Shadow Work était de toute façon voué à devenir un album singulier. Le second album solo de Warrel Dane sera malheureusement le dernier, l’ex-chanteur de Nevermore étant décédé le 13 décembre 2017 alors qu’il venait à peine de débuter ses enregistrements. Shadow Work est avant toute chose un album posthume, le dernier témoignage du talent musical d’un chanteur qui aura durablement marqué la scène metal. L’album a été enregistré au Brésil et mis à part un seul titre complété en studio, la voix du frontman est issue des démos et pré-productions enregistrées au préalable. Il a fallu l’impressionnant travail de la part du groupe qui l’entourait pour donner forme à Shadow Work et ses huit titres (onze étaient originalement prévus) et faire honneur à l’artiste. Shadow Work est en outre une fenêtre sur les véritables affects de l’artiste, évoquant la formule qui a fait sa renommée avec Nevermore.
C’est le premier constat que chacun peut aisément tirer de l’écoute de Shadow Work, l’album fait davantage écho à la musique de Nevermore que le premier opus solo Praises To The War Machine (2008) ; la tournée des quinze ans de Dead Heart In A Dead World a certainement laissé des traces. Le registre plus rock a été délaissé pour retrouver l’agressivité, les riffs incisifs et une atmosphère plus sombre encore. L’introduction mystique « Ethereal Blessing », sur laquelle Warrel Dane revêt une aura chamanique accompagné de percussions et orchestrations, ne tarde pas à dévoiler le penchant intense de l’opus en aboutissant sur « Madame Satan » et son riffing inarrêtable, typique de ce que le death technique sait proposer. En outre, Warrel Dane délivre un growl caverneux qu’il n’a laissé entendre qu’à de rares occasions, contrastant avec le refrain plus relâché et très mélodique. L’introduction massive de « Disconnection System » persiste dans cette direction, Shadow Work ne lève pas le pied et cultive une forme de théâtralité qui doit beaucoup aux variations vocales et à la prestation incarnée de Warrel Dane. Si l’on doit retenir une chose de ce Shadow Work, c’est la polyvalence du chant et son inspiration, que ce soit les envolées mélodiques – « Rain » est à ce titre l’exemple le plus marquant de la mélancolie dont Warrel Dane était capable -, les susurrements macabres ou le growl tremblant. Surtout lorsqu’on sait qu’il s’agit de démos et que seule la reprise de The Cure « The Hanging Garden » (quasi-méconnaissable tant ils se la sont réappropriée) a vu le chant être enregistré en studio. La différence n’est pas notable, la technique de Warrel Dane efface à elle seule toute différence de production du chant.
Là où l’on n’attendait pas nécessairement Shadow Work, c’est sur l’impression qu’il donne d’être un album de groupe davantage qu’un opus solo. Les musiciens sont loin d’être connus du public metal, et pourtant ils délivrent une prestation aussi impressionnante qu’imprévisible, en symbiose avec le chanteur. Ces derniers se sont d’ailleurs chargés du songwriting avec Warrel Dane, en particulier le guitariste Thiago Oliveira. Les riffs de guitares transitionnent sans peine de l’agressivité (« Shadow Work ») à la mélodie (le refrain catchy de « As Fast As The Others » et la totalité de « Rain », bluffante dans ses arrangements et sa justesse) tout en démontrant une virtuosité rare, particulièrement lors des soli. « Shadow Work » se fait l’étendard des bienfaits du sweeping avec une justesse et une pertinence malheureusement trop souvent absente des prouesses techniques du genre. Le point d’orgue, chant du cygne dira-t-on, est sans conteste « Mother Is The Word Of God » et ses neuf minutes trente épiques, portées par des arrangements de cordes. Tout y est, jusqu’à de subtiles influences de jazz brésilien dans le jeu de guitare, un tapping de basse ou autres fulgurances instrumentales qui laissent l’auditeur sonné. Warrel Dane y est polymorphe et éloquent, à l’image de sa versatilité tout au long de l’album.
Shadow Work enverra aux anges les amateurs de Nevermore par son retour à un metal agressif, progressif et théâtral. Warrel Dane a réalisé, à l’aide de musiciens brillants, une performance poignante de haute volée, une démonstration pérenne de sa technique si particulière. Le fait que les parties de chant soient issues de démos ne se fait que très peu voire pas du tout sentir, et ainsi ne peut que renforcer la stupéfaction face au talent du frontman. Ceux qui se plongeront dans Shadow Work ne pourront que d’autant plus regretter le départ d’un chanteur prolifique, frustrés à l’idée que l’album ne soit que partiel (même si à 41 minutes, il y a déjà de quoi se mettre sous la dent). Quoi qu’il en soit, Warrel Dane nous lègue une œuvre à conserver précieusement.
Chanson « As Fast As The Others » en écoute :
Chanson « Disconnection System » en écoute :
Album Shadow Work, sortie le 26 octobre 2018 via Century Media Records. Disponible à l’achat ici
Warrel Dane a été un chanteur exceptionnel et rare. Nevermore un groupe majeur. Ces musiciens brésilien sont du niveau de Nevermore, que sont ils devenus ?? j’avoue avoir découvert le 1er album solo de Dane à sa mort, un excellent album de Metal, comment ai-je pu passer à coté à l’époque, il trône en bonne place maintenant et celui-ci rien que pour des titres comme Rain ou mother is the name of god mérite sa place dans toutes les bonnes metalthèque…mais j’ai l’impression qu’il est passé dans l’oubli.
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Si ça t’intéresse, on avait interviewé les guitaristes à la sortie du disque :
http://www.radiometal.com/article/warrel-dane-de-lombre-a-lumiere,316402
Aux dernières nouvelles Johnny Moraes s’apprête à sortir un nouvel album avec son groupe Hevilan. Quand aux autres, pas trop de nouvelle a priori.
Merci beaucoup, je vais suivre de près le groupe Johnny Moraes. Oui j’avais vu cet interview à l’époque, je vais l’imprimer pour une lecture sereine et plus appréciable que sur un ordi.