Le public s’est visiblement déplacé de loin pour acclamer Alcest. Solidement ancré parmi les fers de lance du post-black / blackgaze européen, le groupe avance depuis ses débuts sans faux pas. Son dernier album Les Chants De l’Aurore a une nouvelle fois su enchanter et captiver un auditoire ultra-fidèle et passionné, qui répond désormais massivement présent à la moindre sollicitation du groupe. En atteste cette première date d’une tournée française conséquente, pour laquelle une interminable file d’attente se forme devant la salle bien avant l’ouverture des portes. Ce soir, Alcest affiche le premier sold-out d’une tournée qui devrait globalement se jouer à guichets fermés. Et c’est amplement mérité.
Le public de Rennes (et d’ailleurs) profite de plus de ce fleuron de la scène française dans les meilleures conditions possible. L’Antipode est en effet la plus belle salle de la capitale bretonne. En plus d’être bien agencé, le lieu bénéficie en effet d’une acoustique exceptionnelle. Cerise sur le gâteau, ce sont les extraterrestres de Bruit ≤ qui ouvrent le bal.
Artiste : Alcest – Bruit ≤
Date : 7 octobre 2025
Salle : L’Antipode
Ville : Rennes [35]
Audace, courage, intégrité. Les mots viennent rapidement pour définir l’approche de Bruit ≤, qui avance une vision artistique hautement singulière. Les Toulousains entrent en scène simplement et jouent de la musique, point. Ils ne sont pas là pour en mettre plein les yeux ou dérouler un spectacle théâtral, mais pour faire ressentir des émotions sombres et puissantes. Leur musique est à double tranchant : elle vous abandonne sur le bas-côté ou vous happe en quelques riffs dans son tourbillon noir et effrayant. Compte tenu des affinités du public pour les étendues musicales complexes et travaillées, Bruit ≤ n’a aucune difficulté à convaincre les (rares) personnes qui n’ont pas encore sombré dans son univers passionnant. En quarante-cinq minutes, le quartet construit sa bande originale de fin du monde. Dans la salle, on écoute religieusement. Les passages les plus éthérées peuvent être si cristallins que l’on peut entendre les quelques indélicats marcher. Ils ne sont pas nombreux, tant la prestation captive les oreilles, les yeux et les esprits.
Les morceaux s’imbriquent et fusionnent les uns avec les autres naturellement, imposant un voyage post-rock / noise dont les écrans proposent une interprétation visuelle d’une justesse presque troublante. Rarement des projections se sont avérées si inspirées et en accord avec la musique qu’elles illustrent, voire indispensables à l’expérience. Bruit ≤ est aussi beau qu’effrayant. Une musique « philosophique » cadencée par quatre musiciens virtuoses et inventifs – le batteur Julien Aoufi fait preuve d’une technicité impressionnante. Un seul message revient à intervalles réguliers entre deux images apocalyptiques : « This is the Future ». Triste constat ou avertissement ? L’aspect très pesant et oppressant de la musique de Bruit ≤ semble inviter à la première option, mais la grande force de leur art est de permettre à chacun de s’en faire sa libre interprétation. Clément Libes (basse, violon et synthés) ne prend la parole qu’à l’issue de l’avant-dernier morceau, remerciant chaleureusement le public pour son accueil et expliquant la démarche de la formation, qui se refuse à apparaître sur les plateformes de streaming. Les Toulousains achèvent leur set avec « The Machine Is Burning », une composition qui semble presque optimiste comparée à l’avalanche de noirceur abyssale déversée quelques minutes auparavant.
Setlist :
Ephemeral
Progress / Regress
Industry
Data
Techno-Slavery/Vandalism
The Machine Is Burning
Alcest prend la relève dans une ambiance intimiste feutrée. Le décor reprend les éléments visuels de leur dernier opus en date, et le groupe dispose d’une scène à deux étages, le batteur Winterhalter et le bassiste Indria étant légèrement surélevés. Tout comme sur une partie de la tournée précédente, le groupe amorce son set avec les trois premiers morceaux de l’album qu’il est venu défendre. « Komorebi », « L’Envol » et « Améthyste » plongent le public dans les mélodies douces-amères et mélancoliques du récent Les Chants De l’Aurore. Alcest vit pleinement sa musique et l’interprète avec beaucoup de cœur. Il suffit de constater le sourire et l’attitude zen de Neige pour s’en convaincre. L’homme n’est pas de ceux qui usent de superlatifs ou s’embarquent dans de longs discours pour remercier son auditoire. Il affiche une vraie simplicité, mais tout dans sa gestuelle et ses expressions témoigne de l’immense gratitude qui lui est donnée de pouvoir présenter son art devant une large audience. Si réaction du public il doit y avoir, elle reste naturelle et spontanée. A l’instar des clappements de mains qui s’invitent en accompagnement rythmique au superbe « Sapphire », pièce d’orfèvrerie fine extraite de l’album Spiritual Instinct. Alcest raconte une histoire, un chemin de vie. En ce sens, il semble cohérent et légitime que le groupe se penche majoritairement sur ses derniers disques, qui représentent le groupe sous son visage actuel, et donc le plus authentique possible.
Le sombre et terrassant « Ecailles De Lune – Part 2 » trouve cependant une place légitime dans le set, et installe une tension effrayante à l’occasion de ses passages les plus chargés. L’occasion pour Neige de trouver qu’il n’a rien perdu de son growl ample et majestueux, bien que ce registre se fasse plus rare sur les travaux récents. La symbiose des chants est par ailleurs parfaite. Le guitariste Zero intervient massivement sur les voix, en back comme en lead. Son timbre s’entremêle harmonieusement au chant clair de Neige, travail conjoint qui offre au groupe la possibilité de profondes superpositions. Il est à ce stade presque étonnant que le musicien ne soit pas considéré comme un membre permanent de la formation, tant sa place dans l’effectif semble aujourd’hui indispensable. Les quatre compagnons de route affichent une superbe cohésion et livrent une exécution exemplaire, et ce malgré toutes les subtilités de morceaux assez longs et exigeants.
Comme sur album, l’atmosphère est aussi triste et enivrante. Le travail sur les lumières est raccord. Les teintes ocres imposent un éclairage chaleureux et contribuent grandement au côté immersif de ce concert sans accrocs. Tout comme pour Bruit≤, on plonge en apnée avec le groupe dans son univers si particulier. Il est stupéfiant de constater l’absence quasi totale de téléphones portables dressés pour capturer l’instant. Le public profite et se laisse porter pleinement, les palpitations cardiaques à l’unisson avec Alcest. « Eclosion », extrait de Kodama, marque son retour dans le programme du quatuor. Une première depuis près de sept ans, ultime soubresaut avant l’intemporel et magique « Autre Temps ». Clap de fin. Le groupe s’éclipse étonnamment vite, à tel point que l’on espère presque un second rappel. Alcest pourrait probablement jouer des heures sans que l’on se lasse de ses contrastes vertigineux, mais la brume s’évapore et la réalité s’impose. Dehors, il fait nuit et froid, le quotidien reprend le dessus. Alcest et Bruit≤ auront offert un temps d’évasion plein de grâce. Une parenthèse précieuse.
Setlist :
Komorebi
L’Envol
Améthyste
Protection
Sapphire
Écailles de lune – Part 2
Le miroir
Flamme jumelle
Kodama
Eclosion
Autre temps
Photos : Caroline Vannier.

































Une première partie bien meilleur que la tête d’affiche.