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Interview   

Empire State Bastard : la rage au sommet


Désormais bien installé après plus de vingt ans de carrière au sein du groupe de rock Biffy Clyro au succès retentissant, Simon Neil pourrait facilement s’en contenter et se laisser porter par la routine. C’est sans compter sur la passion qui l’anime toujours, en particulier pour les musiques les plus heavy. Ainsi est née dans son esprit et celui de Mike Vennart – guitariste live de Biffy Clyro et frontman du défunt groupe de rock progressif Oceansize – l’idée d’Empire State Bastard. L’objectif : créer une musique extrême qui pioche aussi bien dans le math rock ou le grindcore que dans le sludge et le stoner, avec Mike à la guitare et à la composition, et Simon aux hurlements, s’adjoignant les services du grand Dave Lombrardo à la batterie, et rejoints en live par la bassiste Naomi Macleod.

C’est donc une autre facette de Simon et Mike que l’on découvre à l’écoute de ce premier album, intitulé Rivers Of Heresy, torturée, chaotique, violente voire déglinguée, loin des élans mélodiques de leur groupe principal, de quoi exprimer et refléter leurs frustrations et colère face à un monde tout aussi violent et déglingué. Le duo nous en parle ci-après, affichant une complicité évidente.

« La référence à l’Empire State Building contribue à une certaine iconographie ; c’est quelque chose de puissant, qui évoque un certain lieu sur la planète. Mais nous sommes une version bien plus crasseuse de ça. Nous sommes tout le contraire d’un trésor national – nous sommes une honte nationale ! [Rires] »

Radio Metal : Mike, tu es le guitariste live de Biffy Clyro depuis 2010, mais votre amitié remonte à un concert où Oceansize et Biffy Clyro ont partagé l’affiche à Manchester. Selon toi, qu’est-ce qui a accroché entre vous deux ce soir-là ?

Mike Vennart (guitare) : Le truc marrant avec cette soirée, dont je me souviens très bien, c’est qu’Oceansize, mon ancien groupe, s’apprêtait à signer chez Beggars Banquet, et Biffy était le nouveau groupe qu’ils lançaient. J’avais entendu le nom, mais je n’avais aucune idée du genre de groupe dont il s’agissait. Je me suis dit que le nom sonnait un peu gallois, qu’ils allaient être plutôt acoustiques, un peu psychédéliques – et je n’aurais pas pu me planter davantage. Nous avons joué, ils ont joué après nous, et c’était un putain de groupe de rock absolument dingue, bruyant, suant, hurlant et barré. Très progressif, très changeant, très angulaire. Et il y avait apparemment trois mecs pour assurer le chant lead. Je ne crois pas avoir jamais vu un truc pareil. Je suis devenu fan à ce moment-là, du genre : « Putain, c’est quoi ce truc ?! Ça ne ressemble à rien de ce que je connais ! »

Simon Neil (chant) : Pareil pour moi. Quand tu as cet âge-là et que tu joues, tu as l’impression d’être le meilleur musicien de tous les temps – ce qui est ce que tout jeune musicien devrait ressentir. Quand nous avons joué avec Oceansize, Mike était le premier frontman guitariste dont je me suis dit qu’il en savait plus que moi, et j’ai eu l’impression que je pourrais peut-être apprendre quelque chose de lui. À ce moment-là, j’avais la petite vingtaine et j’avais l’impression que je savais tout. Quand Mike et moi avons commencé à discuter, nous nous sommes rendu compte que nous étions inspirés par les mêmes choses, que nous étions poussés par notre amour de la musique, et que nous avions aussi un peu d’ego. Je crois que c’est important d’établir ça, parce que, quand j’ai vu Oceansize, je me suis dit : « Merde, c’est le meilleur groupe avec lequel on ait jamais joué. » Ça m’a intimidé, puis inspiré et motivé. Heureusement, nous ne sommes pas compétitifs. Nous savions que nous voulions partager notre amour de la musique et faire connaître des groupes à l’autre. Je ne savais pas quel était le parcours de Mike en matière de musique, et sans doute vice versa. Je crois que nous étions un peu perplexes quant au parcours l’un de l’autre, ce qui est très excitant. La musique doit te pousser à te poser des questions, et c’est absolument ce qu’Oceansize a fait.

Mike : Nous étions tellement en admiration devant Biffy qu’il n’y avait aucune compétition. Nous étions fans de ces gars, et nous avons voulu devenir aussi bons qu’eux.

Aujourd’hui, vous êtes de retour avec Empire State Bastard. Comment vous êtes-vous alliés pour ce nouveau projet ? Quel a été le catalyseur ?

Simon : Nous avons eu la chance de passer des années ensemble sur la route et dans le tour bus. Mike et moi venons tous les deux du côté heavy de la musique. Mes premières amours étaient Metallica, Pantera, Anthrax, des trucs comme ça. Mike était un peu pareil, avec Slayer, notamment. C’est la musique la plus heavy qui m’a toujours parlé. Je viens d’un tout petit coin, du coup, quand je trouvais une petite communauté qui me donnait l’impression d’être spéciale, je voulais en faire partie. En gros, Mike et moi avons commencé à nous jouer mutuellement des disques au fil des années, à chercher la musique la plus rapide possible, les trucs les plus extrêmes, les plus lents et les plus heavy, et à dire : « Écoute à quel point ce truc est dément ! Écoute comment c’est heavy ! » Après quelques années passées à faire ça, nous savions que nous voulions faire de la musique ensemble, mais nous n’étions pas sûrs du style. Mike a sorti ses propres albums ces dernières années, et j’ai été occupé avec Biffy. Nous savions que, quand le moment serait venu, nous ferions de la musique ensemble, mais c’est parti de notre amour partagé de la musique extrême et de la musique d’outsiders, qui n’a fait que grandir et se développer. Faire de la musique ensemble était une évidence. Quand la pandémie est arrivée, nous avons finalement eu le temps d’en discuter et de nous y consacrer. Nous ne voulions pas faire les choses de manière désinvolte ou cavalière. Il fallait que ce soit quelque chose qui compte. Nous avons attendu longtemps et c’est très important pour nous. Ça nous a pris quelque chose comme cinq ou dix ans pour que l’idée se transforme en groupe.

Vous avez déclaré que vous avez « toujours su que si [vous faisiez] un album vraiment heavy, le groupe s’appellerait Empire State Bastard ». Cela sonne évidemment comme une référence au célèbre Empire State Building, mais que mettez-vous derrière ce nom ?

Simon : Pour moi, c’est un nom déplaisant qui évoque la puissance et l’échelle de la musique que nous faisons, mais c’est aussi un nom iconoclaste. Avec la musique que nous nous efforçons de créer, nous n’essayons pas d’imiter les disques de metal classiques. Nous voulons faire quelque chose qui soit nouveau et tordu pour nous. La référence à l’Empire State Building contribue à une certaine iconographie ; c’est quelque chose de puissant, qui évoque un certain lieu sur la planète. Mais nous sommes une version bien plus crasseuse de ça. Nous sommes la version plus sombre et plus désagréable. Nous sommes tout le contraire d’un trésor national – nous sommes une honte nationale ! [Rires]

« La frustration face à tout ce qui se passe est toujours là pour nous, mais elle est contrebalancée par le plaisir que nous avons à partager la musique. Du coup, nous sommes dans une position un peu bizarre : furieux, mais très heureux [rires]. »

Bien que le point commun des chansons semble être l’idée d’annihilation sonore, les approches sont assez diverses et vont des chansons punk au quasi math rock, en passant par le sludge et le stoner. Le processus a-t-il été aussi chaotique que l’album ne sonne ?

Mike : Non, c’est juste que, quand j’ai commencé à envoyer quelques idées à Simon, il a su immédiatement où nous devions aller. Je me suis donné pour objectif d’écrire autant de trucs différents que possible. Pour être honnête, l’instrument principal dans cet album est la guitare. Je n’écris généralement pas à la guitare, mais là, j’étais très inspiré. Trouver certains sons de guitare ou certains bruits a vraiment orienté la façon dont j’allais jouer. Tout a été guidé par ces bruits. Du coup, certaines chansons sont assez sludgy, tandis que d’autres sont assez rapides et hachées. De ce point de vue, nous avons tout essayé. Nous avons balancé tout ce que nous pouvions et la plupart des choses ont pris.

Simon : Je pense que ça en dit long sur la quantité d’influences différentes que nous avons et sur le jeu de Mike. Nous avons une vie de musique extrême derrière nous, et nous voulions rendre hommage à tout ce que nous aimons. Il fallait que toutes les chansons soient absolument vitales pour nous. Il fallait que chaque chanson ait une personnalité légèrement nouvelle. J’adore les albums très homogènes, mais nous ne voulions pas que ce soit le cas pour celui-ci. Nous voulions que ce soit un album heavy, en trois dimensions, qui tire ses influences de Black Sabbath ou Sleep, mais aussi de Converge, Siege ou Napalm Death, tout en apportant quelques touches électroniques et en essayant de rendre le côté heavy un peu plus psychédélique. Nous voulions que l’album soit méditatif à certains moments, et que tu aies l’impression de te prendre un coup de poing dans la gueule à d’autres. Nous voulions vraiment rassembler toutes les émotions de la musique heavy. Je crois que c’est grâce aux influences de Mike et à son jeu de guitare que nous avons obtenu une telle profondeur. C’était un vrai plaisir pour moi. Les chansons m’ont guidé en tant que chanteur. Elles m’ont dit quand elles avaient besoin d’un peu de mélodie, quand il fallait agresser l’auditeur et quand il fallait laisser la musique s’exprimer. C’était aussi peu réfléchi que possible, mais il fallait que chaque moment compte pour nous, si les deux notions ne sont pas trop contradictoires.

Mike : Je crois que nous sommes tous les deux extrêmement éclectiques. Biffy est un groupe incroyablement éclectique. Il s’y passe tellement de choses. Tu peux arriver à la quatrième chanson d’un album de Biffy et n’avoir toujours aucune idée du style du groupe à ce moment précis. J’ai toujours adoré les albums comme ça, qui brouillent les pistes en permanence. J’ai l’impression que c’est la même chose ici, mais dans le même temps, comme avec tous nos albums, il y a un thème commun et ce n’est pas une simple compilation des plus grands tubes. Pas du tout, même ! [Rires]

Simon, tu nous as expliqué l’idée derrière le nom du groupe. Mike, tu as déclaré que vous aviez « pour objectif de faire la musique la plus dégueulasse et malveillante possible – de la haine pure sous forme musicale ». A-t-il été difficile d’être fidèles à cet ordre de mission ?

Simon : Pas autant que ça aurait dû l’être.

Mike : Nous disons toujours que, si tu cherches l’inspiration, tu n’as pas à aller bien loin. Il suffit de passer deux minutes sur les réseaux sociaux, et ta tension augmente presque tout de suite. Essayer de canaliser ça à la guitare et savoir que je devais impressionner Simon et le faire bander avec la musique, ça a suffi à m’exciter.

Simon : Rien ne me fait bander autant qu’un peu de colère, Mike ! [Rires] Mais comme il vient de le dire, il se passe tellement de choses, de nos jours – et en France, vous passez un mauvais moment. Il y a une telle distance entre le gouvernement et le peuple, et c’est exactement pareil ici. Malheureusement, au Royaume-Uni, on est sur une pente savonneuse après le Brexit et Boris Johnson. En ce moment, c’est difficile de trouver des choses qui donnent envie d’être positif. Nous voulons rester optimistes. Je n’aime pas être trop cynique à propos de tout. J’espère que les choses vont commencer à s’améliorer d’ici un an ou deux. Mais quand nous étions en train de travailler sur cet album, entre la pandémie, le Brexit, tout ce qui se passait, les gens qui mouraient, [la colère] était très facile à canaliser. Je ne veux pas que ça sonne comme un cliché, mais c’était le réceptacle le plus sain pour toute cette rage. Le monde entier était coincé à la maison et essayait de comprendre ce qui se passait et la façon dont le monde était en train de changer. La première chose qui s’est passée après la pandémie, c’est l’invasion de l’Ukraine par la Russie, ce qui a été une surprise pour tout le monde, je crois. Donc, malheureusement, c’est trop facile de canaliser la colère. J’espère que, à l’avenir, nous aurons quelque chose d’un peu plus positif à exprimer. Empire State Bastard n’est peut-être pas le groupe pour exprimer la joie, mais tant que nous n’avons pas de quoi être heureux, nous continuerons à apporter la colère. Elle est toujours là. La frustration face à tout ce qui se passe est toujours là pour nous, mais elle est contrebalancée par le plaisir que nous avons à partager la musique. Du coup, nous sommes dans une position un peu bizarre : furieux, mais très heureux [rires].

« Je pense que certaines des personnes les plus saines au monde sont celles qui font de la musique très heavy et très extrême, parce qu’elles ont un équilibre et un exutoire. Je m’inquiète pour les gens qui n’ont pas d’exutoire de nos jours, parce qu’il faut évacuer toutes les frustrations du corps. »

Faire de cette musique une sorte de punching-ball faisait-il partie de la motivation ?

Ensemble : Oui !

Simon : Pour différentes raisons, je pense. Il fallait que j’exprime ma frustration et ma rage de façon très primale. Je m’exprime toujours à travers la musique, et je sais que Mike est comme moi. Quand j’écris pour Biffy, c’est toujours très mélodique ; même quand c’est heavy, ça reste mélodique. Là, j’ai pu me concentrer sur l’émotion et ne pas me soucier de rendre la musique jolie, voire ne pas lui donner de sens. C’était une explosion d’émotion et de rage. C’était la principale motivation de Mike : il était très frustré par beaucoup de choses et avait besoin d’un exutoire sain. Je pense que certaines des personnes les plus saines au monde sont celles qui font de la musique très heavy et très extrême, parce qu’elles ont un équilibre et un exutoire. Je m’inquiète pour les gens qui n’ont pas d’exutoire de nos jours, parce qu’il faut évacuer toutes les frustrations du corps. C’est super de faire des concerts et des festivals, parce qu’on voit que le public comprend notre frustration tout en ayant une sorte d’esprit communautaire, ce qui est un vrai cadeau en soi.

Mike : C’est clairement l’album le plus cathartique que j’aie jamais fait. Avant, quand je me sentais un peu morose, je mettais de la musique qui allait avec ça. Aujourd’hui, ça ne fonctionne plus du tout. Du coup, je mets The Melvins à fond et je me sens tout de suite mieux quand je suis un peu au fond du trou, ou quand je suis frustré et énervé. Comme je l’ai dit, il y a beaucoup de raisons d’être énervé à l’heure actuelle. On vit dans un monde qui est presque intégralement à droite. Il n’y a plus de compassion, et il n’a pas l’air d’y avoir de porte de sortie. Je ne connais personne qui pense comme ça, donc comment se fait-il qu’on soit dirigés de cette façon ? Le fil rouge, dans cette histoire, c’était toute cette frustration face à l’état du monde. Je me sens totalement impuissant mais incroyablement inquiet.

Au niveau des paroles, Simon, tu as déclaré que c’était « ce que [tu as] écrit de plus misanthropique et de plus nihiliste ». As-tu accumulé et peut-être réprimé beaucoup de colère et de frustration au fil des années que tu n’avais pas la possibilité d’exprimer avec Biffy Clyro ?

Simon : Je n’ai pas consciemment réprimé quelque sentiment que ce soit. Quand nous avons commencé à travailler sur ce projet, j’ai réalisé que j’avais beaucoup de choses à dire, mais que ces choses ne collaient pas nécessairement aux thèmes de Biffy. Quand j’écris pour Biffy, ça vient davantage du cœur. Je crois que tout revient toujours à mon cœur, tandis que là, j’ai davantage utilisé ma tête. Je pense que j’ai toujours eu ça en moi. J’ai toujours voulu faire un album comme ça, mais j’aurais eu du mal à l’articuler s’il n’y avait pas eu la pandémie, le Brexit et tout le reste. Plutôt que de balancer ma frustration de façon irréfléchie, il était très important pour moi d’avoir le sentiment que je devais exprimer quelque chose que j’avais dans mon corps et dans mon âme à ce moment précis. Donc je n’ai pas l’impression d’avoir réprimé quoi que ce soit. C’est juste que je n’avais peut-être pas cet exutoire et que je n’avais pas réalisé que j’en avais besoin. Ces dernières années, Biffy a sorti trois albums, et j’avais l’impression qu’ils exprimaient tout ce que j’avais à dire. Mais quand Mike m’a envoyé la musique, je me suis dit : « Non, ça va au-delà de ce que je peux exprimer avec Biffy. » Je me contredis un peu, mais je n’aime pas me montrer désespéré dans Biffy. J’aime qu’il y ait toujours un peu d’espoir, un peu de romance, tandis que cet album est plus cynique et laisse entendre que c’est le bordel partout – ce qui est le cas – plutôt que d’essayer de trouver le côté positif. Il y a zéro optimisme dans cet album. Je pense que la différence est là.

Ta contribution à l’album se limite presque exclusivement au chant. Pourquoi avoir choisi de te concentrer là-dessus et de laisser Mike s’occuper du reste ? Voyais-tu comme un défi le fait de te plonger pleinement dans le côté vocal ?

Mike : Il a aussi apporté l’influence des Pet Shop Boys, il ne faut pas l’oublier !

Simon : [Rires] J’apporte les pires influences ! La raison principale, c’est que, quand je prends une guitare pour écrire une chanson ou un riff, ça sonne comme du Biffy. J’ai écrit quelque chose comme cent-quatre-vingts chansons pour Biffy, et quoi que je fasse, ça sonne comme du Biffy. Je ne voulais pas que cet album sonne comme une autre version de ce que j’ai fait avant. Ces dernières années, avant de monter sur scène, par exemple, j’ai entendu Mike jouer quelques-uns des riffs les plus dingues que j’aie jamais entendus à la guitare. J’ai su très tôt que je ne voulais pas injecter ma guitare là-dedans. Je savais que Mike avait des années de trucs à exprimer, des années d’influence et d’inspiration, et pour moi, ça permettait de séparer cet album de Biffy. Recevoir une chanson et ajouter un petit quelque chose à un morceau existant était très libérateur pour moi. Je me suis dit que je pouvais simplement approcher la musique en tant que chanteur. J’avais quelques idées de clavier à la con, mais les chansons étaient monolithiques. Elles étaient importantes avant même que je les entende. Je dirais que c’est la principale différence, mais c’était une décision consciente. Je voulais sentir une différence sur scène, aussi. Si je monte sur scène avec une guitare, j’ai l’impression que je suis le frontman de Biffy, parce que ça fait vingt ans que je fais ça. Je veux me sentir mal à l’aise, pas à ma place. Je veux me sentir neuf. Je veux avoir l’impression que je ne sais pas ce qui va se passer. Je sais que Mike veut ressentir la même chose. C’était notre principal objectif, et j’ai l’impression que nous l’avons atteint, juste histoire de maintenir les groupes aussi distincts que possible.

« L’objectif était de m’exprimer de la façon la plus brute possible. C’est de la catharsis pure. C’est ma voix que tu entends se faire annihiler sur cet album. Ça m’a fait un mal de chien sur le coup, mais au moins c’est une représentation honnête de ce que je ressens. »

Tu hurles vraiment comme un malade sur la plupart de ces chansons. Comment as-tu abordé ça ? As-tu appris certaines techniques – comme l’art de ne pas te détruire les cordes vocales –, t’es-tu inspiré d’autres hurleurs ou as-tu simplement suivi ton intuition ?

Simon : Deux de mes hurleurs favoris de tous les temps sont Jacob Bannon de Converge et Grady Avenell de Will Haven. Ce sont deux chanteurs des années 90, et j’ai toujours admiré leur façon de hurler. Ce que je n’avais pas réalisé, c’est qu’il y a une technique [rires]. Du coup, j’ai enregistré cet album et je me suis totalement détruit la voix. J’ai fait toutes les chansons en quinze jours ; j’ai à peine parlé, je me suis contenté de hurler pendant deux semaines. Maintenant que nous faisons des concerts, j’essaie d’adapter une technique pour avoir plus d’endurance. Mais pour l’album, l’objectif était de m’exprimer de la façon la plus brute possible. C’est de la catharsis pure. C’est ma voix que tu entends se faire annihiler sur cet album. Ça m’a fait un mal de chien sur le coup, mais au moins c’est une représentation honnête de ce que je ressens. Il n’y aucune performance là-dessus, il n’y a que moi hurlant aussi fort que possible et essayant de cracher mes poumons et ma trachée. Depuis, nous avons fait des concerts et j’essaie d’apprendre une technique qui me permette d’en donner plus qu’un à la suite [rires]. J’ai appris à la dure. Oui, je hurle un peu différemment aujourd’hui, mais sur l’album, c’est de la rage primale. Il n’y a aucun filtre sur ce disque, juste la pure dégradation de ma voix.

Mike : Le plus important pour moi, ça a été de comprendre que Simon voulait vraiment juste hurler à s’en faire péter les cordes vocales. Une fois que j’ai compris ça, il n’y avait qu’une seule direction possible. Jusqu’à présent, j’avais essayé de lui présenter différents trucs. Il y avait deux ou trois idées qui sonnaient comme du Cardiacs, et d’autres plus industrielles. Mais une fois que j’ai tilté qu’il voulait juste se péter la voix, il fallait forcément que ce soit heavy à mort. C’est comme ça que nous en sommes arrivés là.

Il y a quelque chose de très Patton-esque dans l’approche musicale, y compris dans le chant. Que représente Mike Patton pour vous ? Quelle influence a-t-il exercée sur ce projet ? Se pourrait-il même que ce soit à cause de lui que vous avez demandé à Dave Lombardo – qui a collaboré avec Mike Patton sur Fantômas, Dead Cross et maintenant Mr. Bungle – d’assurer la batterie ?

Mike : Je ne chante même pas sur l’album, mais quand je le fais, c’est effectivement ma plus grosse influence, c’est sûr et certain. Je ne trouvais pas que la musique sonnait comme lui, mais si tu le dis, je prends.

Simon : La vie de Mike a changé quand il avait quinze ans et qu’il a vu Faith No More jouer avec Guns N’ Roses. Ce n’est pas de Guns N’ Roses qu’il est tombé amoureux, c’est de Faith No More. Pour moi, Fantômas est l’un des groupes les plus envoûtants et les plus majestueux qui aient jamais existé. Je crois que nous admirons tout ce que Patton a fait au fil des années. C’est difficile d’aimer tout ce qu’il fait, parce qu’il est très éclectique, mais chacun de ses projets a un but, et il essaie de dire quelque chose d’un point de vue artistique. Du coup, je dirais que c’est une de nos références absolues. J’aimerais bien pouvoir chanter sur huit octaves comme lui. Je doute qu’il ait jamais eu mal à la gorge, la putain de différence est là ! Énorme influence. Je crois que Dave Lombardo, c’était beaucoup plus Slayer. Le fait qu’il ait travaillé avec Patton veut dire qu’il a un côté expérimental. Il travaille avec John Zorn et il pourrait retourner jouer dans The Misfits, qui n’est jamais que du putain de punk rock. Tout ce qu’a fait Lombardo nous parlait, mais c’est vraiment son jeu sur les premiers albums de Slayer qui nous a convaincus que c’était le batteur idéal pour cet album. Le fait qu’il ait autant de bouteille en matière de musique expérimentale est un bonus. C’est difficile de trouver quelqu’un qui joue de la musique depuis si longtemps mais qui est toujours à la recherche de nouvelles choses pour l’inspirer. C’est pour ça qu’il est tellement inspirant en retour – parce qu’il ne s’est jamais reposé sur ses lauriers. Mais oui, Patton, toujours, tout le temps. Merci pour tout ce que vous faites, M. Patton.

L’album comporte un duo chant/batterie sur « Tired, Aye », ce qui est assez inhabituel. Comment vous est venue l’idée de supprimer les guitares et la basse sur ce titre ?

Simon : C’est très marrant. J’ai toujours voulu faire un duo batterie et hurlements. J’ai toujours voulu le faire, mais je n’avais jamais vraiment réussi à écrire des rythmes qui pourraient fonctionner. Puis Mike m’a envoyé cette chanson, et pour une raison quelconque, je me suis dit : « C’est ça, c’est cette chanson. » Du coup, j’ai supprimé les guitares. Il existe une super version de cette chanson avec des guitares, que nous sortirons à un moment ou à un autre. J’ai su dès que j’ai entendu la chanson. Je crois que j’ai envoyé un mail à Mike immédiatement pour lui demander : « Mike, est-ce que je peux faire ça sans guitare ? » Il m’a répondu : « Peut-être. C’est une idée tordue, mais je te fais confiance, vas-y. » C’est tellement ridicule. C’est super intense. Je voulais vraiment pousser ce que nous faisons en tant que groupe à la limite absolue. Je suis surpris que personne ne l’ait vraiment fait avant. C’est grâce aux compositions géniales de Mike. Les riffs et les motifs de batterie de cette chanson sont hyper complexes, mais chaque moment est essentiel et l’arrangement est formidable. C’était la réalisation de tous mes rêves les plus rock’n’roll. Quand nous la jouons en live, tout le monde se met à hurler, et c’est tellement intense et déroutant. Le public nous regarde avec l’air de se dire : « Hein ? Vous n’allez pas jouer vos putains de guitares ? » J’adore ça. Même aujourd’hui, après si longtemps à faire de la musique, nous nous demandons toujours si c’est la meilleure ou la pire idée que nous ayons jamais eue. Pour être honnête, je pense que tout devrait se trouver dans cette échelle. Tout devrait être soit la pire soit la meilleure chose de tous les temps ; c’est comme ça que tu fais quelque chose d’important. C’était un rêve que j’avais depuis longtemps et nous l’avons fait, donc je suis ravi que tu en parles.

« Nous nous demandons toujours si c’est la meilleure ou la pire idée que nous ayons jamais eue. Pour être honnête, je pense que tout devrait se trouver dans cette échelle. Tout devrait être soit la pire soit la meilleure chose de tous les temps ; c’est comme ça que tu fais quelque chose d’important. »

Mike : C’est l’une de mes chansons préférées sur l’album, et je ne suis même pas dessus. Mais quand la version avec guitares sortira, je serai content. Je le suis déjà, mais les riffs sur cette chanson sont juste monstrueux.

Simon : Oui, c’est presque une chanson différente.

La biographie promotionnelle déclare que vous étiez « lassés du metal de stade ». Avez-vous le sentiment que le metal a perdu le sens du danger et de la rébellion avec le temps ?

Mike : Nous avons joué dans plusieurs festivals au fil des années, et par bien des aspects, j’avais l’impression que tout avait déjà été fait, que le meilleur était passé. Ce n’est que quand je suis allé au Roadburn, aux Pays-Bas, que j’ai réalisé qu’il existait une scène metal psychédélique underground que je ne connaissais pas du tout. Elle a toujours été là, mais j’ai compris qu’elle n’était pas vraiment bien considérée dans les échelons les plus élevés de la scène metal, et que si je voulais me renseigner davantage, j’allais devoir faire un vrai effort.

Simon : Il y a toujours de l’intérêt, ce n’est pas une inquiétude avec le metal. C’est la même chose avec la musique rock en général : c’est génial que les gros groupes soient populaires et répandent la bonne parole, mais ce ne sont pas toujours les groupes les plus inspirants. Nous sommes toujours attirés par ce qui est moins conventionnel. Je pense que ce qui nous plaît dans la musique heavy que nous aimons, c’est que ça a l’air réel, ça a l’air d’avoir une âme. Nous ne sommes pas du tout attirés par les disques qui ont l’air d’avoir été réalisés entièrement sur ordinateur. Je veux entendre la salle d’enregistrement, je veux entendre de la vraie distorsion. Je veux qu’il y ait un poids. L’une de nos devises était que nous ne voulions pas faire un album de metal à effets spéciaux, où tout sonne absolument parfait. Ça ne nous intéresse pas du tout. Il y a absolument une place pour ce genre de musique. Je veux dire, j’adore Meshuggah, mais ils jouent vraiment, ce n’est pas un ordinateur. Ils jouent vraiment leur putain de musique. C’est une question d’authenticité, et après plusieurs décennies à faire de la musique, écouter de la musique et être fan de musique, tu sais quels groupes ont une vraie passion pour ce qu’ils font. Ce qui nous attire le plus, ce sont les choses moins conventionnelles et plus authentiques ; c’est la partie la plus importante. Nous sommes devenus adultes dans les années 90, l’époque à laquelle sont sortis certains des meilleurs albums de metal et de hard rock. Nous avons la chance d’avoir une période magnifique que nous pouvons contempler, et nous voulons marquer le début d’une nouvelle ère [rires].

Mike : Je crois qu’il est important d’avoir ce que j’appelle du « metal brassière de sport », un truc qui permette aux jeunes qui aiment la pop aujourd’hui d’aimer le rock demain. Il faut trouver un groupe qui soit un bon tremplin. Pour moi, ça a été Iron Maiden. Je continue d’aller voir Iron Maiden. Je les ai vus trois fois rien que la semaine dernière, et c’était génial. Mais je dois admettre qu’il y a certaines choses qui ne sont pas pour moi. Je ne citerai pas de noms, mais ces espèces de Linkin Park modernes… Linkin Park n’était déjà pas pour moi à la base, mais ces nouveaux groupes qui débarquent et qui sonnent comme eux… C’est cool, ce n’est pas pour moi, mais j’espère qu’ils encourageront les gens à écouter d’autres choses de ce genre, des choses modernes.

Nous avons eu Dave Lombardo en interview il y a quelque temps, et à propos d’Empire State Bastard, il a déclaré : « J’aime le fait que les musiciens soient très populaires dans leur groupe Biffy Clyro en Angleterre, mais le chanteur et le guitariste voulaient créer quelque chose de hardcore. » Comment votre fanbase réagit-elle à la brutalité ou, à tout le moins, à l’extrémité de ce projet ? Est-ce qu’ils la comprennent seulement ?

Simon : C’est cinquante-cinquante. Je pense qu’une partie de nos fans aime la musique extrême. Je ne suis pas surpris que ce ne soit pas pour tous les fans de Biffy. Nous faisons de la musique mélodique et accrocheuse. Peut-être que nous faisons du « rock brassière de sport », Mike. Je ne sais pas.

Mike : Certainement pas, mec !

Simon : Nous faisons du rock sex toy ! [Rires] C’est marrant parce que beaucoup de fans de Biffy sont venus aux premiers concerts. C’est incroyable. Nous avons beaucoup de chance avec nos fans, ils nous soutiennent tellement. Les gens veulent aimer, mais tout le monde n’y arrive pas. Je crois que certains ont été surpris quand j’ai décrit la musique comme heavy ; je pense que personne ne se doutait que ce serait à ce point. Ils savent à quoi s’attendre, maintenant, mais je dois dire que je ne me suis jamais senti aussi soutenu. Même les fans de Biffy qui n’aiment pas nous soutiennent. Je ne veux pas sonner comme un égomaniaque ou sortir des clichés, mais je suis tellement heureux que nous ayons des gens comme ça pour aimer notre musique, parce qu’ils la comprennent. Ils comprennent que c’est dans l’âme. C’est ton âme qui cherche quelque chose. C’est la nécessité de chercher de nouvelles choses et de se sentir inspiré. Je suis très reconnaissant du soutien que nous avons reçu, mais ce n’est vraiment pas pour tout le monde !

Mike : Je crois que dans l’ensemble, j’ai surtout apprécié l’absence de surprise du public. Les gens sont excités à l’idée de voir le groupe et ils sortiront peut-être du concert en se disant que ça faisait beaucoup pour eux, mais ils ne sont pas surpris. Bien sûr que Simon voulait faire un putain de groupe dans ce genre ; il se pète déjà les cordes vocales avec Biffy, et je sais que le public est totalement fan de ça. Genre : « Putain, ouais, j’adore quand il fait ça ! » Et maintenant, il est dans un groupe où c’est à peu près tout ce qu’il fait [rires].

Interview réalisée par téléphone le 11 juillet 2023 par Nicolas Gricourt.
Retranscription : Emilie Bardalou.
Traduction : Tiphaine Lombardelli.
Photos : Gavin Smart

Site officiel d’Empire State Bastard : empirestatebastard.com



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