Danko Jones n’a pas fini de rendre hommage au rock, dans sa forme la plus pure et donc la plus simple, c’est-à-dire celle d’un groupe – un power trio en l’occurrence ici – qui balance des sons électriques pour nulle autre raison que celle de passer un bon moment, dans la tradition de ses idoles de Kiss à ZZ Top, mais à sa manière, puisant dans ses goûts éclectiques pour éviter de tomber dans une musique trop générique, et avec une petite touche d’esprit punk. C’est d’ailleurs là l’un de ses grands regrets : que le hard rock n’ait jamais vraiment développé le même sens communautaire que le punk. Qu’importe, et même si de son propre aveu il n’a toujours pas réussi à dépasser la troisième division, Danko Jones trace sa route, plus sûr que jamais de son groupe et de sa « recette ».
C’est à l’occasion de la sortie de son onzième album, Electric Sounds, que nous discutons de tout ceci. Un album post-pandémie mais qui en conserve malgré tout les stigmates dans sa conception en grande partie à distance, les musiciens étant désormais éparpillés. Un entretien plein de lucidité, de sincérité et de franc-parler, que ce soit sur la carrière du groupe et sa place dans la scène actuelle, sur sa discographie, sur la compétition dans le milieu rock, sur ses propres excès…
« Je pense qu’évoluer en tant que groupe de hard rock est une mauvaise idée. Je pense que c’est une erreur. Ce n’est pas le bon moyen de penser et d’approcher le hard rock. ‘Évoluer’ signifie changer. Pourquoi changer quand le hard rock est déjà bien défini ? »
Radio Metal : Electric Sounds est un peu votre album post-pandémie. Je sais qu’il a été très déstabilisant pour toi de produire Power Trio pendant la pandémie. As-tu retrouvé tes marques facilement avec Electric Sounds ?
Danko Jones (chant & guitare) : Ce que Power Trio nous a appris, c’est que nous n’avons pas besoin d’être dans la même pièce pour écrire un album. Entre Power Trio et Electric Sounds, JC et Rich ont tous les deux quitté Toronto. Rich a quitté la ville, il a déménagé dans une autre province canadienne, et JC a quitté le pays. Nous avons donc écrit Electric Sounds en étant séparés, du début à la fin, alors que nous avons écrit Power Trio en étant séparés, mais que certains riffs avaient été écrits avant la pandémie. Nous avons fini l’écriture en étant séparés, mais nous l’avons enregistré tous ensemble en studio à Toronto. Du début à la fin, nous étions séparés pour écrire Electric Sounds, et nous l’avons également enregistré séparément, ce que nous n’avions encore jamais fait. Je crois que Power Trio nous a montré que nous pouvions procéder de cette façon et faire malgré tout du bon travail.
Est-ce que la proximité que vous aviez par le passé ne te manque pas ?
Il y a du positif et du négatif dans les deux méthodes. Le positif, c’est que tu peux traduire immédiatement une idée en musique et te faire une idée de l’ambiance en live. Mais ce qui était très frustrant dans ce processus, c’était de jammer tous ensemble dans une pièce pendant des heures et des heures, à attendre qu’une étincelle survienne. Quand nous échangeons des fichiers, nous avons déjà plus ou moins fait le tri, et nous envoyons aux autres l’idée précise que nous avons eue. Si j’envoie un riff à JC pour qu’il l’arrange, ça veut dire que j’ai travaillé dessus quelques heures pendant plusieurs jours et que je suis vraiment sûr de moi. Tandis que, quand tu jammes, tu inventes des trucs au pied levé et tu ne sais même pas si c’est bon ou pas. Les fichiers que nous échangeons ont déjà été filtrés, et ça fait gagner beaucoup de temps.
D’un autre côté, vous avez recommencé à donner des concerts, et cinq des chansons sont issues de séances de jam qui ont eu lieu pendant la tournée…
Nous n’étions pas en tournée. Quand nous sommes en tournée, nous faisons les balances, nous jouons les chansons et nous sortons de scène. Ça, c’était différent. Nous nous sommes retrouvés dans une salle de répétition lors des pauses pendant la tournée. Nous n’étions pas vraiment en tournée. Quand on vient du Canada et qu’on fait des festivals en Europe, on reste sur place entre les dates, et parfois, ça peut être assez long. Par exemple, nous avons joué dans un festival il y a deux jours, mais nous n’avons pas de nouvelle date avant vendredi. Du coup, je suis actuellement à Tromso, en Norvège, pendant une semaine, à ne rien faire. En fait si, je vais me mettre à écrire, mais ce n’est pas pendant une tournée. Quand je pense à une tournée, je pense à un concert par jour, avec un planning serré. Il n’y a pas de temps pour jammer, sauf si tu es Metallica et que tu restes deux jours au même endroit et que tout le monde t’écoute quand tu parles [rires]. Mais ça, ce n’est pas nous. Du coup, JC a réussi à nous trouver un lieu de répétition à Berlin pendant que nous étions là-bas. Nous y sommes allés et nous avons jammé pendant quelques heures. Certaines de ces idées sont devenues des chansons, comme « I Like It » et « Get High? ». « Guess Who’s Back » a été écrite dans une chambre d’hôtel, très similaire à celle dans laquelle je me trouve actuellement, et j’ai apporté l’idée dans la salle de répétition, mais il y a des tonnes d’idées qui sont restées sur le carreau. Mais pour moi, faire des festivals, ce n’est pas vraiment être en tournée. Mon idée d’une « tournée », c’est cinq semaines à jouer six jours sur sept, tu arrives, tu fais ton truc, et tu t’en vas. Pas le temps de se détendre, pas le temps de jammer. Il n’y a pas le temps de faire quoi que ce soit, tu essaies juste de tuer le temps dans la journée. Pour faire ça, je me suis mis à chercher des magasins de disques, avec l’aide de Google Maps. S’ils ne sont pas trop loin, je vais y faire un tour et ça m’occupe une heure ou deux.
« Nous ne réinventons pas la roue. Ce n’est pas sorcier – c’est du hard rock. Ce n’est pas de la musique idiote, mais ce n’est pas non plus censé être très intellectuel et compliqué. Personne ne réclame ça. Les seules personnes à réclamer ça sont des crétins arrogants, et je n’ai pas le temps d’essayer de faire plaisir à ces gens-là. »
Pendant ces moments en salle de répétition, à quel point l’enthousiasme à l’idée d’être à nouveau sur scène et de vous revoir s’est-il invité dans les chansons ?
Dans la mesure où nous vivons éloignés les uns des autres aujourd’hui, et où le seul moment où nous nous voyons est quand nous sommes en tournée, c’était génial de simplement être ensemble dans une pièce et de jammer. J’ai trouvé ça cool. J’étais très enthousiaste pendant un moment, surtout quand certains riffs ont commencé à se développer et à devenir des chansons. C’était sympa de faire ça.
À propos, comment se sont passés les premiers concerts post-pandémie ? Aviez-vous un sentiment d’euphorie ?
Nous avons tourné toute l’année dernière. Je ne sais pas quand les gens estiment que la pandémie s’est terminée. Si tu écoutes l’OMS, ça ne date que de quelques mois. Mais nous avons passé l’an dernier à tourner ; nous avons fait beaucoup de tournées. J’étais masqué beaucoup plus souvent que maintenant. Je porte toujours un masque, mais c’est parce que certains membres de ma famille sont à risque pour de nombreuses raisons, et je ne veux pas être celui qui va ramener une maladie qui va tous les tuer. J’avais peur pendant les tournées. J’ai moins peur aujourd’hui. Je parle avant le vaccin et même après. Mais c’était génial malgré tout. Les gens se sont déplacés. Nous étions inquiets parce que nous avions entendu parler de groupes qui avaient essayé de tourner mais qui avaient dû annuler car il n’y avait pas assez de préventes. Ça n’avait rien à voir avec eux, c’est simplement que les gens avaient peur ou faisaient attention. Et je les comprends, j’aurais eu la même réaction. Nous avons eu de la chance que le public soit au rendez-vous. Peut-être que nous sommes repartis sur les routes au moment où la pandémie perdait de l’ampleur, mais c’était cool. S’il n’y avait pas eu de pandémie, ç’aurait peut-être été mieux, mais pour nous, c’était super et nous n’avons pas eu à nous plaindre.
L’album s’ouvre sur le titre « Guess Who’s Back », où tu chantes un « Damn it feels so good! » qui vient du cœur. Était-ce une réaction directe à votre retour sur scène ?
Je ne le pensais pas vraiment. C’est une chanson intéressante, parce que du point de vue des paroles, je ne sais pas ce qui m’a inspiré. « Guess Who’s Back » est une chanson qui aurait dû sortir un an avant, parce que c’était après les deux ans de pause dus à la pandémie. Mais nous avons travaillé pendant toute la pandémie et dans la période où elle perdait de l’ampleur. Ce que je veux dire, c’est que nous ne sommes jamais partis, donc il n’y a aucune raison d’annoncer notre retour. J’ai le sentiment qu’Electric Sounds est un très, très bon album. La chanson s’adresse davantage aux gens qui auraient pu nous suivre il y a quelques années, puis nous oublier. Je lis des commentaires de ce genre régulièrement sur Internet : « Oh oui, j’avais oublié que ce groupe existait ! », ou « Ouais, je me souviens d’eux ». Pour moi, c’est ma vie, rien n’a changé. Au début, je me disais : « De quoi ils parlent ? Nous n’avons jamais arrêté. » Mais c’est parce que je suis moi, et les gens ont leur propre vie et des factures à payer. J’imagine que c’est à eux que je m’adresse.
Tu as déclaré qu’on pouvait s’attendre « à zéro surprise » sur Electric Sounds. À une époque, vous avez affiné votre son, principalement en développant le côté mélodique à l’époque de Never Too Loud et Below The Belt. Aujourd’hui, il semblerait que vous ayez trouvé votre son et que vous vous y teniez. As-tu le sentiment que vous n’avez plus rien à prouver, que ce soit aux autres ou à vous-mêmes ?
C’est une question intéressante. Les deux, je crois. J’ai l’impression que nous n’avons plus rien à prouver. Nous avons onze albums studio qui parlent d’eux-mêmes, sans que j’aie besoin d’ouvrir la bouche. Mais tu sais, quand tu es dans un groupe ou dans le showbiz en général, tu es seulement aussi bon que ton dernier album – peu importe combien tu en as déjà sorti –, voire que ta dernière chanson – peu importe combien tu en as écrit. Tu repars à zéro à chaque fois. Sauf si tu as un hit mondial, comme « The Final Countdown », « Smells Like Teen Spirit » ou « Enter Sandman », et que tu peux vivre de cette chanson jusqu’à tes derniers jours. Nous ne sommes pas ce groupe-là. Nous n’avons jamais eu de disque d’or. Nous n’avons jamais eu de disque de platine. Nous n’avons jamais gagné de prix. Nous n’avons jamais obtenu le type de reconnaissance qui nous permettrait de vivre jusqu’à la retraite, quand nous serons vieux et fatigués. Nous repartons à zéro à chaque album, nous repartons de rien. C’est comme recommencer la course à chaque album. Si tu as un titre numéro un ou si tu vends un million d’exemplaires de ton album, tu repars un peu plus près de la ligne d’arrivée chaque fois que tu te lances dans la course. Quant à nous, nous sommes à la ligne de départ avec tous les nouveaux groupes. En tout cas, c’est comme ça que je le vois. Nous devons sans cesse faire nos preuves, alors qu’en parallèle, je me demande : « Pourquoi vous n’écoutez pas les dix putains d’albums précédents ? »
« Le problème du rock, c’est qu’il n’y a pas de communauté populaire comparable à celle du punk, et j’en suis très envieux. Je pense que l’objectif de tous les groupes de hard rock est de devenir le plus grand groupe au monde ; du coup, ils n’ont pas le temps pour le côté local. Ils ont toujours un œil sur le trophée, ils ne se concentrent pas sur l’aspect communautaire. »
Peut-on qualifier de liberté ou de tranquillité d’esprit le fait de ne plus avoir à se soucier d’évoluer ou de prouver quoi que ce soit ?
Je pense qu’évoluer en tant que groupe de hard rock est une mauvaise idée. Je pense que c’est une erreur. Ce n’est pas le bon moyen de penser et d’approcher le hard rock. « Évoluer » signifie changer. Pourquoi changer quand le hard rock est déjà bien défini ? Il y a une raison qui fait que AC/DC, Slayer, Motörhead ou les Ramones n’ont jamais évolué. Ils ont trouvé leur son. Mais ce n’est pas comme s’il n’y avait plus de défi. Le défi consiste à conserver ce son tout en essayant de faire du neuf avec les mêmes sempiternels trois ou quatre accords. Il y a tellement de groupes à l’heure actuelle qu’il est très difficile de se créer un son propre quand un auditeur peut écouter les dix premières mesures d’une chanson et se dire : « Oh, ça, c’est les Ramones », ou « Ça, c’est Motörhead ». As-tu idée à quel point c’est compliqué, avec les millions de groupes qui existent ? Je pense que nous avons créé notre son propre et que nous nous y tenons. C’est très difficile à faire, et c’est tout un art d’utiliser les mêmes accords pour essayer de faire quelque chose de nouveau. Nous ne réinventons pas la roue. Ce n’est pas sorcier – c’est du hard rock. Ce n’est pas de la musique idiote, mais ce n’est pas non plus censé être très intellectuel et compliqué. Personne ne réclame ça. Les seules personnes à réclamer ça sont des crétins arrogants, et je n’ai pas le temps d’essayer de faire plaisir à ces gens-là. J’aime les hamburgers et les frites, comme tout le monde. Je veux juste écrire des chansons de hard rock et m’éclater avec. Quand je suis seul, j’écoute la musique que j’aime. Je n’essaie pas de m’impressionner moi-même [rires]. J’ai l’impression que certaines personnes écoutent de la musique pour se sentir intelligentes, ou se sentir cool, parce qu’au plus profond d’elles-mêmes, elles savent qu’elles ne le sont pas. Du coup, quand elles sont seules, même si elles sont plus intéressées par une chanson d’AC/DC, elles écoutent un putain de groupe prétentieux encensé par la critique, juste histoire de s’impressionner elles-mêmes. C’est pathétique. J’écoute ce que j’aime. Attention, j’aime aussi les trucs prétentieux. Mais j’aime le hard rock par-dessus tout !
D’un autre côté, d’un point de vue créatif, comment parvenez-vous à ne pas sombrer dans la routine ?
C’est bien, la routine – surtout quand tu essayes d’écrire de la musique. Je sais que je viens de faire tout un laïus, mais pour moi, le fait d’écouter tous les types de musique dans la journée, tout le temps, est un bon filtre. Je ne me contente pas d’écouter les mêmes groupes de hard rock vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Je pense qu’écouter du jazz, du hip-hop, du rock indé – quoi que ça veuille dire –, du metal, du hard rock, du classic rock et du punk toute la journée permet de filtrer ton son. Tu tires des références de sources auxquelles tu n’aurais pas pensé. Quand j’écoute un groupe de rock que je trouve super générique et cliché, je me dis que ces gars-là pensent sans doute devoir écouter uniquement du rock. Même si nous faisons le même style de musique et que nous existons entre les murs du classic rock et du hard rock, je sais que notre son est plus rafraîchissant parce que nous n’écoutons pas du hard rock vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
On note la présence d’invités comme Tyler Stewart (Barenaked Ladies) sur « She’s My Baby », Damian Abraham (Fucked Up) sur « Get High? » et le guitariste Daniel Dekay (Exciter) sur « Electric Sounds ». L’aspect social ou le sens de la communauté dans le rock sont-ils importants pour toi ?
Tout à fait, surtout dans le rock. Il est évident que le sens de la communauté dans le punk est ce qui maintient cette scène en vie. Il y a des groupes de punk dont tu n’as jamais entendu parler, qui ne sont connus que localement et qui arrivent pourtant à tourner à l’international parce qu’il y a un énorme réseau et une communauté qui soutiennent tous les groupes dans cette scène. Le problème du rock, c’est qu’il n’y a pas de communauté populaire comparable à celle du punk, et même à celle du metal, d’une certaine manière. Mais je vois ça dans le punk, et je suis très envieux, parce que ça n’existe pas pour le hard rock. Je pense que l’objectif de tous les groupes de hard rock est de devenir le plus grand groupe au monde ; du coup, ils n’ont pas le temps pour le côté local. Ils ont toujours un œil sur le trophée, ils ne se concentrent pas sur l’aspect communautaire. C’est pour ça qu’il n’y a pas de réseau underground pour les groupes de rock. Il n’y a pas de scène où les gens échangent des albums et discutent, ou de zines qui parlent de groupes de hard rock comme il y en a pour le punk – MRR, Flipside, tout ça. C’est ça qui me rend un peu jaloux, en tant que membre d’un groupe de rock. Nous sommes chacun sur notre île et nous nous faisons des signes, mais il n’y a pas de pont qui permette de rassembler les gens.
« Je ne peux pas parler matos pendant des heures et des heures, les yeux me sortiraient de la tête tellement ça me ferait suer. Je dis toujours que le son que je recherche est celui que n’importe quel gamin produit quand il joue de la guitare. »
Il faut faire attention avec ça, parce que beaucoup de gens ont des ego démesurés et rien pour le justifier. Combien de groupes avons-nous croisés qui n’ont même pas sorti de deuxième album et qui se prennent pour le putain de plus grand groupe du monde ? Généralement, on n’entend plus jamais parler d’eux après. Le sens de la communauté est particulièrement important. Nous ne sommes pas des connards : si tu es cool avec nous, nous serons cool avec toi. Les invités sur notre album sont des amis avant tout, nous les connaissons depuis des années. Il se trouve simplement qu’ils sont sur notre album. Damien Abraham de Fucked Up et moi sommes très amis, nous nous appelons presque toutes les semaines. Je lui envoyais des textos la nuit dernière, alors que je suis en Norvège ! Nous connaissons Daniel et Tyler depuis la première ou la deuxième année d’existence du groupe, je crois.
Le titre de l’album, Electric Sounds, est encore une fois un hommage au rock et au son de la guitare électrique. Que représentent ces « sons électriques » pour toi ?
C’est exactement ça. Pour moi, les sons électriques, ce sont les sons de la guitare. C’est ça, mon son électrique. Je n’y avais jamais vraiment réfléchi, mais c’est la guitare.
Te souviens-tu de la première fois que tu as entendu le son d’une guitare électrique ?
C’était peut-être Kiss. C’est le premier groupe de rock auquel j’ai vraiment fait attention. J’imagine que c’était « Deuce », parce que c’est le premier titre de Kiss’ Alive!, et c’est le premier album que j’ai acheté. Enfin, c’est ma mère qui l’a acheté pour moi, mais c’est le premier album de rock que j’ai eu.
Est-ce ça qui t’a donné envie de jouer de la musique, ou est-ce venu plus tard ?
Je pense que Kiss était tellement plus grand que nature qu’on ne voulait même pas être comme eux. C’était impossible. Avec leurs chaussures à plateforme, même si je ne les ai jamais rencontrés, ils étaient absolument immenses pour un môme de six ou sept ans. Quand j’ai commencé à m’intéresser à d’autres groupes, comme Mötley Crüe et Van Halen, là je me suis dit : « Waouh ! » Mais même là, si tu voulais être comme Eddie Van Halen quand tu te mettais à la guitare, c’était impossible. Je crois que c’est quand je me suis intéressé au punk et que j’ai commencé à écouter les Ramones que je me suis dit : « Je pourrais jouer ça. » Ils ont encouragé des milliers de gens à jouer, plus qu’Eddie Van Halen. Eddie Van Halen en a sans doute inspiré, mais il fallait avoir un certain niveau pour continuer avec cette inspiration. Tu te prends un mur très vite si ton inspiration initiale est Eddie Van Halen et que tu te rends compte que tu ne seras jamais comme lui. Tandis que Johnny Ramone, tu pouvais sonner comme lui. C’était très inspirant en ce sens.
Qui sont les guitaristes électriques qui t’ont le plus marqué et ont le plus inspiré ton son et ton jeu ?
Mon guitariste préféré est Billy Gibbons de ZZ Top. Je ne sais pas, je sais simplement ce que j’aime, je ne suis pas un fan de matos. Je ne peux pas parler matos pendant des heures et des heures, les yeux me sortiraient de la tête tellement ça me ferait suer. Je dis toujours que le son que je recherche est celui que n’importe quel gamin produit quand il joue de la guitare. C’est ce que je cherche à obtenir à chaque fois que je trifouille un ampli ou une guitare. Si ça sonne comme ça, c’est bon.
« Quand tu es toujours en troisième division au bout de vingt-sept ans, tu connais ta place. Et ça me va. Le simple fait d’être dans un groupe à plein temps et d’en faire son métier, c’est une réussite en soi. Je ne le prends pas à la légère. »
C’est drôle parce que tu as mentionné Kiss, les Ramones et Billy Gibbons, mais pas AC/DC. Pourtant, les éclairs sur l’artwork font clairement penser à ceux du logo d’AC/DC, et eux-mêmes ont beaucoup joué avec l’image de l’électricité. Après tout, leur premier album s’appelait High Voltage… Et comme vous, ils sont toujours restés fidèles à leur son. Quelle est ton histoire avec AC/DC ? Ont-ils joué un rôle dans la façon dont tu conçois le rock ?
Tout à fait. Ils ont une énorme influence sur le groupe aujourd’hui, mais pas à l’origine. À la base, je dirais que nous étions plus un groupe de garage punk. Quand nous avons commencé à nous tourner davantage vers le hard rock, AC/DC a commencé à jouer un rôle plus important. Leurs riffs ont toujours sonné comme le marteau d’un juge qui s’abat. Ils étaient à la fois si puissants et si simples. C’est absolument une influence, et nous n’essayons pas de le cacher. Pour l’artwork, oui, j’imagine qu’on peut voir des similitudes partout. On joue tous de la musique avec des guitares électriques. Mais je ne vais pas chercher aussi loin que la plupart des gens. Beaucoup de gens ont tendance à aller chercher du sens beaucoup plus loin que je n’aurais pu y penser. Je n’ai rien eu à voir avec la pochette, mais généralement, quand les gens pensent à une signification pour les chansons, pour moi, le sens est totalement différent. J’ai fait référence à tellement de chansons de tellement d’artistes que personne n’a relevées pendant toutes ces années. Et c’est cool ! Si tu ne comprends pas ou si tu n’entends pas la référence, c’est cool. Mais je suis aussi critiqué parce que la musique sonne « comme n’importe quelle autre chanson de hard rock ». Oui, mais cette chanson dont tu parles contient deux références à d’anciens albums. Pourquoi tu ne les as pas entendues, si tu es un si bon critique ? Je vois ça tout le temps. Même si je ne cherche pas à donner du sens à ma musique autant que les gens peuvent le penser, quand je le fais effectivement, personne ne le remarque ! [Rires]
Cette année, vous avez joué à la Wembley Arena. Apparemment, c’était sur ta liste de choses à faire avant de mourir. Qu’est-ce que cela représente pour toi ?
Tout à fait, c’était un sacré moment. Nous étions le premier groupe sur trois. Nous avons joué avec The Darkness et Black Stone Cherry, mais je prends quand même. C’est toujours mieux que de passer la soirée devant Netflix ! Ça restera absolument un souvenir pour moi. Le concert était super, et le public était à fond. Tout le monde était très cool, les deux autres groupes ont été super avec nous. C’était le dernier concert de la tournée, nous devions rentrer à la maison le lendemain. J’étais de bonne humeur et tous nos amis sont venus nous voir. Et j’ai rencontré Deirdre Cartwright, qui m’a plus au moins appris à jouer un power chord quand j’étais gamin. Que demande le peuple ? C’était génial !
Que te reste-t-il à accomplir sur ta liste ?
Oh, mon Dieu ! Après vingt-sept ans en tant que groupe de rock de troisième division, il nous reste énormément de choses à accomplir. Nous n’avons pas encore tourné avec certains de nos groupes préférés. Nous n’avons jamais remporté de prix, mais ce serait sympa pour nous récompenser de nos efforts. Nous n’avons jamais eu de disque d’or ou de platine. Je ne pense pas que ce soit encore possible pour un groupe, mais nous pourrions au moins gagner un stream de platine, ou double platine. Je ne sais pas comment on quantifie le succès quand on ne vend plus de disques physiques. Ce serait super de pouvoir jouer devant des dizaines de milliers de personnes, ou faire une tournée des arènes. Nous n’en sommes pas du tout à ce niveau, et je ne sais pas si nous y serons un jour, mais il ne faut jamais dire jamais, j’imagine. Mais quand tu es toujours en troisième division au bout de vingt-sept ans, tu connais ta place. Et ça me va. Le simple fait d’être dans un groupe à plein temps et d’en faire ton métier, c’est une réussite en soi. Je ne le prends pas à la légère.
« Tout le monde aime l’absence totale de défauts, mais ce sont les erreurs qui font tout le sel de ton parcours. Si tu prends le parcours de ton groupe du début à la fin, c’est comme un tour de manège, et comme dans un manège, il y aura des hauts et des bas. J’aime cette idée. »
Tu as déclaré : « Je suis toujours agréablement surpris quand je vois le public face à nous tous les soirs. J’ai entendu dire qu’Ozzy, encore aujourd’hui, se demande si le public sera présent au concert, et je comprends cet état d’esprit. » Ressens-tu cette angoisse avant de partir en tournée, surtout au début d’un cycle pour un nouvel album ?
Je n’irais pas jusqu’à parler d’angoisse, mais il y a une certain nervosité. Mais je n’ai pas été nerveux avec les derniers albums, parce que j’avais totalement foi en eux. Ça a commencé avec Fire Music, quand Rich Knox a rejoint le groupe — Fire Music, Wildcat, A Rock Supreme, Power Trio et celui-ci. Pour les cinq derniers albums, je n’ai eu aucune inquiétude quant à la réaction des gens, qu’ils aiment ou pas. Si vous n’aimez pas ces albums, vous n’aimerez jamais notre groupe, parce que ces albums envoient du lourd. Il y a eu quelques albums dans le passé en lesquels j’avais moins foi, et ça a pu être source de nervosité pour moi. Il y a toujours de la nervosité parce que tu ne sais jamais de quel côté le public va pencher. Une minute, tout le monde est à fond dans ce que tu joues, et la suivante, ça peut ne plus être le cas. Nous n’avons pas encore atteint le niveau de succès où, même si nous ne sommes plus le groupe le plus populaire ou le plus branché, il y aura toujours du monde pour nous permettre de tourner. On ne peut jamais savoir.
Tu viens de dire qu’il y avait quelques albums dans le passé en lesquels tu avais moins foi. Lesquels ?
Never Too Loud et Rock And Roll Is Black And Blue. Never Too Loud n’a pas été bien reçu du tout. J’étais très nerveux pour cet album, et j’avais raison. Je pense que les démos étaient meilleures. Pour Rock And Roll Is Black And Blue, il y avait des tensions dans le groupe, et ça s’est ressenti pendant l’enregistrement. Les sessions ont été tendues et il y avait des disputes entre certaines personnes. Ça s’entend sur l’album. Ce qui est drôle, c’est que je me suis mis à écouter cet album récemment – je ne l’avais pas fait depuis des années – et que je l’aime bien ! Je ne pense pas que ce soit notre meilleur album, ni même un des cinq ou dix meilleurs, mais je l’apprécie davantage qu’à sa sortie. J’ai appris à aimer quelques-unes des chansons.
Ceci étant dit, ces deux albums parsèment notre discographie d’une façon que je trouve cool. Tout le monde aime l’absence totale de défauts, mais ce sont les erreurs qui font tout le sel de ton parcours. Si tu prends le parcours de ton groupe du début à la fin, c’est comme un tour de manège, et comme dans un manège, il y aura des hauts et des bas. J’aime cette idée. Je peux dire ça aujourd’hui parce que ces albums ne nous ont pas achevés. Je ne les aimais pas à l’époque parce que j’étais inquiet : « C’est notre dernière chance, putain, notre dernière tentative. On est morts, après ça. » Et d’une certaine façon, nous l’étions vraiment. Après Never Too Loud, nous avons dû faire notre retour, et nous avons sorti Below The Belt, qui était un pur album de hard rock. Il n’y avait aucune fioriture, tout était hyper dégraissé. Puis Rock And Roll Is Black And Blue nous a renvoyés au fond du trou, dont il a fallu à nouveau nous extraire. Depuis Rock And Roll Is Black And Blue, nous avons sorti Fire Music, Wildcat, A Rock Supreme, Power Trio, et aujourd’hui, Electric Sounds. Je crois que nous sommes bien sortis du trou et que nous avons désormais une façon assez sûre de produire des albums.
« Je m’en suis pris plein la gueule à force d’être un gros con borné, et je le savais sur le moment. C’est stupide. C’est idiot, mais je ne peux pas m’en empêcher. »
L’un des morceaux de l’album s’intitule « Stiff Competition ». Ressens-tu parfois une compétition entre groupes ? Je sais que quelqu’un comme Dee Snider est très porté sur la compétition. Il est même allé jusqu’à provoquer Kiss…
Je crois qu’on peut dire que l’une des choses que Dee Snider et moi avons en commun, c’est que nous ne mâchons pas nos mots. Nous sommes des grandes gueules avec des idées bien arrêtées sur certains sujets. Mais Kiss et Twisted Sister ou Dee Snider sont des gens qui sont dans ce milieu depuis très longtemps, et je suis sûr qu’il y a un passif dont on n’a pas conscience. En termes de compétition, le rock’n’roll n’est plus le genre le plus populaire, aujourd’hui. Ce sont la musique électronique, le hip-hop et la pop qui font la loi. On le voit avec les têtes d’affiche populaires en festival, dans le choix des musiques à la télévision et un peu partout dans les médias généralistes. Aucun groupe de hard rock ne fait autant parler de lui que Lady Gaga ou Daft Punk. Un million de groupes que je ne connais même pas font parler d’eux avant les groupes de rock, ce qui veut dire que l’espace alloué aux groupes de rock est encore plus limité qu’avant. Il y a énormément de groupes qui se battent pour occuper cet espace, et tu peux appeler ça comme tu veux, mais ça reste de la compétition. C’est amical jusqu’à ce que ça ne le soit plus. Et quand ce n’est pas amical, ce n’est pas cool. Chaque fois que nous tentons quelque chose et que nous perdons au profit d’un autre groupe, c’est le jeu. Je mentirais si je disais que je ne pense jamais : « Merde, j’aimerais que ce soit nous ! Ça devrait être nous ! » Mais en même temps, je ne vais pas cracher sur le groupe qui a décroché le contrat, ou qui va ouvrir pour tel groupe, ou dont l’album est devenu numéro un. Ce sera peut-être notre tour la prochaine fois. Mais les opportunités pour un groupe de rock sont de moins en moins nombreuses ; il y a un minimum d’espace et tellement de groupes pour le remplir.
Une autre chanson s’intitule « Eye For An Eye ». Tu es quelqu’un de très direct et qui ne laisse personne lui marcher dessus, mais crois-tu à la loi du talion ?
Oui, à mon détriment, parce que je m’en suis pris plein la gueule à force d’être un gros con borné, et je le savais sur le moment. C’est stupide. C’est idiot, mais je ne peux pas m’en empêcher. Nous étions en première partie de Turbonegro à Seattle. Ça remonte à 2005, donc ça fait dix-huit ans. Il y avait un type dans la foule qui me balançait des cigarettes allumées et me disait d’aller me faire foutre. Je l’ai fait remarquer sur scène, et au moment de sortir de scène, je l’ai regardé dans les yeux. Je ne sais plus si je l’ai pointé du doigt, mais je l’ai regardé et je me suis frappé la tête, pour lui dire : « Tu ne peux pas me faire mal ; ça, ce n’est rien. » Quand je suis rentré chez moi, j’ai dû aller voir un médecin parce que j’avais des maux de tête. Je me suis en fait tapé la tête extrêmement fort à cause de l’adrénaline. Je ne le savais pas, je ne l’ai pas senti parce que j’avais tellement d’adrénaline. C’est le truc le plus idiot que j’ai jamais fait. Les gars de Turbonegro ont entendu parler du gars qui me balançait des trucs, et il me semble que Hank ou Happy-Tom a dit : « Hey, il paraît que quelqu’un emmerde Danko Jones. » Je ne sais plus exactement ce que c’était, mais l’un d’eux a dit quelque chose. Les gars du groupe en ont parlé, ce qui était très cool de leur part. Je n’étais pas blessé. Je suis allé voir le médecin parce que je pensais que je m’étais fait un traumatisme crânien. Je suis du genre alarmiste, donc j’ai réagi de façon excessive – la première fois quand je me suis frappé, et la deuxième au sujet du diagnostic. Ce n’est pas vraiment un exemple de « œil pour œil », parce que c’était entièrement de ma faute, mais c’était un tort qui devait être redressé.
Il y a quelque chose de très positif et de très naïf – dans le sens positif du terme – dans certaines de tes chansons, comme « I Like It ». Penses-tu que ce soit quelque chose qui manque de nos jours ?
La naïveté positive, pas l’ignorance. Je vois ce que tu veux dire, et c’est délibéré. Je trouve que la simplicité, que ce soit dans la musique ou les paroles, élargit la chanson par bien des aspects. Ça élargit aussi évidemment ton public, parce que tu peux toucher davantage de gens, mais ça élargit les émotions de la chanson.
Est-ce un moyen pour toi de te rebeller ou de te battre contre le cynisme ambiant ?
C’est ton interprétation. Tu n’aurais pas tort. Je ne dis pas que je le fais consciemment, mais si c’est l’un des effets, très bien. Je suis d’accord pour me battre contre ça !
Interview réalisée par téléphone le 17 juillet 2023 par Nicolas Gricourt.
Retranscription : Emilie Bardalou.
Traduction : Tiphaine Lombardelli.
Photos : Daniel Berbig (1, 2, 6, 8) & Nicolas Gricourt (3, 5, 7).
Site officiel de Danko Jones : dankojones.com