Rarement un groupe aussi récent aura eu si peu à prouver : par le pedigree de ses membres, l’auditeur du premier album de With The Dead sait d’office qu’il peut s’attendre au meilleur. Le trio est en effet composé de Mark Greening et Tim Bagshaw, membres fondateurs d’Electric Wizard ayant aussi officié ensemble dans Ramesses, rejoints pour l’occasion par Lee Dorrian, chanteur de Cathedral passé par Napalm Death et actuellement à la tête du label Rise Above. Si ce passif donne au projet des ampleurs de supergroupe, les musiciens ont au contraire eu une approche très simple et humble : Greening et Bagshaw se sont contentés de présenter le projet qu’ils avaient à Lee Dorrian lorsque ce dernier a finalement décidé d’accepter de s’occuper des voix et d’offrir à l’album fruit de cette collaboration une production digne de ce nom. Cet album, c’est With The Dead, prêt à tourner sur vos platines moins d’un an après la fondation du groupe sous des auspices qu’on imagine particulièrement appropriés lors du dernier Halloween (!).
Même si la plupart des auditeurs pénètrent en territoire plutôt connu, dès un premier riff à vous vriller la cervelle, le trio donne le ton : il envoie sans rémission un doom sludgy, direct et toxique. Le premier titre, « Crown Of Burning Stars », à l’image de la vidéo qui l’accompagne, nous ouvre les portes d’un univers narcotique, volontiers morbide évidemment, puisant dans l’imagerie des films d’horreur des années 60-70 et dans une bonne dose de négativité. Mark Greening prouve une fois de plus que son jeu est l’un des plus appropriés au genre – il suffit d’entendre l’intro de « Screaming From My Own Grave » pour s’en convaincre – et offre le soutien idéal au chant hargneux de Lee Dorrian comme aux riffs lourds, distordus, presque monstrueux de Bagshaw ainsi qu’à sa basse ronflante. Loin de n’être qu’un projet de plus pour ses membres, With The Dead semble porté par une rage et un fiel indubitablement authentiques. En six longs titres, les trois musiciens revisitent leurs carrières respectives autant que les différentes facettes d’un style dont ils ont été des artisans émérites : le doom metal. Ainsi, on passe d’un son très old school sur « Nephtys » à des tonalités quasiment funeral doom de circonstance sur un dernier titre lent et torturé à souhait, « Scream From My Own Grave ». On entend dans With The Dead des échos de Cathedral ou de Serpentine Path – un autre projet de Bagshaw –, de Ramesses évidemment, mais surtout d’Electric Wizard : « I Am Your Virus » notamment semble tout droit sorti de Dopethrone.
En effet, difficile de ne pas mentionner les sorciers du Dorset : Bagshaw et Greening ont passé dix ans dans le groupe et le batteur a même tenté un retour à l’occasion du dernier opus d’Electric Wizard, collaboration qui a rapidement tourné court à nouveau. De la même manière, Lee Dorrian a été confronté à une rupture houleuse avec le groupe lors de leur départ de Rise Above, au sujet duquel Jus Oborn n’a pas hésité à se répandre en propos plus ou moins acrimonieux. Un groupe qui a Electric Wizard dans les veines, donc, composé de grands déçus d’Oborn. Ceci explique à la fois une familiarité certaine entre les deux projets, des sonorités à l’imagerie, et une amertume non dissimulée. De là à voir dans cet album ce que Time To Die aurait pu (dû ?) être, il n’y a qu’un pas que sans doute beaucoup vont franchir – le groupe lui-même nous suggère « Prepare to die FOR REAL!!! » sur sa page Facebook – mais ce n’est sans doute rendre justice ni à Electric Wizard ni à With The Dead.
Car sur toute cette négativité, With The Dead génère une œuvre unique, cathartique et étouffante. Forts d’une carrière bien remplie, les musiciens parviennent avec cet album à une synthèse solide de leurs expériences. Certainement moins original et révolutionnaire qu’ont pu l’être d’autres de leurs projets – mais après avoir les uns comme les autres donné une nouvelle et salutaire impulsion au doom dans les années 90, c’est bien normal – With The Dead sonne surtout comme une réaffirmation de ce que le style est censé être. Alors que Lee Dorrian nous déclarait : « Pour moi, c’est ça le doom ! Pouvoir exorciser toutes ces dépressions et émotions intérieures, et les faire passer de façon puissante dans la musique », ils nous rappellent avec cet album dense et sans fioritures ce que le doom doit être : lent, sombre, hanté et menaçant.
Voir le clip de « Crown Of Burning Stars » :