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Interview   

With The Dead a le cœur lourd


Qui pourrait croire qu’un style musical comme le doom puisse être l’incarnation même de l’amour ? Pourtant, il aura fallu une sacrée dose d’amour à Lee Dorian pour avoir tenu un quart de siècle à la tête de Cathedral, supportant les moqueries d’une scène qui, au départ, ne prenait pas ce genre musical au séreux, puis les critiques des conservateurs qui ne comprenaient pas les virages stylistiques totalement libres du groupe. Et c’est, bien évidemment, toujours de l’amour qui émane de son label Rise Above Records. Mais l’amour n’est pas faite que de fleurs bleues et de rayons de soleil, car plus il est fort, plus il peut être déchirant, amer et douloureux.

Love From With The Dead, le nouvel album de With The Dead, est de ces exutoires dont les musiciens, Lee Dorian en tête, se sont servis pour partager impudiquement leurs moments difficiles, leurs tristesses, leurs désespoirs… Et justement, qu’est-ce qui peut pousser quelqu’un à se livrer ainsi, si ce n’est l’amour ?

De ces facettes sombres de l’amour il sera donc question dans l’entretien qui suit, mais aussi de la conception particulière de ce second opus, qui fait suite à un changement de line-up qui n’a rien d’anodin, et dont l’objectif était de produire la musique la plus écrasante possible. Lee Dorian nous parle également avec émotion et nostalgie de sa ville de Coventry, dont il dédie une chanson, et de Cathedral, groupe qui comptait beaucoup pour lui et auquel il a donné la mort en 2013… par amour.

« Au cours de ces dernières années, ma vie personnelle n’a pas été top, ni même ma santé et il s’est passé plein de choses qui ont été assez dures. […] Et si tu es un groupe de doom, il faudrait être un peu bête pour ne pas mettre ces expériences dans la musique. »

Radio Metal : With The Dead s’est séparé en janvier 2016 du batteur Mark Greening – qui était à l’origine du groupe avec Tim Bagshaw – seulement trois mois après la sortie du premier album, « à cause de raisons personnelles et politiques ». Qu’est-ce que ça voulait dire ?

Lee Dorian (chant) : Nous avons fondé ce groupe… Comme tu l’as dit, je l’ai rejoint plus tard. Essentiellement, Tim allait peut-être faire le chant, je crois. Mais quoi qu’il en soit j’allais sortir quelque chose avec eux, et j’ai juste dit : « Lorsque vous avez suffisamment de matière de prête, envoyez-la moi et on réfléchira à enregistrer quelque chose. » Entre temps, ils recherchaient quelqu’un pour faire le chant ou à le faire eux-mêmes mais ça ne s’est jamais fait, donc ils m’ont demandé si je voulais intégrer le groupe, et j’ai dit : « D’accord, pourquoi pas… » Je n’avais pas prévu d’être dans un groupe après Cathedral, vraiment, mais ça semblait simplement être une bonne opportunité que je ne voulais pas décliner. Evidemment, l’idée d’être dans un autre groupe, prendre une nouvelle responsabilité, n’était pas une décision facile à prendre, parce que je gère un label à plein temps et à cause de tous les autres engagements que j’ai, etc. Donc j’ai rejoint le groupe, nous avons fait l’album, il s’est avéré super et Mark est devenu un peu trop exigeant sur les choses. Il montait en épingle des choses très simples pour en faire de gros problèmes. Les choses sont devenues inutilement stressantes et je me suis dit : « Après avoir été dans des groupes pendant tant d’années, et étant donné que je n’avais pas prévu d’être dans ce groupe, la dernière chose dans laquelle j’ai envie de m’impliquer, c’est un groupe stressant quand il n’a pas besoin de l’être. » Donc je me suis dit que soit le groupe se sépare, soit Mark doit partir. Et ce problème avec Mark n’était pas qu’avec moi [petits rires], en fait c’était même plus avec Tim ! Ces deux-là ont traversé pas mal de choses au fil des années et ils avaient de grands différents personnels qui ne me concernaient pas du tout. Tim était plus insistant sur le fait que Mark devait quitter le groupe plutôt que d’arrêter le groupe. Voilà donc ce qui s’est vraiment passé.

En fait, je ne vais pas me mettre à déverser mon fiel et critiquer Mark au téléphone ou en faire tout un plat, ou le débiner ou quoi que ce soit de ce genre, ce n’est pas à moi de le faire, mais telle était la situation et voilà ce qui s’est passé. Il a fallu que nous allions de l’avant, que nous trouvions un nouveau batteur et aussi un nouveau bassiste parce que le tout premier album a été fait à trois, comme tu le sais, donc Tim a joué la basse et la guitare. Mais la chose principale était que lorsque Mark était encore dans le groupe, nous nous sommes mis d’accord pour donner des concerts, ce qui n’était pas forcément prévu au départ. Entre-temps, lorsque l’album est sorti, on nous a fait pas mal d’offres pour des concerts sympas à faire, et ça ne se refusait pas. Donc nous avons donné notre accord pour les faire et ensuite la relation avec Mark est allée de mal en pis, au point où c’est devenu insupportable, vraiment. Nous avons dû peser le pour et le contre de la situation où Mark n’était plus dans le groupe mais nous nous étions engagés sur tous ces concerts, donc nous avons dû trouver un nouveau batteur, ainsi qu’un bassiste. Heureusement, ça s’est fait très facilement, et c’est même mieux maintenant qu’avant !

Tu as dit que tu ne voulais pas t’impliquer dans « un groupe stressant quand il n’a pas besoin de l’être. » As-tu souffert de ça par le passé avec Cathedral ?

N’importe quel groupe peut avoir des moments stressants. Pas toujours mais ouais, il y aura des moments de stress. Si tu n’as pas d’argent, tu tournes, tu reviens chez toi fauché, tu ne fais rien pendant six mois au cours de l’année, rien ne se passe dans le groupe, tu es là à attendre que les choses arrivent, ouais, c’est assez stressant et désillusionnant. Et parfois ça peut déteindre sur les relations au sein du groupe, les gens peuvent être en ébullition, il peut y avoir des problèmes d’égo, des choses que tous les groupes traversent. Et personnellement, en arrivant à l’âge que j’ai aujourd’hui, si ce n’est pas quelque chose de facile, alors ça ne m’intéresse pas. Je ne veux pas être en situation de stress.

Vous avez accueilli le batteur Alex Thomas mais aussi ton ex-collègue dans Cathedral, Leo Smee, à la basse. Comment se sont-ils tous les deux retrouvés impliqués dans With The Dead ?

Leo, comme tu l’as dit, je le connais depuis, bon sang, ça doit faire vingt ans maintenant ! Il a fait plusieurs fois des allées et venues dans Cathedral mais nous sommes toujours restés amis. C’est vraiment l’un de mes meilleurs amis. Même si je ne le vois pas pendant environ un an, il reste l’un de mes meilleurs amis. Ça fait partie de ces gens que tu connais et avec qui tu seras toujours proche. Il vit à Londres et c’est un musicien très talentueux, évidemment. Il est facile à vivre et il n’avait pas grand-chose en cours en terme de musique à ce moment-là, donc je lui ai simplement suggéré de rejoindre le groupe. C’était vraiment la première personne à qui j’ai pensé et il a presque immédiatement dit « ouais, essayons et voyons ce qu’il se passe ! » D’un autre côté, c’était super d’avoir Leo mais ensuite, l’idée de devoir trouver un autre batteur semblait assez intimidante parce que, malgré ce qui a été dit à propos de Mark ou ce qu’il s’est passé avec lui, comme je l’ai dit, je ne vais pas dire du mal du gars, son style de jeu est vraiment unique et il fait partie de l’alchimie du line-up initial et du son de ce premier album. Donc trouver quelqu’un au Royaume-Uni qui collerait à ce style que nous jouions et qui serait suffisamment impliqué et facile à vivre pour jouer dans le groupe semblait être une perspective très intimidante, vraiment, parce que je ne connais pas tellement de batteurs qui jouent dans ce style.

Nous avons envisagé de demander à des gens en Amérique, des amis dans d’autres groupes, rien que pour donner un coup de main, ce genre de choses. Principalement parce que nous avions ces concerts programmés, nous avions besoin de trouver quelqu’un pour honorer ces engagements. Et ensuite Leo a suggéré Alex parce que c’est un bon ami à lui et il a joué dans des groupes avec lui auparavant, et il a dit que c’était un tueur à la batterie et un gars sympa, donc nous devions l’essayer. Je l’avais rencontré brièvement à quelques occasions avant. Donc, en gros, j’ai réservé quatre soirs de répétitions à Londres, Tim a pris l’avion pour venir et nous nous sommes réunis pour essayer, voir comment ça allait fonctionner. Nous avons donc grosso-modo répété le set le lundi soir. Les choses se sont très rapidement mises en place, en seulement une ou deux heures tout était comme il faut, le set était quasiment bon du premier coup, immédiatement, et arrivé à la fin de la répétition, il est devenu très clair que ce line-up allait fonctionner et que tout irait bien, si ce n’est mieux qu’avant. C’était donc un vrai coup de chance d’avoir trouvé Alex.

« De nos jours on s’ennuie un peu, avec toutes ces images occultes copier-coller de films d’horreur, ces photos de magazines occultes, de sorcières avec leurs nichons à l’air, tous ces trucs, c’est juste tellement barbant maintenant ! C’était bien il y a quelques années quand c’était un peu nouveau mais, vraiment ? N’avez-vous rien d’autre à faire que juste copier-coller des choses qui existent ? »

Nous avions trois jours supplémentaires réservés pour répéter – comme je l’ai dit, nous avions quatre jours réservés -, et nous n’avions pas besoin des trois soirées restantes, donc j’ai suggéré que nous travaillions sur de nouvelles compositions. Tim avait quelques idées à balancer. Donc nous avons jammé sur quelques nouvelles chansons et d’ici la fin de la semaine, nous avions cinq ou six toutes nouvelles chansons de faites en seulement trois jours. C’était une occasion trop belle pour passer à côté tant que Tim était là, donc j’ai suggéré que nous allions en studio. Le studio d’un ami à nous qui s’appelle Gomez. Son studio, par chance, était libre, donc nous y avons été et avons mis en boite cinq chansons en deux jours, environ. C’est devenu la seconde moitié du nouvel album, tel que tu le connais aujourd’hui. Donc les choses se sont faites très facilement.

Pour le premier album de With The Dead, la musique était déjà écrite avant que tu n’arrives…

Tout n’était pas écrit, il y avait quand même quelques morceaux qui n’ont pas été écrits avant que je ne rejoigne le groupe, mais continue, désolé.

Cette fois, le groupe était au complet dès le premier jour de la conception de cet album. Qu’est-ce que ça a changé, surtout pour toi en tant que chanteur ?

Je ne sais pas vraiment, c’est difficile à dire. Le fait d’être un groupe au complet fait que c’était bien plus en place qu’avant. Personnellement, je trouve que travailler avec Tim est très facile parce que le genre de riff qu’il trouve, c’est très facile d’en faire quelque chose, de mon point de vue, et je suppose que je me suis davantage habitué à sa façon de composer maintenant. J’avais bien plus de suggestions à faire pour les structures des chansons, les petites parties complexes, des détails mineurs et ce genre de choses lorsque nous étions en salle de répétition. C’était juste bien plus cohésif et facile cette fois, mais même le premier album a été très facile. Je suppose, aussi, que la direction prise par la musique était légèrement différente du premier dès le début parce que c’est bien plus, je ne sais pas si « drone » est le bon mot mais ça sonne bien plus oppressant que le premier album, et c’était délibéré.

Je dois faire remarquer que cet album a été enregistré en deux étapes. Le premier lot de chanson que nous avons enregistré apparaît dans l’album comme les quatre dernières pistes, elles ont été enregistrées en janvier 2016, l’année dernière, donc c’était, comme je l’ai dit, suite à cette semaine de répétition que nous avons faite. Et les trois premières chansons sur l’album ont été enregistrées en janvier de cette année. En gros, après que nous ayons enregistré les quatre premières, nous avions tous ces concerts à faire, comme je l’ai dit, et durant l’été, nous avions pas mal de festivals et apparitions en Europe, au Japon, etc. Nous nous sommes dit que, bien que nous aurions probablement pu sortir l’album tel quel, nous trouvions qu’il manquait quelque chose. Et ça s’est fait si rapidement que nous ne voulions pas prendre pour acquis que ce serait suffisamment bon. Donc nous avons passé le restant de l’année entre cette première session et la suivante à réfléchir à ce qui manquait à l’album et ce qui devait être ajouté pour qu’il sonne plus complet. Lorsque toutes les chansons étaient finies, nous avons déterminé lesquelles nous allions écarter et lesquelles nous allions garder, et l’ordre des chansons, etc. Donc durant cette période depuis le premier lot de chansons, nous avons eu tout le temps de réfléchir au style, à la direction et à ce qu’il manquait. Les trois premiers morceaux sur l’album sont un peu plus entraînants et pas léthargiques comme le reste des morceaux, qui sont, comme je l’ai dit, très oppressants.

Ayant eu une année entre les deux sessions, n’aviez-vous pas peur de perdre en homogénéité ?

Non, nous voulions juste nous assurer que ça soit comme il faut. Nous ne voulions pas sortir l’album juste pour le sortir, à l’époque, ce que nous aurions pu faire, comme je l’ai dit. Ce sont les mêmes personnes dans le groupe enregistrant dans le même studio, même si c’était un endroit différent à ce moment-là (le studio a déménagé entre-temps, NDLR), nous avions le même son et tout, donc non. Je pense que ça nous a fait beaucoup de bien de faire ça, en fait. Ca a rendu l’album un peu plus vivant qu’il ne l’aurait été si nous en étions restés à cette première session dans ce style un peu drone.

Comment le fait d’être quatre désormais a changé la dynamique du groupe, surtout ayant un bassiste à vos côtés durant les sessions créatives ?

C’est difficile à dire. Rien n’est vraiment très différent d’avant. Bon, c’est évidemment différent parce que c’est un groupe au complet mais la seule vraie différence, je pourrais dire, est lorsque nous jouons en live, parce que bien sûr, nous n’avions pas joué en live avant et là nous débarquions avec un groupe au complet. Par rapport à la façon dont les chansons ont été écrites, elles ont été répétées et composées si vite durant les deux sessions que ça ne semblait pas… Tu sais, ce n’est pas comme s’il y avait eu six mois de répétitions intensives pour déterminer quelle était la dynamique du groupe et ressentir cette dynamique changer progressivement. Car la façon dont les chansons ont été composées et enregistrées, comme je l’ai dit, c’était trois soirées pour la première session et ensuite deux pour la seconde session. La dynamique du groupe a changée de bien des façons, évidemment parce que nous sommes devenus un groupe de live, ce que nous n’étions pas avant, et bien sûr, sur l’album, Leo met sa propre touche, son son et son style par-dessus Tim. Je suppose que le fait que Leo ait travaillé auparavant avec Alex, le batteur, fait d’eux une section rythmique très en place, donc la section rythmique est bien plus solide qu’elle ne l’était avant, évidement, car c’est une vraie section rythmique.

« Je me souviens lorsque le doom était ridiculisé par la plupart des médias ainsi que des fans de metal ! C’était toujours considéré comme un genre sans avenir au sein du heavy metal. Alors que maintenant, il est reconnu comme l’un des courants majeurs du metal et c’est un peu étrange de voir ça. »

Comme tu l’as mentionné, vous avez une nouvelle fois travaillé avec Jaime Gomez Arellano en tant que producteur et il est souvent embauché par des groupes qui aiment avoir un son authentique. Du coup, qu’a-t-il de si spécial ?

[Rires] Il sait comment obtenir un bon son ! Il a du bon matos et ça fait suffisamment longtemps qu’il fait ça, il comprend vraiment la musique heavy. C’est facile de travailler avec lui. En fait, je lui ai dit que nous voulions être aussi putain de crus, bruyants et agressifs que possible. Nous ne voulions rien de sophistiqué dans l’enregistrement. Nous voulions que ça sonne aussi live et organique que possible. Nous ne voulions rien de fantaisiste. Et il comprend tout ça parce que ce n’est pas qu’un producteur, il adore la musique extrême. Il sait ce que tu veux et comment l’obtenir.

Je sais qu’avec le premier album, vous vouliez que ça soit aussi spontané et live que possible. Donc on dirait que c’est un état d’esprit que vous avez gardé. Penses-tu que ça fait partie de l’ADN de With The Dead ?

Ouais. En fait, en parlant de comment les choses étaient avant dans d’autres groupes, nous en étions arrivés à un stade avec Cathedral où, je pense, nous pensions trop à ce que nous faisions, alors que lorsque nous avons débuté, nous faisions tout ce que nous voulions. Dans une certaine mesure, c’était toujours le cas ensuite mais après un certain nombre d’années, tu es dans une situation où tu as tous ces albums que tu as fait avant celui sur lequel tu es en train de travailler, et tu te demandes où ce nouvel album se place par rapport à tous les autres et comment… Il y a une sorte de pression invisible qui te pousse à te conformer à un certain standard, ce qui n’est pas forcément une mauvaise chose mais après avoir fait ça pendant aussi longtemps, ça peut un peu devenir un… pas un fardeau en tant que tel, mais tu ressens la pression. Avec ce groupe, il n’y avait rien de tout ça parce que nous avons démarré de zéro, vraiment, en voulant éviter tous ces pièges potentiels dans lesquels tu peux tomber. Donc le feeling de l’album et du groupe en soi est très spontané. C’est davantage basé sur l’instinct plutôt qu’une manière de faire les choses très étudiée, ou le fait de s’exprimer. Littéralement, si quelque chose nous paraît bien, alors nous le faisons.

Au niveau des paroles, je ne me torture pas pendant des semaines à essayer d’écrire deux phrases dans une chanson qui donne l’impression d’être inachevée. Si j’écris un lot de paroles et que ça parait bien, et que je les écrits très rapidement, alors je les garde. Je n’y passe pas plus de temps que nécessaire. Pareil avec le chant. Je me contente d’aller en studio et les enregistrer, sans même les avoir répété pour cet album. Tout ce que tu entends sur cet album est une première prise, pour la première fois aussi. Il y a quelques pistes que j’ai doublées mais tout est, grosso-modo, comme c’est censé être dans un groupe, brut et ça vient des tripes. Je ne trouve pas qu’il faille que ce soit autrement pour l’instant, ce qui fait que c’est beaucoup plus plaisant. C’est assez libérateur de faire comme ça au lieu de devoir se conformer à des attentes ou d’avoir un manageur ou une maison de disque qui tente de lancer le groupe. Nous sommes exempts de toutes ces choses, nous pouvons prendre le temps que nous voulons et faire ce qui nous plait, et ça fait du bien, pour être honnête.

Le premier album de With The Dead était déjà assez extrême en termes de doom et de lourdeur, et ce nouvel album va encore plus loin dans ces extrêmes. Etait-ce la seule voie à prendre pour donner suite à ce premier album ? Penses-tu que vous aviez mis la barre à un tel niveau qu’il n’y avait pas d’autre solution que d’être encore plus extrême et lourd ?

[Rires] Bon, il y avait diverses raisons mais ouais, en gros, c’est une des raisons, mais des circonstances personnelles que tu traverses dictent aussi un peu le fait que les choses deviennent lourdent dans ce que tu vis, et ce que tu vis devrait toujours transparaître dans la musique. Evidemment, nous voulions vraiment faire un album qui soit plus lourd que le premier, nous voulions vraiment l’emmener plus loin, ouais. Parce que nous ne savions pas quelle autre direction prendre. Nous ne savions pas quoi faire d’autre. Et nous ne voulions pas trop essayer de faire les malins. Nous ne voulions pas essayer de faire plein de trucs barrés et excentriques. Tu as plein de pistes différentes que tu peux suivre et plein de distractions comme « oh, il faut qu’on fasse ça, il faut essayer ça, il faut expérimenter ça, bla bla bla, » mais essentiellement, pour le moment, c’est purement un groupe de doom agressif. Ce n’est pas tellement un groupe expérimental, même s’il y a des parties sur le nouvel album qu’on pourrait qualifier d’expérimental, comme « Watching The Ward Go By » et puis la fin de « CV1 », mais le centre d’attention sur le premier album et celui-ci était de faire l’album le plus écrasant que nous pouvions faire.

Après avoir fait ceci sur le premier, nous avons dû penser : « Où on va avec le prochain ? » Et la seule direction que nous pouvions prendre était d’être le plus lourd possible. Nous voulions qu’il soit plus intense que le premier. Heureusement, nous sommes tous en phase par rapport à ce que le groupe doit être. Lorsque vous vous focalisez tous sur la même chose, je pense que c’est bien plus facile d’atteindre un but. Mais les expériences personnelles rentrent en ligne de compte aussi ; tu sais, au cours de ces dernières années, ma vie personnelle n’a pas été top, ni même ma santé et il s’est passé plein de choses qui ont été assez dures, pour être honnête, pour dire les choses simplement. Bon, tout n’a pas été mauvais. Je suis toujours là. J’ai plein de choses pour être heureux. Et toutes les mauvaises choses et tous les moments difficiles que j’ai dû traverser, ça fait partie de la vie, n’est-ce pas ? Il faut faire avec. J’ai la chance d’être dans une situation où j’ai un groupe comme celui-ci pour évacuer tout ça. Et si tu es dans un groupe comme celui-ci, si tu es un groupe de doom, il faudrait être un peu bête pour ne pas mettre ces expériences dans la musique, pour rendre tout le feeling, l’atmosphère et la conviction de l’album plus réels.

« Je me suis peut-être beaucoup révélé, je me suis exposé personnellement […] et nous avons tous mis énormément de nous-mêmes dans cet album. Et en faisant ça, nous offrons notre amour, même si ça passe comme étant sans doute le côté négatif de l’amour. »

Je trouve que de nos jours on s’ennuie un peu, avec toutes ces images occultes copier-coller de films d’horreur, ces photos de magazines occultes, de sorcières avec leurs nichons à l’air, tous ces trucs, c’est juste tellement barbant maintenant ! C’était bien il y a quelques années quand c’était un peu nouveau mais, vraiment ? N’avez-vous rien d’autre à faire que juste copier-coller des choses qui existent ? Je trouve que c’est un problème avec beaucoup de musique, les gens ne se mettent plus eux-mêmes dedans, pour le meilleur ou pour le pire. Je voulais personnellement éviter tous ces clichés et simplement m’exprimer, et exprimer toute cette angoisse que j’ai traversée, et mettre ça dans la musique plutôt que de parler de quelque chose qui n’est pas réel. Ce qui ne veut pas dire que ce n’est pas valide. C’est juste que dans un groupe comme celui-ci, je trouve qu’il est très important de s’y mettre soi-même, à cet égard.

En fait, le doom semble être assez populaire de nos jours mais nombre de ces groupes ont tendance à pencher vers une approche revival seventies du doom, presque de façon nostalgique. Du coup, est-ce votre mission de rétablir le vrai sens du doom et de la lourdeur sous son essence la plus brutale et crue ?

En fait, soyons clairs là-dessus : probablement que quatre-vingt-dix pour cent de la musique que j’écoute est plus vieille que moi [petits rires], elle a sans doute cinquante ans. Donc je ne suis pas en train de dire que j’ai soudainement arrêté d’écouter la musique que j’ai toujours adoré. Mais avec un groupe comme celui-ci, je voulais détruire la plupart des clichés qui étaient raccrochés à ce genre. Nous n’essayons pas d’être un groupe dans l’esprit des années 70, nous n’essayons pas de reproduire ou revivre les années 60 avec ce groupe. Autant, putain, j’adorerais revivre dans les années 60 et début 70, je serais comme un dingue, autant ça n’arrivera jamais. Autant j’adore la musique de cette époque, autant ce groupe n’est pas un hommage aux seventies et sixties. Il se base sur la réalité et les putains de choses horribles que je vois autour de moi et que je vis. Ça ne veut pas dire qu’il ne pourrait pas y avoir de place dans ma vie pour faire un groupe différent qui serait plus une célébration des trucs classiques qui se sont produits en musique, parce que j’adore ces choses et je les adorerais toujours, mais With The Dead n’est pas ce genre de groupe. Nous n’essayons pas forcément de prouver quoi que ce soit mais nous n’essayons pas non plus de suivre de quelconques règles ou clichés. Nous n’essayons pas d’être cool. Nous n’essayons pas de faire ce que les gens attendent. Nous voulons juste faire ce que nous voulons et être heavy, c’est tout.

En fait, je n’écoute pas tellement de groupes de doom moderne, je ne sais même pas… Ma perspective sur le doom et les autres artistes serait probablement complètement différente aujourd’hui parce que tant de choses se sont passées depuis la fin des années 80 et le début des années 90 lorsque le doom était encore un genre relativement restreint, et maintenant, c’est devenu l’un des genres les plus populaires dans le metal ! Je veux dire que je me souviens lorsque le doom était ridiculisé par la plupart des médias ainsi que des fans de metal ! C’était toujours considéré comme un genre sans avenir au sein du heavy metal. Alors que maintenant, il est reconnu comme l’un des courants majeurs du metal et c’est un peu étrange de voir ça. C’est super, à la fois, mais je ne me tiens pas au courant, je ne suis pas un adepte obsédé par le doom contemporain. Je n’écoute plus tellement non plus de musique qui soit aussi heavy que celle que nous faisons. Le genre de musique que nous faisons est celle qui est en nous. Nous ne nous tournons vers personne pour trouver de l’inspiration. Ça coule dans nos veines !

On dirait que vous avez tenté d’avoir un son très rude qui n’est pas à proprement dit plaisant ou agréable à l’oreille. Est-ce votre idée de trouver du plaisir à travers la douleur, comme si vous aviez une relation sadomasochiste avec vos auditeurs ?

[Rires] Tu es un peu psychiatre, n’est-ce pas ? Non, en fait, quand tu es dans un groupe heavy et que le seul centre d’attention est d’être lourd… bon, c’est pas le seul centre d’attention mais lorsque l’un des centres d’attention au sein du groupe est d’être aussi lourd que possible, bien sûr que tu veux que ce soit aussi dévastateur et écrasant qu’absolument possible. Peu importe la raison, peu importe ce que ça te procure, qui sait ? Mais lorsque tu aimes la musique lourde, tu veux qu’elle t’aplatisse. C’est en tout cas ce que j’ai toujours recherché lorsque j’étais plus jeune. Donc plus c’est lourd, mieux c’est. Tu peux réfléchir aux divers aspects des raisons psychologiques qu’il peut y avoir derrière ça, mais tout ce que je sais, c’est que j’aime bien me faire plomber la tête lorsque j’entends de la vraie musique heavy. J’aime qu’elle m’assomme. Parce que, je ne sais pas, peut-être que ça remonte à l’époque où je me défonçais et j’aimais être scotché par des riffs heavy, cet aspect est toujours là, et si tu peux le pousser plus loin, alors… ça existe pour qu’on puisse le faire, n’est-ce pas ? Alors pourquoi ne pas le faire ?

Y a-t-il une limite à la lourdeur ?

Tout dépend comment tu définis la lourdeur, n’est-ce pas ? En fait, qu’est-ce qui rend cet album plus lourd que le premier ? Les émotions peuvent toujours être plus lourdes. Ça ne signifie pas forcément que la tonalité de la guitare est plus lourde, ou que la batterie est plus lente, ou que le chant est plus agressif. Ce n’est pas forcément ce qui rend un album plus lourd, pour moi. C’est le sentiment et l’intensité de l’atmosphère qui ressort d’un album qui fait qu’il est lourd, en premier lieu. Donc, en ce sens, les albums peuvent toujours être plus lourds. C’est comme le grindcore rapide ou peu importe, où ça fini ? Ouais, ça peut être un peu plus rapide, ça peut être un peu plus agressif, de la même façon que le son et la base sonore du doom peut toujours être plus lents et un peu plus lourds en termes de tonalité, mais ce qui le rend vraiment lourd, c’est ce que les gens eux-mêmes y mettent, pas forcément comment c’est enregistré ou joué en studio. Ce sont les sentiments et les émotions qui en ressortent qui rendent un album plus lourd, je pense.

« [Au début de Cathedral] nous nous rendions dépressifs pour pouvoir rendre la musique plus lourde. Nous forcions presque délibérément ces émotions sur nous-mêmes pour que le premier album de Cathedral puisse être aussi lourd qu’il l’était. Il y a là une différence parce qu’aujourd’hui, je n’essaie pas de rendre ma vie plus dure. »

L’album s’intitule Love From With The Dead, ce qui sonne comme un titre ironique, surtout avec cette illustration morbide. Que vouliez-vous exprimer avec ça ?

Les gens ont peut-être considéré que ce titre était sarcastique ou ironique, comme tu le dis, mais en fait, je trouve que c’est un titre assez cool parce que beaucoup de sang, de sueur et de larmes sont passés dans les émotions transmises sur cet album. J’ai mis mon âme dans cet album. Je me suis peut-être beaucoup révélé, je me suis exposé personnellement, de bien des façons, au niveau des paroles et de la prestation, et nous avons tous mis énormément de nous-mêmes dans cet album. Et en faisant ça, nous offrons notre amour, même si ça passe comme étant sans doute le côté négatif de l’amour. Ça parle d’amour qui tourne mal, ça parle du monde qui est foutu, d’à quel point les relations entre les gens sont déglinguées. Mais nous essayons de faire passer des émotions lourdes. Je veux dire que nous l’avons fait avec amour et pas avec haine. Et c’est aussi un titre qui m’est venu un jour, et je me suis dit : « Eh bien, ce n’est pas le genre de titre auquel les gens s’attendraient avec un groupe comme le nôtre. » Les gens ne s’attendraient pas à ce que nous utilisions le mot « amour » dans un titre de chanson alors qu’en gros, l’amour est partout ! Vraiment ! Chaque aspect de l’amour : le côté sombre de l’album, le côté positif de l’amour, en fait, il y a tout.

La haine est ce qui va tous nous tuer, tu sais. Si on n’a pas d’amour dans le monde, on n’a rien. On ne peut pas vivre sans amour, n’est-ce pas ? On vivrait une vie plus ou moins vide. Et l’amour n’est pas toujours là, il n’est pas toujours atteignable. C’est quelque chose qui peut être tellement hors de portée parfois que tu peux te sentir seul en ce monde, et il n’y a rien de pire que de ressentir ça. Ces situations et expériences que tu vis, ce sont ces choses que j’aime faire passer dans la musique. Car tout le monde se sent comme ça parfois, tout le monde se sent perdu dans ce monde, tout le monde se sent désespéré parfois, et le fait de pouvoir faire ressortir ces pensées de désespoir dans la musique, avec un peu de chance, ça peut donner à d’autres gens une sorte de lien avec ce que tu essayes de faire. Car, comme je l’ai dit, tout le monde traverse ces sentiments et si tu peux t’identifier à ce que quelqu’un d’autre traverse, via la musique, ça peut être une aide. Je n’aime pas employer le mot « cathartique » parce que c’est un peu un cliché d’utiliser ce mot, mais ça peut être cathartique et exaltant. Lorsque tu entends quelqu’un d’autre ressentir la douleur que toi-même tu ressens parfois, je pense que ça peut être une chose positive. Ce n’est pas censé être négatif.

Du coup, d’une façon un peu étrange, est-ce un album d’amour ? [Petits rires]

Tu ris toi-même un peu de manière sarcastique mais ouais, bien sûr que ça l’est ! C’est de l’amour, c’est certain, comme tout.

Tu as déclaré que tu ne t’es « jamais senti aussi désillusionné par la vie et le monde qui [t’]entoure, pas depuis le premier album de Cathedral. » A quel point la situation avec la vie aujourd’hui est comparable à celle de l’époque ?

Je regarde juste le monde aujourd’hui et je me dis qu’il n’a fait qu’aller de mal en pis. Certaines des choses qui se passent dans le monde sont tout simplement horribles. Si une personne lambda dans la rue n’est pas désillusionnée par ce qui se passe dans le monde, c’est qu’il lui manque quelque chose, parce que le monde est complètement déboussolé en ce moment ! Et il manque d’amour [petits rires]. S’il y a bien une chose importante qui manque, c’est l’amour. Et ça se passe partout autour de nous en ce moment et c’est effrayant ! Ce n’est pas une belle époque à vivre en ce moment et j’espère juste que ça va s’améliorer. Et lorsque Cathedral a débuté, il y avait quelques trucs personnels que nous traversions, presque tout le monde dans le groupe vivait une séparation, et nous nous intéressions sérieusement au doom et nous voulions vivre toute la culture du doom. Je pense que probablement, nous nous rendions dépressifs pour pouvoir rendre la musique plus lourde. Nous forcions presque délibérément ces émotions sur nous-mêmes pour que le premier album de Cathedral puisse être aussi lourd qu’il l’était. Il y a là une différence parce qu’aujourd’hui, je n’essaie pas de rendre ma vie plus dure. Evidemment, je veux rendre ma vie meilleure [petits rires], comme n’importe qui le devrait. Mais avec le premier album de Cathedral, nous voulions qu’il soit aussi convaincant que possible, donc nous avons effectivement rendu nos vies plus difficiles, peut-être avons-nous poussé nous-mêmes nos relations amoureuses à la rupture, je ne sais pas [petits rires]. Mais nous savions aussi nous amuser, nous avions un grand sens de l’humour entre nous au sein du groupe, et je pense qu’on pourrait dire que cet album, en soi, a une part d’humour très noir. En plus d’être un album très morose, il avait aussi une part d’humour.

Tu as mentionné le fait que le monde va de mal en pis. Penses-tu que nous soyons condamnés ?

Je n’aime pas penser comme ça, évidemment, mais je crois qu’il faut avoir conscience que, potentiellement, nous le sommes, ouais. Parce que l’humanité est son propre pire ennemi, malheureusement. Et c’est en train de devenir de plus en plus manifeste chaque jour qui passe. Les gens sont tellement divisés en ce moment, ils sont tellement… Ce qui m’attriste vraiment est que les gens semblent se battre les uns contre les autres alors qu’ils sont victimes de la même oppression. Les gens semblent s’accuser les uns les autres plutôt que les pouvoirs en place, les personnes qui les mettent dans le pétrin et leur donne la triste vie que beaucoup de gens ont. Les gens ne semblent plus tellement se soucier de ceux qui sont dans le pétrin. C’est un peu… Je ne sais pas. On dirait juste que la vie des gens n’arrête pas de s’assombrir. C’est très facile de généraliser et dire que le monde entier est ainsi parce qu’évidemment, ce n’est pas le cas, il reste de très bonnes personnes dans ce monde, et avec un peu chance ils surpasseront en nombre les mauvais, mais je ne sais pas… Quoi que ce soit, les gens semblent regarder dans la mauvaise direction dès qu’il s’agit d’accuser quelqu’un parce qu’ils se mettent à se monter les uns contre les autres, alors qu’on vit une époque où au contraire, ils devraient vraiment s’unir, enfin, c’est que je crois. Mais lorsque tu regardes comment sont les gens, globalement, tu peux voir que ce n’est pas vraiment une possibilité, malheureusement. Il y a diverses raisons à ça. Il y a la religion, il y a les races, il y a le pouvoir, il y a toutes ces choses qui se mettent en travers du chemin.

« Je n’aime pas penser comme ça, évidemment, mais je crois qu’il faut avoir conscience que, potentiellement, nous sommes condamnés. Parce que l’humanité est son propre pire ennemi, malheureusement. Et c’est en train de devenir de plus en plus manifeste chaque jour qui passe. »

L’album démarre avec la chanson « Isolation », qui est un mot qu’on retrouve dans la chanson « Reincarnation Of Yesterday », et avant cet album, vous avez aussi sorti une chanson intitulée « Vessel Of Solitude ». Ressens-tu beaucoup de solitude ?

Pas forcément mais parfois, tu as besoin de solitude et d’isolation pour pouvoir donner du sens à ce qui se passe dans le monde et parfois dans ta vie personnelle. Car lorsque tu es confronté à tout ça, il est dur de voir… Tu peux perdre pied parce que tu peux te retrouver sous l’emprise de ces choses négatives, et parfois tu as juste besoin de t’éclipser, restaurer ta force et réévaluer ta place dans l’ensemble des choses, et essayer de te retrouver. C’est de ça dont parle « Isolation ». Encore une fois, ce n’est pas forcément quelque chose de négatif.

Est-ce que la chanson « Cocaine Phantoms » parle de ta propre expérience ?

Bien sûr, tout sur cet album parle de ma propre expérience. Le fait de vivre dans un endroit comme Londres, je veux dire, la cocaïne est une drogue qui est très présente dans la scène, j’imagine. Avec des jeunes gamins, des personnes plus agées, ou peu importe, qui sortent, c’est quelque chose de très courant et que je n’apprécie pas particulièrement. De façon générale, pour être honnête, je n’aime pas comment les gens se comportent lorsqu’ils sont sous l’influence de cette drogue. On dirait que ça leur confère un faux sentiment de confiance, ça peut les rendre assez désagréables, je trouve. Et les gens qui utilisent beaucoup cette drogue, ils restent plantés là comme des fantômes, ils ne sont pas vraiment eux-mêmes, ce sont presque des apparitions d’eux-mêmes parce qu’ils ne se comportent pas comme ils le feraient normalement.

La chanson « CV1 », d’après le communiqué de presse, est une « complainte funèbre » envers ta ville de Coventry. Qu’as-tu voulu exprimer à propos de cette ville dans cette chanson ? Qu’est-ce que cette ville représente pour toi ?

C’est là où je suis né, c’est là où j’ai passé les plus de trente premières années de ma vie. Donc cette ville signifie énormément pour moi. Je suppose qu’elle a façonné ce que je suis devenu en tant qu’individu. Ma famille vit encore ici, plein de bons amis vivent encore ici et j’ai un énorme amour pour cette ville, encore aujourd’hui et ça ne changera jamais, peu importe ce qui s’y passe. Cette chanson n’est pas une critique de la ville, c’est tout l’opposé. C’est plus l’expression d’une désillusion quant à la façon dont la ville a été traitée au fil des années. Beaucoup de gens ne savent pas ce qui s’est passé à Coventry durant la Seconde Guerre Mondiale. En gros, elle a été complètement rasée par l’Allemagne Nazi. Ils ont totalement détruit la ville du jour au lendemain. Même si c’était il y a de nombreuses années, je ne pense pas qu’elle s’en soit jamais totalement rétablie, parce qu’elle n’en a jamais vraiment eu l’occasion. Lorsque la ville a été reconstruite, dans les années 40, je suppose, c’était une ville contemporaine, c’était probablement la ville la plus moderne du monde à l’époque parce que c’était la plus neuve, alors qu’avant, c’était une vieille ville, semblable à Warwick ou Stratford-upon-Avon, c’était une ville médiévale, avec des rues pavées, des bâtiments médiévaux, très pittoresque. Et après qu’elle ait été détruite et reconstruite, c’était un peu tout l’opposé, c’était moderne, avec des appartements municipaux, des arrondissements en béton et tout, mais lorsqu’elle a été reconstruite jusqu’à mon adolescence, c’était une ville assez jolie, le centre-ville en tout cas. L’architecture, même si elle était différente, avait quand même de la coordination. Mais à mesure que le temps passait, la coordination et l’allure de la ville ont été complètement trafiquées par le conseil municipal. Une grande partie de ce qui avait survécu à la guerre a été lentement mais sûrement détruit également. Donc les traces médiévales d’antan ont graduellement été effacées.

Je me souviens de me balader dans les rues lorsque j’étais gamin et j’adorais cet endroit. Je connaissais la ville comme ma poche. C’est là que j’avais l’habitude de traîner quand j’étais adolescent. Mais plus tard, j’imagine vers la fin des années 70, début 80, lorsque la récession a commencé et Margaret Thatcher est devenue premier ministre, plein de villes ont souffert du même sort. Il y avait beaucoup de dépression, plein de gens étaient déprimés, et je pense que la façon dont le conseil municipal traitait la ville en était un peu le reflet. Ils installaient de nouveaux centres commerciaux par-dessus l’herbe… Il y avait au moins certaines parties au milieu du centre-ville qui conservaient un côté pittoresque et où on pouvait s’asseoir un samedi et prendre un verre ou autre, devant la statue de Lady Godiva, et c’était charmant et joli mais ensuite, ils ont mis un énorme centre commercial qui a commencé avec des cafés et bistros sympas, puis ce sont devenus des bazars bas de gamme et ainsi de suite. Ils ont mis des trucs en plein milieu de l’arrondissement, ils ont démoli les jolies choses pour mettre de nouveaux trucs à la place, et puis ça n’a fait qu’aller de mal en pis, vraiment. La ville a été négligée par les gens qui la gèrent. Je trouve que c’est vraiment une honte. Après la guerre, dans les années 50 et 60, c’était une ville qui bougeait beaucoup parce que la plupart de la construction automobile au Royaume-Uni était faite à Coventry. Mais comme je l’ai dit, vers la fin des années 70, début 80, les choses sont généralement devenues amères et sombres en Angleterre. Il y a bien plus de pauvreté, bien plus de chômage. En fait, c’est le thème général de la chanson. C’est un endroit que j’aime toujours profondément mais je suis attristé par la façon dont elle a été traitée, c’est ce que raconte la chanson.

Peux-tu nous parler de l’implication de l’artiste d’electro-noise Russell Haswell sur ce morceau ?

Lorsque cette chanson a été écrite, elle a été écrite comme elle est mais, évidemment, Russell n’était pas encore impliqué à ce moment-là, mais la seconde moitié de la chanson avait juste ce côté un peu drone, ça semblait un peu vide. Russel est un de mes plus vieux amis. Nous sommes amis depuis 1985 ou 1986, quelque chose comme ça, et il vient également de Coventry. La chanson étant à propos de Coventry, ça avait du sens pour moi qu’il soit impliqué d’une façon ou d’une autre, et ça semblait être l’occasion idéale de remplir cet espace à la fin de la chanson, pour en faire quelque chose. Et cette chanson étant à la fin de l’album, je trouve que tout l’album tend vers ça, ça devient graduellement de plus en plus extrême, ça fini de façon très… Ce n’est pas une fin joyeuse, n’est-ce pas ? [Rires] Ca termine de façon très extrême, et je pense que c’est une bonne façon de finir pour un album de doom. Je ne crois pas que les albums de doom devraient avoir une fin heureuse, vraiment. Je ne sais pas ce que nous allons faire ensuite mais ça ouvre un peu les possibilités pour ce que nous pourrions faire après. Nous n’allons pas devenir un groupe de noise mais on pourrait expérimenter avec ce style, je ne sais pas, c’est difficile à dire. Mais ça ouvre un peu plus les options.

« [Avec Cathedral] nous embrouillons trop de gens, car nous ne nous sommes jamais arrêté à un seul style. […] Si nous n’avions enregistré que les trois premiers albums, nous aurions probablement été un groupe légendaire [rires]. »

Je sais qu’il y a plusieurs chansons de Cathedral qu’il vous reste issues des sessions de The Last Spire, dont une chanson épique de 25 minutes. Y a-t-il une chance que ça puisse voire le jour ?

Oh bon Dieu, ouais… [Rires] J’espère un jour ! Pour être honnête, je ne me souviens plus de comment ça sonne, ça fait si longtemps ! Mais c’était un bon morceau, en fait. Je suis sûr que Gomez a encore les bandes et tout. Pour être honnête, ça n’a pas été ma priorité dans ma liste de choses à faire parce qu’évidemment, le groupe n’existe plus et il y a d’autres choses qui se passent dans nos vies à tous, mais s’il y a du temps libre durant les deux années qui viennent, ce serait un truc sympa à faire. Le dernier concert que nous avons donné en Angleterre, au Forum, a été filmé et tout, et nous étions censés le sortir en DVD ; je ne sais même pas si les DVD se vendent encore. Donc nous avons encore tout ça et pas mal de trucs ici et là. Un jour il faudrait que nous les rassemblions et en fassions quelque chose, mais ça ne sera pas de sitôt, j’ai bien peur.

N’es-tu pas nostalgique des années Cathedral ?

Oh ouais, bien sûr. Je ne sais pas si tu le sais mais Gaz est toujours un bon ami à moi. En fait, il travaille au bureau [de Rise Above Records] à Londres. Il vit à Harrogate, qui est assez loin, et il vient et travaille au bureau pendant la semaine. En ce moment, il passe en revue des centaines de vieux magazines pour essayer de les classer, et je viens également d’en ramener tout un paquet de Coventry, de chez ma mère, des centaines et des centaines de magazines. Donc tu vois des choses là-dedans qui te rafraîchissent la mémoire sur une certaine époque et tu finis par discuter du bon vieux temps. Tout est toujours là en nous. Autant il y avait des moments difficiles en étant dans Cathedral, autant, au bout du compte, c’était assez incroyable que nous soyons parvenus à durer aussi longtemps. Parce qu’il y avait quelques années où nous n’avons strictement rien fait, mais tu as toujours l’impression d’être un groupe, même si rien ne se passe. Mais je suis très fier de ce que nous avons fait, je ne changerais rien. Nous avons vécu des trucs de malade. Initialement, lorsque nous avons signé avec Sony en Amérique, c’était fou ! [Petits rires] Je ne sais même pas comment c’est arrivé mais c’était une époque de dingue, étant sur Columbia Records en Amérique et tout, c’était quelque chose. Et ensuite se remettre de ça, remonter le groupe et continuer pour encore, quoi ? Environ seize ans après ça, ce n’était pas toujours facile mais c’était…

Ce qu’il y avait de bien avec Cathedral c’est que, même si j’ai dit que nous en étions arrivé à un state où parfois nous sur-analysions un peu trop les choses et nous nous compliquions peut-être un peu trop la tâche, nous avons essentiellement fait exactement ce que nous voulions faire la plupart du temps. Je suppose que plein de gens diraient que nous avons pris beaucoup de risque mais nous n’avions pas peur de faire les choses différemment, nous n’avions pas peur des critiques non plus. Bien que plein de gens nous soutenaient, plein d’autres n’aimaient pas le groupe ou pensaient que nous allions trop loin ou, pour une raison ou une autre, ne s’intéressaient pas à ce que nous faisions, mais ce n’était pas un souci. Nous ne cherchions pas à plaire à tout le monde, ce n’était pas notre intention. Comme tout, nous voulions que les gens en sachent un peu plus sur les choses que nous aimions, les groupes qui nous ont inspiré à l’origine, les premiers groupes de doom et, bien sûr, au fil du temps, plein de groupes plus obscurs des années 60 et 70. Faire ceci était presque aussi important que d’être dans le groupe. Car la scène musicale qui nous entourait au début des années 90 était plutôt horrible, la façon dont le metal avait changé, avec tous ce metal qui sonnait moderne et macho qui est sorti au début des années 90. Nous aimions le style classique du heavy metal et tout ce qui allait avec. Peut-être n’étions-nous pas les meilleurs dans le domaine mais nous essayions tous de le promouvoir, autant pour les autres que pour nous.

Ce qui peut sembler ironique est que, maintenant que le groupe n’existe plus, peut-être qu’aujourd’hui serait la meilleure époque pour Cathedral…

Je ne sais pas trop. Parce que je pense que nous embrouillons trop de gens, car nous ne nous sommes jamais arrêté à un seul style. Si nous étions restés dans la veine de Forest Of Equilibirum tout du long, peut-être que nous serions devenus vraiment populaires aujourd’hui. Si nous n’avions pas fait ou essayé autant de choses différentes, peut-être que nous aurions été davantage respectés. Qui sait ? Si nous n’avions enregistré que les trois premiers albums, nous aurions probablement été un groupe légendaire [rires]. Si nous n’avions enregistré que Forest Of Equilibrium, The Ethereal Mirror et The Carnival Bizarre, je pense que nous serions comme un groupe mythique aujourd’hui ! Mais nous avons continué et nous avons fait ce que nous avons fait, pour le meilleur et pour le pire. Ca nous représentait à l’époque et ça représentait l’époque, on ne peut pas le changer. Et je ne pense pas que je voudrais le changer. Dans les années à venir, les gens regarderont peut-être en arrière et comprendront un peu mieux qu’avant, ou même qu’aujourd’hui, ce que nous essayions de faire.

Et lorsque ce moment arrivera, est-ce que ce ne sera pas le bon moment pour revenir ?

Ce n’est pas vraiment quelque chose que j’ai vraiment envie de faire, non. Je veux dire que ce groupe comptait beaucoup pour moi, y mettre fin était l’une des décisions les plus dures que j’ai prises dans ma vie, mais lorsque tu fais quelque chose comme ça et que tu choisis de le faire, et que c’est une décision aussi difficile, c’est parce que tu le fait en étant sérieux. Tu ne le fais pas parce que c’est juste une idée que tu contemples. Ce n’est pas quelque chose qui te viens du jour au lendemain, « oh, on va arrêter le groupe et ensuite revenir dans dix ans, et on essaiera de faire de l’argent avec. » Ca, pour moi, c’est être à côté de la plaque. Et pour être honnête, dans dix ans, j’aurais soixante ans ! Je n’arrive pas à m’imaginer en train de chanter « Midnight Mountain » et tout sur scène quand j’aurais soixante ans. Bon, on a vu des choses plus étranges se produire, évidemment. Je ne l’écarte pas totalement mais je ne le vois pas se produire. Si ça arrive pour de bonnes raisons, comme, disons, quelqu’un qui tombe malade et nous aurions besoin d’argent pour payer les frais médicaux ou quelque chose comme ça, alors ce serait une bonne raison de le faire. Mais le faire juste par nostalgie, alors non, ça n’arrivera pas.

Interview réalisée par téléphone le 7 septembre 2017 par Nicolas Gricourt.
Retranscription & traduction : Nicolas Gricourt.
Photos : Ester Segarra.

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