On parle beaucoup de l’Islande, ces dernières années. De sa politique à ses paysages en passant par ses musiciens atypiques – que ce soit dans le monde du metal avec Sólstafir ou ailleurs avec Sigur Rós –, le phénomène s’étend même dans des recoins aussi obscurs que l’underground black metal. Ainsi, ces derniers mois, ce ne sont plus une poignée de musiciens mais toute une scène qu’on découvre peu à peu, unique et foisonnante, et toute une série de groupes profitent de la brèche ouverte par les pionniers de Svartidauði pour se faire connaître sur la scène internationale. Parmi eux, Zhrine, d’abord connu sous le nom de Gone Postal, puis de Shrine, propose cette année son premier album, Unortheta, sur Season Of Mist, rien que ça.
Là où Gone Postal jouait essentiellement un death plutôt technique, le groupe, sous sa nouvelle identité, donne la part belle à un black-death sombre et atmosphérique qui n’hésite pas à mettre à profit les domaines explorés par les musiciens à leurs débuts. Le résultat est une musique froide et abstraite, presque minérale. Aiguillés par la pochette signée Zbigniew M. Bielak qui représente un paysage surréaliste qui pourrait être les chutes de Svartifoss après la fin du monde, une sorte d’insularité superlative traversée par un écoulement blanc et glauque – le négatif du deuxième titre de l’album, « Spewing Gloom », qu’on peut traduire par « Crachant de l’obscurité » – et par les titres des chansons qui évoquent une terre en pleine dissolution, il est tentant de voir dans la musique de Zhrine une figuration angoissée des paysages lunaires et sublimes de leur île, ou encore l’illustration parfaite de sa situation géographique au point de rencontre de l’Europe et de l’Amérique, du son abrasif du black scandinave et des fresques atmosphériques de celui de la région des Cascades aux États-Unis. En effet, les deux sont combinés avec beaucoup de finesse tout au long d’Unortheta dont les passages tempétueux sont mis en valeur par des moments beaucoup plus apaisés qui permettent à l’auditeur de respirer et donnent à l’album une ampleur remarquable. En n’hésitant pas à offrir à des titres-clés (celui qui ouvre l’album, « Utopian Warfare », celui qui se trouve en son centre, « World ») de longues introductions instrumentales, les Islandais parviennent à donner l’impression d’un véritable voyage dans un monde dévasté en à peine 40 minutes.
Mais évidemment, définir un groupe par sa couleur locale, surtout en 2016, montre vite ses limites. Ainsi, si on entend chez Zhrine les échos d’artistes locaux – mais dans une scène si petite et donc consanguine, c’est plutôt naturel – ou de groupes comme Gorguts rappelant leurs débuts, c’est indubitablement à Deathspell Omega que l’on pense à l’écoute de l’album – comme souvent chez les groupes islandais, d’ailleurs. Pas vraiment étonnant quand on sait que la scène a émergé au milieu des années 2000, au moment où les Français sortaient les albums qui, et Zhrine le prouve notamment avec une intro du titre éponyme qui clôt Unortheta où on entend clairement des échos des premières minutes de Fas – Ite, Maledicti, in Ignem Aeternum, marquèrent immédiatement les esprits dans le black et au-delà. Parmi les groupes, islandais ou non, qui à la suite de Deathspell Omega s’attachent à explorer toutes les possibilités offertes par la dissonance, Zhrine se distingue par l’usage intelligent et maîtrisé qu’il en fait. En effet, pas question de plagiat ou même d’inspiration trop enthousiaste, la dissonance n’est ici jamais gratuite, et utilisée avant tout parce qu’elle permet au groupe d’accéder à ses fins : créer un paysage post-apocalyptique minéral, en phase de décomposition, complètement dépourvu de toute trace de vie, qui se déploie autour de l’auditeur au cours de sept titres se fondant parfaitement les uns aux autres. Bref, le monde sans nous (« The World Without Us » d’Alan Weisman serait d’ailleurs l’une des inspirations du groupe), pour lequel les Islandais ont composé la bande-son idéale.
Ecouter les chansons « Spewing Gloom », « Empire » et « Utopian Warfare » :
Album Unortheta, sortie le 8 avril 2016 via Season Of Mist.