sang Versé, ce sera un très bel objet. Nous vous concoctons tout un tas de surprises, nous sommes à fond dessus.

Vous n’avez pas hésité à faire venir pas mal d’invités, des membres de la famille du label Antiq qui s’agrandit. Est-ce important pour vous de faire participer vos amis à ce projet là aussi ? Ou alors peut-être est-ce juste par rapport à leur savoir-faire musical ?

Un peu des deux. C’est vrai que c’est quand même cool d’avoir, par exemple, un flûtiste dans ses contacts. D’un autre côté, c’est une manière de lui partager un petit peu de Véhémence, de lui donner un peu de Véhémence, et ça fait plaisir de voir les personnes s’enthousiasmer à l’idée de participer au projet.

Est-ce que Véhémence va faire du live ?

Tulzcha : C’est une question qui, effectivement, revient souvent. Ce n’est pas prévu pour l’instant, pour moult raisons. La première est que nous n’habitons pas du tout dans le même coin. Hyver est breton, moi j’habite en Île-de-France, et le batteur Thomas Leitner est autrichien, donc ça n’arrange pas les choses. C’est-à-dire que si un jour nous voulions faire du live – sachant que nous n’avons jamais répété ensemble – il faudrait prendre un certain temps pour répéter les morceaux qui sont longs et complexes, et pour trouver une alchimie. Si un jour Véhémence veut se produire en live, nous essayerons de créer quelque chose de qualitatif, donc il faut essayer de créer une alchimie musicale en répétant tous ensemble pendant un certain temps avant de pouvoir se produire. Donc tout ça, avec en plus la crise du Covid-19 dernièrement, fait que je pense que ce n’est pas prévu pour l’instant.

Vous allez décevoir tous ceux qu’on voit avec leur t-shirt Véhémence en concert [rires].

Hyvermor : [Rires] Oui, mais ils ont les albums pour rêver déjà. C’est vrai que c’est assez compliqué de proposer quelque chose de qualité.

Tulzcha : Et c’est vrai que nous nous accomplissons en studio. Je trouve que nous nous réalisons bien entre nous tous, spécialement entre Hyver et moi, et les autres intervenants qui comprennent où nous voulons aller. Nous prenons beaucoup de plaisir à composer, à créer, à écrire. Nous n’avons jamais connu le live en tant que Véhémence, donc il ne nous manque pas spécialement. En tout cas, nous n’en ressentons pas le besoin.

« Pour revenir aux fondamentaux, je pense que l’essence du black metal c’est le diable, et que le diable n’est pas forcément pessimiste, il n’est pas forcément triste. Je suis partisan des diables joyeux. Je pense qu’il peut y avoir un black metal positif et optimiste. »

Au sujet d’Antiq, Hyvermor tu es le gérant du label. Toutes vos productions ont une certaine cohérence stylistique, au-delà même de la simple étiquette du black. Vicomte Vampyr Arkames disait du label : « Il a peut-être des groupes qui sont vrais, qui touchent le terroir, qui touchent la terre… » Est-ce que tu te retrouves dans cette définition ?

Hyvermor : Oui, totalement. Quand j’entends ces paroles du Vicomte, je pense directement au mec d’Ascète qui est maçon, il répare des vieux monuments, et il parle de vieux monuments [rires]. Je pense à Tulzcha, qui est un vrai passionné d’histoire et d’imaginaire médiéval. Je pense forcément à moi-même, mais je préfère aller piocher des exemples ailleurs. Je pense aussi à Geoffroy Dell’Aria de Paydretz, très authentique comme personnage aussi dans son genre, c’est quelqu’un qui est capable de faire mille cinq cents kilomètres pour aller voir des amis [rires], et au-delà de ça, qui vit vraiment son truc. Il nous a joué de la cornemuse à La Chaire Des Druides, ça donnait des frissons dans le dos. Je pense aussi à Dorminn, très authentique. Il vit sa musique. Nous pouvons avoir une petite pensée pour lui parce que là, il fait une retraite où il est complètement coupé de la lumière du jour ; il a complètement tout occulté pour perdre la notion de jour et de nuit, et il s’éclaire à la bougie pour enregistrer Dorminn III. Effectivement, Antiq a rassemblé des artistes qui sont tous cohérents, et ça me fait plaisir que tu profites de cette interview de Véhémence pour le rappeler parce que Véhémence est aux côtés de compagnons d’armes tels que Passéisme, Paydretz, etc. Il y a cette cohérence qui est très importante et qui est bien sûr présente et essentielle dans Véhémence.

Quand on tient un petit label underground comme ça, qui n’a, je crois, pas spécialement vocation à devenir bien plus gros, comment on garde la foi sur le projet ? Et surtout, est-ce que vous arrivez à joindre les deux bouts quand même, car ça a un prix d’avoir un catalogue comme ça, malgré tout ?

Effectivement, ça a un coût, nous faisons des journées longues [rires]. Je me vois comme un paysan ou comme un ouvrier, plutôt, du domaine de la culture musicale certes, mais pas très éloigné de la façon dont je voyais mes précédentes activités d’archéologue, d’historien du bâti que j’ai peu exercées mais que j’ai exercées néanmoins. Je ne conseille pas à tout le monde de monter un label, c’est certain. D’un autre côté, ce sont des choses qui font plaisir à faire parce que ce sont des choses qui ont du sens. Ta journée qui n’a plus d’heure, elle prend un sens quand il y a quelqu’un qui t’écrit et te dit : « Cet album-là est formidable ! » ou quand tu vois passer des publications sur internet… Ce qui m’avait le plus marqué, c’est un type d’Amérique du Sud qui était sorti d’hôpital psychiatrique grâce à Par Le Sang Versé. Il m’avait écrit ça sur la page du groupe et ça nous a vraiment touchés. Le mec nous a dit : « C’est grâce à vous que je suis allé mieux. Votre musique m’a fait remonter la pente. Je mets mon ‘aller mieux’ sur le compte de Véhémence. » Ça, vraiment, ça m’a marqué dans Véhémence et ça m’a marqué dans Antiq aussi.

Tuzlcha : Ça donne envie de faire le troisième album tout de suite quand on entend ça !

Hyvermor : D’un autre côté, je comprends le type. Je ne me dis pas juste : « Ah, c’est cool. » Je me dis : « Ah oui, je vois ce qu’il veut dire. » il y a le côté positif, battant, conquérant dans les riffs qui fait que l’on a envie de reprendre des armes, toutes les armes… mais pas celles qui font mal.

Je vais trahir le secret, on s’était eu au téléphone il y a quelque temps et tu m’avais dit que tu voulais lancer un mouvement de black metal positif [rires]. As-tu un premier projet à nous proposer là-dedans ?

C’est déjà lancé ! [Rires]. C’est une évidence qui se manifeste depuis quelques années. J’ai l’impression qu’il y a des gens qui ont envie de créer un black metal « positif » ou « optimiste ». Je vois venir les esprits chagrins qui vont dire : « C’est l’essence du black metal que d’être négatif… » Je ne pense pas que ce soit ça l’essence du black metal. Pour revenir aux fondamentaux, je pense que l’essence du black metal c’est le diable, et que le diable n’est pas forcément pessimiste, il n’est pas forcément triste. Je suis partisan des diables joyeux. Je pense qu’il peut y avoir un black metal positif et optimiste, dans le sens où le diable c’est le double, c’est celui qui cherche à faire changer les autres. Ce qui lui fait plaisir, c’est de faire changer les gens. Tu le vois bien dans Faust de Goethe, le diable est presque aussi content du succès de Faust que de ses avanies. En fait, le diable, ce qu’il veut c’est, je pense, changer les gens et changer leur perception du monde. Dans ce sens-là, pourquoi ne pas imaginer un black metal qui modifie les auditeurs en leur proposant quelque chose qui d’un seul coup leur donne de l’espoir, du sourire, de la bonté, de la bienveillance ? Mais cela sans jamais se départir non plus d’une certaine forme de noirceur, d’une forme de tragique voire de tyrannie.

Interview réalisée par téléphone le 22 février 2022 par Jean-Florian Garel.
Retranscription : Aurélie Chappaz.

Facebook officiel de Véhémence : facebook.com/V%C3%A9h%C3%A9mence-1079174508761708

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  • Super interview !

    Et bien content qu’ils aient une visibilité qu’ils méritent amplement !

    Par contre ce dernier album m’a légèrement moins touché que le second qui était une immense claque. Mais je me fais pas de soucis, je l’ai pas encore suffisamment écouté (3x) et je le maitrise pas encore.
    Hâte d’avoir la version en vinyle.

    Par contre en effet, qu’est-ce que j’aimerais les voir en concert. Ils ont un aspect « positif » ultra fédérateur dans beaucoup de refrains de leurs titres et ca donne envie de les hurler au concerts. Finalement qu’a moitié étonné qu’hyvermore ait des projets concernant le « black positif » !

    Et puis si on remonte aux premiers bathory … moi ca me fais rire (ce n’est pas du sarcasme), c’est pas déprimant pour un sous, c’est « sombre », mais rock n roll, encore avec un aspect motorheadien.

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