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Interview   

Arjen Anthony Lucassen : l’interview que personne ne lira


Arjen Lucassen vit pour la musique. Il ne sait et ne veut rien faire d’autre. Pratiquement pas une année passe sans un disque qu’il a composé. L’année dernière, c’était Vermillion de Simone Simons et The Long-Lost Songs de Plan Nine. En 2023, Golden Age Of Music de Supersonic Revolution. En 2022, Revel in Time de Star One. En cette année 2025, c’est en solo qu’il revient… ou presque, puisque Songs No One Will Hear n’en comporte pas moins une petite liste d’invités venus lui prêter main forte. Un disque que, par un petit « twist » de fin, il s’amuse également à relier à l’univers de son vaisseau mère Ayreon, alors que le concept se veut en être déconnecté.

Le concept, justement, part d’une simple question : « Que feriez-vous s’il ne vous restait que cinq mois à vivre avant qu’un astéroïde ne frappe la Terre ? » De quoi faire réfléchir et explorer un vaste panel d’émotions humaines, et donc d’esthétiques musicales. Nous en avons longuement discuté avec le musicien. L’occasion de parler de sujets variés – théories du complot, IA, extraterrestres, etc. – et d’obtenir quelques confidences, notamment sur une reprise des Doors que, effectivement, personne n’entendra et un album solo de Bruce Dickinson avorté.

« Je n’ai aucune vie sociale, aucun ami, aucune famille, je ne pars pas en vacances [rires], tout ce qui m’intéresse, c’est travailler, être dans mon studio et créer de la musique. Or si je ne peux pas faire ça, je suis profondément malheureux. »

Radio Metal : Songs That No One Will Hear est ton premier album solo en treize ans, le dernier étant Lost In The New Real. Qu’est-ce qui t’a donné envie de faire un autre album sous ton propre nom plutôt que de revenir à un de tes projets ? Sachant que, techniquement, la plupart de tes projets sont en quelque sorte des albums solos dans ta façon de les écrire…

Arjen Lucassen (chant, guitare, claviers, basse) : Dernièrement, j’ai fait beaucoup d’albums pour d’autres gens. Par exemple, j’ai fait l’album solo de Simone Simons parce qu’elle me l’a demandé. Puis j’ai fait Plan Nine, en gros parce que Robert [Soeterboek], le chanteur, m’a demandé d’enregistrer toutes ces vieilles chansons avec lui pour qu’il puisse tourner – ce qu’il fait maintenant. Après tous ces projets – en particulier après l’album de Simone Simons –, j’étais complètement vide. Je n’avais plus aucune inspiration, il m’a fallu des mois pour en retrouver. J’ai traversé une période difficile – j’appelle ça ma période « trou noir ». C’est horrible parce que je n’ai aucune vie sociale, aucun ami, aucune famille, je ne pars pas en vacances [rires], tout ce qui m’intéresse, c’est travailler, être dans mon studio et créer de la musique. Or si je ne peux pas faire ça, je suis profondément malheureux. Je suis donc passé par de nombreuses phases. Puis, à un moment donné, je me suis dit qu’il fallait que je fasse quelque chose juste pour moi, sans avoir à inviter des centaines de chanteurs, sans avoir à penser aux autres. L’idée était : « Ecris juste pour toi, n’y réfléchis pas trop. » Dès que j’ai eu cette pensée, les idées ont afflué. C’était totalement egocentrique. Ça soulage parce que même si, comme tu le dis, mes autres albums sont grosso modo des albums solos, malgré tout, je dois penser à d’autres gens. Quand je compte inviter un chanteur, je me demande : « Qu’est-ce qu’il aimerait ? » Alors que là, je n’avais pas à me poser ce genre de question. Ça fait du bien de faire ça de temps en temps, sachant que douze ans s’étaient écoulés depuis mon album solo précédent, Lost In The New Real, donc il était temps.

N’en as-tu jamais marre d’être dans ton studio ?

C’est mon job, c’est ma vie ! C’est tout ce que je peux faire. C’est tout ce à quoi je suis bon [rires]. Quand j’étais dans ma période « trou noir », j’essayais de faire d’autres choses, comme travailler dans le jardin, mais j’étais là : « Bon sang, le temps passe tellement lentement ! » Et puis je retirais les mauvaises herbes et le lendemain, elles étaient de nouveau là, ou je venais de tondre la pelouse… Ah, c’est épouvantable, je suis incapable de faire autre chose. Cela dit, ça devient plus dur avec le temps d’être créatif dans mon studio, parce que j’ai fait trente albums, je suis actif depuis mes quinze ans en 1975. Ça devient plus dur d’être original et de ne pas me répéter. D’un autre côté, j’ai toujours aimé les défis. Donc je veux continuer à faire ça jusqu’à la fin, jusqu’à ce que l’astéroïde débarque [rires].

Justement, comment fais-tu pour ne pas te répéter ?

C’est difficile ! C’est horrible, car parfois, je ne sais moi-même pas. Il arrive que je me demande : « Est-ce quelque chose que j’ai déjà ? Ça sonne très familier. Est-ce que ça vient d’un autre groupe ou de moi ? » C’est pour ça que j’ai réuni autour de moi ce que j’appelle un cercle de confiance. C’est vingt personnes, des amis, et la plupart ne sont pas des musiciens. Je leur partage tout. Ils peuvent donc entendre toutes les démos, toutes mes petites idées, car ils savent mieux que moi [rires]. Parfois, ils entendent une petite démo et ils diront : « Eh, tu as déjà fait ça sur The Human Equation, le morceau ‘Childhood’ ! » Et je suis là : « Ah merde, tu as raison, je n’avais pas fait attention ! » J’ai donc ce cercle de vingt personnes de confiance qui m’aident à ne pas me répéter. Ils m’ont d’ailleurs aussi aidé pour cet album, car j’avais quinze chansons et je n’en voulais pas trop, donc il a fallu que j’en sorte certaines pour les inclure sur le disque bonus. Elles sont toutes mes bébés, je les aime toutes, donc je ne peux pas choisir moi-même. Voilà pourquoi je les ai envoyées au cercle de confiance, ils les ont toutes notées, ce qui m’a permis de savoir lesquelles étaient leurs préférées et lesquelles étaient moins appréciées. C’est ces dernières qui sont passées sur le disque bonus et celles qui ont eu les meilleures notes sont devenues les premiers singles.

« Je crois en la science et tout doit être prouvé pour moi. Je ne suis donc pas tellement quelqu’un de spirituel. Je ne crois pas aux théories du complot, je ne crois pas que tous les dirigeants mondiaux sont maléfiques, que tous les riches sont mauvais, etc. Ce n’est pas mon mode de pensée. »

Il y a une différence notable avec tes œuvres solos précédentes : on ressent une atmosphère proche de celle d’un groupe. Est-ce lié à sa conception même ?

Exact ! Sur mon précédent album solo, ce n’était pas le cas. Il n’y avait pas vraiment de groupe. Il y avait plein d’effets, de sons électroniques, des instruments bizarres, etc. Cette fois, je pense que ça vient principalement du batteur. Généralement, dans Ayreon, je travaille avec Ed Warby, mais sur les quatre ou cinq derniers albums, j’ai travaillé avec Koen Herfst qui a son propre studio, ce qui aide beaucoup. Je lui envoie une chanson et il se met tout de suite à la jouer, en disant : « Doit-on faire comme ci ? Doit-on faire comme ça ? » Ça a apporté un petit peu ce côté « groupe ». Alors que sur l’album solo, il y avait beaucoup de batterie générée par ordinateur. Il y en avait aussi de la vraie, mais à la fois, avec beaucoup de manipulation. Cette fois, j’ai voulu que l’album sonne plus comme celui d’un groupe, avec de la vraie batterie et l’impression d’entendre un groupe qui joue.

Bien que ce soit un album solo, l’album accueille de nombreux invités, tels que Floor et Irene Jansen, Robert Soeterboek, Marcela Bovio et Patty Gurdy. Te sens-tu trop limité par toi-même pour tes ambitions ?

J’aimerais pouvoir tout faire moi-même, mais évidemment, je ne sais pas jouer de la batterie, donc il me faut un batteur. De même, j’adore la flûte, le violoncelle et le violon, et je suis totalement incapable de jouer de ces instruments, donc il me faut des gens pour ça. Puis, vocalement, je suis limité. Quand j’ai eu ces idées, il y a plein de parties que je pouvais chanter moi-même, en particulier les parties calmes, mais il y a toujours un rockeur en moi – j’ai grandi avec Black Sabbath, Led Zeppelin, Deep Purple, etc. –, donc j’aurais toujours des parties heavy que je ne peux pas chanter, je n’y arrive pas. J’ai une voix limitée, donc j’ai besoin que quelqu’un s’en charge à ma place. Si je faisais tout, tout seul, ça donnerait sûrement un album ennuyeux [rires]. Il faudrait que ce soit entièrement calme, sans batterie. Je ne sais pas si ça plairait aux gens. Enfin, peut-être qu’un jour je ferais quelque entièrement seul… Si Paul McCartney peut le faire, je peux le faire.

On pourrait s’attendre à ce que, dans une œuvre solo, tu expérimentes davantage dans des styles que tu n’abordes pas trop dans tes autres projets, et pourtant, ta patte est immédiatement reconnaissable. Est-ce parce que tu ne cherches pas tellement à sortir des sentiers battus ou est-ce parce que tu as un style si distinctif que l’expérimentation se fond naturellement dedans ?

Il y a certains sons que j’aime. Par exemple, avec les claviers, je reviens toujours à l’orgue Hammond. Parfois, je me dis : « N’utilisons pas d’Hammond dans cet album, car tu l’as fait sur tous », mais je n’y arrive pas ! J’aime tellement ces sons ! J’adore le mellotron, les cordes du Solina, etc. et c’est devenu très reconnaissable dans mon travail. J’achète constamment de nouveaux instruments et équipements – par exemple, j’ai acheté ce nouveau synthétiseur, le plugin Omnisphere –, mais même avec ça, je reviens aux sons que j’utilisais déjà [rires]. Il y a donc certains sons que j’aime trop pour ne pas les utiliser. Pareil avec la guitare. A chaque fois que je fais un album, je me dis : « Je vais faire quelque chose de différent aujourd’hui ! » Puis je mets en place toute mon installation, avec mes amplis, mes enceintes, les microphones, etc. Au final, je me retrouve avec le même son qu’avant [rires]. Peut-être que je suis trop vieux pour changer. Il y a aussi des styles que je n’aime tout simplement pas. Je n’aime pas le rap, le reggae et les trucs trop agressifs, donc je ne ferai jamais ça. Maintenant, j’en suis à trente albums, donc je pense avoir fait tout ce que je pouvais faire. Personnellement, je trouve que ces albums sont quand même très différents les uns des autres. Enfin, pas Ayreon. Ayreon est le vaisseau mère. C’est une combinaison de tous ces styles, mais les projets parallèles que je fais se concentrent toujours sur un aspect. Par exemple, Star One se concentre sur l’aspect metal d’Ayreon. Guilt Machine se focalise plus sur le côté atmosphérique d’Ayreon. Gentle Storm est plus sur les éléments classiques et folks. C’est ma manière de faire : j’ai le vaisseau mère avec tous les styles et, de temps en temps, quand je fais un projet parallèle, j’en prends un et j’en fais un album.

« Je suis toujours à la bourre avec la technologie. J’étais en retard avec les CD et le streaming, et c’est pareil pour l’IA. »

Songs No One Will Hear repose sur un concept profond : que feraient les gens s’il ne leur restait que cinq mois à vivre à cause d’un impact d’astéroïde ? Comment en es-tu venu à te poser cette question ?

Evidemment, l’état actuel du monde te fait réfléchir : « Et si tu savais à un moment donné qu’il ne te restait plus beaucoup de temps ? Que se passerait-il dans le monde ? Que ferais-je ? Que ressentirais-je ? » Mais comme toujours, les idées sont venues de la musique : je l’écoute instrumentalement et ça me donne des visions. Cette fois, à un moment donné, quelques idées me sont venues, des chansons joyeuses, d’autres plus tristes, de grands morceaux, d’autres plus courts, etc. La musique était tellement éclectique, il y avait tant de styles différents que j’ai pensé qu’il me faudrait un concept qui les reflèterait. Je me suis demandé ce que je pourrais faire, quelle histoire aurait à la fois des moments de joie et de tristesse. Tout d’un coup j’ai eu l’idée : « Et si tu savais qu’il ne te restait plus que cinq mois à vivre ? Que ferais-tu ? » Je me suis dit qu’il y aurait beaucoup de tristesse, mais aussi beaucoup de choses positives. A partir du moment où j’ai eu cette idée, ça a été facile. Ça m’a bien aidé. Ce concept m’offrait plein de possibilités. C’était parfait, car tous mes albums parlent d’émotions humaines et tout le monde ferait quelque chose de différent s’il avait conscience de n’avoir plus que cinq mois à vivre. Ça m’a donné plein d’idées pour les textes. J’ai immédiatement noté entre quinze et vingt idées de paroles. C’est une question qui fait réfléchir, tout le monde peut se demander ce qu’il ferait. C’est intéressant d’y penser. L’astéroïde est évidemment une métaphore. Le cœur de l’histoire ce n’est absolument pas l’astéroïde. C’est – encore une fois – ce que feraient les gens et les émotions humaines. D’ailleurs, pour m’inspirer, j’ai loué plein de films sur les astéroïdes, sauf qu’eux parlent tous, avant tout, de ces derniers, et il y a toujours un héros à la fin qui sauve le monde. Je ne voulais pas faire ça.

« Goddamn Conspiracy » offre une vision satirique des complotistes qui nient la réalité de l’astéroïde. Comment analyses-tu la montée des théories du complot à notre époque ?

Surtout avec l’IA maintenant, ça fait peur. J’en ai déjà parlé dans l’album Lost In The New Real : « Qu’est-ce qui est réel et qu’est-ce qui ne l’est pas ? » Je savais que ça allait finir par arriver. Ça me faisait peur quand j’ai écrit « Pink Beatles In A Purple Zeppelin », en me disant qu’un jour on pourra mettre ces mots dans un ordinateur et il en sortira une chanson. C’est précisément ce qui se passe aujourd’hui ! J’ai parfois horreur d’avoir raison. On ne sait désormais vraiment pas ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas, et en conséquence, tout est prétexte à des théories du complot. Bien sûr, dans ce morceau, j’adopte un regard critique sur le sujet, mais je le fais aussi avec humour, en parlant de rednecks qui croient toutes les théories du complot possibles – la Terre est plate, l’homme n’a jamais marché sur la Lune, etc. C’est à moitié sérieux, parce que je ne veux pas non plus juger les gens et je ne veux pas leur imposer mon opinion, mais si tu lis entre les lignes, on comprend pas mal de choses.

Connais-tu des complotistes dans ton entourage ?

Je crois qu’ils savent que je n’aime pas ce genre de chose, donc s’ils croient que la Terre est plate, ils ne me le diront pas [rires]. Car je suis du côté de la science. Je crois en la science et tout doit être prouvé pour moi. Je ne suis donc pas tellement quelqu’un de spirituel. Je ne crois pas aux théories du complot, je ne crois pas que tous les dirigeants mondiaux sont maléfiques, que tous les riches sont mauvais, etc. Ce n’est pas mon mode de pensée. Mais encore une fois, je veux faire attention quand je dis ce que je pense, car je ne suis qu’un musicien, je veux juste offrir une évasion, c’est tout.

« Je crois fermement en l’humour, je trouve que l’humour est une très bonne façon de gérer les choses. C’est pareil quand je regarde des séries télé : il y a toujours ces trucs sérieux et agressifs, je ne supporte pas. »

Tu as évoqué ton côté visionnaire avec l’IA : as-tu déjà essayé pour la musique ?

Non, je ne veux pas essayer. Ma petite amie Lori [Linstruth] fait ce genre de truc, et ça m’intéresse, mais… A un moment donné, j’ai essayé quand nous travaillions sur l’artwork et je n’ai pas du tout aimé. Il faut parler à l’IA et… Je n’y suis pas prêt. Mais je suis toujours en retard pour ce genre de chose, donc peut-être qu’un jour je m’y mettrai. Je suis passé de Google Translate à la traduction par IA, c’était déjà un grand pas [rires]. Je détestais les traductions que me donnait Google Translate, alors je me suis dit que j’allais essayer avec une IA et j’ai trouvé que c’était mieux, même si j’ai horreur de l’admettre. Encore une fois, je suis toujours à la bourre avec la technologie : j’étais en retard avec les CD. J’avais des vinyles, puis les CD sont arrivés et j’étais là : « Ah, non, c’est de la merde ! Je veux des vinyles, jamais je ne me mettrai aux CD ! » Puis je m’y suis mis. Le streaming est arrivé : « Ah, jamais je n’écouterai de musique en streaming, je voudrai toujours des CD ! » Finalement, c’est très facile d’ouvrir Spotify et d’écouter le nouvel Alice Cooper en quelques clics : « Oh, le voilà, je ne suis pas obligé d’acheter le CD. » Tu peux essayer de combattre ça, mais ça n’a aucun sens. C’est pareil pour l’IA.

Comme tu le disais, il y a une part d’humour et de légèreté dans tout cela, même si le sujet est extrêmement sérieux : est-ce ta façon de gérer les crises dans la vie ?

Absolument. Je crois fermement en l’humour. C’est pareil quand je regarde des séries télé : il y a toujours ces trucs sérieux et agressifs, je ne supporte pas. Je trouve que l’humour est une très bonne façon de gérer les choses. C’est pourquoi, juste avant « We’ll Never Know », qui est très triste et parle d’un couple qui attend une petite fille qu’ils ne verront jamais grandir, on a une chanson idiote comme « Shaggathon » où le monde se transforme en une grande orgie sauvage [rires]. Encore une fois, je pense que les réactions des gens seront très différentes. Certains feront la fête jusqu’au bout, tandis que d’autres n’arriveront pas à gérer et se suicideront ou deviendront violents. J’essaye, comme toujours, de regarder toutes ces émotions différentes.

« The Universe Has Other Plans » s’interroge sur l’insignifiance du statut social face à une catastrophe certaine. En fin de compte, verrais-tu d’un bon œil l’arrivée d’une catastrophe qui ne serait pas fatale, mais qui effacerait l’ardoise de notre société et la ramènerait sur de meilleures bases ?

C’est bien sûr le message de l’album, en particulier dans la chanson « Just Not Today » : « Le monde va toucher à sa fin, mais pas aujourd’hui. » En gros, le message de cet album pourrait être : « D’accord, dans cette histoire, on a cinq mois à vivre. Et si on avait cinq ans à vivre ? Et si on avait cinquante ans à vivre ? Pourquoi ne pas toujours vivre comme on aimerait vivre ces cinq mois ? » Je veux pousser les gens à réfléchir à ça. Il y a une chanson qui n’est pas sur l’album, mais qui est présente dans les bonus, elle s’intitule « Our Weary Soldier » et parle d’un soldat dans l’une de ces guerres qui font rage actuellement. Il dit : « Eh, on a cinq mois à vivre, on est en train de s’entretuer. Bordel, mais qu’est-ce qu’on fait ? Je rentre à la maison. Au revoir les gars. » C’est un regard très simpliste, évidemment, car ça ne fonctionnera jamais comme ça, mais ça fait réfléchir.

Je pose aussi cette question car, à la fin du concept, beaucoup de gens se rassemblent sur l’île Sanctuaire pour chanter une dernière chanson ensemble. Tu sembles insinuer que c’est dans le désespoir que l’humanité s’unit…

Je suppose. Je crois. Pas tout le monde, bien sûr. Il y aura toujours ces satanés complotistes [rires]. Il y aura toujours des gens réticents ou qui se montrent agressifs. Mais oui, j’aime voir l’île Sanctuaire, le lieu de l’impact, comme une communauté hippie où les gens sont rassemblés, genre : « Le monde touche à sa fin, profitons-en au maximum, tenons-nous la main et chantons » [rires]. Je vois bien ça arriver.

« D’accord, dans cette histoire, on a cinq mois à vivre. Et si on avait cinq ans à vivre ? Et si on avait cinquante ans à vivre ? Pourquoi ne pas toujours vivre comme on aimerait vivre ces cinq mois ? Je veux pousser les gens à réfléchir à ça. »

Et toi, que ferais-tu, personnellement, si le monde devait disparaître dans cinq mois ? Cet album est-il ta réponse ? Ecrirais-tu simplement des chansons que personne n’entendrait ?

Non ! Je ne crois pas que j’écrirais des chansons si personne n’allait pouvoir les entendre. J’aime que les gens profitent de ma musique. En revanche, j’aimerais être sur l’île, probablement à faire un shaggathon [rires]. Non, enfin, peut-être un peu, je ne sais pas. J’essayerais d’y trouver la paix. Je serais là : « Eh, c’était marrant, c’était super. » Je voudrais voir cet astéroïde venir ; je ne voudrais pas être à l’autre bout du monde où tout serait sens dessus dessous, avec les gens qui s’entretuent pour survivre, la famine, des tsunamis, etc. Cela dit, je pense qu’il est impossible de vraiment dire ce qu’on ferait, parce que si ça arrivait, justement, ce serait partout le chaos et l’anarchie totale. L’argent n’aurait plus d’intérêt, il n’y aurait plus de police, les gens n’iraient plus travailler… Ce serait la loi du plus fort, donc je ne suis pas sûr qu’on pourrait choisir ce qu’on veut faire dans ces circonstances. On n’aurait pas d’autre choix que de s’adapter à la situation. Je demande aussi souvent ce qui se passerait si on rencontrait des extraterrestres qui veulent s’emparer de la Terre ; ce serait un ennemi commun. Est-ce que les gens continueraient à se battre les uns contre les autres ? Ce serait tellement stupide face à un plus grand ennemi, qui pourrait être une race extraterrestre ou, dans le cas présent, un astéroïde, ou ce pourrait être la nature, tout simplement. Comme la chanson le dit : l’univers a d’autres plans. Il sera toujours plus fort que nous.

Selon toi, quelle serait la meilleure fin du monde ? Quelle serait ta catastrophe apocalyptique préférée ?

Ce serait cet astéroïde, car ce serait rapide et sans douleur ! Et comme ça vient d’ailleurs, on n’a aucun contrôle dessus. Une invasion alien serait horrible. Peut-être qu’ils feraient des expériences sur nous… Non, ce ne serait pas pour moi [rires].

Crois-tu aux extraterrestres ?

Non, ce qui est étrange de ma part : presque tous mes albums parlent d’extraterrestres ! Je pense que l’univers est beaucoup trop vaste. On ne peut pas voyager plus vite que la vitesse de la lumière. Même s’il existe des vies extraterrestres, on n’arrivera jamais à les atteindre. De plus, l’univers existe depuis plus de treize milliards d’années. Ce serait donc très improbable que deux formes de vies existent en même temps. Bien sûr, c’est possible que quelque part dans l’univers… En fait, je crois en un omnivers ou au multivers. Je pense qu’il existe plus d’un univers. J’en suis presque certain. Mais ce serait une sacrée coïncidence si dans cet univers il existait d’autres vies que nous. Reste que tout ça, ce sont des suppositions. C’est ce qui est bien avec la science : elle admet qu’elle ne fait que supposer. Elle admet qu’elle ne sait rien.

Le Dr Slumber de Lost In The New Real revient sur « Dr. Slumber’s Blue Bus ». Comment as-tu songé à faire revenir ce personnage ? Vois-tu un lien plus large entre ces deux albums ?

C’est aussi un morceau joyeux, donc on a déjà une connexion musicale. Sur Lost In The New Real, Dr. Slumber tient un centre d’euthanasie et je pense que, globalement, c’est une bonne personne qui veut aider l’humanité. Si vous voulez mettre fin à votre vie, allez voir Dr. Slumber et il vous trouvera une belle manière de tout arrêter. Sur cet album, il y a l’île Sanctuaire où l’astéroïde frappera la Terre et, encore une fois, je me disais que j’aimerais y être, voir l’astéroïde atterrir sur ma tête, plutôt que de mourir à petit feu. Ça rejoint un peu l’idée de suicide, ce qui m’a ramené à Dr. Slumber : « Et si cette personne revenait avec son bus bleu et t’emmenait sur l’île Sanctuaire ? » Le bus bleu est en fait une référence à une chanson des Doors, qui s’intitule « The End », que j’ai aussi reprise pour cet album, mais je n’ai malheureusement pas eu le droit de l’utiliser. Dans cette chanson Jim Morrison chante : « The blue bus is calling us ». J’ai fait une recherche sur Google et personne ne sait ce qu’il veut dire. Probablement qu’il était tellement défoncé qu’il ne savait pas lui-même ce que ça voulait dire [rires]. J’ai donc pensé que ce serait vraiment cool d’expliquer dans mon histoire ce qu’est le bus bleu.

« Je n’ai jamais eu de tube dans ma vie. Pourtant, j’ai vraiment essayé. J’adorerais toucher plus de gens. Mais j’en suis incapable ! »

Pourquoi n’as-tu pas eu le droit d’utiliser cette reprise des Doors ?

Parce que je l’ai trop changée. Quand le label a demandé la permission de l’utiliser, la première question qu’ils ont posée est : « Est-ce qu’elle a été beaucoup modifiée ? » Evidemment, l’originale fait onze minutes et il y a cette petite partie où Jim Morrison dit qu’il va tuer son père et baiser sa mère, c’est horrible ! J’ai dit que je n’allais pas utiliser ça et que je l’ai donc réduite à quatre minutes. Je dois aussi avouer que j’ai complètement changé la chanson, ce qui est ce qu’il faut faire, selon moi, quand on fait une reprise. Pourquoi faire exactement le même morceau ? Ça n’a aucun sens, l’originale sera toujours meilleure. Ils ne l’ont pas du tout aimée. Ils étaient là : « Tu n’auras jamais le droit d’utiliser cette chanson ! » [Rires]. Ça me met tellement en rogne ! C’est une question de principe. Qu’est-ce qu’il y a de mal à ça ? Je rends hommage à une chanson que j’aime. Ils reçoivent tout l’argent, tous les droits d’auteur, alors de quoi se plaignent-ils ? Bref, j’ai donc fait deux reprises, l’autre étant « Die Young » de Black Sabbath qui n’y a vu strictement aucun problème. Peut-être que les gars des Doors restants ne l’ont même pas entendue. Peut-être que c’est juste l’éditeur qui a des règles stupides. Tout ça, c’est un satané complot ! [Rires]

Ce sera donc une reprise que personne n’entendra…

[Rires] Oui, exactement. J’ai fait la même plaisanterie : il y aura vraiment une chanson que personne n’entendra.

Comment as-tu fait le choix du morceau de Black Sabbath ?

Je l’ai toujours aimé et en plus, il s’intitule « Die Young », donc c’était une évidence. Peut-être que c’est un blasphème pour moi de le dire, mais ma période préférée de Black Sabbath était avec Dio. J’ai pensé que je pourrais en faire une version totalement différence, parce que, évidemment, je ne suis pas Dio, je ne suis pas capable de chanter aigu, avec puissance et de façon épique. Je l’ai donc complètement changée. C’est une version lente et atmosphérique, à la Pink Floyd. Mais au départ, c’était bien sûr le titre qui colle parfaitement au concept.

« Our Final Song » est un final épique de quinze minutes. Il présente un mélange éclectique de styles musicaux et d’émotions. Comment conçois-tu une telle chanson ? Comment t’y retrouves-tu et évites-tu de t’y perdre ? As-tu une méthode ?

[Rires] La chanson éponyme sur Lost In The New Real faisait déjà douze minutes et c’est ma préférée parmi tout ce que j’ai jamais fait. Je me suis donc mis sur Songs No One Will Hear et j’ai pensé : « Il me faut un morceau de ce genre. » Il me fallait une longue chanson et c’était un véritable défi d’en faire une qui égale voire dépasse ma préférée. Je me suis contenté de commencer et de la laisser venir spontanément. Une partie a mené à la suivante, puis à la suivante… Vraiment, je n’ai pas tellement eu à y réfléchir. A un moment donné, j’étais là : « Ok, quelle longueur ça fait maintenant ? Oh, j’en suis déjà à quatorze minutes ! » Je me suis dit : « C’est deux minutes de plus que ‘Lost In The New Real’, donc c’est deux minutes mieux » [rires]. Plus c’est long, plus c’est bon. Donc sur le prochain album, il y aura une chanson de dix-sept minutes qui sera trois minutes meilleure que celle-ci !

Est-ce plus facile pour toi d’écrire une chanson longue qu’une chanson plus courte ?

Le plus dur est d’écrire une chanson courte et accrocheuse, parce qu’on ne peut pas la forcer, elle doit venir toute seule. Avec une longue chanson, il suffit de la faire. Tu n’as pas besoin d’un refrain accrocheur, d’une logique… Il n’y a pas de logique dans cette chanson, il n’y a pas de refrain, rien d’accrocheur. Tu vas d’un style à l’autre. Alors que composer un morceau accrocheur, c’est beaucoup plus dur. Ce qui ne signifie pas que tu y mets plus de temps : il faut juste qu’il se présente à toi. Je n’ai jamais eu de tube dans ma vie. Pourtant, j’ai vraiment essayé. J’adorerais toucher plus de gens. Mais j’en suis incapable ! Avec un long morceau de quinze minutes, je peux commencer et juste continuer à composer, alors que lorsque tu as besoin d’un morceau accrocheur, il faut jeter vingt autres idées avant d’y arriver. C’est pourquoi la plupart des groupes de prog n’ont pas de tubes [rires].

« L’une de mes forces est que je suis bon pour évaluer le caractère des gens, car j’y pense constamment. Peut-être que si je n’avais pas été musicien, je serais devenu un psy. »

Rush a eu quelques morceaux courts et accrocheurs…

Oui, comme « Nobody’s Hero » qui est probablement ma préférée de Rush, ou « Roll The Bones »… « Why does it happen? Because it happens. » J’adore ces paroles. Les gens me demandent souvent ce qu’est le sens de la vie et je cite « Roll The Bones ». C’est tellement simple et évident. J’adore les textes de Neil Peart, ils sont tellement forts. Mais est-ce que Rush a eu des tubes ? Peut-être « Tom Sawyer » ou « Limelight » sur Moving Pictures ? Ou « Closer To The Heart », elle avait le potentiel d’un tube.

Il y a « Owner Of A Lonely Heart » de Yes qui a été un tube…

Oui. A la fois, ce n’est pas vraiment une chanson de Yes [rires]. C’est plus un morceau de Trevor Rabin.

À la fin de l’album, un petit rebondissement relie l’album à l’univers d’Ayreon et au Dream Sequencer, comme ce fut le cas avec The Human Equation, qui, jusqu’à la fin, semblait déconnecté de l’histoire et du concept général. Pourquoi ne pas l’avoir appelé Ayreon alors ?

[Rires] Parce qu’il n’y a qu’un chanteur principal et un seul personnage ! Je pense que les gens auraient été déçus si ça avait été un album d’Ayeron, où il n’y a pratiquement que moi qui chante. Mais j’aime faire de petites références, inclure des petits easter eggs, y mettre une petite partie de l’histoire d’Ayreon, même si c’est différent. Comme tu l’as dit, avec The Human Equation, j’avais enfin abordé un sujet sérieux et fait un album sur une personne dans le coma qui doit faire face à ses émotions, et je gâche tout à la fin en en faisant un programme du Dream Sequencer. Là, j’ai fini cet album, et je me suis dit : « D’accord, j’ai mis fin à l’humanité avec un astéroïde »… Et je l’ai déjà fait sur 01011001 où la race des Forever tue les dinosaures avec un astéroïde pour laisser la place aux humains. J’ai donc pensé : « Et si ce nouvel astéroïde était un autre subterfuge des Forever ? » C’est pourquoi j’ai demandé à Peter Daltrey, qui était la voix des Forever sur l’album Into The Electric Castle, de refaire la voix ici. C’est pour taquiner un peu les auditeurs et, bien sûr, je ne vais pas expliquer ce que ça signifie [rires].

Mais vois-tu tous tes projets, qu’il s’agisse d’Ayreon, d’Ambeon, d’albums solos, de Star One, de Guilt Machine, etc., comme un seul et même univers ? Ou ambitionnes-tu de les réunir dans un univers commun ?

Je pense que ça se fait automatiquement, parce que quand j’ai commencé Ayreon, je n’avais pas du tout prévu de créer un univers Ayreon. J’avais juste cette première histoire au sujet de ce ménestrel aveugle qui avait des visions du futur pour changer le monde. C’était tout. Puis j’ai fait Actual Fantasy, qui était complètement différent. Puis j’ai fait Into The Electric Castle, qui était encore une autre histoire sur une race extraterrestre qui testait les émotions humaines. Tout d’un coup, je me suis mis à combiner toutes ces histoires qui ont convergé dans un seul et même univers. Ce n’est donc pas quelque chose que j’ai prévu, ça se fait simplement pendant que j’écris.

Tu explores donc la nature humaine, dans ses aspects sombres comme lumineux. Comme tu le dis, on retrouve ça dans tous tes albums : au fond, la base de ton art est-elle une fascination pour la psychologie ?

Oui. J’y pense tout le temps. Je pense tout le temps aux gens. L’une de mes forces est que je suis bon pour évaluer leur caractère, car j’y pense constamment : « Que penseraient les gens ? Pourquoi les gens font-ils ça ? » Peut-être que si je n’avais pas été musicien, je serais devenu un psy ou un truc dans le genre [rires]. Je trouve que l’émotion humaine est la chose la plus intéressante à laquelle réfléchir.

« J’ai eu la chance de travailler avec de grands noms qui étaient des connards. Ce n’est pas possible pour moi. De même, je n’ai pas envie de travailler avec quelqu’un qui n’a aucun charisme. »

Tu te définis comme un ermite. D’un autre côté, tu viens de dire que tu penses tout le temps aux gens. N’est-ce pas paradoxal ?

Oui. Et j’ai un très bon qualificatif pour le décrire, j’appelle ça un « ermite social ». C’est d’ailleurs une chanson sur mon second album solo : « The Social Recluse ». Je suis donc très sociable, mais je reste solitaire. J’adore parler avec les gens et savoir ce qu’ils pensent. D’un autre côté, je vis très reclus. C’est un pur paradoxe, mais d’une certaine façon, ça fonctionne pour moi.

Est-ce aussi pour cela que tu as opté pour le format opéra rock avec plusieurs chanteurs, pour matérialiser ces différentes facettes humaines ? Parce que même cet album solo, dans une certaine mesure, prend cette forme-là…

Totalement. J’ai besoin de toutes ces voix et personnages différents pour dépeindre toutes les émotions présentes dans les albums. C’est aussi de cette façon que je choisis les chanteurs. Ce n’est pas seulement basé sur leur talent de chanteur, la qualité de leur technique et le son de leur voix. Leur personnalité est aussi très importante pour moi. J’ai eu la chance de travailler avec de grands noms qui étaient des connards. Ce n’est pas possible pour moi. De même, je n’ai pas envie de travailler avec quelqu’un qui n’a aucun charisme. Il arrive même que j’ajuste un personnage au chanteur, sachant comment est ce dernier. Je me demande : « Qu’est-ce que ce chanteur penserait à ce sujet ? Que dirait-il ? » Je ne voudrais pas qu’il chante quelque chose au sujet duquel il n’est absolument pas d’accord, car il n’y aurait aucune émotion. Un bon exemple, c’est « We’ll Never Know » : c’était évident pour moi que Floor [Jansen] comprendrait l’histoire. Elle est elle-même mère, donc elle pouvait vraiment se représenter l’histoire. Il fallait que ce soit le cas, autrement elle n’aurait pas mis l’émotion qu’elle y a mise.

Idem pour la narration de Mike Mills. Je lui ai expliqué de quoi parlait chaque chanson, mais je voulais quand même qu’il utilise ses propres mots, car on peut le ressentir. On peut sentir que c’est Mike Mills qui parle et pas moi qui lui dis quoi dire. Je lui ai donné quelques phrases ici et là, « peux-tu dire ceci et cela ? », mais je dirais que quatre-vingt-dix pour cent de son texte vient de lui et ça reflète ce qu’il pense sur le plan personnel. Je pense que ça s’entend, car beaucoup de gens apprécient la narration cette fois, ce qui n’a pas toujours été le cas par le passé où ils disaient : « Il y a trop de narration. A chaque fois que j’écoute cette chanson, je suis obligé d’écouter le même discours. » Jusqu’à présent, les gens semblent l’aimer sur cet album et je trouve qu’elle était importante. Mais comme il y a eu tant de plaintes par le passé, j’ai inclus un CD supplémentaire dans l’artbook sans narration. Pour ceux qui n’aiment pas quand même, il y a une version de l’album sans, mais personnellement, ça me manquerait, car Mike le fait parfaitement. Tu as une chanson comme « Shaggathon » où il est là : « Je sais ce que je vais faire, yeah ! », puis tu vas sur « We’ll Never Know » où il devient soudainement très émotionnel et profond… Je n’arrête pas de le dire, il a énormément de talent : multi-instrumentiste, super chanteur, mais il peut aussi faire de la narration.

Songs No One Will Hear couvre tout le spectre de l’artiste que tu es, abordant tous les styles et éléments musicaux qui t’ont fait connaître. Vois-tu cet album comme un résumé de ta vie d’artiste ? Un peu comme lorsque, supposément, on voit sa vie défiler lors de ses derniers instants sur terre ?

Je ne sais pas, car on dit que c’est quelque chose qui se produit au tout dernier moment. Tu es impliqué dans un accident et toute ta vie défile sous tes yeux. Je ne vois pas spécialement cet album comme une autobiographie. Et comme toujours, je suis dans ma phase d’insécurité et je ne vois pas cet album comme étant aussi bon, surtout pas au point de représenter toute ma carrière. Je ne devrais pas le dire dans un interview, mais c’est toujours comme ça que ça se passe : je travaille sur l’album et je ne suis pas sûr de moi, puis je finis l’album et je me dis que c’est le meilleur que j’étais capable de faire à ce moment-là, j’en suis très fier, puis je le libère sur les gens et le manque d’assurance revient : « Est-ce qu’il est suffisamment bon ? » Je suis dans cette phase actuellement. C’est aussi pour ça que c’est bien de faire des interviews, parce que les gens sont très positifs et je suis là : « Vraiment ? » [Rires] Il arrive toujours un moment donné où je me dis que j’aurais pu faire mieux ou que ce n’est pas le meilleur album que j’ai fait. C’est tellement dur maintenant pour moi d’être objectif, c’est impossible. C’est aussi pourquoi j’ai besoin de ce cercle de confiance autour de moi, pour m’aider à prendre des décisions. Peut-être que ça devient plus dur avec l’âge, je ne sais pas.

« Transitus n’a pas été aussi bien reçu que mes autres albums d’Ayreon. Peut-être parce qu’il aurait dû être un film et qu’il ne ressemblait pas à du Ayreon. C’est donc mon défi de retrouver la confiance des fans et de faire un super disque d’Ayreon. »

Comme tu es hyper productif, je suis sûr que tu travailles déjà sur de nouveaux projets. Quels sont tes prochains ?

Eh bien, je pense que les gens commencent à en avoir un peu marre de tous mes projets parallèles [rires]. A chaque fois que je dis des choses du genre : « Je vais faire ce nouvel album avec Simone » ou « Je vais faire ce vieil album en tant que Plan Nine », les gens sont là : « Ah ouais ? Et quand vas-tu faire un nouvel Ayreon ? » Donc je pense que maintenant, après avoir fait quatre ou cinq projets parallèles, c’est le moment de me mettre sur Ayreon et d’accepter le défi d’essayer de faire un meilleur album. Transitus n’a pas été aussi bien reçu que mes autres albums d’Ayreon. Peut-être parce qu’il aurait dû être un film et qu’il ne ressemblait pas à du Ayreon. C’est donc mon défi de retrouver la confiance des fans et de faire un super disque d’Ayreon. Pour autant, je n’ai encore aucune idée de concept ou d’histoire. C’est d’abord la musique et ensuite, j’espère qu’elle m’inspirera pour l’histoire. Une fois que j’aurai l’histoire et la musique, je me mettrai à chercher des chanteurs et des musiciens. Je ne suis pas pressé. Mon album solo sort, puis il y a les concerts d’Ayreon en septembre, puis je vais mixer l’album live d’Ayreon.

Tu as sorti une version deluxe de ton tout premier album solo, Pools Of Sorrow, Waves Of Joy. Il était paru en 1993 à un moment de transition pour toi – tu venais de quitter Vengeance et c’était juste avant Ayreon. Du coup, que représente cet album pour toi ?

C’est clairement les racines d’Ayreon – ou, tout du moins, quelques-unes de ces chansons. Il y a même un morceau intitulé « Crescendo » qui parle d’une personne capable d’entrevoir l’avenir comme le personnage d’Ayreon sur le premier album. Il y a aussi une chanson intitulée « Days Of The Knight » dans laquelle on retrouve le côté folk d’Ayreon. Il y a aussi pas mal de morceaux merdiques sur cet album [rires]. Il y a des morceaux country – je ne sais pas d’où c’est venu – comme « Midnight Train ». J’étais totalement perdu à ce moment-là. J’ai justement essayé de faire des morceaux courts et accrocheurs pour toucher plein de gens et je n’y arrivais pas. J’ai perdu tous les fans de Vengeance. Je n’ai gagné aucun nouveau fan. Cet album a fait un bide total. Malgré tout, comme je l’ai dit, on y retrouve les racines d’Ayreon. Il n’a jamais été publié parce que la maison de disques ne voulait pas le vendre. J’ai enfin eu leur permission de le sortir moi-même et j’avais des tonnes de titres bonus – je crois qu’il y en a pour une heure et demie. Il y a toutes les démos des chansons et des morceaux live, des reprises, des morceaux jamais sortis, etc. Il y a quelques démos vraiment moches [rires], dont certaines qui n’ont même pas de titre – ceux que j’ai mis, c’est n’importe quoi. Les gens écouteront probablement l’ensemble de ces chansons une seule fois, mais ça permet de voir ce que je faisais juste avant Ayreon. C’est ce qui rend cet album intéressant.

Tu fais pas mal de rééditions ces derniers temps. Il y a eu celle d’Into The Electric Castle et plus récemment celle de The Human Equation…

C’est parce que, par exemple, The Human Equation pouvait sonner mieux. Beaucoup me demandaient ce premier album solo, car il était épuisé depuis plus de trente ans. Mais je pense que je vais m’arrêter là. The Human Equation était le dernier album d’Ayreon qui, selon moi, ne sonnait pas très bien. C’est l’un des premiers albums que j’ai mixés moi-même et je n’étais pas encore très bon, je me suis beaucoup amélioré depuis. Il y a aussi que la batterie avait été enregistrée dans un très mauvais studio. Il y avait plein de problèmes techniques là-bas, donc la batterie ne sonnait pas très bien. Aujourd’hui, j’ai les moyens de faire sonner la batterie bien mieux, car j’ai des plugins et je sais comment faire. C’était donc très frustrant pour moi que ces chansons ne sonnent pas bien et c’est super d’avoir pu remixer The Human Equation. Tous les albums après ça – 01011001, The Theory Of Everything, etc. – sonnent très bien, donc je ne vais pas les remixer. Je ne vois pas l’intérêt de les ressortir. Et je n’ai aucun titre bonus en réserve pouvant rendre des rééditions intéressantes.

« Star One devait être un album solo de Bruce Dickinson. J’ai fait un truc idiot : j’en ai parlé sur internet. La nouvelle a fuité, jusqu’au manageur d’Iron Maiden, Rod Smallwood, qui n’a pas du tout aimé. Il a donc annulé tout le projet. Maintenant, c’est fichu. C’est vraiment dommage. »

Tu as évoqué Vermillion, l’album solo de Simone Simons, qui a été ton dernier projet. Tu l’as composé et tu as joué dessus. Comment as-tu abordé l’écriture pour le projet solo de quelqu’un d’autre ? Ça a dû être assez différent…

Oui. C’était un grand défi, car je n’écris habituellement pas de chansons pour d’autres gens. Simone et moi avons eu besoin de beaucoup en parler et de nous assurer que nous étions sur la même longueur d’onde. Nous avons commencé à nous envoyer des chansons que nous pensions correspondre à la direction que nous prendrions. Nous pensions plus à quelque chose d’électronique et d’industriel, une sorte de mélange entre Rammstein et Pink Floyd. Nous avions vraiment la même idée. J’ai alors dit : « Faisons un ou deux morceaux. Voyons si ce que je compose est ce que tu avais en tête et si tu trouves de bonnes idées de paroles. » Je crois que la première chanson que nous avons faite était aussi le premier single qui est sorti. Ça a fonctionné dès le début. Elle est venue chez moi cinq ou six fois pour chanter toutes les chansons et c’était super de travailler ensemble. Dès que nous avons trouvé une direction et que nous voulions la même chose, c’était facile. C’est important pour moi : je ne pourrais jamais écrire pour quelqu’un dans un style que je n’aime pas ou que je ne sais pas faire.

Simone nous a confié que cet album l’avait fait grandir vocalement, qu’elle avait appris de nombreuses nouvelles techniques ou facettes de sa voix qu’elle ignorait. Où as-tu placé le curseur entre écrire spécifiquement pour ce que tu connaissais de sa voix et la mettre au défi d’aller chercher d’autres choses ?

Je trouve que c’est très important de donner des défis aux chanteurs, et c’est ce que je fais tout le temps. Ce que j’aime chez un chanteur, c’est sa voix, et pas spécifiquement sa technique. Souvent, j’entends dans leur voix des choses qu’ils n’ont jamais utilisées auparavant, parce qu’ils sont dans un certain groupe qui joue un certain style de musique. C’est l’un de mes talents, je me dis : « Il sonnerait super s’il chantait autrement. » Un bon exemple, c’est Bruce Dickinson. Dans Iron Maiden, c’est toujours [fredonne la ligne de chant du couplet de « Hallowed By Thy Name »], il y a beaucoup de mots, car c’est ainsi que Steve Harris écrit. Je me suis demandé : « Et si je le faisais chanter une chanson lente ? » Ce qu’il chante dans « Into The Black Hole », c’est très différent d’Iron Maiden. Je sais donc détecter quand un chanteur est capable de chanter quelque chose que les gens n’ont jamais entendu auparavant de sa part.

Quel serait l’artiste pour lequel tu adorerais composer un album solo ?

Evidemment, les héros que j’ai écoutés en grandissant. Ce serait Robert Plant, Ian Gillan, Paul McCartney, tous ces grands noms. Dio et Ozzy auraient été super. Bien sûr, aucun de ceux que j’ai cités ne peut plus chanter comme avant, il y a quarante ou cinquante ans. Mais ce serait un défi. Robert Plant n’est plus capable de faire les cris aigus, mais j’aime toujours le son de sa voix, donc j’adorerais. Reste que ça n’arrivera jamais. Alice Cooper, pareil. J’adorerais faire un album avec lui, dans le vieux style, très aventureux, conceptuel.

Et Bruce Dickinson, justement ?

En fait, Star One devait être un album solo de Bruce Dickinson. Il était tellement excité par la chanson « Into The Black Hole » que nous avons faite qu’un jour où nous traînions ensemble, il a dit : « Faisons un album solo ! » Nous avons écouté de la musique toute la nuit, du Deep Purple, Hawkwind, etc. Nous savions exactement comment ça allait sonner. Ensuite, j’ai écrit quatre chansons pour lui, que je lui ai envoyées. Il allait écrire des textes pour. Mais à ce moment-là, j’ai fait un truc idiot : j’en ai parlé sur internet – qui était nouveau à ce moment-là. La nouvelle a fuité, jusqu’au manageur d’Iron Maiden, Rod Smallwood, qui n’a pas du tout aimé. Il a donc annulé tout le projet. Malheureusement, cette porte est désormais close.

Ça ne pourra jamais plus se faire ?

Non, parce que nous nous sommes un peu fâchés. J’étais là : « Vraiment ? Tu vas laisser ton manageur dire qu’on ne peut pas le faire ? J’avais déjà écrit des chansons pour ! » Peut-être que j’étais un peu trop jeune, j’ai fait des erreurs et je lui ai dit de mauvaises choses. Ça l’a mis en colère. A un moment donné, j’ai lu une interview de lui, je crois que c’était dans Sweden Rock, où il disait que j’étais un amateur d’en avoir parlé en public. Tout est allé de travers [rires]. Maintenant, c’est fichu. C’est vraiment dommage. Je me disais que le temps panserait les plaies, mais nous avons joué sur un festival avec Ayreon et Iron Maiden jouait juste avant nous sur la mainstage, tandis que nous jouions sous la tente (au Graspop, le 22 juin 2018, NDLR). Je l’ai donc invité : « On va faire ‘Into The Black Hole’, veux-tu venir chanter avec nous ? » Mais malheureusement, il a refusé.

Interview réalisée en visio le 6 août 2025 par Nicolas Gricourt.
Retranscription & traduction : Nicolas Gricourt.
Photos : Lori Linstruth.

Site officiel d’Arjen Lucassen : www.arjenlucassen.com

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  • Eh bien moi je l’ai lue, cette interview ! 😀
    Mince, moi qui étais au Graspop 2018 et qui ai vu les 2 groupes ce week-end là, si j’avais imaginé qu’on était passés à 2 doigts de voir Dickinson et Lucassen réunis à nouveau… ☹
    Excellente interview comme d’habitude, dommage de ne pas lui avoir demandé si, parmi les films d’astéroïdes qu’il a regardé, il n’avait pas vu « Don’t Look Up ».

  • Arch Enemy + Eluveitie + Amorphis @ Paris
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