C’est alors que nous attendions la fin du décompte sur le site du Hellfest avant que soit dévoilée la première affiche de l’édition 2011 que nous avons découvert ce recueil d’illustrations, somme de dessins, témoin du Hellfest 2010. Coïncidence ? Je ne crois pas car, dans le grand Cosmos dans lequel nous évoluons tous, les choses surviennent, s’entrechoquent, se répondent et c’est l’effet papillon, petites causes, grandes conséquences (couché, Bénabar !).
Et quelles conséquences ? L’artiste nous a tout simplement remercié (ce qui se fait – normalement – dans un environnement civilisé) et nous lui avons proposé de ne pas en rester là. Il sera donc aimablement reçu dans l’émission Anarchy X de ce soir, mardi 26 octobre, à 20h20, pour une interview menée en direct par Animal qui, pour cette occasion, sortira de sa tanière et envahira le territoire de Spaceman et Metalo.
Interview :
Donc tu es Will Argunas, l’auteur de ce recueil de dessins, Pure Fucking People, entre autres…
Oui. Disons que c’est le dernier qui est né et c’est surtout un album auto-édité. C’est un peu un bébé à part dans la carrière, on va dire !
Combien d’albums as-tu à ton actif ?
En tout, j’ai publié sept BDs et deux livres pour enfants.
Et les sujets sont plutôt divers et variés ?
Pour les BDs, c’est plutôt du polar un peu trash et pour les livres pour enfants, comme le nom l’indique… Ce sont des livres pour enfants (rires).
As-tu fait d’autres recueils du genre de Pure Fucking People ?
Non, c’est le premier. Déjà, il faut une certaine somme d’illustrations puisqu’il s’agit uniquement d’un artbook puisqu’il n’y a pas d’histoire. Dans celui-là, il y a soixante-quatre pages donc il faut quand même de quoi les remplir. Il faut avoir un « thème ». Souvent, les artbooks sont faits par des gens beaucoup plus connus que moi sur lesquels leurs fans se précipitent. Là, c’est vrai que ma démarche est un peu différente.
Manu Larcenet par exemple ?
Oui, par exemple. Des grands maîtres quoi !
Ça fait combien de temps que tu fais ça ?
Depuis combien de temps… J’ai sorti mon premier album en 2001. Sinon, je me suis lancé en tant que travailleur indépendant en 2000. Ça fait dix ans que je gagne ma vie avec ça en fait.
Qu’est-ce qui t’a poussé à faire un album basé sur le Hellfest ou les métalleux comme Pure Fucking People ?
A la base, je suis un fan de musique metal donc j’en écoute beaucoup. A l’époque où j’habitais à Paris, j’allais pas mal en concert. Puis, avec l’arrivée des enfants, on s’est un peu éloigné de tout ça. On a quitté la région parisienne pour le Loiret. Plus de concerts donc. Et l’année dernière, on a découvert le Hellfest avec ma femme. J’organisais un petit truc pour ses quarante ans et on a fini par se prendre une grosse claque tous les deux en découvrant ce festival. Du coup, j’ai mitraillé un peu la foule avec mon petit numérique de base. Une fois rentré, j’ai eu envie de me réapproprier le public metal par le biais du dessin. C’est comme ça que sont nés les premiers dessins.
Donc tu photographies et tu dessines à partir des photos que tu as pris ?
Voilà, c’est ça.
Ce ne serait pas possible d’être sur les lieux et de dessiner en direct (rires) ?
Non parce que les gens bougent tout le temps (rires) ! C’est surtout que je voulais capter l’instant et que les gens ne posent pas. Quand un métalleux voit qu’il se fait prendre en photo ou dessiner, il prend souvent la pose en faisant le signe avec sa main (NDLR : la mano cornuta, vous l’aurez compris). Tout le monde le connaît ce signe, en fait. Ma démarche était surtout d’éviter ça. Quelqu’un qui serait à côté de moi avec un appareil photo prendrait autre chose. C’est vraiment mon regard sur le public metal. Je n’ai pas plus d’explications là-dessus… Je vois des choses et je prends vite l’appareil photo. Des fois, je les loupe. L’année dernière, j’ai dû prendre trois cent cinquante photos pour vingt-cinq dessins au final. Je n’en ai pas fait plus parce que j’estimais n’avoir pas plus à faire par rapport à la « documentation » que j’avais amassé. Cette année, j’ai dû prendre deux cent cinquante photos pour en faire trente dessins. J’élague beaucoup, je suis quelqu’un d’assez exigent.
N’as-tu pas essayé de te pencher sur les photos d’autres personnes qui t’ont plu ou marqué ?
Si, ça m’aurait plu mais le problème est que quand j’avais écumé les photos des webzines ou même des types qui ont des beaux blogs de photos… Je ne sais pas si ils sont professionnels ou non mais il faut payer pour utiliser leurs photos. Ils n’avaient peut-être pas trop compris ma démarche. Je pars d’une photo pour finir à un dessin, ce n’est donc pas une reproduction telle quelle. Les droits sont assez complexes sur ces choses-là. Comme je n’avais pas les moyens, ni l’envie de payer de ma poche. Et puis, d’un côté, c’est plus logique que je travaille à partir de mes photos. D’ailleurs, on m’a souvent dit que je n’avais pas peur d’avoir des problèmes de droit à l’image. C’est vrai que les personnes que je dessine sont réelles et beaucoup se sont reconnues. Heureusement, pour le moment, cela se passe bien puisque les gens sont super contents de se retrouver dessinés. Ils veulent donc soit un artbook, soit une carte postale. Pour le moment, je touche du bois car on ne sait jamais réellement comment les gens peuvent réagir. En tout cas, ce bouquin est vraiment un hommage au public metal.
Techniquement, le droit à l’image s’applique aussi sur un dessin et pas seulement sur la photographie ?
En fait, je n’en ai aucune idée. On m’a posé la question et je ne me suis même pas trop renseigné. On m’a juste dit qu’on ne pouvait pas être attaqué si un certain nombre de personnes composant une foule étaient prises en photo. Après, cela reste du droit donc tout est un peu flou. Après, à partir de combien, je ne sais pas.
Pour faire un travail comme ça, il faut que le sujet t’inspire. En quoi le métalleux t’inspire ?
Sa diversité, sa variété, sa richesse, le fait d’avoir l’impression d’avoir de vraies personnes devant moi et non des personnes voulant ressembler à des magazines. Des gens qui vraiment se démarquent, qui ont des gueules, des bouilles, qui ont un look, une démarche.
Tu recherches des gens différents qui ont leur propre style mais est-ce que les métalleux ne seraient pas non plus des suiveurs par rapport aux musiciens qu’ils adorent ?
C’est vrai qu’on peut se dire ça. Mais les métalleux peuvent très bien porter une casquette Hellfest, un sweat Sepultura et un t-shirt AC/DC en-dessous. Mis à part les gens qui ont des œillères et restent sur une seule chapelle du metal en particulier, ce qui n’est pas mon cas, les métalleux sont capables de marier des fringues totalement différentes, de les afficher et de devenir en même temps totalement uniques en ça. C’est aussi ce qui me plaît chez eux, devoir travailler sur des Doc Martens défoncées ou sur des treillis ou sur des shorts, avec des chaînes… Leurs tatouages et leurs piercings qui m’intéressent beaucoup également. Il faut aussi être au plus proche de la vérité, ne pas tricher. C’est pour ça que dans mes dessins, je ne cherche pas à les rendre plus beaux ou à changer les proportions. Ce qu’il faut savoir, c’est que j’ai fait douze ans de pub, je me suis arrêté en février dernier, donc j’ai bouffé beaucoup de gens tout lisses pour des storyboards de films publicitaires comme Danone, la belle bagnole… C’est vrai que j’ai eu un peu un ras-le-bol cette année et on peut dire que le Hellfest est un peu le contre-pied de tout ça. Il y a des gens qui ont des gros bides avec le gobelet de bière qui tient dessus… Voilà, moi je trouve ça formidable ! Même s’ils affichent des vêtements en rapport à des groupes, chacun est unique en son genre et c’est ça qui me plaît. Et toute cette bonne ambiance qu’on sent malgré les différences de milieu ou de pays réunies sur un même lieu, c’est ça aussi qui m’a beaucoup plus sur le festival en lui-même.
Comment se vend Pure Fucking People en ce moment ? J’ai vu que tu avais commencé à le vendre uniquement sur ton site internet. Maintenant, on commence à le voir dans certaines librairies. Serait-ce un accident dans la distribution ou commencerait-il à être distribué à plus grande échelle ?
Non, c’est juste né de mes rencontres parce que je bouge souvent le weekend, à droite à gauche. Ce sont des discussion avec des personnes comme un libraire de BDs à Orléans que je connais bien puisque j’ai beaucoup donné de séances de dédicaces chez lui. Les librairies de plusieurs festivals aussi dont le festival BD Boum à Blois. Comme il aime bien mon travail, il a pris des artbooks pour les exposer. Par contre, c’est du dépôt-vente, pas une distribution réelle. Pareil, j’ai donné une séance de dédicaces au Auchan de Blois durant la semaine de la BD. Pour ne pas avoir de problèmes avec le magasin pour que les gens achètent, on m’a proposé un contrat de dépôt-vente pendant trois mois où ils ne prenaient que 10% de commission. Ca m’a semblé correct comme deal donc j’ai accepté, surtout que les ventes ne décollent pas vraiment sur internet. C’est toujours pareil, quand on est un indépendant, plus on se montre, plus on a de chances de décoller. C’est ce que j’ai fait avec ma carrière BD, ce sera pareil avec l’artbook.
Tu as dit que tu avais travaillé dans la pub pour des storyboards. Est-ce là l’ensemble de ton parcours ou as-tu fait des formations de dessin comme les Beaux-Arts ?
Oui, j’ai fait une école d’arts appliqués en trois ans après mon bac avec une option illustration/dessin publicitaire. A la base, je voulais faire de la BD mais mes parents n’étaient pas trop d’accord sur le fait que j’intègre Angoulême, l’une des seule écoles du genre en France avec une autre en Belgique à l’époque. Donc, j’ai fait une école d’art qui m’a bien plu, j’y suis sorti pour enchaîner sur le service militaire, encore obligatoire à cette époque. Puis j’ai commencé sur Paris en 1995 où j’ai beaucoup déchanté. C’était très difficile de pouvoir avoir un rendez-vous avec un éditeur pour montrer son travail. Je me suis ensuite retrouvé caissier/manutentionnaire chez Ed l’épicier pendant cinq ans jusqu’en 2000. Pendant mon temps libre, je travaillais sur mes projets BD, je dessinais des storyboards de court-métrages gratuitement… Enfin, tout ce qui me passait sous le coude et qui m’intéressait, je prenais, histoire de ne plus avoir un book d’école mais un book ressemblant plus à quelque chose de professionnel. Au début, on a tous une étiquette sur le dos et quand l’éditeur nous voit arriver, cela ne se passe pas très bien.
J’ai eu l’occasion de mettre la main sur ta bande-dessinée « Black Jake » qui est sortie l’an dernier il me semble. On voit très bien ce travail que tu as fait en matière de storyboard avec une mise en page assez classique mais avec quelque chose d’assez cinématographique. As-tu des influences, des maîtres en BD ou en illustration ?
En bande-dessinée, oui, j’ai quelques maîtres comme tout le monde a. Au début, j’ai eu Andreas. Même si je ne fais pas le même genre de bande-dessinée que lui, il m’a beaucoup influencé sur la narration et la mise en page. Ces dernières années, il y a eu Franl Miller (NDLR : Sin City, 300, certaines séries de Batman, etc) bien sûr, le tandem Neil Gaiman (NDLR : auteur de romans comme American Gods ou Coraline mais aussi scénariste pour de nombreux comics comme Sandman ou 1602) et Dave McKean (NDLR : illustrateur ayant travaillé avec le précédent sur Black Orchid, Sandman ou encore Arkham Asylum avec Grant Morrison, etc.). Du manga aussi récemment, ceux qui font Death Note ou Monster, des mangas réalistes avec une démarche un peu cinématographique.
J’ai vu qu’à la fin de Black Jake, on trouvait des reproductions de pochettes d’album. Est-ce des reproductions de ta main ou simplement copiées ?
Oui, ce sont mes dessins.
Il y a beaucoup de dessinateurs qui s’occupent de faire des artworks pour des groupes de hard rock ou de metal. Ce ne serait pas un truc qui te tenterait ?
Si, si, beaucoup. Ca me tenterait bien mais là en ce moment, vu que je ne travaille plus dans la pub et que je me consacre plus au livre avec les BDs et l’artbook et les scènes graphiques de concert, c’est vrai que je commence à être de plus en plus dans les salles de concert. Donc je suis à même de rencontrer des groupes, à montrer mon travail et il y a des choses qui commencent à se faire, peut-être l’année prochaine.
Ou faire une BD sur les groupes, comme il y a eu des comics Kiss dans les années 70, une BD sur X-Japan qui commencerait à voir le jour ou une BD sur Danzig et Henry Rollins il n’y a pas très longtemps ?
Moins déjà. La bande-dessinée, c’est vraiment parce que j’ai des « choses à dire » dans mon histoire. J’ai des thèmes que j’ai commencé à développer dans les albums précédents et dans ceux qui vont venir. C’est vrai qu’en BD, je ne me vois pas faire énormément de choses.
Faire quelque chose de fantaisiste alors que tu étais plus dans le réaliste à la base…
Oui, voilà, je suis un peu terre à terre on va dire (rires) !
Pour en revenir à Pure Fucking People, tu disais que des gens qui s’étaient reconnus t’avaient contacté. Les réactions n’étaient que positives ? Personne ne se plaint qu’ils n’ont pas une aussi sale gueule dans la réalité ?
Non, non, pour l’instant, ce n’est que du bonheur ! Ca a commencé l’année dernière où je publiais quasiment une fois par jour un dessin sur mon site. J’avais contacté Metalorgie donc il y a eu du monde qui venait regarder. Les gens ont commencé à se reconnaître et bêtement, ils faisaient « enregistrer sous » pour récupérer le dessin pour l’utiliser en fond d’écran ou ce genre de choses. Donc, maintenant, les nouveaux qui se reconnaissent dans la nouvelle série de dessins, c’est pareil. Ils ont tous envie d’acheter le bouquin mais pour l’instant, ils ne l’ont pas encore fait. J’espère qu’ils réussiront à dépenser quinze euros pour l’acheter. Pour le moment, ils sont tous surpris et ravis.
Prêt à remettre ça pour le Hellfest 2011 ?
Oui, l’idée est de compléter le cahier d’année en année. En fait, ce sont des cahiers d’un certain nombre de pages à l’imprimerie, je voudrais bien passer l’année prochaine à un quatre-vingt seize pages. Même si dans l’absolu, j’arrive à convaincre un gros éditeur, ce serait aussi envisageable bien sûr. Comme je n’ai trouvé personne d’intéressé, je l’ai fait moi-même mais je ne suis pas fermé à ça, au contraire. A mon avis, ça se verra plus et il y aura moins de risques financiers. Non, en 2011, je compte bien retourner au Hellfest, reprendre des photos et redessiner l’été prochain et puis si d’ici là j’ai vendu mes cinq cents exemplaires, je verrais pour un quatre-vingt seize pages.
Maintenant, une question un peu idiote. Will Argunas est un pseudo. Pourquoi en prendre un, pour faire plus anglais qu’Arnaud Guillois, ton vrai nom ?
L’idée est venue en 2007 lors de mon premier album, Missing, sorti chez les éditions Castermann. Tout bêtement, j’avais fait quatre albums auparavant sous mon vrai nom. Puis, j’étais parti dans Missing et j’ai soumis à mon éditeur d’autres projets dans la même veine, Black Jake et Bloody September, des polars noirs, premier degré un peu trash. Lors d’une conversation téléphonique, on m’a demandé si prendre un pseudo n’était pas quelque chose à laquelle j’avais songé. C’était vraiment le bon moment pour moi de changer de nom puisque mon style de traits a changé également. Je suis passé de quelque chose de semi-réaliste en aplats de noir à du réaliste à la hachure. Mais il n’y a pas eu que ça qui a changé puisque j’allais au-delà de la bande-dessinée classique. Donc tout ça mis ensemble, on a trouvé ça marrant que, s’il y avait une traduction, on pense que l’auteur était soit anglo-saxon ou américain. C’est aussi un anagramme d’Arnaud Guillois, si tu regardes bien, tu enlèves le W et le reste fait parti de mon nom. C’est moi et pas moi à la fois. Étrangement, j’ai plus de facilité à voir Will Argunas sur une pochette qu’Arnaud Guillois
Après avoir fait des études d’art, n’est-il pas trop difficile de vivre de ses créations alors que d’autres peuvent produire des choses similaires dans un rang d’amateur ? L’avantage n’est-il pas d’avoir un meilleur CV chez un éditeur ou d’autres secteurs comme la pub ?
En tout cas, moi, j’ai vécu dix ans grâce à la pub et je faisais mes albums dans les temps morts. En fait, le travail en pub est un peu une charrette, tu as ton boulot pour la semaine mais ne sait jamais ce qui se passera dans la suivante. Donc, là, j’ai arrêté la pub pour signer deux albums coup sur coup chez Casterman et, en même temps, deux fois par an, je dois travailler sur le catalogue de Fly. Donc, je me suis dit qu’entre la BD, Fly et la pub, il fallait que je choisisse, que ce ne serait pas possible de tout faire cette année. Du coup, j’ai lâché la pub et je vis grâce aux BDs et d’autres projets que je concrétise en parallèle à ça. Donc, des expos, l’artbook, des sérigraphies de concert, des ateliers de BD… En fait, le problème avec les contrats de BDs, c’est qu’on se retrouve un peu le cul dans l’eau quand l’album est terminé. Pour passer sur un autre projet et le montrer à un éditeur, il faut du temps pour le laisser mûrir. Donc, le temps entre la fin et le début d’un album est assez effrayant en bande-dessinée. Il faut essayer de développer autre chose à côté pour combler ce creux qu’on aura forcément. Après, il y a d’autres solutions pour le combler. Par exemple, on peut étaler l’argent que nous donne l’éditeur sur une plus longue période, c’est-à-dire avoir un plus petit virement par mois sur plusieurs mois au lieu de toucher la somme en une ou deux fois. Pour le moment, j’ai signé pour l’adaptation d’un polar américain, L’Homme Squelette de Tonny Hillerman. Cette fois, ça me change de New-York ou de Black Jake et Los Angeles puisque cela se passe dans le canyon, dans le Colorado avec des Indiens. En fait, pour la bande-dessinée, j’essaie de faire la même chose que j’ai fait avec Pure Fucking People, à savoir transmettre les États-Unis un peu comme un polaroid de plein d’endroits différents. On pourrait croire que tout ça est à cent années lumières l’un de l’autre mais je pense que ça se regroupe simplement.
Et pour ce qui est de la concurrence des amateurs ? On retrouve un peu ça dans le domaine des intermittents du spectacle où les gens ayant fait des études et qui ont un CV se font piquer la place par des amateurs qui arrivent comme ça, sans rien. Le vois-tu dans ton domaine ?
Pas vraiment non. La concurrence est là, dans les faits, où année après année, il y a de plus en plus d’albums qui sortent. Donc tout devient beaucoup moins visible. La moyenne nationale des ventes de chaque auteur diminue, ce qui veut dire que les maigres droits d’auteur qu’on devrait avoir, on ne les touche jamais. A moins que les ventes arrivent à décoller dans les dix milles albums vendus, en sachant que chaque auteur vend en moyenne deux ou trois mille albums. C’est ça qui est compliqué dans le milieu. Si on ne vend pas, on ne peut pas demander d’avance et tout. Voilà pourquoi un dessinateur doit toujours faire quelque chose d’autre à côté : de la pub, des illustrations, des affiches. Je pense qu’à cause de tout ça, quelqu’un d’amateur ne pourrait réussir. Par exemple, si on m’appelle pour faire quelque chose pour le lendemain, je pourrais le faire. Quelqu’un qui aurait un travail « normal » dans la journée, non.
Trouves-tu que trop de monde se met à la BD ?
Non, je ne dirais pas ça. De toute façon, ce sont les éditeurs qui choisissent. Ils ont un œil et une sensibilité artistique que nous n’avons pas. Ils ne vont pas éditer des albums pour éditer des albums. S’ils estiment qu’un mec est solide en dessin et qu’il serait capable de rendre un album dans les temps, ils lui feront signer un contrat. Tu sais, le métier de dessinateur BD demande beaucoup de rigueur et d’autodiscipline sur le long terme. Tu n’as pas d’horaire fixe pour travailler, pas de patron derrière toi, ni même de collègue avec qui discuter.
Aurais-tu un conseil à donner pour des débutants qui auraient un projet similaire au tien ou des erreurs à ne pas faire ?
Donner des conseils, ce n’est pas toujours facile d’en donner mais des erreurs à ne pas faire, par contre, je peux. Une des plus grosses que j’ai faite était de ne pas montrer mon travail à des professionnels pendant trop longtemps, c’est-à-dire que c’était des choses plus réservées à la famille ou aux amis. Dans ces cas-là, ce qu’on fait est toujours vachement bien parce que les gens ne dessinent pas aussi bien. On n’a que des louanges et le jour où on se décide à montrer, on se prend une grosse claque dans la gueule. On se dit « mince, qu’est-ce qu’il se passe ? » …
Oui, en gros, plus on met du temps à montrer à des professionnels, plus il est difficile de se remettre en question…
Clairement ! Il faut beaucoup de volonté pour se dire « qu’il a raison », qu’il ne faut pas se cacher la vérité, il y a des choses qui ne vont pas là et là… C’est vrai qu’il faut de temps en temps arriver à montrer son travail à des pros pour avoir un avis direct. On n’a pas forcément le temps d’aller dans les détails pour analyser mais juste ça peut aider. Il faut aussi envoyer son travail aux éditeurs. Moi, je suis sorti de l’école en 1993, j’ai sorti mon premier album en 2001. Il y a donc eu huit ans où je n’étais pas au niveau. Je dirais même que depuis mon premier album jusqu’à maintenant, j’ai eu une courbe de progression assez énorme et je pense que je vais continuer car je suis exigeant et bosse pour des gens exigeants. L’avantage du dessin est qu’on progresse continuellement. D’un côté, c’est flippant car on se dit qu’on peut faire toujours mieux mais il faut savoir s’arrêter à un moment pour montrer son travail.
Tu as l’impression d’avoir pu progressé plus tôt au final…
C’est ça ! Je me suis enfermé dans des erreurs de dessins, de maladresses sans m’en apercevoir. Du coup, il m’a fallu beaucoup de temps après pour les comprendre, de les corriger et me défaire de ces habitudes.
Comme tu es aussi un amateur de musique, es-tu plus critique que l’auditeur lambda envers le visuel des groupes, l’artwork, le packaging et penses-tu que les deux soient liés ?
Curieusement, de mon côté, je n’achète plus trop de CDs. Je fais un peu comme tout le monde, j’écoute sur Deezer pour découvrir notamment et également parce que le budget ne suit pas forcément pour acheter des CDs. Ces dernières années, je n’aurais pas trop d’artwork précis en tête. J’aime les choses qui sortent un peu de l’ordinaire mais j’étais plus exigeant là-dessus à une époque. Plus vraiment maintenant. Bien sûr, je suis sensible à tous ces trucs-là mais je ne dirais pas que je suis plus critique qu’un autre. C’est toujours pareil, les goûts et les couleurs, ça ne se discute pas forcément.
Écoutes-tu de la musique pendant que tu travailles ? As-tu des titres qui t’inspirent plus particulièrement ?
Oui, j’écoute de la musique tout le temps. Par contre, pas de titre en particulier, c’est selon ce que je dessine pour me mettre dans le bain ou suivant l’humeur ou écouter un nouvel album en boucle jusqu’à en avoir marre. C’est plutôt éclectique, du metal jusqu’à la bande originale de films.
Tu ne pourrais pas dessiner sans musique ?
Si ça m’arrive si je suis vraiment plongé dans un truc et que le CD est fini depuis dix minutes ou un quart d’heure. C’est une activité très solitaire de dessiner donc la musique donne l’impression d’avoir quelqu’un d’autre dans la pièce.
Interview mise à jour. Vous pouvez désormais lire l’interview de Will Argunas.
Merci qui ?