La métaphore que l’on utilise le plus généreusement pour décrire une musique qui nous fait de l’effet est celle du voyage : « ça me transporte », « ça me fait voyager ». En l’occurrence, si l’album de Walking Papers vous fait voyager, c’est que son inspiration principal est… le voyage. A ce titre, le batteur Barret Martin a une soif de voyages encore vivace, puisqu’il passe tout son temps de tournée, quand il ne joue pas, à visiter les villes par lesquelles passe le groupe. L’idée de base du projet était d’ailleurs de retranscrire en musique la diversité et la beauté des paysages américains dont Martin semble fou amoureux. En résulte un disque d’une base grunge, mais présentant des sons peu communs à cette sphère et une belle diversité, comme en témoigne son démarrage habile avec le titre très calme et minimaliste « Already Dead ».
Que ces musiciens aient encore cette fougue de la découverte pourrait surprendre étant donné que tous ont déjà eu le temps de s’habituer et, potentiellement, de se lasser des tournées. Car Walking Papers est un projet réunissant des artistes de renom, de Barret Martin (Screaming Trees, Mad Season) à Duff McKagan (Velvet Revolver, Loaded, ex-Guns N’Roses). Il existe pour ce genre d’initiative d’ailleurs un terme qui irrite tout particulièrement Barret, pour qui ce projet est un nouveau départ. Bien qu’ils ne nient pas que les choses soient, en raison de la notoriété des membres, plus confortables financièrement, ils ne souhaitent pas brûler les étapes importantes et redécouvrir le chemin d’un artiste : développer une fan-base, conquérir les petites salles avant de passer dans les grandes, mais aussi souder le groupe par des dates intimistes.
Enfin, Walking Papers tient à rester indépendant, car c’est, pour un Barret particulièrement sévère avec les groupes signés chez les labels, en cela qu’un groupe reste rock.
Radio Metal : Comment se présente ce concert ? Vous avez déjà fait le soundcheck ?
Barrett Martin (batteur) : Oui, c’est fait. On a passé la journée à se balader dans Paris et à manger de la bonne bouffe : des crêpes, des éclairs… J’ai pris des photos de la Tour Eiffel et marché jusqu’au Louvre.
Tu sembles vraiment aimer voyager et visiter les lieux où tu joues.
C’est tout l’intérêt d’être dans un groupe : voir les villes du monde.
La plupart des groupes se contentent d’attendre ou de se détendre avant un concert. On dirait que tu cherches vraiment à mieux connaître les villes où tu joues.
Oui, j’adore faire ça.
Peux-tu nous dire comment ce projet a vu le jour et comment les différents membres ont été impliqués ?
J’ai appelé Jefferson Angell l’été dernier, quand j’étais au Nouveau-Mexique. Je lui ai dit qu’on devrait monter un groupe qui raconterait des histoires de l’Ouest Américain. On s’est vu et on a commencé à écrire des chansons ensemble. Le projet est devenu beaucoup plus intéressant quand on a enrôlé Duff [McKagan] à la basse et Ben Anderson aux claviers. On est amis, on se connaît depuis des années. On n’avait simplement jamais fait partie du même groupe. C’est le genre d’histoire où une bande de potes décide de former un groupe.
Tu as déclaré dans une interview que tu détestes le terme « supergroupe ». C’est pourtant ce que vous êtes dans les faits : un projet fondé par plusieurs musiciens connus. Que détestes-tu à ce point dans ce mot ? Y vois-tu une connotation négative ou une histoire de sous ?
Je pense que « supergroupe » est un mot un peu facile qu’on utilise quand des personnes connues montent un groupe. La vérité, c’est qu’on est tous quadras, qu’on a participé à beaucoup de groupes et qu’on a joué dans le monde entier. On a choisi de monter le groupe parce qu’on est amis, pas parce que Duff était dans Guns N’ Roses, ou parce que j’étais dans Mad Season. Ça n’a pas d’importance. Ce qui en a, c’est que les musiciens soient en mesure de jouer ensemble, d’écrire des chansons ensemble et de former un vrai groupe. C’est pour ça qu’on joue dans de petits clubs et qu’on fait les choses à l’ancienne. On va dans des clubs pour être proches du public et pour bâtir une vraie alchimie de groupe pendant le concert. Les gens peuvent parler de supergroupe, mais je n’aime pas vraiment ce mot. C’est un groupe génial, voilà ce que c’est.
Le nom Walking Papers est assez intéressant car il revêt beaucoup de significations différentes en anglais. Il peut faire référence aux soldats de la Deuxième Guerre mondiale relevés de leur service, ou à des employés renvoyés par une entreprise, ou encore à des gens qui travaillent énormément pour très peu d’argent. Avez-vous choisi ce nom en raison des nombreux sens qu’il peut avoir ?
Tous les membres du groupe viennent de familles d’ouvriers très travailleuses, des familles dont on peut même dire qu’elles étaient pauvres. Tout le monde travaillait très dur, mais nous n’avons pas grandi avec beaucoup d’argent. Même si nous avons eu un certain succès en tant que musiciens, nous nous identifions toujours aux gens qui travaillent. Aux États-Unis, je pense que le travail est la chose la plus importante, et que ça devrait être la plus respectée. Le terme « walking papers » [ndlr : équivalent d’une lettre de licenciement] signifie que, oui, tu as été licencié, mais c’est aussi une forme de liberté. Ça permet de faire et de devenir autre chose, de prendre de la distance et de commencer un nouveau boulot ailleurs. C’est ce que font beaucoup de gens en ce moment.
Ce terme décrit parfaitement la vie de musicien. Le vois-tu aussi comme ça ?
Oui, tout le monde dans le groupe a reçu sa lettre de licenciement à un moment ou à un autre. The Screaming Trees se sont séparés et j’ai reçu ma lettre de licenciement. Duff aussi, de la part de Guns N’Roses. Nous avons tous participé à des groupes que nous avons quittés ou qui se sont séparés. On a tous connu ça.
Vous êtes très connus en tant que musiciens. Avez-vous toujours du mal à vivre de la musique ?
Non. Avec un groupe comme celui-ci, on fait de l’argent dès le départ. Mais nous jouons volontairement dans de petites salles parce que, comme je l’ai déjà dit, l’idée est de souder le groupe. Nous avons beaucoup de succès en tant que musiciens, mais nous avons décidé de faire les choses correctement dès le début avec ce groupe.
Tu as déclaré : « Je n’aime pas ce qui passe pour le rock, aujourd’hui. Les grosses radios et les grandes maisons de disques ont détruit ça. J’aime beaucoup d’autres styles de musique, mais le rock est un peu boiteux, en ce moment ». Sur l’album, on peut entendre de nombreux instruments assez rares dans le rock. Penses-tu que l’essence du rock ne se retrouve plus chez des groupes de rock, mais dans d’autres styles musicaux ?
Je pense que le rock’n’roll est une forme de résistance, de rébellion contre des structures de pouvoir hégémoniques. La vérité, c’est qu’un groupe qui a signé chez une grosse maison de disques n’est plus vraiment un groupe de rock, parce qu’il bosse pour une grande entreprise. Walking Papers est un groupe totalement indépendant. Notre label, c’est le mien, celui que j’ai fondé. Nous contrôlons tous les aspects du groupe via le label [NDLR : Sunyata Records]. Quand je dis que je n’aime pas ce qui passe pour le rock, c’est parce que ces groupes ont signé chez de gros labels et passent sur de grandes chaînes de radio. Les gens pensent à tort que c’est ça, le rock. Ce n’est pas le cas. C’est la raison pour laquelle j’aime des groupes comme The Black Keys, ils sont incroyablement bons. Ou Jack White et tous les groupes auxquels il a participé. Ça, ce sont des groupes indés. Je sais que The Black Keys sont chez Nonesuch, maintenant, mais ils ont commencé de façon indépendante, et ils ont construit leur carrière comme ça. C’est tout le contraire d’un groupe comme Nickelback, par exemple. Ça, c’est un groupe fabriqué.
Quelle est ta propre définition du rock ?
Comme je l’ai dit, c’est une forme de résistance musicale contre les structures du pouvoir. Voilà ce que c’est. On peut exprimer le rock par la batterie, la basse et la guitare, mais aussi par le piano et le marimba. Le plus important, c’est de savoir raconter des histoires.
Penses-tu que Walking Papers soit un groupe de rock ?
Je sais que nous sommes un super groupe de rock ! Nous sommes un excellent groupe de scène, et nous sommes très bons en studio, parce que nous avons une formidable expérience collective en termes d’enregistrement.
À propos de cet album, tu as déclaré : « Je voulais créer un groupe qui soit heavy, tout en ayant de bonnes qualités de conteur, afin de capturer l’essence du paysage américain ». Que trouves-tu de si inspirant dans ces paysages ?
Oh, les paysages américains comptent parmi les plus beaux du monde : il y a des déserts, des canyons, des montagnes, de grands espaces… Il faut voir l’Ouest Américain pour comprendre. J’aime les États-Unis. Je suis rarement d’accord avec sa politique nationale et militaire, mais j’aime le peuple américain, les paysages américains et les histoires qui viennent des États-Unis. Quand on y pense, c’est une nation de grands conteurs : pensez à tous les auteurs, les réalisateurs et les poètes originaires des États-Unis. Il y a de grands musiciens – Bob Dylan, Springsteen, Tom Petty –, des gens réputés pour raconter des histoires dans leurs chansons. Il y a quelque chose dans les États-Unis qui provoque ça.
L’album est très diversifié. Est-ce un moyen de symboliser la diversité des paysages américains ?
Oui, je pense. Nous avons délibérément essayé de rendre chaque chanson unique, mais quand on les écoute les unes à la suite des autres, l’album constitue une histoire plus importante. Chaque chanson est comme une nouvelle dans un recueil.
Sur la page Facebook du groupe, tu parles beaucoup des villes que tu visites en tournée. Il semblerait que les voyages constituent ta source d’inspiration principale.
J’ai voyagé dans le monde entier, même quand je ne jouais pas. J’ai passé du temps en Afrique, à Cuba, j’ai vécu et joué au Brésil. J’ai aussi passé du temps en Amazonie, à étudier la musique indigène. Ensuite, je suis retourné à la fac et je suis devenu professeur d’université. J’ai beaucoup voyagé pour étudier la musique et ça n’avait rien à voir avec ma carrière rock. C’est le plus bel avantage quand on est musicien : la possibilité de voyager.
Tu publies souvent de longs messages et réflexions sur ta page Facebook. Tu sembles vouloir créer une relation très ouverte avec tes fans et ton public.
Je crois. Nous voulons être liés aux gens qui aiment ce groupe. J’écris aussi un livre, en ce moment. J’écris beaucoup plus que la plupart des gens ! C’est aussi le cas de Duff. Il a écrit un livre et il fait une chronique hebdomadaire dans le Seattle Weekly. Lui et moi passons notre temps à écrire.
Ma dernière question concerne Mad Season. J’ai entendu dire que vous aviez l’intention de sortir un deuxième album. Est-ce toujours le cas ?
Ce n’est pas un deuxième album. C’est un coffret, qui sortira chez Sony le 12 mars. J’ai supervisé la création de ce coffret. Il y a trois nouvelles chansons interprétées par Mark Lanegan, un DVD d’un concert de Mad Season, et un autre d’un show que nous avons donné dans un club. Il avait été filmé, mais personne ne l’a jamais vu. Ça fait donc trois disques dans un superbe package. J’ai écrit les notes intérieures et tout a été supervisé par Mike et moi, donc tout a été fait par le groupe. Le coffret sortira chez Sony Legacy.
Interview réalisée par téléphone le 10 novembre 2012
Retranscription et traduction : Saff’
Source photos : page Facebook du groupe.
Album Walking Papers sorti le 2 octobre 2012 via Sunyata Records