En recherche d’aventure, le bassiste Philippe Bussonnet a eu besoin d’un autre terrain que celui de Magma afin d’écrire plus librement. Cette terre inconnue, c’est, comme son nom le suggère, Welcome-X, un projet mené par le chanteur Sam Kün et lui. Philippe nous raconte dans cet entretien comment il prend une idée simple et déroule le fil de l’inspiration à la recherche de la jubilation.
En découle un second album, Volume 2, qui naturellement poursuit l’analyse du rapport entre l’homme et la nature déjà évoquée dans le premier volet. Sam, qui travaille également au sein d’un musée d’histoire naturelle, partage avec nous son expertise en la matière.
« Je pars en général d’une idée qui est assez simple, assez basique, et je vois où ça peut m’emmener en creusant, en me concentrant dessus, quelle piste ça peut ouvrir. C’est un peu une forme de voyage intérieur aussi. »
Radio Metal : Lors de la sortie du premier album, Philippe, tu disais qu’avec Welcome-X, tu cherchais vraiment à partir sur quelque chose de beaucoup plus personnel que la musique de Magma. Après deux albums, est-ce que le résultat te satisfait ? Est-ce que tu sens que tu as pu vraiment t’exprimer sur un plan personnel avec Welcome-X ?
Philippe Bussonnet (basse) : Oui, exactement. C’est un projet que j’avais depuis très longtemps, je voulais faire ce genre de musique depuis toujours. Je n’avais jamais vraiment eu tous les éléments pour mettre ça en place et sur pied. Ça s’est fait progressivement et ça a vraiment pris forme en 2018, et là je suis vraiment très heureux de ce que nous avons réussi à produire. Après, c’est très différent de ce que j’ai pu faire avec Magma ou autre. C’est vraiment un autre style, ça n’a absolument rien à voir, mais c’était un désir très ancien que j’avais et qui se réalise maintenant.
Le nom de Welcome-X est assez clair, il y a cette idée de bienvenue à l’inconnu. Est-ce l’état d’esprit que tu recherches quand tu fais de la musique ?
Oui. C’est ça, c’est une forme d’exploration ou de découverte. Je pars en général d’une idée qui est assez simple, assez basique, et je vois où ça peut m’emmener en creusant, en me concentrant dessus, quelle piste ça peut ouvrir. C’est un peu une forme de voyage intérieur aussi.
Votre musique est quand même assez complexe, ce sont des morceaux plutôt longs avec des changements d’ambiance, mais comme tu viens de le décrire, ça part de quelque chose de très simple, un riff, de la voix, etc. Peux-tu nous décrire ce processus d’écriture et comment tu pars d’une idée simple pour arriver à un morceau de huit minutes avec tous ces changements ?
En général, ça part d’un riff. C’est toujours un peu ça la base, c’est-à-dire une petite cellule rythmique ou mélodique très simple qu’après je vais essayer de décliner sous toutes formes de variations différentes. Ça peut être des variations rythmiques, ça peut être des variations sur le plan du choix des notes, sur le plan harmonique, etc. Après, selon ce que Sam posera dessus comme voix, le morceau va s’articuler de façon peut-être un peu différente, il y a des parties qui vont se rallonger ou pas. C’est un petit peu comme si je tombais sur un filon et que je creusais pour trouver tout ce qui est en relation avec ce filon. Donc ensuite je me retrouve avec une certaine quantité de petits éléments mélodiques ou rythmiques que je vais essayer d’organiser d’une certaine manière. Tout ne va pas être conservé, parce qu’il y a certaines choses, au final, qui vont passer à la trappe parce que ce n’est peut-être pas si intéressant que ça quand on finit de creuser. Il n’y a pas de méthode de composition, c’est assez instinctif. C’est une intuition, finalement, que je vais essayer de suivre.
Donc tu n’as pas forcément d’idée où tu vas au moment où tu commences ton morceau ?
A priori, pas du tout. Non, ça apparaît peu à peu. Et ça peut aller très vite, d’ailleurs. Il y a certains morceaux qui ont été écrits très vite. Il y en a d’autres où le processus a été beaucoup plus long, mais il y en a certains où tout va apparaître assez rapidement, et c’est très agréable quand c’est comme ça.
Malgré ce voyage, la musique reste accrocheuse. Est-ce que pendant le processus d’écriture, c’est quelque chose que tu gardes en tête, que ça fasse taper du pied ?
Disons qu’il faut que ça me fasse taper du pied, déjà, dans un premier temps. Après, je ne pense pas forcément à la perception extérieure. C’est vraiment une question de goûts personnels. J’essaye vraiment de suivre mes goûts et de faire quelque chose qui me fait plaisir, qui me donne envie de taper du pied et de bouger la tête.
« Ce que je recherche, c’est une forme de jubilation. Il faut que ce soit excitant. Si ce n’est pas excitant, en général je passe à autre chose. Je ne m’acharne pas sur des choses un peu trop laborieuses. »
Avec tous ces changements de textures et d’atmosphère, passez-vous personnellement par différentes émotions, que ce soit au moment de l’écriture ou de l’interprétation ?
Disons que quand je compose, c’est une forme de concentration. Je reste vraiment concentré sur ce que je suis en train de faire, j’essaye de me baigner dedans. Ce que je recherche, c’est une forme de jubilation. Il faut que ce soit excitant. Si ce n’est pas excitant, en général je passe à autre chose. Je ne m’acharne pas sur des choses un peu trop laborieuses.
Sam Kün (chant) : Personnellement, quand je chante ces morceaux, je passe vraiment par différentes émotions. Je ne sais pas si tu nous a déjà vus sur scène, mais on est plongés dans des espèces de tableaux et forcément, quand il y a des morceaux avec des émotions très différentes, je les chante très différemment. Mais oui, ce sont des émotions très ressenties, c’est assez viscéral. Après, je n’aime pas trop me revoir en image quand on nous filme parce qu’en fait, je ne sais pas trop ce que je fais [rires]. Je pourrais faire la même chose avec ou sans public. Quand nous faisons des résidences ou répétons entre nous, c’est exactement le même principe. Parfois je ne me rends pas compte, le morceau m’emporte. C’est vraiment quelque chose de l’ordre de l’émotionnel. C’est sur le moment. Là-dessus, je suis plus à l’école des années 90, les groupes grunge qui jouent vraiment sur l’émotion, ce n’est pas du tout les trucs ultra froids, métalliques, très exécutés, là c’est vraiment emmené par l’émotion.
Du coup, comment se passent vos résidences ? J’imagine que vous n’allez pas vous poser la question de corriger ce qui est technique ou pas, mais que vous allez essayer plutôt de vous concentrer sur comment mieux transmettre une émotion ou mettre en valeur telle ou telle texture ?
Oui. Après, là c’est plus le fait de ressentir les morceaux ensemble. Vu que nous n’habitons pas forcément tous au même endroit, nous ne sommes pas tous parisiens, nous ne nous voyons pas si souvent que ça. Donc quand nous nous voyons, ce sont quelques jours pour retravailler ensemble. Nous avons beaucoup de titres, souvent très longs, donc nous essayons de faire en sorte que ce soit vraiment homogène et que nous ressentions ça tous ensemble. Mais ça va assez vite, il nous faut deux ou trois jours et après nous sommes dans notre bulle.
Il y a une dimension très live dans votre manière de travailler les albums aussi. L’enregistrement du premier album avait été fait en live…
Philippe : Oui, nous avons procédé de la même manière cette fois. Nous enregistrons les deux guitares, la basse et la batterie tous ensemble. Par contre, nous faisons les voix à part pour des questions techniques surtout.
Qu’est-ce que le live représente pour vous ?
C’est un petit peu la finalité de tout ça. C’est là où la musique devient vivante et où elle est perçue en direct par d’autres êtres humains comme nous. Poser la musique sur un disque, c’est très gratifiant, parce que ça permet de poser la chose une bonne fois pour toutes et de peut-être prendre un petit peu de recul par rapport à ça, d’être un petit peu libéré du processus de composition, d’arrangement, de tous ces questionnements qu’on peut avoir. Une fois que c’est enregistré et qu’on est libéré de ça, c’est un vrai bonheur de pouvoir jouer ces morceaux en live. C’est une musique qui est vraiment pensée pour être faite live. Elle est vraiment écrite pour une basse, une batterie, une voix et deux guitares. Après, nous avons fait quelques re-re sur les albums, mais c’est très succinct, c’est directement jouable comme ça. Ce n’est pas une musique très produite.
« Je suis plus à l’école des années 90, les groupes grunge qui jouent vraiment sur l’émotion, ce n’est pas du tout les trucs ultra froids, métalliques, très exécutés. »
L’enregistrement en live vous permet de vous rapprocher le plus possible de cette finalité.
Oui, et puis on a un meilleur ressenti quand on joue tous ensemble, plutôt que de faire ça les uns après les autres au click, ce n’est pas très marrant. Quand on joue tous ensemble, la musique a une autre gueule. Le jeu n’est pas le même. Ça swingue beaucoup plus, c’est beaucoup plus vivant.
Dans cet album, il y a grand travail sur le groove, avec des passages où la basse est très mise en avant…
Ça, je ne m’en rends pas compte. Je le fais un petit peu naturellement. Je n’ai aucun contrôle là-dessus, en fin de compte. Je pense que c’est la musique qui apparaît qui demande ça. Ce n’est pas une volonté stylistique ou quoi. C’est juste quelque chose de très naturel.
A la base, le projet Welcome X, c’est vous deux. Est-ce que votre dynamique a évolué quand vous avez recruté le reste du groupe ?
Oui, ça a évolué peu à peu, dans le sens où dans le deuxième album, il y a un morceau de Thomas [Cœuriot], par exemple. Il avait proposé un morceau un peu stoner, où il n’y avait pas de chant d’ailleurs, c’était de l’instru. Déjà, je l’ai trouvé vraiment super et en plus, il s’inscrivait très bien dans le style du groupe. Du coup, il a été intégré à notre répertoire, il est dans le deuxième disque et, d’ailleurs, nous ouvrons les concerts avec ce titre qui s’appelle « 32GE ».
Le morceau « Everesting Light » se retrouve en trois parties dans l’album – la partie centrale étant « Scent Of Sakura ». Déjà, le morceau a l’air très libre et très improvisé…
Eh bien, ce n’est pas le cas du tout ! En fait, il y a très peu d’improvisation. Il n’y en a quasiment pas. C’est une musique qui est très écrite, en fin de compte. Et « Everesting Light » est vraiment écrit. Même à l’articulation entre la deuxième et la troisième partie, quand le tempo accélère un peu, il y a un solo de guitare de Thomas qui est vraiment splendide, et c’est un solo qu’il a quasiment écrit. Il a pensé ses phrases, il a une espèce de scénario qui est toujours le même, il y a très peu de variations en fin de compte.
Plus généralement, quelle est l’histoire de ce morceau en trois parties ?
Au départ, « Everesting Light » était un morceau plutôt instrumental articulé en trois parties, c’est à ce titre une introduction de basse toute seule, un petit peu aérienne, puis une deuxième partie qui reste assez cool, qui est une espèce de ballade un petit peu mélodique et puis la troisième partie où ce sont des riffs beaucoup plus lourds, ça se rapproche d’un truc très rock et heavy. C’est une évolution où on passe d’une chose très lumineuse et aérée à une autre beaucoup plus lourde et terrienne. Ma vision de ce morceau est que c’était comme une sorte de blues, avec une idée de montagne avec un sommet enneigé, un calme, une sérénité qui nous ramène aussi bien au ciel qu’à la terre qui nous porte. Ensuite nous avons eu l’idée avec Sam de poser sur la partie centrale une voix parlée, au lieu qu’elle soit chantée, pour une fois, et qui décline un petit poème assez court, comme les poèmes japonais. J’avais parlé de ces images de montagne, de calme et de lumière douce à Sam et il a écrit ce poème en réponse à ce que je lui avais décrit au niveau de l’ambiance. Comme un haïku japonais, c’est un peu impénétrable, c’est-à-dire qu’il y a plusieurs sens.
Sam : Philippe m’avait en fait parlé de ce qu’il avait imaginé quand il était au Japon – puisqu’il jouait au Japon à l’époque. Là-bas, la nuit, il y a cette espèce de lumière de néon, des grands bâtiments, c’est assez froid mais urbain, ce qui fait que tu peux te balader dans les rues… C’est très étrange, t’es dans un autre monde. Il m’avait donné cette image-là et je me suis mis à imaginer cet homme qui est un peu engouffré dans la ville, bouffé par elle, il y a tous ces néons et ces animations permanentes, très froides, et il va finalement décider de quitter ce monde. J’avais eu aussi l’image de la « mer verte », cette forêt au pied du mont Fuji et des gens qui craquent et vont se suicider dans la forêt pour être proche de la nature. Quand tu ouvres l’album, il y a cet artwork où il y a ce corps avec un cerisier japonais qui pousse dans le ventre du gars à côté des immeubles qui recrachent ces corps dans la forêt.
« Je pense toujours à cette petite phrase de Frankie Boyle, un comique écossais que j’aime beaucoup : « Le grand film de la civilisation humaine est fini, vous vivez dans le bêtisier » [rires]. »
C’est la même personne qui avait fait vos visuels sur le premier album ?
Oui. Il s’appelle Paul [Naassan] de Emgalaï Grafik. Il nous avait fait les artworks du premier album et là il a fait le deuxième. Nous avons fait à peu près sur le même principe. Il a écouté les morceaux, d’abord je ne lui pas donné trop d’indications sur ce que voulaient dire les textes, je voulais savoir ce qu’il en pensait lui-même, et ensuite je lui ai donné des petites indications, car il peut y avoir une différence d’interprétation. En fonction de ça, je lui ai fait des petits croquis et il a développé tout ça. Il a tout fait à la main. Il a mis des heures sur certains dessins et il a fait un artwork qui englobe à chaque fois un ou deux des textes. Il a fait un super boulot.
Thématiquement, l’album précédent posait une réflexion sur ce qu’on fait et où on va au niveau de la planète et c’était plutôt un constat d’échec, même s’il y avait une petite lueur d’espoir. Est-ce que ce nouvel album poursuit cette réflexion ?
Philippe : Oui, c’est une suite. Il s’appelle Vol 2, d’ailleurs. C’est comme si nous avions fait un double album. Ce sont des morceaux qui ont été écrits un petit peu dans la foulée. Le premier disque et le deuxième se suivent chronologiquement, mais c’est vraiment une période identique, c’est un processus d’écriture qui s’est étalé sur à peu près deux ans, en 2018 et 2019. C’est une suite évidente et immédiate à ce que nous avons fait avec le premier.
Sam : Sur les thèmes, c’est vraiment dans la même logique, surtout vu la période que nous avons passée. Si tu prends « Inevitable Collapse », tout est dans le titre [rires]. J’ai lu pas mal de bouquins sur la collapsologie, sur ce genre de choses. A côté, je travaille au Muséum d’histoire naturelle – je travaille dans un laboratoire d’entomologie –, donc ce sont des choses que je vois, la disparition des espèces, etc. Après, sur la continuité des textes, il y a toujours une double ou triple lecture, mais tu auras toujours en fond cette espèce de pression qu’on peut avoir au niveau du dogmatisme religieux, de grandes corporations, etc. sur laquelle on ne peut rien faire, c’est un peu inéluctable. Donc en effet, ça continue cette vision un peu sombre de l’avenir. Ça s’appelle l’Anthropocène, l’ère de l’humain. Je pense toujours à cette petite phrase de Frankie Boyle, un comique écossais que j’aime beaucoup : « Le grand film de la civilisation humaine est fini, vous vivez dans le bêtisier » [rires]. C’est un peu ça dans l’esprit.
Si on compare à ce que l’on sait des espèces disparues passées, est-ce qu’il y a des signes inquiétants pour notre espèce ou d’autres qui vivent actuellement ?
Tout à fait. Après, il y a eu plusieurs périodes dans l’histoire de la planète. Même très récemment, avec l’Eocène et ce genre de chose, où il y a une disparition naturelle qui se fait avec le changement climatique mais qui n’est pas de l’ordre de l’humain, c’est quelque chose qui est arrivé naturellement. Sauf que depuis à peu près un siècle et demi, c’est l’Anthropocène, c’est l’homme qui a fait en sorte de modeler la planète pour son propre plaisir, donc c’est nous qui avons fait disparaître ces espèces-là ou, tout du moins, qui avons accéléré le processus, d’une certaine façon. Après, tu vas me dire que philosophiquement parlant, c’est naturel aussi vu que l’homme fait partie de la planète, c’est un animal [rires]. Donc techniquement, ces disparitions sont naturelles. C’est donc une sélection que nous faisons, mais nous l’accélérons et nous ne la faisons pas dans le bon sens. Le premier morceau de l’album, c’est « Thylacine Blues ». Le thylacine est un animal et le dernier qu’on a vu, c’était en 1936. C’est l’homme qui l’a fait disparaître. C’est une espèce de requiem que j’ai écrit sur l’ouverture de l’album et dans les paroles, tu lis : « Ça vous arrivera à vous aussi. » On reste sur l’inéluctable.
J’imagine que la crise sanitaire t’a donné de quoi poursuivre cette réflexion…
Oui et non. Je le pensais déjà avant la crise sanitaire. La crise sanitaire a fait que ça a un peu rapproché l’homme et la nature, les gens se sont dit que finalement, l’extérieur n’était pas si mal que ça, qu’il fallait peut-être faire gaffe. Mais j’ai l’impression qu’une fois que c’est plus ou moins passé, on est retourné au même point de départ. On l’a vu pendant le confinement, la nature reprend très vite ses droits, il y a un certain équilibre qui se fait naturellement quand on n’interagit pas dessus en permanence. C’est un peu ça aussi, la musique que nous faisons, il y a une espèce d’équilibre, mais quand tu ne forces pas les choses, tout est un peu mieux. Sauf que là, on est reparti sur les mêmes rails, on n’a pas beaucoup changé de choses.
Interview réalisée par téléphone le 5 juillet 2021 par Philippe Sliwa.
Retranscription : Nicolas Gricourt.
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