Dans la famille des batteurs de metal, difficile de faire plus emblématique que Dave Lombardo. Il aura œuvré une bonne partie de sa carrière dans Slayer, offrant au monde des monuments intemporels tels que Reign In Blood ou Seasons In The Abyss, mais également participé à ce qui reste pour beaucoup le meilleur album de Testament, The Gathering – en 1999, le seul pourtant auquel il aura participé –, mais ne parler que de son apport – certes profond et indélébile – au thrash est malgré tout réducteur. Dave Lombardo, c’est un batteur qui s’est construit dans un mix de fascination pour les batteurs cubains et pour le rock, le punk et le heavy metal. Il a surtout vu son esprit artistique s’ouvrir au contact de Mike Patton et John Zorn pour en arriver à toucher un panel de projets et de genres musicaux sans limites, de la pop jusqu’à l’avant-garde la plus décomplexée.
Aboutissement d’un mûrissement artistique de longue date – aussi bien musical que visuel –, fruit d’une idée en gestation depuis un vingtaine d’années et concrétisée grâce à la pandémie, Dave Lombardo, le batteur aux innombrables projets, revient avec Rites Of Percussions, un album cent pour cent batterie, cinématographique, voire introspectif et spirituel. Nous en parlons avec lui, tout en rentrant dans sa fibre musicale et en évoquant ses différents projets.
« Le fait que les tournées s’arrêtent a eu des effets négatifs sur mon corps et ma forme, car aucun exercice ne peut remplacer le fait de jouer de la batterie et l’excitation qu’on ressent quand on monte sur scène. »
Radio Metal : Rites Of Percussion est ton tout premier album de batterie – ce qui, en soi, n’est pas très commun, surtout de la part d’un batteur de metal. Apparemment, l’idée est venue initialement d’une discussion avec Mike Patton en 1998… Comment as-tu réagi à ça ? Voyais-tu où il voulait en venir ?
Dave Lombardo (batterie) : Je savais où il voulait en venir, car nous avons eu l’idée ensemble. Il a dit : « Il faut que tu fasses un album comme ça », car je lui avais dit que je songeais à peut-être faire des morceaux avec uniquement de la batterie, comme ce qu’ont fait John Bonham avec Bonzo’s Montreux ou Tito Puente avec Top Percussion. Il a donc dit que je devais le faire et qu’il le sortirait sur son label. Après toutes ces années, c’est resté dans un coin de ma tête et Mike disait toujours : « Où est cet album de batterie, Dave ? Je l’attends toujours ! » Et nous voilà en 2023, enfin à sortir cet album que j’ai toujours eu envie de faire. Je l’ai créé durant la pandémie, en 2020. Il fallait vraiment que je sois en mesure de ne pas être dérangé. Je n’avais pas à penser à prendre l’avion et à partir en tournée. J’étais très concentré sur la création de cette œuvre. La pandémie a été horrible pour tout le monde, mais d’une certaine façon j’ai trouvé un bon côté à cette période difficile. C’était dur, mais il fallait que j’oriente mon énergie et ma frustration dans quelque chose, et c’était Rites Of Percussion.
As-tu l’impression qu’il y a beaucoup de frustration dans ces morceaux ?
[Réfléchit] Non, en fait, il y a beaucoup de paix. Quand tu vis une période comme la pandémie, c’est frustrant, mais ensuite, quand je suis allé dans mon studio et que je me suis mis à travailler sur le projet, j’ai oublié la pandémie. J’ai oublié ce qui se passait dans le monde, car je m’éclatais vraiment à travailler sur cette musique. Comme avec tout dans la vie, il faut parfois se frayer un chemin à travers les moments difficiles de la façon la plus positive possible. C’est semble-t-il ainsi que j’ai abordé ça.
Tu es un musicien très actif sur le plan live, or tout s’est arrêté du jour au lendemain. Sans même parler de frustration, ça a dû te désorienter et te dérouter au départ…
Oui, vraiment. Enfin, les deux ou trois premiers mois de pandémie, j’étais là : « Ouais, ce sera de bonnes petites vacances. » Je ne savais pas que ça allait affecter l’industrie musicale pendant pratiquement deux ans avant qu’on puisse reprendre les tournées. J’ai profité de la pause, mais comme je l’ai dit, c’était trop long et très frustrant, surtout dans la mesure où j’ai été constamment en tournée depuis que j’ai dix-huit ans – et j’ai commencé la batterie encore avant. Le fait que tout ceci s’arrête a eu des effets négatifs sur mon corps et ma forme, car aucun exercice ne peut remplacer le fait de jouer de la batterie et l’excitation qu’on ressent quand on monte sur scène. Je pouvais monter sur un tapis de course, courir quelques kilomètres, faire de l’exercice, du yoga, peu importe, ce n’est pas pareil. Rien n’équivaut l’excitation, l’adrénaline et la sueur d’une prestation live.
Généralement, les gens disent que le solo de batterie pendant un concert est le moment où ils vont aux toilettes. Du coup, est-ce que faire un album qui, à la fois, ne contenait que de la batterie et était intéressant pour l’auditeur non-batteur était tout le défi pour toi ?
[Rires] Tout d’abord, je ne prête pas attention à ce genre de commentaire. Ceci n’est pas un album de solos de batterie au milieu d’un concert. C’est une œuvre d’art. C’est de l’expression. Ce n’est pas un gars qui fait un solo, c’est bien plus que ça. Donc, c’est un petit peu différent. Je dis juste à ces gens : donnez une chance à cet album. C’est cinématographique. C’est majoritairement de la batterie, mais on peut ressentir quelque chose. Ce n’est pas qu’un batteur qui frime.
« Je suis fasciné par le sujet des rythmes de batterie en association avec les rituels religieux, car c’est propice à la transe, c’est hypnotisant. Ça te met dans un état mental où tu sais que tu es probablement vulnérable à toutes sortes de manifestations spirituelles. »
Je suppose que créer Rites Of Percussion était complètement différent de tout ce que tu as pu faire jusqu’à présent – peut-être même qu’il y avait un côté introspectif, vu que tu étais seul. Comment c’était de n’avoir aucun autre musicien que toi avec lequel échanger ?
J’ai beaucoup aimé parce que j’étais en charge de la direction sonore. J’ai moi-même fait tous les choix d’instruments. Il n’y avait personne pour me dire qu’il faudrait faire ci ou qu’il a une idée. Tout est sorti de mon esprit et de ma créativité. C’était donc très libérateur. Ça faisait du bien. Et il y a aussi eu des moments où je ne savais pas quoi faire et où j’ai dû faire des recherches. Il a fallu que je cherche comment utiliser certaines parties de mon logiciel d’enregistrement. J’ai dû chercher certaines techniques avec les microphones. Comme je n’avais pas d’ingénieur, je me suis enregistré moi-même, il a fallu que je prenne du temps pour apprendre certaines techniques et styles d’enregistrement pour ce que j’étais en train de faire. C’était donc gratifiant et stimulant, car il a fallu que j’apprenne à faire quelque chose comme ça. Je n’avais pas quelqu’un avec moi qui avait été à l’école pour m’aider. J’ai tout fait seul. Ça m’a permis de vraiment creuser dans mes connaissances musicales pour essayer de concrétiser des idées que je formulais depuis des années. Il y a eu des moments d’introspection et j’étais très content et fier des étapes que je passais pour réaliser cet album. C’était donc, effectivement, très introspectif. Par moments, c’était même un peu émotionnel, parce que je me disais qu’enfin, je le faisais. J’étais très content, au fond de moi, d’enfin sortir ça.
As-tu connu des frustrations par le passé avec des gens qui établissaient la direction musicale ?
Quand on fait partie d’un groupe et qu’on crée de la musique avec d’autres gens, il faut faire des compromis. Je donne un peu, je prends un peu. C’est réciproque. Parfois, quand tu enregistres quelque chose, peut-être que tu n’aimes pas le son de caisse claire ou de grosse caisse, et personnellement, je le dis et je demande à l’ingénieur s’il peut corriger la fréquence : « J’aime un peu mieux quand le son de grosse caisse est plus grave et profond. » Parfois, il répondra : « Eh bien, si elle est dans cette zone de fréquence, c’est parce qu’il faut que ça se mêle bien avec les autres fréquences, notamment celles de la basse. » Dans ce cas, je n’ai pas d’autre choix que de l’accepter. Il y a beaucoup de coopération. Il faut coopérer et tout ne tourne pas autour de toi, le plus important, c’est la musique et ce qu’il y a de mieux pour elle. Donc ce n’est pas frustrant, ça fait juste partie du processus.
Tu as construit un studio avec deux pièces différentes, l’une insonorisée et l’autre spacieuse et ambiante. Comment as-tu utilisé ces deux pièces ?
En Fait, j’ai utilisé trois pièces dans la maison. L’une était la salle de contrôle où j’avais l’ordinateur, les enceintes, tous mes outils d’enregistrement, etc. Ensuite, j’ai fait passer des câbles dans la maison jusqu’au salon / salle à manger pour en faire une grande pièce d’ambiance – c’était un très grand espace. Dans cette pièce, j’ai mis une batterie de quatre éléments que j’ai accordée de manière très spéciale et sur laquelle j’ai utilisé des cymbales très spéciales, plus jazz. Je me souviens que certains charley que j’ai utilisés faisaient dix-huit pouces – il y avait deux Crash Swiss de dix-huit pouces. Normalement, une batterie typique a un charley de quatorze ou quinze pouces. J’ai donc vraiment expérimenté. La pièce insonorisée avait une batterie avec double grosse caisse et j’avais plusieurs microphones. C’était la pièce où il y avait un peu de contrôle, je me disais que j’avais besoin de ça pour le kit puissant et plus grave avec la double grosse caisse. Cette pièce a pas mal aidé à canaliser le son. Mais je me souviens de tous les câbles qui passaient partout dans la maison, c’était vraiment marrant. C’était super. J’ai envie de le refaire. A force d’en parler en interview, ça m’excite à l’idée de peut-être en faire un autre. Je ne sais pas quand, vu que maintenant j’ai repris les tournées. Peut-être qu’il nous faut juste une autre pandémie [rires]. Pitié, non ! Je trouverai le temps. Pas de pandémie.
Ça sonne presque comme de la musique pour de la transe ou des rituels shamaniques, et évidemment, ça s’appelle Rites Of Percussion. Vois-tu dans le fait de jouer de la batterie quelque chose de spirituel ou ressens-tu même une connexion avec les formes primitives de musique utilisées dans les anciens rituels ?
Je le crois, car je suis né à Cuba et j’ai entendu des percussions et rythmes afro-cubains toute ma vie, et je suis un grand fan de musique cubaine qui, bizarrement, est instinctive, c’est ancré profondément dans mon âme. Je suis fasciné par le sujet des rythmes de batterie en association avec les rituels religieux, car c’est propice à la transe, c’est hypnotisant. Ça te met dans un état mental où tu sais que tu es probablement vulnérable à toutes sortes de manifestations spirituelles, si c’est le genre de chose qui t’intéresse. Donc ça me fascine et je crois que c’est instinctif. Il y a quelque chose en moi qui fait que ça m’attire. De nombreuses religions utilisent des percussions à certains moments, lors de cérémonies. Ça varie. La religion vaudou est différente tout en étant très proche de la religion afro-cubaine qu’on appelle Santeria. Elles sont différentes, mais presque parallèles. Je suis sûr qu’il y a d’autres rythmes, groupes et tribus qui utilisent des percussions sous des formes complètement différentes. Ce peut même être dans le cadre d’une célébration. Ce n’est pas forcément religieuses. Ce peut être pour la célébration d’un mariage. Quand un enfant naît dans une tribu ou dans un groupe de gens, il peut y avoir des tambours ou un rythme pour ça. Ça peut aussi être utilisé pour la guerre. Au début de l’histoire américaine, on utilisait des tambours pour communiquer entre les différentes armées. Il y en a de partout. La batterie a été une part si importante de la vie humaine qu’elle me donne le sentiment d’être un instrument très important.
« Je voyais l’excitation des percussionnistes cubains, ils étaient heureux, ils transpiraient, ils vivaient à fond l’instant présent. Je pense que j’ai pris ça avec moi dans le monde du rock. »
Je suppose que c’est aussi le plus vieil instrument…
Oui, après le cœur, car le premier rythme que n’importe qui a entendu était celui du cœur.
Comme tu l’as dit, tu es né à Cuba, et à un jeune âge, tu as été fasciné par Santana et Tito Puenté, autant que par Led Zeppelin et Kiss. Comment as-tu combiné ces différentes influences pour façonner ton jeu ?
L’influence latine a fait effet très tôt quand, enfant, j’ai été exposé à différents styles de musique et que j’allais à des fêtes avec ma mère et mon père. Il y avait des groupes qui jouaient et j’étais fasciné par la batterie. J’ai donc très vite vu la façon dont… La musique cubaine est jouée avec beaucoup de passion et d’énergie. Quand j’ai vu ça, je pense que ça m’est resté en grandissant, et en voyant les percussionnistes jouer, je voyais leur excitation, ils étaient heureux, ils transpiraient, ils vivaient à fond l’instant présent. Je pense que j’ai pris ça avec moi dans le monde du rock, quand j’ai commencé à jouer des morceaux de rock étant gamin. Puis je suis progressivement allé vers le heavy metal et le hard rock, et puis le punk où j’ai vu la même excitation, avec des batteurs qui jouaient avec une certaine agressivité et passion. C’est ainsi que j’ai lentement développé ma personnalité et mon style. Quand j’étais gamin, j’étais une éponge, j’absorbais tout ce qui avait à voir avec la musique et la batterie. Je prenais ce qui me plaisait et je l’appliquais à mon jeu pour devenir ce que je suis aujourd’hui. C’est devenu une partie de moi dont je ne peux me défaire. Ça fait partie de mon ADN aujourd’hui.
Comment, non seulement le jeu de batterie, mais aussi ta manière de penser la batterie comme élément d’une chanson ont-ils évolué au fil des années ?
J’aime voir la batterie comme une pièce musicale de la chanson. Disons que je joue une chanson et que j’arrive au couplet, durant celui-ci, je ne vais pas faire un solo et je ne vais pas faire plus de roulements que nécessaire. Il faut que je sois très sélectif et que je fasse attention quand je crée des rythmes pour une chanson, un couplet ou une mélodie. Il faut s’assurer que ça complimente, comme quand on arrive au refrain, c’est normal que celui-ci soit un peu plus fort, un peu plus excitant, car c’est le refrain, c’est là que tout le monde chante. Puis quand on revient au couplet, il faut lever le pied à nouveau. Il faut laisser le chanteur raconter l’histoire et ainsi de suite. Il faut donner de la dynamique à la chanson. C’est ainsi qu’elle a une âme et de l’émotion. Si tu ne joues pas comme ça, la chanson manque de feeling, de dynamique, de crescendos et decrescendos. Il faut que ce soit plus qu’un simple rythme, il faut de l’émotion aussi, et j’ai appris à faire ça au fil des années.
Tu as déclaré : « D’une certaine façon, je me suis découvert un talent caché. C’est le fait de prendre des images mentales et de les mettre en musique. » Comment est-ce que ça fonctionne ? Comment traduis-tu des images mentales en musique ?
Par exemple, si je voulais transmettre un moment très intense, peu importe ce moment, ce pourrait être une bagarre, une course de voitures, une poursuite – genre tu es pourchassé par quelqu’un –, disons que tu rédiges un paragraphe pour décrire la situation, tu le relis et tu te dis : « D’accord, qu’est-ce que je vais ressentir à ce moment-là ? » Evidemment, le rythme sera intense. Parfois, il doit être rapide ou juste lent et plein de suspense. On peut l’aborder de différentes manières, ça dépend de l’artiste. Ensuite, la complexité du rythme dépend de cette description et de cette image dans ta tête. Voilà comment j’aborde ça. Tu veux que ça évoque la description de cette image mentale. C’est comme tout, n’importe quel compositeur ferait ça. Je pense que c’est quelque chose que j’ai appris en travaillant sur des films. Tu regardes une image sur un écran de télévision et il faut jouer en même temps que la scène. Je pense que c’est là que tout a commencé pour moi. Donc, avec cet album, j’ai pu facilement traduire avec la batterie l’imagerie que j’avais en tête. Parfois, ça commençait avec une image, peu importe ce que c’était, et ensuite, je me mettais à développer et à partir sur autre chose. C’est ainsi que je créais ces petites œuvres.
Est-ce que les titres des morceaux reflètent les images que tu avais en tête ?
J’ai essayé de raconter une sorte d’histoire avec les morceaux et la façon dont on passe de l’un à l’autre, parce qu’il a fallu que je leur donne un ordre, car ils ont tous été enregistrés à différents moments. Donc quand je les ai rassemblés et que je les ai mis dans ma playlist, je me disais : « D’accord, avec laquelle je veux que ça commence ? Laquelle serait en seconde position ? En troisième ? » Il fallait que je donne des titres qui étaient plus ou moins liés aux morceaux, mais ça ne veut pas dire que j’ai commencé avec les titres. Ceux-ci sont venus plus tard. Je trouve que le titre du morceau d’ouverture était approprié, car c’est un peu la folie là-dedans, une sorte de psychose. Donc je trouvais que ce morceau allait bien avec ce titre. Le fait de titrer les morceaux est un tout autre processus, surtout quand il n’y a pas de paroles. C’est difficile, mais d’une certaine façon, j’y suis arrivé. Ils sont liés, mais pas tout à fait. J’ai pensé au titre après avoir créé le morceau.
« J’ai l’impression d’avoir eu un éveil musical à la fin des années 90. Je me suis rendu compte que je n’étais pas enchaîné ou menotté au metal. Mes portes étaient ouvertes, grâce à mon association avec Patton et John Zorn. »
Tu as fait des tableaux par le passé, comme ta collection Rhythm Mysteriym. Dirais-tu que Rites Of Percussion est une extension de ça, d’une certaine façon ?
Oui, c’est possible, mais seulement par expérience. Pour Rhythm Mysterium, si vous commandez le livre, vous aurez un album de solos de batterie avec. J’ai enregistré chaque solo en regardant l’un des tableaux ; je regardais le visuel et je créais ensuite un solo de batterie. C’était inspiré par une performance que j’ai fait avec John Zorn au musée d’art contemporain de Los Angeles. John Zorn et moi à la batterie, nous avons fait un set d’improvisation devant l’exposition de Jackson Pollock, qui est un artiste très avant-gardiste. Donc, d’une certaine façon, le fait d’être dans cette pièce à vivre cette expérience m’a inspiré à créer ce livre Rhythm Mysterium. De même, en 2001 ou 2002, j’ai eu l’occasion de jouer live à New York City une improvisation sur un film de Kenneth Anger – je crois que c’était quelque chose avec Satan, j’ai oublié. Je me souviens des images sur le grand écran. J’avais ma batterie sur le sol, je regardais le grand écran et je jouais des improvisations sur ce film. C’est donc lié à toutes ces expériences que j’ai eues.
Est-ce qu’il y a toujours eu une part de visuel ou une association visuelle dans la batterie pour toi, même en remontant à l’époque où tu jouais avec Slayer, ou bien est-ce venu plus tard ?
Je pense que j’ai développé ça plus tard. Bon, j’avais peut-être ça en moi par le passé durant Slayer, mais ça s’est ensuite développé, surtout après ma rencontre avec Patton et ma collaboration avec lui sur des concerts d’improvisation et sur la présentation du film de Kenneth Anger à New York que nous avons faite avec John Zorn, en vivant l’art de manière plus libre. J’ai l’impression d’avoir eu un éveil musical à la fin des années 90. Je me suis rendu compte que je n’étais pas enchaîné ou menotté au metal. Mes portes étaient ouvertes, grâce à mon association avec Patton et John Zorn, j’ai pu adopter ce qui n’était pas typiquement normal dans le metal. C’était avant-gardiste. C’était libre. Ça s’est développé avec toutes ces expériences et c’est devenu acceptable pour moi. Je me suis senti accepté, j’ai senti qu’on adhérait à mon approche unique de la musique, sans faire partie d’un genre musical. C’est très intéressant. Ma rencontre avec Patton et Zorn m’a beaucoup aidé, ça m’a vraiment ouvert l’esprit au monde de l’avant-garde.
Mike Patton a évidemment une très grande culture musicale et est toujours parvenu à surprendre les gens avec ses projets – de la pop italienne avec Mondo Cane au hip-hop en passant par le jazz avant-gardiste avec John Zorn. Tu as joué avec lui dans Fantômas, Dead Cross et Mr. Bungle. Dirais-tu que c’est la personne qui t’a le plus marqué en tant qu’artiste ?
Oui ! Je suis très reconnaissant pour mon amitié avec Mike. Son sens artistique, son côté intrépide… Il n’a pas peur, tout comme Zorn et tous les autres musiciens que j’ai rencontrés grâce à eux. Il ne faut pas avoir peur de ce que pensent les autres. Il faut poursuivre ce qui nous plaît, c’est là qu’on trouve de la force dans son travail et dans sa personnalité, c’est-à-dire en étant soi-même. On doit se faire connaître. C’est ce que j’ai essayé de faire depuis Fantômas, que ce soit avec Vivaldi – The Meeting, DJ Spooky, en sortant Xu Feng avec Zorn, en composant la musique du documentaire Los Últimos Frikis, etc. Je n’aurais pas pu faire ça si je n’avais pas confiance en moi ou si je ne me fichais pas de ce que les autres pensent, « je vais faire ça parce que je veux le faire, ça va me faire du bien ». Ça peut paraître égocentrique, mais je pense qu’en tant qu’artiste, tu dois pouvoir choisir quel genre de peinture et quelles couleurs utiliser pour ton tableau. C’est à toi d’utiliser ce que tu veux pour peindre sur cette toile. Personnellement, quand j’enregistre et que je collabore avec des musiciens, il faut que je me sente libre de travailler avec les personnes qui m’intéressent. C’est l’une des choses que j’ai apprises de Patton, il faut être soi-même, faire ce qui nous ressemble, et ne pas avoir peur de s’exprimer sous n’importe quelle forme créative.
Il y a cette idée que Mike Patton serait quelqu’un de difficile à canaliser vu qu’il a fait tellement de choses différentes. Mais quelle est la réalité ? Est-il plus focalisé qu’on pourrait le croire ?
Patton prête beaucoup attention aux détails. Quand tu reçois un e-mail avec des instructions sur un morceau de musique, tu auras un long texte avec des descriptifs seconde par seconde : « A 01 :32, il faut faire ça, a 01 :35, la grosse caisse doit se calmer, etc. Il faut s’assurer d’emmener le chant dans cette direction. Je n’aime pas le son de ça, pouvez-vous s’il vous plaît rajouter de la reverb ? » Ça, c’est quand nous mixons à distance, mais en live c’est pareil. Quand nous travaillions sur Fantômas, il pouvait arriver que nous passions deux heures et demie à plancher sur trois ou quatre secondes de musique. On ne peut pas imaginer la quantité d’information ou de coups de batterie qu’on peut mettre dans quatre secondes [petits rires]. Il pouvait faire ça. Il dit : « Non, à cet endroit, il faut que ceci change. Tu dois frapper une cymbale ici. » Sa façon de diriger et le niveau de détails qu’on retrouve dans certains courts morceaux de musique sont hallucinants. J’ai appris ça durant Fantômas. On apprécie son talent artistique pour ça.
« L’une des choses que j’ai apprises de Patton est qu’il faut être soi-même, faire ce qui nous ressemble, et ne pas avoir peur de s’exprimer sous n’importe quelle forme créative. »
Tu as aujourd’hui Fantômas, Dead Cross, Mr. Bungle, les Misfits, Venamoris et Empire State Bastard. Même si certains de ces groupes ne sont pas très actifs, ça fait beaucoup, et ça devient assez dur de te suivre. Sans même parler de tes boulots ponctuels, comme avec l’enregistrement de Metal II pour Annihilator. Es-tu un boulimique musical ?
[Rires] Eh bien, je pense que j’ai un emploi du temps parfaitement équilibré maintenant. Aujourd’hui, je me concentre sur Mr. Bungle – nous avons quelques tournées –, les Misfits et Empire State Bastard. J’attends de voir ce que nous allons faire avec Dead Cross – j’espère que nous pourrons tourner un peu, mais il va falloir que je discute avec Patton, car c’est aussi le chanteur dans ce groupe. Je suis avec les Misfits depuis 2016, et Mr. Bungle depuis 2018, je crois – en tout cas, je tourne avec eux depuis. Je ne pense pas être boulimique, parce que je sais quand arrêter – je sais quand arrêter de manger [rires]. Ce que j’aime, c’est être actif et créatif, et je crois que lorsqu’on est dans plusieurs groupes différents, ça permet à cette créativité de toujours rester fraîche. Dès que je joue… Par exemple, j’ai fait un concert avec John Zorn le 2 avril dernier à Knoxville dans le Tennessee – c’était un grand festival là-bas. Après ce concert, j’étais vraiment excité, heureux, tout s’est super bien passé, et maintenant je suis passé à autre chose et je suis en mode Mr. Bungle. J’ai un bon équilibre. Ce n’est pas vraiment de la boulimie, ce n’est pas comme si j’étais là à vouloir, vouloir, vouloir. Non. Il y a des fois où je ne peux pas faire tout ce que je veux. Je dois me limiter, autrement on ne peut pas vraiment se concentrer et donner tout ce qu’on a.
Une chance de voir un nouvel album de Mr. Bungle sortir un jour ?
J’espère ! Vraiment. Mais c’est plus une question pour Patton, le guitariste Trey [Spruance] et Trevor [Dunn]. C’est eux le Mr. Bungle original. Je suis très excité à l’idée que ça puisse arriver, et j’espère que ça se fera, mais il est clair que je n’en sais rien.
Tu avais rejoint Testament en 2022 pour remplacer à nouveau Gene Hoglan…
Oui, ils avaient besoin d’aide. Ce sont des amis chers. Je les connais depuis très longtemps, et quand j’ai appris que Gene ne tournait plus avec eux, je me suis dit : « Oh, j’ai du temps libre en 2022, je vais les contacter et peut-être que nous ferons une tournée ensemble ou autre. » Et c’est ce qui s’est passé. Nous avons fait une série de concerts en Amérique et en Europe, mais malheureusement, cette année, ça n’a pas été si simple, car tous mes autres groupes sont en train de revenir, Mr. Bungle et les Misfits jouent, et nous avions des problèmes d’emploi du temps. Je ne les rejoindrai donc pas cette année, pour aucune tournée, à cause des conflits avec mes groupes actuels. C’est dommage, mais ils savaient que j’avais tous ces groupes. Comme l’a dit Chuck Billy : « Nous n’avons pas appelé Dave parce qu’il est dans énormément de groupes. » Sans surprise, nous voilà en 2023 et ce n’était pas possible pour l’Amérique du Sud et il y a des tournées US, j’ai dit : « Les gars, il faut que j’arrête. » Nous nous sommes amusés, c’était super, mais malheureusement, les emplois du temps et les autres groupes avec lesquels je travaille commencent à prendre de l’ampleur.
L’album The Gathering, le seul sur lequel tu as joué, est immédiatement devenu un classique. Quels sont tes souvenirs de cette époque ?
D’abord, j’adore cet album. Il est génial et je suis content que nous ayons pu en jouer quelques chansons. J’aurais aimé que nous en jouions plus sur la tournée. Ce dont je me souviens de cette période… Je me souviens d’Eric qui vient me chercher à l’hôtel pour aller prendre notre café et nos petites viennoiseries le matin, avant que j’aille travailler et m’éclater avec les gars. C’était une superbe expérience, semblable à celle que nous avons vécue sur le cycle de tournées que nous avons fait en 2022. C’était très amusant. Je n’ai que des souvenirs très positifs.
Evidemment, Slayer a été une part importante de ta carrière, mais aussi une avec laquelle tu sembles avoir eu une relation complexe, vu que tu es venu et parti à deux reprises. Qu’est-ce que ça t’a fait quand ils ont décidé de prendre leur retraite ?
J’étais au courant. Je sais que Tom [Araya] voulait prendre sa retraite en 2011 et 2012. Tom proférait des mots tels que : « Je suis fatigué, je ne veux plus tourner », dès cette époque. Donc ce n’était pas du tout une surprise. En fait, je suis content pour lui, car c’est ce qu’il souhaitait.
« Quand nous travaillions sur Fantômas, il pouvait arriver que nous passions deux heures et demie à plancher sur trois ou quatre secondes de musique. »
Maintenant, passons en revue certains des groupes et projets principaux dont tu as fait partie. Je les mentionne et tu me dis juste ce qui te vient en tête, en quelques phrases. En commençant par Slayer justement.
La première chose qui me vient à l’esprit est que c’était l’un de mes premiers groupes quand j’étais gamin. J’avais dix-sept ans quand j’ai rejoint Slayer.
Grip Inc.
Ouah. Après avoir quitté Slayer en 92, j’ai voulu créer un groupe qui déchirerait et qui sonnerait vraiment bien. J’avais un très bon chanteur et un guitariste-producteur extraordinaire. C’était donc mon retour dans la scène après mon départ de Slayer.
Fantômas.
Les portes créatives dans mon esprit se sont ouvertes !
Testament.
C’était le groupe dans lequel j’ai joué dans les années 90. Il a montré aux gens que j’étais toujours dans le thrash, que j’aimais toujours mes racines musicales.
Suicidal Tendencies.
C’est génial. Ça m’a ramené au groove et au punk, et il y avait une âme. C’était un petit peu funky. C’était super. J’adore ce groupe. J’adore travailler avec Suicidal.
Dead Cross.
C’était une période intéressante. J’avais un autre groupe qui a pris fin, et miraculeusement, j’ai rencontré Justin Pearson, Mike Crain et – repose en paix – Gabe Serbian qui est décédé en 2022. Ce groupe était et est toujours une puissante force.
Philm.
Il n’y a vraiment rien à dire à propos de ce groupe. Il s’est désagrégé. Je suis sur de meilleurs et plus gros trucs aujourd’hui.
Mr. Bungle.
Des légendes ! J’adore ce groupe. Et maintenant, avec Scott Ian dans le groupe, c’est génial. Je suis honoré qu’on m’ait demandé de jouer ces chansons.
Venamoris.
J’adore ! C’est encore une autre facette de Dave Lombardo. Je peux produire et jouer aux balais et en rimshots. Je peux jouer des ballades pop avec beaucoup de douceur. C’est un petit peu comme Portishead ou Halsey. Il y a une chanteuse. Je suis fier de ma femme qui fait les paroles et la musique pour ce projet. Nous avons beaucoup discuté, je voulais qu’elle crée, j’ai dit : « Tu dois créer comme tu le sens, pas comme quiconque par le passé t’a dit de le faire. Sois toi. Sois unique. » Et c’est ce qu’elle a fait. Un jour elle s’est réveillée et a commencé à écrire. J’ai dit : « Faisons-le. Enregistrons ça. Allez, ça sort ! Capturons-le. » Je suis donc excité pour elle et pour nous. Nous sommes pratiquement prêts à sortir un autre album. Il est un petit peu plus heavy. Il est un petit peu différent. Il est unique. C’est vraiment amusant.
Empire State Bastard.
Oh oui. Pour expliquer rapidement, en 2020, j’ai reçu une cassette démo de musiciens en Angleterre et ils m’ont contacté par hasard. Ils ont dit : « Oh, essayons de contacter Dave Lombardo pour voir s’il le ferait. » J’ai adoré la musique, ils m’ont envoyé les fichiers, et j’ai enregistré toutes les parties de batterie durant la pandémie. Nous allons sortir un album plus tard cette année. C’est brutal, c’est excitant, c’est frais, c’est nouveau et c’est exigeant pour moi musicalement à cause de tous les changements de métrique. C’est un petit peu complexe, mais très fun. J’aime le fait que les musiciens soient très populaires dans leur groupe Biffy Clyro en Angleterre, mais le chanteur et le guitariste voulaient créer quelque chose d’hardcore. C’est très excitant pour moi et je suis content qu’ils aient fait quelque chose comme ça et m’aient demandé.
Interview réalisée par téléphone le 13 avril 2023 par Nicolas Gricourt.
Retranscription & traduction : Nicolas Gricourt.
Photos : Ekaterina Gorbacheva.
Facebook officiel de Dave Lombardo : www.facebook.com/thedavelombardo
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