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Interview   

Extreme : le jeu sacré


Être fan d’Extreme est aujourd’hui une affaire de patience. Si le groupe a connu une belle lancée dans la première moitié des années 90, avec notamment deux disques majeurs – Pornograffitti (1990) et III Sides To Every Story (1992) –, le temps s’est largement dilaté à partir de 1995. Pas moins de quinze années séparent Saudades De Rock (2008) et le nouvel album Six qui voit enfin le jour. La bonne nouvelle, c’est que le résultat est au rendez-vous avec tout ce qu’on aime chez Extreme : un disque éclectique, proposant à la fois du hard rock groovy et catchy, et de belles surprises. Extreme impressionne par son alchimie. Gary Cherone est plus en voix que jamais et Nuno Bettencourt… fait du Nuno. Il suffit de voir le buzz généré rien que par le solo du single « Rise » !

Ce n’est pas exagéré si nous disons que Six a tout de l’événement hard rock de l’année. Pour en parler, il fallait bien une interview conséquente. C’est donc avec Gary et Nuno que nous discutons de ce sixième disque et de sa diversité, mais aussi de jeu de guitare enflammé, du début des années 90, de célébrité, de « pilule rouge » et de « pilule bleue », de Van Halen (le groupe dans lequel Gary a fait un passage et le guitariste que Nuno admire), de Rihanna… Les sujets sont légion et l’échange passionnant.

« Les gars oublient parfois que quand je travaille sur un album, je fais l’ingénieur, je l’enregistre, je le produis et je le mixe. Donc quand ils pensent : ‘Ouah, Nuno y passe beaucoup de temps !’, c’est parce que je fais le boulot de quatre personnes. »

Radio Metal : Etant donné qu’on avait entendu parler d’un nouvel album d’Extreme dès 2010, comment se fait-il que Six ait finalement mis autant de temps à sortir ? C’est le plus grand écart que le groupe a connu entre deux albums, et pourtant, cette fois, il n’y a pas eu de séparation…

Gary Cherone (chant) : Tu as raison ! [Fait mine de se tirer une balle] Oui, il y a eu beaucoup d’arrêts-redémarrages dans la création de cet album. Je me souviens, en 2010, nous sortions de Saudades De Rock, nous avions fait quelques tournées, nous venions de sortir l’album live… C’était le plan, écrire de la musique. Nuno est parti avec Rihanna, ce qui a repoussé l’album. Puis nous étions impliqués dans différents pans de notre vie et de notre emploi du temps, mais s’il y a bien une chose qui ne s’est jamais arrêtée, c’est le fait que Nuno et moi écrivions. Que je sois en Californie ou que lui soit sur la côte est ou même que nous soyons séparés, nous avons continué de communiquer et composer. Nous avons donc beaucoup de musique. Ça n’excuse rien, mais je pense que nous faisions tous plein de choses différentes et il n’y avait pas d’urgence. Puis le Covid-19 est arrivé, et là nous avons ressenti une pression, et tout ce que je peux dire à nos fans est que nous sommes désolés que ça ait pris autant de temps [rires].

Treize ans pour arriver à Saudades De Rock, maintenant quinze ans pour Six : les fans d’Extreme ne sont-ils pas les fans les plus patients du monde ?

Gary : Oui ! Ce sont les plus patients et certainement les plus fidèles. Nous disons toujours que nous n’avons peut-être pas la quantité, que nous n’avons pas autant de fans que d’autres groupes, mais nos fans sont fidèles. Nous plaisantons maintenant en disant que nous avons battu le record de Guns N’ Roses avec Chinese Democracy. Nous détenons le record désormais [rires].

Nuno Bettencourt (guitare) : Après, si l’album n’était pas bon… Généralement, je ne lis jamais les commentaires. Les artistes sont les pires personnes qui soient quand il s’agit de lire des commentaires, car un artiste est une espèce qui peut remplir un stade entier avec quatre-vingt dix mille personnes, où tout le monde chante ses chansons, mais s’il y a un gars au troisième rang qui fait la grimace, les bras croisés toute la soirée, ça gâchera tout. C’est tout ce qu’on verra et on ne pensera qu’à ça. C’est ce qu’il se passe pour moi avec les commentaires, on pourrait avoir quatre-vingt-dix-neuf commentaires qui disent : « Vous êtes les meilleurs. L’album est super », et un gars qui dit : « C’est nul. Vous êtes à chier, c’est de la merde » et ce dernier est tout ce que je vais me rappeler [rires]. J’ai donc depuis longtemps arrêté de regarder les commentaires, parce qu’un artiste ne peut pas faire ça. « Pourquoi ce gars-là ne m’aime pas ? Qu’est-ce que j’ai fait de mal ? » David Lee Roth est celui qui savait le mieux gérer ça avec ces gars dans le public. Il arrêtait le concert et il disait des choses comme : « Braquez tous les projecteurs sur ce gars-là, ici. Si tu n’arrêtes pas de faire ça, je vais descendre et baiser ta copine. » Il mettait le mec dans l’embarras et il disait : « Tout le monde, regardez ce type ! » et celui-ci finissait par partir. Je ne pourrais jamais le faire, mais lui était très bon pour ça. Bref, tout ça pour dire que quand « Rise » est sorti, j’ai quand même lu quelques commentaires et la bonne nouvelle est que beaucoup de gens étaient super excités, et disaient : « D’accord, ça valait la peine d’attendre. On vous pardonne. »

L’album est prêt depuis mars 2020, mais vous n’avez pas voulu le sortir compte tenu des circonstances. Ça n’a pas été frustrant d’attendre trois ans avec cet album sur les bras ? Ou avez-vous profité de ce temps supplémentaire pour travailler un peu plus dessus et le peaufiner ?

Gary : Ça aurait été bien que ça sorte à ce moment-là, mais nous avons vu AC/DC et Cheap Trick sortir un album, et ils n’ont pas pu tourner derrière. Or ce sont de plus gros groupes que nous et après tout ce temps, nous nous disions que nous ne pouvions pas sortir un album sans pouvoir le soutenir. Il nous fallait tourner pour le promouvoir. D’où le délai. Mais pendant ce temps, Nuno a peaufiné le mix comme un dingue. Il était encore en train de faire des ajustements quelques jours avant d’envoyer l’album à la maison de disques il n’y a pas si longtemps que ça.

Nuno, c’est le fait d’avoir du temps qui t’a poussé à faire une fixation sur le mix ?

Nuno : Tout d’abord, ne croyez rien de ce que dit Gary. Ensuite, il n’a aucune idée de ce que je fais [rires]. Je veux dire que personne ne fait de fixation sur quoi que ce soit. Je ne fais de fixation sur rien. Je mixais l’album normalement. Je pense que ce que Gary appelle « peaufiner », c’est juste le fait de mixer, quelque chose qu’il ne fait pas, donc je ne sais pas s’il sait ce que ça veut dire [sourire]. En gros, l’album était terminé, il aurait facilement pu sortir en 2020 et je travaille très vite. Quand une chanson est finie, elle est finie, mais je pense que les gars oublient parfois que quand je travaille sur un album, je fais l’ingénieur, je l’enregistre, je le produis et je le mixe. Donc quand ils pensent : « Ouah, Nuno y passe beaucoup de temps ! », c’est parce que je fais le boulot de quatre personnes. Les groupes ont l’habitude d’aller en studio pour poser leurs parties et ensuite, ils partent faire du ski et s’amuser. Je n’ai jamais été comme ça. J’ai toujours été celui qui reste en studio à faire du babysitting avec le projet, depuis que j’ai seize ou dix-sept ans.

« Ce qui fait qu’un album sonne actuel, selon moi, c’est si le groupe en a quelque chose à foutre ou pas. »

Ce n’est pas compliqué parfois d’avoir toutes ces casquettes ?

Nuno : Nan, je fais ça depuis le début. Même sur les premiers albums, quand vous lisiez qu’il y avait un autre producteur, c’est en majorité un mensonge ; celui-ci n’a rien fait, c’est moi qui ai fait la majeure partie du travail. Même quand nous avions Michael Wagner sur Pornograffitti, il n’a même pas été impliqué dans le processus d’enregistrement ou quoi que ce soit avant le mixage. Mais j’étais trop jeune pour qu’ils m’en accordent le crédit, je pense. Quand j’y repense, je me dis que peut-être mes manageurs ou mes avocats auraient pu… J’étais tellement jeune que je ne savais même pas ce qu’était la production. Je ne savais pas que je faisais tout. Je ne savais pas que je produisais et que je faisais de l’engineering. Je pense que beaucoup de gens ont profité de la situation et se sont accordé du crédit là où ça devait revenir à quelqu’un d’autre, mais je m’en fiche, ça va.

C’est intéressant comme il y a quelque chose d’old school dans Six, en ce qui concerne l’approche traditionnelle d’un album, mais sans du tout sonner daté, voire comprenant des éléments pouvant être perçus comme assez modernes. Gary, tu as déclaré sentir que vous aviez « quelque chose à prouver quand [vous] mont[ez] sur scène ou entr[ez] en studio ». Extreme est un groupe qui a trente-cinq ans : ressentez-vous une pression pour être toujours pertinents en 2023 ?

Gary : Oui, je pense qu’on peut le dire – j’aimerais croire qu’on puisse le dire de beaucoup de groupes, mais concernant Extreme, nous ne voulons pas être considérés comme un groupe héritage ou de classic rock. D’accord, nous n’avons pas sorti de musique depuis longtemps, mais il est clair que lorsque nous montons sur scène, nous ne voulons pas nous contenter de jouer les tubes et pointer comme à l’usine. Donc je pense que nous nous sentons toujours pertinents et nous avons encore des choses à dire, musicalement et dans nos textes. Et puis, ça va sans dire, le jeu de Nuno est incroyable. Une chanson est soit bonne, soit mauvaise, et peu importe si elle a des touches modernes, comme « #Rebel » et « Rise », il y a toujours Nuno et les autres qui jouent cette musique, et ça sonne comme Extreme, selon moi. Je pense que c’est très identifiable comme étant Extreme, on peut l’entendre, mais la production est plus moderne, avec des sons plus modernes, nous utilisons même de l’électronique dans « Thicker Than Blood » et « X Out », et d’un autre côté, on a des chansons comme « Banshee » qui auraient pu être sur le premier ou le second album d’Extreme. Je pense que les fans ont appris à s’attendre à un tel éclectisme de la part du groupe.

Nuno : Je ne crois pas qu’il y ait quoi que ce soit de super moderne là-dedans. Ce qui fait qu’un album sonne actuel, selon moi, c’est si le groupe en a quelque chose à foutre ou pas. Quand tu fais preuve de passion dans ce que tu fais et que tu y crois, ça fait que le résultat attire l’attention et paraît actuel, même si c’est un groupe dont les membres sont à la fin de la cinquantaine et au début de la soixantaine. Malheureusement, nombre de nos pairs et de groupes de notre génération font des albums ou partent en tournée en pointant comme à l’usine. Je ne sais pas si cet album sonne si moderne que ça, quoi que cela signifie. Les gens disent : « Oh ouais, ça sonne très moderne. » Je veux dire que c’est de la batterie, de la basse, des guitares et quelques synthés ici et là, et parce qu’il y a un riff plus heavy, ils pensent que tu es moderne. Je me souviens de concerts de Metallica en 1983 ou 1984, ces gars étaient de ma génération, et de tous les groupes heavy avec qui nous avons grandi. Je n’essayais donc pas d’être moderne. Pas plus que j’essayais d’être dans l’air du temps ; je n’essayais rien du tout. Je pense que la plus grande fausse idée que les gens peuvent avoir, c’est quand ils croient que tu cherches à faire du marketing avec ta musique. Nous ne sonnons pas du tout comme Queen, mais philosophiquement, nous sommes comme Queen, nous nous fichons de ce que les gens pensent, de ce que nous avons fait avant ou de ce que nous ferons après. Donc, peu importe ce qui se passe à un instant T, ça correspond à notre état émotionnel, psychologique et physique du moment. Si on écoute tout l’album, je pense que personne ne pensera que toutes les chansons sonnent comme un groupe moderne.

Gary, tu as mentionné les chansons « Thicker Than Blood » et « X Out » : ce sont clairement deux des plus grandes surprises de l’album, avec leur côté électronique. Dans quelle mesure ces sonorités vous ont offert un nouveau terrain de jeu ?

Gary : Celles-ci faisaient partie des chansons les plus excitantes ! Si tu prends « Banshee » et d’autres morceaux de ce genre, c’est du pur Extreme, mais quand Nuno m’a présenté certains de ces instrumentaux modernes, comme « Thicker Than Blood », et les parties programmées, je me suis dit qu’il avait été influencé de manière subliminale par certaines chansons pop de Rihanna, par ses années passées aux côtés de celle-ci. Il a filtré au travers de son propre prisme certaines musique auxquelles il a été exposé. C’était stimulant quand il m’a montré ça. « Thicker Than Blood » m’a rappelé quelque chose que Bowie aurait pu faire, par exemple dans l’album Outside ou celui avec « I’m Afraid Of Americans » [Earthlings]. Je l’ai un peu abordé sous cet angle. Quand tu repenses à la discographie de Queen, tu vois qu’ils n’avaient pas peur d’essayer des sons modernes, mais au final, ça sonnait toujours comme Freddie [Mercury] et Queen. Extreme a toujours cette approche, en touchant à d’autres genres musicaux – une chanson comme « Beautiful Girls » serait un autre exemple.

« Nous ne sonnons pas du tout comme Queen, mais philosophiquement, nous sommes comme Queen, nous nous fichons de ce que les gens pensent, de ce que nous avons fait avant ou de ce que nous ferons après. »

Nuno : Gary a à la fois raison et tort au sujet de Rihanna. Je veux dire qu’on est influencé par tout, n’est-ce pas ? On n’a pas le choix. Même par les trucs qu’on n’aime pas. Si je montais dans un Uber aujourd’hui pour me rendre à l’aéroport et que le conducteur écoutait, je ne sais pas, « Hit Me Baby One More Time » de Britney Spears, que j’aime la chanson ou pas, je l’écoute, elle rentre dans mon système, et peut-être que dans deux semaines, deux mois, deux ans, j’écrirais une chanson qui fait [chante un riff], ce serait heavy et je ne saurais même pas d’où c’est venu. Je crois qu’on est influencé par tout ce qu’on écoute et tout ce qu’on fait. Je pense que chaque conversation influence les paroles de nos chansons. J’ai toujours été du genre à penser qu’on est ce qu’on mange. Parfois, tu manges du McDonald’s et ça ressort quelque part. Ce ne sont pas forcément toujours des repas très sains. Mais ces chansons, si tu retires l’électronique, ce sont des morceaux de rock. Je joue de la guitare en plus des synthés sur tous ces riffs, mais c’est juste une texture pour donner un côté plus cinématographique, certaines personnes diraient industriel, d’autres électronique, etc. Mais je comprends, il faut bien nommer les choses. « X Out » est un genre de « Kashmir » des temps modernes pour nous, avec un feeling très oriental. Si tu enlevais les synthétiseurs, ce morceau aurait peut-être pu être sur III Sides. Ça aurait pu être notre version moderne de « Am I Ever Gonna Change ». Si on retirait l’électronique et rajoutait un orchestre, les gens diraient : « Oh, ça fait très III Sides ! » Dans tous les cas, ça n’a pas changé grand-chose pour moi en tant que guitariste. J’ai juste aimé ça et j’ai collaboré avec des programmeurs qui ont fait des trucs, c’était amusant !

Avez-vous un intérêt particulier pour la musique électronique ?

Nuno : J’écoute de tout. Au cours des deux à quatre dernières années, voire plus, j’ai écouté plein de trucs électroniques différents. Il y a un gars que j’aime beaucoup qui s’appelle Aero Chord. Il fait un genre de trap électronique. Il se peut que ça m’ait influencé aussi sur ces chansons, car je me disais qu’elles pouvaient avoir ce genre de synthés ou de guitares et sonner heavy.

Gary : Pour ma part, lors d’un réveillon, j’étais en Floride et je me suis rendu dans des sortes de soirées rave dans des hôtels, avec des DJ. C’était un choc culturel. J’en avais déjà vu sur YouTube et tout, mais je n’avais jamais été en présence de ce genre de musique. Il y avait un côté attirant, mais aussi très répétitif. Il y a toujours ces mêmes rythmes programmés. J’ai regardé ça et je me suis dit : « Ouah ! » Il y a toute une nouvelle génération de gamins qui sont touchés par cette musique, tandis que je viens d’une génération qui a grandi avec une musique différente. C’est ce que j’en ai retiré. J’ai trouvé ça intéressant. Je ne peux pas dire que j’ai adoré, mais j’ai compris, dans une certaine mesure [rires].

« Beautiful Girl » est une sorte de morceau reggae. Vous faites un peu le grand écart entre « Thicker Than Blood » et ça ! C’est le genre de chose qui peut déconcerter les gens, mais pensez-vous qu’on ait perdu cette notion de diversité dans le rock ? Je veux dire que les Led Zeppelin avaient eux-mêmes un morceau reggae sur House Of The Holy, en l’occurrence…

Gary : Exact. Je l’adore d’ailleurs ! Encore une fois, tu réécoutes Pornograffitti et tu tombes sur un morceau comme « When I First Kissed You », après « It (‘s A Monster) » ou peu importe quoi. Je pense que c’est l’éclectisme qui sépare ce groupe des autres. Nous n’avions pas peur de faire un genre de standard à la Sinatra. Le truc avec « Beautiful Girls », c’est que cet album abordait des thématiques assez graves et sombres, comme avec « X Out », « Thicker Than Blood » et « Save Me ». Nuno et moi avons pensé qu’il était important de mettre des touches plus légères, des genres de digestif. Donc après un morceau comme « X Out », qui est vraiment lourd musicalement, nous revenons avec une chanson légère, inspirée du reggae et qui célèbre la femme. Il y a beaucoup d’humour là-dedans : un instant nous parlons de la mort et l’instant d’après nous parlons de ce qui compte vraiment, c’est-à-dire les jolies filles ! [Rires]

Nuno : Tous les groupes avec lesquels j’ai grandi et que je considérais être les meilleurs de tous les temps, Led Zeppelin, Queen, Van Halen – il y en a plein –, composaient et créaient tout ce qui leur venait à l’esprit. Je ne me suis pas posé pour composer une chanson électronique, reggae, acoustique ou heavy. Ça se fait de façon organique et ensuite, tu fais des choix pour déterminer si ça te correspond ou pas. Tous les albums d’Extreme contiennent ce genre de virage stylistique. Il y a toujours soixante-dix à quatre-vingts pour cent de musiques « normales » pour nous, mais par exemple, sur Pornograffitti, il y avait « More Than Words »… « More Than Words » était à l’époque considéré comme « Beautiful Girls » aujourd’hui. Les gens étaient là : « Putain, qu’est-ce que vous faites ? Personne ne fait de musique acoustique ! Qu’est-ce qu’on va faire de cette chanson ? » C’était avant la popularisation des MTV Unplugged. Tout le monde faisait de grandes power-ballades, tandis que nous nous posions pour jouer comme les Beatles ou les Everly Brothers. Pareil pour « When I First Kissed You » sur Pornograffitti. Mais étant influencés par Queen… Personne ne s’est vraiment posé de questions quand Queen a sorti « Crazy Little Thing Called Love ». C’était une chanson typée Elvis des années 50, et ils n’ont plus jamais retenté ce style après ! Mais je pense qu’ils se sont amusés à la composer à l’époque. Tant que tu es à l’aise avec ce que tu fais… Mais tu as raison. Enfin, je ne crois pas qu’il faille que les groupes soient plus polyvalents. Il faut juste qu’ils soient eux-mêmes. AC/DC n’a jamais fait preuve de diversité, mais ils ont toujours été AC/DC. Le mieux que tu puisses faire est de ne pas avoir peur de ce que les autres, les maisons de disques ou qui que ce soit pensent de ce que tu fais. Fais ce que tu aimes. Ce sont toujours les meilleures chansons qui remportent la mise chez nous.

« Je suis influencé par Edward Van Halen, Brian May, Jimmy Page et un tas de gars, mais je ne joue pas de la guitare pour pouvoir dire : ‘Oh, j’espère qu’ils m’aiment et que je pourrai un jour être aussi bon qu’eux.’ Non, je joue de façon à m’en prendre à eux, à les remettre à leur place et à leur dire ‘je vous emmerde’, genre ‘je viens vous chercher’. »

C’est intéressant comme la première partie de l’album conforte l’auditeur avec du Extreme plutôt classique, tandis que la seconde moitié le surprend avec des chansons comme « Thicker Than Blood », « X Out » et « Beautiful Girls ». Était-ce fait exprès ?

Gary : Oui, c’est une très bonne observation. Les cinq premières chansons, « Rise », « #Rebel », « Banshee », la pop « Other Side Of The Rainbow » et « Small Town Beautifull, en dehors peut-être de certains riffs inspirés du rock moderne, sont typiques d’Extreme. Cette structure était importante. Il n’y avait pas moyen que nous puissions commencer par un des sept morceaux de la seconde moitié. On ne pouvait pas mettre « X Out » au début de l’album. C’aurait été trop difficile pour l’auditeur. Il a donc fallu que nous réfléchissions bien à la chronologie de l’album.

L’artwork dépeint le visage d’un gorille : voyez-vous un côté animal dans cette musique ou dans votre approche ?

Gary : Nuno a proposé l’image et je l’ai trouvée vraiment saisissante. Evidemment, tu te demandes : qu’est-ce qu’elle représente ? Qu’est-ce qu’elle projette ? Le premier mot de Nuno était « passion » et j’ai dit : « Ouais, c’est primitif. » Nous trouvions ces mots pour décrire l’image, comme « féroce » également. Ça a l’air d’être un gorille un petit peu plus vieux et je trouvais qu’il y avait à la fois une sagesse et une intensité dans ses yeux. On peut y mettre le sens qu’on veut, mais personnellement, quand je vois l’image, je trouve qu’elle renvoie un sentiment de puissance. C’est ce que nous ressentons quand nous sommes sur scène ; je ne sais pas si on peut parler d’un côté animal, mais c’est clair que nous lâchons les démons ! C’est Extreme. Nous sommes une entité à part. Nous ne sommes comme aucun autre groupe ; je suis sûr que d’autres groupes ressentent ça.

Nuno : Oui, bien sûr, il y a une part animale. Un groupe, c’est une tribu, ce qu’on y fait est très tribal. On a sa propre culture et ses propres fans qui forment une sorte de tribu, et on vit et meurt pour ça. Quand j’étais en train d’écrire certaines de ces chansons, surtout les quatre ou cinq premières heavy que nous avons faites, ça n’arrêtait pas de me rappeler un gorille de trois cents kilos. Alors je me suis mis à faire des recherches – pour une raison que j’ignore, l’idée d’essayer de comprendre ce que ça voulait dire pour moi m’obsédait. Ça m’a pris deux années, mais j’ai fini par trouver ce visage. Je l’ai vu et je l’ai fixé du regard. C’était presque comme si je me regardais dans un miroir. Il me paraissait très humain. Il représentait cet album. Il représentait Extreme. Le gorille était plus vieux, et pourtant il avait une expression sur son visage qui disait : « Je vais vous éclater la tête. Je me sens toujours aussi sauvage et confiant. Ne venez pas me chercher. Je suis peut-être plus vieux et plus sage, ça ne m’empêchera pas de vous démolir. » Et il a quand même un petit sourire narquois sur le visage. Donc, pour moi, ce visage représentait vraiment tout d’Extreme et de cet album.

Ce gorille a l’air un peu menaçant et puis, un animal sauvage, c’est toujours imprévisible. Un peu comme votre musique, finalement…

Gary : C’est une super interprétation. On peut voir tellement de choses dans ce visage. Il y a effectivement ce côté imprévisible. On pourrait regarder ce gorille et dire : « Comme il est beau ! », mais en éprouvant de la crainte, justement à cause de cette puissance et de cette imprévisibilité, genre il ne faut pas le regarder de travers ou droit dans les yeux. Je pense que, même si nous allons faire plaisir aux fans d’Extreme avec des chansons et des sons qui leur seront familiers, comme « Banshee », « Rise » et même « Other Side Of The Rainbow », cet album les bousculera aussi, précisément pour ce que tu as dit au sujet de sa seconde moitié. Il y a des fans qui n’aimeront peut-être pas « X Out » ou « Thicker Than Blood », parce qu’ils diront : « Eh bien, ça ne sonne pas comme Extreme. » Mais Nuno et moi disons toujours : « Bien sûr que ça sonne comme Extreme, nous l’avons écrit ! Pourquoi ça ne sonnerait pas comme Extreme ?! » Mais tout le monde a ses groupes préférés, que ce soit Queen ou Van Halen, et sa propre perception de ce qu’ils devraient être, et parfois, ces groupes remettent en question cette perception.

« Je n’ai jamais oublié que j’ai côtoyé Van Halen. Même s’ils m’ont accueilli dans le groupe, je me disais constamment : ‘Bordel de merde, ces gars, c’est Van Halen !' »

D’ailleurs, quel est votre sentiment concernant l’évolution du rock ?

Gary : Il faudrait un peu de recul pour savoir quels groupes aujourd’hui transcendent leur époque. J’aime voir la fusion de différents styles de musique. C’est comme ça qu’est né le rock n’ roll. Le rock n’ roll des années 50 est né du gospel, de la country, du RnB, etc. Nous étions considérés comme un groupe de funk metal dans le temps. Qu’est-ce que c’est ? Nous essayions juste d’écrire des chansons comme Aerosmith et Led Zeppelin. La sauce prend, des groupes arrivent et peut-être qu’ils dérivent trop de ce que d’autres ont fait auparavant, alors le phénomène finit par s’estomper, et de nouveaux groupes arrivent… Je me souviens quand Guns N’ Roses est arrivé. Je trouvais qu’ils avaient cette assurance provocante qu’avait Aerosmith, mais ils étaient plus que ça. Ils ont évolué pour devenir ce qu’ils sont aujourd’hui.

Nuno : Les réactions que nous avons eues jusqu’à présent étaient folles, et ce dès que « Rise » a été dévoilé. C’était à la fois choquant et excitant, mais ça m’a vraiment fait réfléchir sur ce qui s’était passé et ne s’était pas passé dans le monde de la musique. Pour être honnête avec toi, je ne cherche pas à faire le modeste, je sais jouer de la guitare, mais ça a toujours été le cas, j’ai toujours fait des solos et des chansons correctes, mais les réactions étaient assez énormes, dans le sens où les gens étaient là : « Ouah, Nuno est un maître, il a élevé le niveau en matière de jeu de guitare ! » Un magazine au Royaume-Uni a fait un article en titrant : « Le meilleur solo de guitare du vingt et unième siècle. » J’étais là : « D’accord… » Une part de moi se disait que c’était dingue, mais ensuite, certains de mes amis guitaristes, de mes pairs et de mes héros, comme Tom Morello, Steve Lukather et Steve Vai, me disaient : « Ecoute, on sait que tu as toujours été doué, mais ce qui est en train de se passer est que tu as réinfusé et rappelé ce genre de jeu, et tu as foutu une claque à tout le monde. Quand était la dernière fois qu’on a entendu un solo de guitare dont on a tous parlé, qui nous a fait tomber de notre chaise et qui nous a excités ? » J’y ai réfléchi et je n’ai pas réussi à trouver d’exemples depuis les années 2000. J’étais là : « En tant que guitariste, je ne suis pas sûr d’en avoir un qui me vienne en tête… »

Il se trouve que c’était moi sur « Rise », mais peu importe que ce soit moi ou un autre, il a fallu que je me pose et que j’analyse pourquoi. Pourquoi les gens réagissaient-ils ainsi ? Ce ne peut pas être juste le solo guitare ou la chanson. Je réfléchissais et je me suis dit : « Attends une seconde. Je pense que tout est lié au clip. » Et la raison, c’était la façon dont la chanson était présentée. Durant ces dix à quinze dernières années, on a vu de super guitaristes partout dans le monde. Je les suis. On les suit tous. La mâchoire nous en tombe quand on les voit jouer pendant trente secondes, une minute, deux minutes, et j’ai fait savoir à certains que j’adorais ce qu’ils faisaient. Ils jouent des choses que je ne joue pas. Je réagis et je dis, genre : « Va te faire foutre, c’était incroyable ! » Peu importe. Mais j’ai réalisé que c’est ça qui se passe : un gars assis sur sa chaise dans une pièce, comme toi et moi en ce moment, en train de jouer de la guitare et d’épater les gens, et ensuite on partage et on like. Mais c’est de la technique.

Ce qu’on n’a plus trop vu, c’est un guitariste dans un groupe, en tout cas de notre génération… Je veux dire qu’il y a de super guitaristes dans des groupes comme Five Finger Death Punch, ou en la personne d’Andy James et ainsi de suite, il y a de de super solos et musiciens, ne te méprends pas, on en voit encore qui font des choses dans des groupes, mais dans notre type de rock n’ roll basique et direct, le fait de voir aujourd’hui un clip qui ne fait pas que montrer un guitariste qui sait jouer, mais qui montre la passion, le feu, le plaisir, le côté physique, pas juste un jeu de guitare, mais l’émotion et l’attitude physique des grands guitaristes avec lesquels j’ai grandi qui étaient tous à fond et qui étaient dévoués à chaque mesure, chaque note, mais aussi un solo au sein d’une chanson avec des harmonies, un arrangement, un groupe qui joue, une alchimie, un batteur… Si j’avais fait ce que la plupart des gens font aujourd’hui, et ce que peut-être la maison de disques ou notre management a pu suggérer… C’est-à-dire : « Eh, quand tu es en studio, profites-en pour enregistrer un teaser à donner aux gens avant que la chanson sorte ! » Imagine si je m’étais assis sur une chaise pour jouer le solo de « Rise » avant la sortie du clip, ç’aurait été, genre : d’accord, je fais des tirés sur quelques notes au début, puis je joue quelques plans blues, puis je joue ce truc à la fin qui épatera tout le monde, mais ce que les gens ne réalisent pas, c’est que ce solo sonne extraordinaire ou intéressant parce que le groupe est là, parce que c’est heavy, parce que la batterie groove, parce que j’ai créé ça avec le groupe.

« Tout le monde sait que lorsque j’enregistre, il ne faut pas me déranger, et je n’aime pas enregistrer de manière technique. J’essaye d’y aller émotionnellement, j’essaye de me nourrir du moment présent et d’avoir la flamme, et pour faire ça, il faut un peu se perdre dans ce qu’on est en train de faire. »

La chanson m’a guidé. La chanson m’a dit quoi jouer, et il y avait une émotion qui allait avec. Quand on joue vite, on peut être émotionnel. Ce n’est pas juste un exercice. Il y a une putain de colère là-dedans. Il y a un « va te faire foutre » là-dedans. Quand je fais des solos, je joue pour la chanson. Je suis influencé par Edward Van Halen, Brian May, Jimmy Page et un tas de gars, mais je ne joue pas de la guitare et je n’enregistre pas ces solos ou ces chansons pour pouvoir dire : « Oh, j’espère qu’ils m’aiment et que je pourrai un jour être aussi bon qu’eux. » Non, je joue de façon à m’en prendre à eux, à les remettre à leur place et à leur dire « je vous emmerde », genre « je viens vous chercher ». Il faut en être convaincu et je pense que c’est cette attitude qui fait réagir les gens. Ce n’est pas juste le solo de guitare ou la chanson.

J’imagine que c’est aussi pour ça que tu as dit que « lorsque Eddie Van Halen est décédé, ça [t’]a vraiment mis un coup » et que tu ne serais « pas celui qui allait s’emparer du trône, mais [que tu] ressentais une responsabilité pour continuer à insuffler de la vie dans le jeu de guitare. On entend donc beaucoup de passion dans l’album »…

Nuno : Oui. Enfin les solos et tout étaient plus ou moins terminés quand Edward est décédé. Donc je ne suis pas revenu dessus en disant : « Ok, je suis maintenant Keanu Reeves dans Matrix et je vais sauver cette façon de jouer de la guitare dans le rock et entretenir la flamme. » Je repense au passé et je me dis : « Attends une seconde, dans ma génération et celle d’Edward, qui fait encore ça ? » Je veux dire qu’il y a toujours de super musiciens, Zakk Wyle, Steve Vai… Mais je parle dans le cadre d’un groupe ayant une histoire, comme mes héros, comme Extreme sur cinq ou six albums, ou Queen, les groupes avec lesquels j’ai grandi. J’ai effectivement ressenti une responsabilité. Je n’ai pas cherché à sauver le rock ou faire quoi que ce soit, même si j’ai reçu plein de messages du genre : « Les gars, vous venez de sauver cette version du rock n’ roll parce que plus personne ne fait d’albums comme ça » [rires]. Quand j’ai fait écouter l’album à des gens, ils disaient : « Vous vous foutez des playlists, des algorithmes, des followers et des likes. Vous avez fait un album qui fait voyager les gens pendant cinquante minutes en l’écoutant dans leur voiture ou au casque, et qu’ils peuvent réécouter en découvrant de nouvelles choses. » C’est ça la responsabilité. Il s’agit simplement de porter le flambeau pour dire : « C’est toujours possible », que ce soit pour l’ancienne génération, ma génération ou la plus jeune génération.

Extreme et Van Halen sont des groupes qui se ressemblent, un peu comme un petit frère et un grand frère, avec le même genre de configuration de line-up. Comme tu as été dans les deux Gary, comment comparerais-tu les deux groupes et leur fonctionnement, d’après ton expérience personnelle ?

Gary : Il est certain qu’Extreme était le bâtard de Van Halen. Nous avions la même constitution : un chanteur, un guitariste, un bassiste, un batteur. Pat Badger fait les harmonies aiguës ; Nuno, les harmonies graves. Nous avions vraiment ce type de configuration. Donc quand j’ai rejoint Van Halen, c’était drôle, parce que ça ne me paraissait pas très différent. Bien sûr, il y avait des différences. L’une des plus grandes différences est qu’avec Extreme, nous étions rigides, peut-être que notre sens du timing était plus rigoureux. Dans Van Halen, les pressions et tractions entre Alex et Eddie en tant que musiciens – parfois les chansons accéléraient, parfois ils les retenaient – étaient sans doute la plus grande différence. Je venais d’Extreme avec Mike Mangini qui était un vrai métronome. Donc quand je chantais avec Van Halen, c’était presque comme si c’était un organisme vivant qui respirait. La musique bougeait tous les soirs. C’est donc la différence que j’ai ressentie en la présence de ce génie. Eddie était d’une autre planète. Je considère également Nuno comme un génie, mais j’ai grandi avec lui, donc j’ai vu ça se développer en lui. Nuno est meilleur qu’il n’a jamais été aujourd’hui. Il n’a pas pris une ride. Mais je n’ai jamais oublié que j’ai côtoyé Van Halen. Même s’ils m’ont accueilli dans le groupe, je me disais constamment : « Bordel de merde, ces gars, c’est Van Halen ! »

Avec le recul, quel bilan tires-tu du temps que tu as passé à chanter au sein de Van Halen et de l’album, Van Halen III, que vous avez fait ? Qu’as-tu retiré de cette expérience en termes de leçon ?

Gary : Quand je repense à cette époque, c’était merveilleux. Je me suis fait de bons amis. C’était une superbe expérience. La tournée était phénoménale. Ma seule critique serait que j’aurais aimé que l’album sonne mieux. Je trouvais qu’il y avait de bonnes chansons sur cet album, mais que la production n’était pas à la hauteur. Mais en y repensant, je me dis que la tournée était super. Eddie était content. Je pense qu’il avait le sentiment d’avoir quelque chose à prouver avec le nouveau groupe, avec un autre chanteur. Cette tournée a été l’une des plus mémorables de ma carrière. C’était tellement amusant. C’était un autre niveau par rapport à Extreme. J’ai vécu chez Eddie pendant environ trois ans. C’était super. Puis, pour la seconde partie de ta question, après Van Halen – Nuno pourrait te le dire – je suis devenu un meilleur chanteur. C’était purement parce que j’ai dû chanter les morceaux de Sammy [Hagar]. J’ai grandi avec ceux de Dave [Lee Roth] et en termes de tessiture, je pouvais le gérer. Les parties de Sammy étaient difficiles pour moi, parce qu’avec Extreme, nous n’écrivions pas dans ces tonalités. Donc quand j’ai rejoint Van Halen et que j’ai dû chanter des morceaux de Sammy, c’était ça passe ou ça casse. J’ai dû apprendre à atteindre ces notes, ce dont je n’aurais jamais cru être capable. C’est donc la leçon qu’ai apprise en intégrant Van Halen, Eddie m’a poussé à être un meilleur chanteur. Après ça, lorsque j’ai fait Tribe Of Judah, Hurt Smile ou les nouvelles chansons d’Extreme, ma tessiture s’est élargie. Je pense être un meilleur chanteur maintenant que je ne l’étais avant Van Halen.

« Personne ne prendra le trône d’Edward, ni moi, ni personne d’autre. Tout ce que j’espère, c’est que de là où il est, il écoute ce solo et l’album en souriant et en disant : ‘Tu as fait du bon boulot, gamin.' »

Êtes-vous restés en contact au fil des années ? Je crois savoir qu’il vous a rendu visite durant l’enregistrement de l’album…

Gary : Quand j’ai quitté Van Halen, il y a eu une période où je les ai perdus de vue. Ce n’était pas que nous étions en froid ou quoi que ce soit, car nous sommes restés amis. C’est juste qu’il faisait son truc et moi je faisais le mien, mais c’était durant les cinq dernières années avant son décès que je l’ai recontacté et que nous avons renoué des liens. Donc, j’allais lui rendre visite de temps en temps quand j’étais à Los Angeles et nous avons gardé le contact jusqu’à son décès. Mais il y a une fois où il m’a reconduit chez Nuno. Nuno était en train de travailler. Il était en haut au studio. Donc je l’ai appelé pour lui faire la surprise. J’ai dit : « Eh, quelqu’un veut venir dire bonjour. Descends le saluer. » Il est donc descendu et Eddie était là. Nous avons parlé environ dix ou quinze minutes. C’était sympa de voir le visage de Nuno, parce que c’était Eddie, le roi ! Quand Eddie est parti, Nuno et moi sommes montés, je me souviens qu’il a dit : « Ah merde, j’aurais dû prendre une photo avec lui ! » J’étais là : « Bah, on le reverra. » Malheureusement, nous ne l’avons pas revu.

Comment as-tu réagi, Nuno, à cette visite surprise ? Je crois que tu étais en train de travailler sur le solo du morceau « Rise »…

Nuno : Tout le monde sait que lorsque j’enregistre, il ne faut pas me déranger. Je n’aime pas enregistrer de manière technique. Je n’aime pas m’asseoir pour enregistrer un album. Comme je l’ai dit, j’essaye d’y aller émotionnellement, j’essaye de me nourrir du moment présent et d’avoir la flamme, et pour faire ça, il faut un peu se perdre dans ce qu’on est en train de faire. Quand je travaille, je n’ai même pas d’assistant. J’aurais aimé que ce soit le cas, ce serait plus facile, mais je n’ai personne à mes côtés, parce que je ne veux pas être interrompu, qu’on me demande si je veux une tasse de café, etc. Fichez-moi la paix ! Et même au début, les gars savaient qu’il ne fallait jamais entrer dans la pièce, autrement j’allais probablement leur jeter un truc pour qu’ils sortent. Cette fois-ci, Gary m’envoie un texto en disant : « Je vais déjeuner. On fera le chant tard. » Je suis là : « Ouais, très bien. Laisse-moi tranquille. » Puis, tout d’un coup, mon téléphone se met à sonner comme un malade. Gary, que je connais depuis trente-cinq ou quarante ans, m’appelle plus et m’envoie plus de textos en trente secondes qu’il ne l’a jamais fait de toute sa vie. Il dit : « Tu dois descendre à la maison ! » J’ai cru qu’il y avait un problème, genre qu’il avait un fracassé sa voiture ou qu’il avait défoncé mon garage. Je ne savais pas ce qu’il se passait. Mais j’ai descendu les escaliers, j’ai ouvert la porte et Edward était là. Je me suis dit : « D’accord, c’est une bonne raison pour m’interrompre. »

Nous avons parlé pendant un moment, de Wolfie et de son nouvel album, de Van Halen qui allait revenir et tourner avec Michael Anthony, etc. Il était là : « Gary dit que vous êtes en train d’enregistrer. » Je suis là : « Ouais. » « Je devrais monter et écouter quelques trucs. » « Ouais, j’adorerais, mais laisse-moi d’abord finir pour que je puisse te faire écouter. » Il n’y a rien de pire que de faire écouter à Edward Van Halen des chansons sans solo ou avec des pistes rythmiques à moitié terminées, je voulais lui faire écouter la chanson comme il faut, parce que… c’est Edward Van Halen ! Je le regrette un peu, parce qu’il a dit : « D’accord, compte sur moi, je reviendrai écouter ça. » Evidemment, il n’est pas revenu. Nous ne savions pas à quel point il était malade. Il semblait être en parfaite santé à ce moment-là. Je le regrette un peu, mais comme je l’ai dit, quand c’est sorti, il y a eu plein de vidéos de réactions et de gens sur internet qui disaient que Nuno était l’héritier du trône et tout. J’étais là : « Personne ne prendra le trône d’Edward, ni moi, ni personne d’autre. » Tout ce que j’espère, c’est que de là où il est, il écoute ce solo et l’album en souriant et en disant : « Tu as fait du bon boulot, gamin. » C’est à peu près tout [rires].

Penses-tu que sa visite a eu un impact sur ton inspiration pour le solo ?

Nuno : Je ne pense pas, parce que je crois que je l’avais presque terminé, et je savais ce que j’allais faire. J’étais en train d’essayer de l’appréhender. Mais bien sûr, c’est une étrange synergie de l’univers, parce que de tous les solos, c’est probablement celui qui est le plus influencé par Edward. C’est presque comme s’il sortait directement de Van Halen I et de ce qu’il a fait dans « Eruption », de ce feu et de cette passion qu’il a amenés dans les premiers albums. Je veux dire que ce solo parle de lui-même. C’était vraiment ironique et intéressant qu’il ait débarqué le jour où j’étais en train de plancher sur celui-ci, c’est assez fou.

« L’espoir qu’on a quand on est guitariste, chanteur, membre d’un groupe est que quand quelqu’un t’entend, il sait que c’est toi. C’est là que tu sais que tu es parvenu à quelque chose. »

D’après toi, qu’as-tu pris dans ton style de jeu à Eddie Van Halen ?

Nuno : Quand tu es influencé par un guitariste, tu prends tout, tu prends sa personnalité, tu prends son jeu rythmique, tu prends son jeu en solo, son son, sa composition, ses chœurs, etc. C’est le groupe, le pack complet. J’ai toujours pensé que c’était dangereux pour les guitaristes de se focaliser uniquement sur la guitare et les solos. C’était son jeu rythmique, sa mise en place, son feeling… Il pouvait s’amuser en rythmique. Il était pour moi ce gars qui s’appropriait le boulot du batteur ; de la même façon qu’un batteur fait des roulements pour amener à changer certaines sections, il faisait des fills à la guitare. J’étais là : « Oh mon Dieu, on peut faire ça ! » Tu peux t’amuser en rythmique pendant trois minutes et avoir un incroyable petit solo. Je pense que c’était l’une des grandes influences qu’il a eues sur moi. Mais tout comme Brian May, Page et d’autres gars m’ont influencé. Edward m’a aussi montré qu’il faut être confiant et avoir des couilles pour jouer pour la chanson. Sur un album, on peut être comme lui, faire « Eruption », changer le monde et bouleverser le jeu de guitare, au point où personne ne savait comment jouer le morceau, personne ne savait ce qu’il faisait dessus, et personne n’a jamais vraiment tenté de le copier. Ce n’est pas comme le riff des White Stripes [chante le riff de « One Nation Army »] ou de « Smoke On The Water » que n’importe qui peut jouer. Les gens étaient là : « C’est ‘Eruption’ ! Comment il fait ça ? C’est un extraterrestre ! » Mais deux ou trois chansons plus loin, tu entends « Ain’t Talking ‘bout Love », le solo de guitare arrive et c’est de la corde à vide avec un gars qui sonne presque comme un débutant qui gratouille dans un Guitar Center. Tu te dis : « Ouah, d’accord, j’ai pigé ! » Il ne frime pas tout le temps. Il fait une démonstration de force seulement quand c’est le bon solo pour la chanson. Quand « Rise » est sorti, tout le monde a pété les plombs en entendant le solo. Quand « Banshee » est sorti et que quelqu’un faisait une vidéo de réaction, il était là : « Oh ouah, le solo est cool. Il ne coupe pas autant le souffle que celui ‘Rise’, ceci dit », et ça, pour moi, c’est un compliment. Je ne fais pas des choses pour vous couper le souffle. Je joue avec l’énergie de la chanson, et le solo de « Banshee » est, selon moi, parfait pour cette chanson. Elle est plus blues, plus lente, plus funky, c’est plus excentrique, c’est différent. Donc, au final, j’ai tout pris d’Edward, mais surtout le fait de jouer pour la chanson.

Extreme est arrivé à un moment où Van Halen a commencé à ralentir la cadence – ils n’ont pas sorti beaucoup d’albums à partir de 1989, qui est l’année où vous avez sorti votre premier album. Y avait-il presque un côté passage de flambeau ou une forme de succession ?

Nuno : Non, je n’ai jamais vraiment pensé à ça. Quand tu es dans ton propre espace, que tu sors des albums et que tu essayes vraiment d’avoir ta propre expression, tu ne réfléchis pas à qui arrive, à qui part, à ce que tu es en train de faire, au fait de reprendre le flambeau ou quoi que ce soit de ce genre. Ce sont les autres gens qui te le font réaliser, quand les magazines de guitare t’appellent en te disant : « Eh, on veut que tu fasses une interview avec Edward » ou « On veut que tu fasses une interview avec Brian May », genre tu es le nouveau musicien en vogue ou la jeune version de ces gars qui arrive dans la scène. C’est ce qui m’a fait m’arrêter cinq minutes en me disant : « Oh, d’accord. C’est possible ? C’est vrai ? Je ne sais pas… » Je crois que c’est toujours aux autres de décider. Dans sa façon de se voir soi-même, on fait juste ce qu’on fait. Je sais qui je suis, je sais ce que je fais. Je ne suis pas Edward, je ne suis pas Brian, je ne suis aucun de ces gars, mais ils font tous partie de ma popote. On peut goûter une pincée de Brian et d’autres gens dans mon jeu, mais je pense que le but – ou plutôt l’espoir – quand on est guitariste, chanteur, membre d’un groupe est que quand quelqu’un t’entend, il sait que c’est toi. C’est le plus grand compliment qu’on puisse recevoir, genre : « A la seconde où j’entends trois ou quatre notes, une rythmique ou autre, je sais que c’est Randy Rhoads, ou je sais que c’est Zakk Wylde, ou je sais que c’est Steve Vai, ou je sais que c’est Nuno. » C’est là que tu sais que tu es parvenu à quelque chose.

Le nouvel album d’Extreme s’intitule Six. Evidemment parce que c’est le sixième album du groupe, mais on peut aussi probablement y voir une référence aux six cordes d’une guitare rock traditionnelle. Une question plus générale : qu’est-ce que ces six cordes représentent pour toi ? Les vois-tu comme de simples outils pour t’exprimer ou y a-t-il une connexion plus profonde ?

Nuno : Je pense que cette connexion commence quand on est plus jeune. C’est la vieille histoire d’Excalibur, le fait de trouver l’épée dans le rocher, et ces gens t’inspirent à aller chercher cette épée et à la porter. Puis quand tu l’as, tu as une relation avec elle, ça devient ton amie, ça devient ta partenaire et quelque chose avec lequel tu pars en mission. Je pense que dans la vie de tout guitariste arrive un moment où ce n’est plus une guitare. Ce n’est plus un instrument que tu prends pour jouer. Ce n’est pas du métal, ce n’est pas du bois, ce n’est pas de l’électronique, c’est un autre bras, une autre partie de ton corps. Ça devient une partie physique de toi-même. Ça devient une voix. Ça devient toi ; tu ne fais plus qu’un avec la guitare. Je ne regarde plus mes guitares comme des instruments qui traînent dans un coin et que je vais chercher. C’est comme une vieille amie. C’est ma complice. Parfois, je ne touche à aucune guitare pendant trois mois. Je n’ai juste pas envie de les voir. Comme un ami ou quelqu’un avec qui on traîne souvent, il faut parfois faire un break, alors je me pose au piano là-bas, et puis parfois, tu prends une guitare et tu ne peux pas t’arrêter de jouer pendant un an. C’est une relation. C’est même une mythologie. C’est le mot que j’aurais probablement dû employer quand les gens regardaient le clip de « Rise » : je pense que ce qui a manqué pendant des années, c’était la mythologie du rock n’ roll, et sa culture. Les gens qui ont regardé les clips de « Rise » et de « Banshee » étaient là : « Oh merde, voilà le rock n’ roll, aussi bien visuellement qu’émotionnellement et que physiquement. » Je pense que c’est pareil pour la guitare. Il faut avoir ce genre de relation avec elle.

« Je pense que dans la vie de tout guitariste arrive un moment où l’instrument devient une partie physique de lui-même. Ça devient une voix. Ça devient toi ; tu ne fais plus qu’un avec la guitare. Je ne regarde plus mes guitares comme des instruments qui traînent dans un coin et que je vais chercher. C’est comme une vieille amie. C’est ma complice. »

Gary, tu as collaboré avec trois des plus grands guitaristes de l’histoire du rock : Nuno Bettencourt, Eddie Van Halen et depuis peu Joe Perry dans son projet. Il y a toujours eu une relation spéciale entre chanteurs et guitaristes dans le rock, mais qu’est-ce qui fait de toi un si bon chanteur pour guitaristes ?

Gary : [Rires] C’est gentil à toi de dire ça. J’ai beaucoup de chance d’avoir joué avec ces gars. Nuno est mon premier, nous nous sommes bien entendus en tant que compositeurs, amis et frangins. Je pense que nous avons connu des moments magiques en termes de composition ; nous avons écrit de bonnes chansons ensemble. Comment diable ai-je atterri chez Van Halen ? Je n’en sais rien [rires]. Demande à Nuno et à Pat, ils se posent encore la question. Quand je pense à Eddie… Nuno pourrait te parler pendant des jours d’Eddie. Il n’y aurait pas d’Extreme sans Eddie. Il est clair qu’il a inspiré Nuno, et il l’inspire toujours. J’ai eu de la chance. J’ai grandi avec Aerosmith, je viens de Boston et nous avons tourné avec eux. Au fil des années, Nuno a travaillé avec [Steven] Tyler. Je connaissais Joe. Quand il m’a demandé de chanter pour lui – je l’ai fait plusieurs fois –, je me suis dit : « Je connais les chansons d’Aerosmith mieux que celles d’Extreme ! » J’ai chanté des chansons d’Aerosmith avant qu’Extreme n’existe. C’était mes groupes quand j’étais gamin, Queen, Aerosmith, même Cheap Trick, Van Halen, etc. Donc, pour moi, c’était un peu comme si j’entrais dans mon enfance. Peut-être est-ce pour ça que le courant est passé avec ces gars, mais ça reste des moments irréels et très spéciaux pour moi.

Nuno : Ce qui fait de Gary un si bon chanteur pour les guitaristes est que… c’est un mec sympa ! [Rires] C’est un gars sympa et tous ces guitaristes en ont marre de gérer leurs chanteurs fous. Voilà ce que c’est. Tu ne trouveras pas un chanteur plus normal que Gary. Enfin, écoute, Gary est aussi pété de la tête que nous autres. Ne te laisse pas berner par son apparence de gars sympa. C’est un putain de taré. Il est aussi fou que nous. C’est juste qu’il ne le montre pas beaucoup. Nous sommes tous des marginaux. Mais non, je pense que Gary est fiable. Il assure avec ces gars, autant que j’assurais avec Steven Tyler. Nous sommes leur maîtresse dans leur mariage [rires]. Gary est un frontman et un chanteur incroyable, et pour être honnête avec toi – je ne dis pas ça parce qu’il fait partie de mon groupe, je l’aurais dit si j’avais écouté l’album en tant que simple fan –, je crois personnellement que Six est la meilleure prestation vocale qu’il ait jamais faite sur un album, point barre. Il est au début de sa soixantaine et je trouve qu’il n’a jamais aussi bien chanté. C’est sa prestation la plus variée, avec de la personnalité et une tessiture allant de graves vraiment intéressants à des hurlements dans les aigus. J’attends beaucoup d’Extreme en tant que tel, mais si quelqu’un me demandait quelle est vraiment la grosse différence dans le groupe sur cet album par rapport au passé, je dirais que c’est Gary. Je trouve que c’est son album. C’est sa plus grande réussite à ce jour en tant que chanteur. Souvent, les bons guitaristes éclipsent leur chanteur, mais je pense que là, les gens le remarquent. Quand je leur ai fait écouter l’album, notamment quand je cherchais une maison de disques, ils me disaient : « Merde, Gary est… Ouah ! » Il assure vraiment.

Vous deux chantez pas mal de ce qui s’apparente à des duos, comme dans « Hurricane » et « X Out » notamment…

Gary : Non seulement « Hurricane » et « X Out », mais nous échangeons également dans « Small Town Beautiful » et « The Mask » – il chante les couplets, je chante les refrains. C’est drôle parce que quand j’écoute « Small Town Beautiful », il y a des phrases qu’il chante pour lesquelles je me demande : « C’est moi, ça ? » [petits rires]. Dans certaines tonalités, Nuno et moi avons un timbre similaire. Donc oui, Nuno chante beaucoup. C’est super en live parce que ça me permet de me reposer ! Nous considérons d’ailleurs « More Than Words » comme un duo d’harmonie. Et nous avons la chance d’avoir Pat Badger qui fait les harmonies aiguës aussi.

Comment te sens-tu en tant que chanteur, Nuno ?

Nuno : J’adore chanter, même si je ne suis pas le plus grand fan de ma voix – je crois qu’aucun chanteur n’est le plus grand fan de sa propre voix. Je ne l’avais pas réalisé, mais ceci est probablement l’album d’Extreme sur lequel j’ai le plus chanté, avec « The Mask » où effectivement je chante les couplets et Gary les refrains, ou nos échanges sur « Small Town Beautiful ». Je n’avais jamais autant chanté avec Gary, mais ça s’est fait de façon très naturelle. Je n’étais pas là à dire : « Je veux chanter plus » ou « Je vais chanter là-dessus ». Quand nous étions au studio et que je chantais des parties avec lui, que lui montrait des mélodies, etc., je pense que nous avons commencé à comprendre que c’était cool quand nous chantions ensemble ou quand nous prenions chacun une phrase dans un couplet, ou peut-être que parfois la tonalité était tout simplement plus adaptée pour moi que pour lui. C’est ainsi que ça s’est fait, organiquement.

« Le problème de la plupart des groupes que j’ai écoutés sur album ou que j’ai vus en live est que j’ai l’impression qu’arrive un moment où ça devient leur boulot, parce que c’est leur gagne-pain. Le fait que nous n’ayons rien sorti en douze ou treize ans montre que, malheureusement pour tous les autres, je me fiche royalement de gagner de l’argent. »

Vous avez célébré les vingt-cinq ans de Pornograffitti en 2015 : est-ce que le fait de replonger dans cet album emblématique a fait remonter certains souvenirs ou un certain état d’esprit qui aurait finalement profité à Six, d’une façon ou d’une autre ?

Gary : Je me souviens de cette tournée. Je ne me doutais pas qu’elle serait aussi bien. Au départ, je me souviens m’être dit : « On va jouer l’album dans l’ordre, mais je ne me vois pas chanter ‘More Than Words’ après seulement quatre chansons ! » J’avais ce genre de choses qui me trottaient dans la tête, mais finalement c’était super, car le public était réceptif. C’est notre plus gros album. A savoir si ça nous a inspirés pour Six… A l’époque, nous étions en train d’écrire des chansons qui sont aujourd’hui présentes dans l’album, mais je ne sais pas si ça a eu une influence particulière, peut-être pour Nuno, Pornograffitti étant un album très orienté guitare et riff, donc peut-être que ça l’a inspiré pour certaines de ces chansons…

Nuno : C’était super de réapprendre l’album et de le revisiter, mais je ne sais pas… Enfin, comme je l’ai dit précédemment, je suis sûr que ça m’a inspiré d’une certaine façon, sans aucun doute, mais je pense surtout qu’il y avait un climat propice, entre ça et les tournées Generation Axe qui m’ont aussi probablement beaucoup inspiré, car je partageais la scène avec certains de mes héros, comme Vai, Zakk Wylde, Yngwie, j’étais de nouveau comme un gosse – j’ai appris à jouer leurs morceaux dans ma chambre ! Donc ça m’a peut-être donné un petit coup de pied au cul et ça m’a un peu réveillé. Quand on fait ce genre de musique à la guitare, il faut que ce soit quelque chose qu’on adore, sinon les gens voient bien que ce n’est pas authentique. Pour pouvoir faire un album comme celui-là ou n’importe quoi de bien, il faut en être amoureux. Il faut entretenir une forme d’idylle avec ça et il faut que ça t’apporte de la joie quand tu le fais. Si tu le fais comme un boulot et parce que tu veux gagner de l’argent et tourner… C’est le problème de la plupart des groupes que j’ai écoutés sur album ou que j’ai vus en live : j’ai l’impression qu’arrive un moment où ça devient leur boulot, parce que c’est leur gagne-pain. Le fait que nous n’ayons rien sorti en douze ou treize ans – environ douze ans car la pandémie n’a pas vraiment compté, nous ne faisions qu’attendre de pouvoir sortir l’album – montre que, malheureusement pour tous les autres, je me fiche royalement de gagner de l’argent. Car autrement, si ça avait été le cas… Nous avions la possibilité de sortir un album en 2011, 2014, 2016. Nous avions des chansons pour plusieurs albums, et quand nous disions que nous allions en sortir un, nous y croyions. Mais je ne voulais pas le faire avant que ça ait du sens, avant que nous le sentions. Il faut avoir une raison de le faire et il faut que ça paraisse être la bonne chose à faire. Il faut que l’album ait quelque chose à dire d’important pour nous. C’est tout ce qui compte au final. Si je l’ai fait, ce n’est pas pour une autre raison que : « Ouah, on a quelque chose à partager, quelque chose à dire ! »

Vous avez six albums – six albums très différents – mais est-ce que la place cruciale que tient Pornograffitti dans la carrière d’Extreme vient seulement de son succès ou bien pensez-vous qu’un déclic s’est produit avec cet album au sein du groupe, que quelque chose a été établi à ce moment-là ?

Gary : Oui ! Je crois que pour notre premier album, nous manquions de maturité en studio. Nous étions plus une combinaison de nos influences. Quand tu écoutes le premier album d’Extreme, tu entends Queen, Van Halen et un petit peu d’Aerosmith, mais parce que sa sortie avait été retardée d’un an, nous avons tourné pour le soutenir tout en écrivant Pornograffitti. Au moment où nous sommes entrés en studio pour enregistrer celui-ci, nous avions trouvé notre identité. Nous n’étions plus nos influences. Nous étions ce que nous allions devenir. Je crois que nous avons trouvé notre identité avec Pornograffitti. Bien sûr, on pouvait entendre quelques harmonies à la Queen, un riff à la Aerosmith et ce genre de chose, mais c’est sur cet album que nous sommes devenus Extreme. Peut-être que c’est la raison pour laquelle c’est celui qui a eu le plus de succès, parce qu’il était distinctement nous. Bien que je trouve III Sides meilleur. Nous sommes devenus autre chose là encore. Il n’a pas eu autant de succès que Pornograffitti, mais ce n’était plus de notre ressort à ce moment-là.

Nuno : Je pense que tous les groupes font un album où ils se trouvent pleinement eux-mêmes. Les Beatles sont l’exemple parfait d’un groupe qui a commencé jeune, passant de « I Wanna Hold Your Hand » – qui est quand même une chanson extraordinaire – à un éveil qui les a amenés soudainement à faire des albums comme Revolver, tous les trucs d’Abbey Road, etc. C’est une phase différente. Je pense qu’on se trouve à un moment donné, on trouve son expression de prédilection, son identité, et c’est vraiment là que les planètes s’alignent et qu’on a l’impression d’être comme chez soi. Je crois que Pornograffitti était ça pour nous. Beaucoup de gens disent qu’un artiste prend dix-sept, dix-huit, vingt ans à écrire son premier album et qu’ensuite, il doit faire tous les autres en un an [petits rires], et c’est vrai ! Tu passes beaucoup de temps à essayer de t’entraîner, grandir, progresser et changer. Certains fans trouveront que tu évolues dans le bon sens, et d’autres diront : « Non, non, non. N’allez pas dans cette direction. On aime cette part de vous. » Mais Pornograffitti comprenait « More Than Words », « Hole Hearted », « Get The Funk Out », « Decadence Dance », « Song For Love »… Il y avait tous ces morceaux qui ont vraiment permis au groupe de percer. Mais je tourne beaucoup, et la majorité des gens diront : « Pornograffitti est l’album que je n’ai pas arrêté d’écouter pendant toute une année, mais mon préféré, c’est III Sides. » C’est étrange et intéressant.

« Je pense que n’importe quel groupe ou musicien est baisé à partir du moment où il devient célèbre, car on se prépare uniquement à faire partie d’un groupe. On ne se prépare pas à tout ce qui se passe quand cette heure et demie ou ces deux heures passées sur scène sont finies. »

Pronograffitti est sorti en 1990, une année charnière dans le rock : c’était la fin du hair metal des années 80 et le début du grunge des années 90. Comment vous sentiez-vous au milieu de ce changement ?

Nuno : Je n’ai rien ressenti, parce que nous étions en plein dedans. Nous sommes arrivés au même moment où ça arrivait. C’était donc intéressant. C’est la raison pour laquelle, je pense, nous n’avons jamais fait partie du metal des années 80 ou du hair metal – ou en tout cas, ce que les gens appellent ainsi, car pour moi, c’est plus du rock n’ roll qu’autre chose, mais tout le monde a besoin de nommer les choses. Je pense que nous avons surfé sur la vague juste au moment où Guns N’ Roses était en train d’exploser. Guns N’ Roses participait lui-même au changement, en faisant un rock n’ roll un peu plus sale. Et même le premier album d’Extreme n’était pas vraiment metal ou hair metal avec les chansons que nous avions. C’était toujours un petit peu plus rock n’ roll et un peu plus funky, c’était différent. De toutes façons, nous avons toujours l’impression d’être des outsiders. Personne ne savait quoi faire avec ça, car pendant que tout le monde jouait des power ballades et du metal palm-muté direct et binaire, accentuant les temps forts, nous faisions des riffs plus funky avec des cuivres et des chansons acoustiques comme « More Than Words », ce que personne ne faisait à ce moment-là. Nous avions toujours l’impression d’être un enfant bâtard du rock n’ roll à l’époque, au point que quand nous faisions des tournées, nous tournions avec des groupes très différents. Nous tournions avec Alice In Chains dans des clubs, et nous tournions avec ZZ Top et Brian Adams. Nous tournions avec David Lee Roth qui venait même des années 70. Nous n’étions pas du genre à être sur une affiche metal typique.

Quand une nouvelle version du rock n’ roll est apparue, les gens ont appelé ça le grunge… J’ai toujours trouvé ça étrange d’appeler ça ainsi, car j’ai le sentiment que le terme « hair metal » rabaisse ce qu’était le metal dans les années 80, de la même façon que le terme « grunge » rabaisse les groupes comme Pearl Jam, Nirvana, Alice In Chains et Stone Temple Pilots. Pour moi, ce sont tous de super groupes de rock n’ roll. Ils étaient plus rock n’ roll que ne l’étaient même les groupes de metal, d’une certaine façon. Le plus grand changement, c’était au niveau de la guitare. Les musiciens comme moi n’étaient plus tellement les bienvenus. C’était presque comme si plus ton jeu était négligé, moins t’en savais et plus tu faisais partie de cette génération. Les solos n’étaient pas cool. Donc je pense que c’était ça le plus grand changement, mais je m’en fichais. Nous avons fait III Sides au milieu de tout ça. III Sides est un album de rock orchestral avec lequel nous ne nous sommes vraiment rien refusé. Nous étions là : « Quoi ? Qu’est-ce qui se passe dehors ? Aucune idée… » Waiting For The Punchline, en revanche, était clairement influencé par ça, mais je pense que nous avons toujours été influencés par les époques.

Gary : III Sides To Every Story est sorti n 92 et Extreme a toujours été dans sa propre bulle. Nous voyions ce qui se tramait avec des groupes comme Nirvana, Pearl Jam, etc., et nous les aimions, mais nous sortions du succès de Pornograffitti et nous voulions faire un gros album conceptuel avec un orchestre. Nous étions donc un peu isolés. Nous ne nous sommes pas trop préoccupés de l’industrie qui passait du hair metal au grunge. Nous avons été une victime de cette transition. Nous estimions sortir de la bonne musique. Nous sommes allés en Europe, au Japon et sur d’autres marchés où nous avons rencontré du succès, mais l’Amérique nous a tourné le dos. Et effectivement, peut-être que l’album suivant, Waiting For The Punchline, était un peu notre réponse à ça. Ça restait Extreme, mais nous avons épuré notre musique. Nous avons dit : « D’accord, faisons ce qu’on fait en live. Ayons juste trois chants, pas plein de pistes, etc. »

A propos du single et premier morceau de l’album, « Rise », Gary, tu as déclaré que les paroles étaient un « récit de mise en garde sur la grandeur et décadence de la célébrité ». Comment avez-vous personnellement géré la célébrité ?

Nuno : C’est une bonne question. Je pense que n’importe quel groupe ou musicien est baisé à partir du moment où il devient célèbre, car on rêve tous de jouer au Madison Square Garden, on a toujours cette vision, mais on se prépare uniquement à faire partie d’un groupe. On ne se prépare pas à tout ce qui se passe quand cette heure et demie ou ces deux heures passées sur scène sont finies. Le fait de tourner, les voyages, l’argent… Ce qui est bon fait aussi parfois partie de ce qui est mauvais. La raison est que personne ne peut te l’apprendre. Où vas-tu apprendre sur la célébrité, le succès, l’argent sur ton compte en banque, tous les gens qui veulent traîner avec toi, tous ceux qui veulent te parler, ceux qui viennent jusqu’à ta résidence ? Où était ce cours au lycée ou en classe de musique ? Quand les gens voient des artistes pop ou de gros artistes qui ont du mal avec leur vie, ils sont tous là : « Oh, bouhou, pauvre riche. Tous les problèmes que tu as avec ton argent à la banque, ta troisième maison, etc. » Les gens ne réalisent pas que ce n’est pas le problème. Le problème, c’est que c’est ça le problème [rires]. Le problème, c’est que tout ce succès s’accompagne d’un tas de conneries auxquelles tu n’es pas préparé.

« Extreme est un drôle de groupe. Nous n’avons jamais été séduits par tout le côté sexe, drogue et rock n’ roll. Enfin, le sexe dans le rock n’ roll, si, ça nous séduisait [rires], mais pas la drogue. Pour nous, tout menait toujours à la scène et au fait de jouer, c’était notre drogue. »

Certaines personnes gèrent bien… En fait, non, personne ne gère bien. Tout le monde part en couille d’une façon ou d’une autre, que ce soit à hauteur de vingt ou cent pour cent. Tu ne sais même pas comment être un groupe. Vous étiez un groupe de gamins qui se sont mis à faire ça pour une raison, et maintenant il y a vingt raisons pour le faire. Tu veux acheter une maison à ta mère. Tu te dis : « Oh, il reçoit plus d’attention que moi. » Ou : « Je n’ai jamais écrit de chansons, mais maintenant je veux avoir des chansons à moi dans l’album. Pourquoi est-ce que je ne pourrais pas, même si elles sont nulles ? » On commence à voir apparaître toutes ces conneries. On ne sait toujours pas comment le gérer. On est encore en train d’essayer de comprendre. Personne ne sait comment faire. Pas moi, pas Kurt Cobain, pas Ed Sheeran. Personne. On peut être de super musiciens, ou les gens peuvent penser qu’on est spéciaux, mais au final, on est comme tout le monde. Qu’arrive-t-il à une personne normale si elle gagne au Loto ? Je ne sais pas. A toi de me le dire. Tout d’un coup, elle est là : « Oh merde, ma vie est chamboulée. Peut-être que je n’avais pas envie de ça. Je croyais le vouloir, mais peut-être que je rêve de redevenir normale. Peut-être que je rêve que personne ne sache qui je suis. Peut-être que je rêve de sortir les poubelles plutôt que de vivre tous les jours dans des hôtels et de jeter des trucs partout. Je ne sais pas. »

Gary : Extreme est un drôle de groupe. Nous n’avons jamais été séduits par tout le côté sexe, drogue et rock n’ roll. Enfin, le sexe dans le rock n’ roll, si, ça nous séduisait [rires], mais pas la drogue. L’écriture était notre passion, surtout Nuno et moi. La scène était également notre passion. Pour nous, tout menait toujours à la scène et au fait de jouer, c’était notre drogue. Ça ne veut pas dire que nous n’avons pas vécu des nuits folles et tout, nous avons donné dans tous les clichés du rock n’ roll, dans une certaine mesure, mais nous n’avons jamais été absorbés par ça. Je pense que c’est ce qui nous a permis de garder une vie… Je ne dirais pas que nous avons eu une vie saine, mais si on compare à certains de nos contemporains, la drogue et l’alcool n’ont jamais joué un rôle dans le groupe.

Dans Six, on retrouve également une chanson baptisée « #Rebel », qui commence par : « Rebelle, tu enrages sans raison. » Contre quoi vous rebelliez-vous quand vous avez commencé Extreme ? Quelle était votre « raison » ?

Gary : Quand on était au lycée, on avait la pression pour aller à l’université et faire ce que nos parents voulaient qu’on fasse. Certains gamins se mettent en rang, et puis il y a ceux qui sont en marge de la société. A l’époque, être dans un groupe de rock n’était pas évident. Aujourd’hui, on vit l’ère de la Nouvelle Star. Tout le monde veut être une rock star, mais dans le temps, on regardait ça de loin. A mon époque, seuls quelques gamins se laissaient pousser les cheveux au lycée. Tu tombais sur une âme sœur, tu rejoignais un groupe et vous jouiez dans un garage. C’était juste une rébellion contre sa famille, son voisinage, la façon dont sa communauté pensait que les choses devaient être. Puis en étant dans un groupe de rock, tu grandis, tu es stimulé par certaines choses, tu découvres le monde. Pour ma part, mes paroles sont une observation constante de ce qui se passe dans le monde. Je ne pense pas que chaque chanson doit être une rébellion. Ça peut aussi être une célébration de la vie, comme « Beautiful Girls ».

Nuno : Je ne crois pas que je me rebellais contre quoi que ce soit. Je pense qu’on a deux options, on peut appeler ça la pilule rouge et la pilule bleue, comme dans Matrix. Tu vois un groupe en live, peu importe que ce soit au lycée, dans ton garage ou à Madison Square Garden. Quelque chose t’arrive qui fait que tu as envie de jouer d’un instrument. Tu es là : « Oh mon Dieu, j’ai vu un guitariste ou un batteur, j’ai envie de faire ça. » Puis tu prends un instrument et tu deviens un musicien. Ensuite, il y a l’autre pilule qui est la plus dangereuse, c’est-à-dire que tu ne veux pas juste prendre une guitare pour jouer des chansons. Tu te vois dans la position du musicien que tu as en face de toi. Tu te vois sur scène. Tu as déjà largement dépassé le stade d’essayer de comprendre ce qu’il fait, ce qu’il joue. Il se passe autre chose en toi. Tu ne te vois pas comme un musicien, mais comme un artiste. La mission devient alors très différente et beaucoup plus longue.

« La plupart des musiciens et des gens ont envie d’aller voir d’autres gens jouer. Moi, parfois, je ne supportais pas de voir d’autres personnes jouer. Ça me faisait mal d’être dans le public. Il fallait que je sois sur scène ou en coulisses, il fallait que je participe à ça d’une façon ou d’une autre. »

Tu en arrives à un point où tu as du mal à faire partie d’un public. La plupart des musiciens et des gens ont envie d’aller voir d’autres gens jouer. Moi, parfois, je ne supportais pas de voir d’autres personnes jouer. Ça me faisait mal d’être dans le public. Je regardais autour de moi, je voulais entendre Ozzy chanter et je voulais entendre la musique, mais mon cœur battait à un point où ce n’était pas : « Oh, est-ce qu’ils vont jouer telle ou telle chanson ? » Non, il y avait une anxiété, j’avais du mal à rester assis sur mon siège, il fallait que je sois sur scène ou en coulisses, il fallait que je participe à ça d’une façon ou d’une autre. Quand c’est comme ça, tu es foutu, parce que la route est longue. Ça brise tellement de choses au quotidien dans une vie normale, car tu ne te contentes pas d’aller au magasin et de demander à ton père d’acheter un instrument, ou d’apprendre dans ta chambre. Ça change ta vie. Tu dis : « J’emmerde l’école. » Puis tu montes un groupe, tu trouves les bonnes personnes. Tu ne le fais pas juste pour jouer des reprises. Tu montes un groupe qui t’emmènera vers ton objectif.

C’est fou ! Tu t’engages dans une tout autre mission, et c’est une mission de merde. Pourquoi ? Parce que tes chances d’arriver à tes fins sont extrêmement minces. Même quand les années passent et que tu es passé de ton garage à des clubs, à l’obtention d’un contrat avec une maison de disques, et que tu crois que c’est bon, que tu as réussi… C’est des conneries ! Le contrat avec la maison de disques, ce n’est que le début d’un autre enfer de possibilités d’échecs. Car combien de groupes voit-on sortir un album et échouer ? Ça ne se vend pas, ils sont lâchés par leur maison de disques, ou leur album ne sort jamais, ou ils sont sur la route et personne ne vient les voir… C’est dur ! Les gens ne se rendent pas compte que cette voie, c’est le choix le plus stupide qu’on puisse faire dans sa putain de vie. Ça fait longtemps que je suis dans cette industrie, j’ai démarré en même temps que plein d’autres groupes, locaux et nationaux, qui faisaient ce que nous faisions, et quand tu t’y consacres autant, que tu fais autant de changements en toi et que tu laisses toute une vie derrière toi, et que tu ne réussis pas, tu ne t’en remets pas ; tu ne t’en remets jamais. Je vois encore ces groupes qui ont démarré en même temps que nous à Boston, et je les croise de temps en temps. Le regard sur leur visage est très différent. Ils sont contents de leur vie, mais ils te regardent aussi d’une façon qui a l’air de dire : « Merde, tu as réussi. Pas moi. » Ça ne les rend pas plus mauvais, meilleurs ou quoi que ce soit. Je dis juste que ça fait mal et que c’est une flamme que tu as en toi et que tu ne perds jamais. C’est un rêve qui ne part pas. C’est un peu une douleur que tu gardes en toi. Tu vis et tu meurs avec ce rêve.

Globalement, la chanson « #Rebel » a l’air d’être une critique envers les réseaux sociaux et les faux rebelles du net. Evidemment, le rock était censé être une musique rebelle, mais avez-vous l’impression que le mot « rebelle » a été perverti avec le temps, en particulier à l’ère du numérique ?

Gary : Bien sûr. Je pense que tu as bien expliqué la chanson. C’est une critique envers ces faux révolutionnaires qui se cachent anonymement derrière leur clavier. Il y a une différence entre de vrais révolutionnaires qui s’exposent et jouent leur peau, et ceux qui font leurs petits tweets rebelles et ensuite vont regarder Netflix [petits rires]. L’esprit du rock n’ roll… C’est devenu une telle industrie maintenant. Quand tu penses à ce que les Sex Pistols faisaient dans le temps, ils se rebellaient contre les groupes établis de l’époque. Il y a toujours de la place pour ça dans le rock n’ roll, c’est-à-dire un bon coup de balai. Mais il est clair que le sens des mots s’atténue au fil du temps. Les rebelles deviennent l’ordre établi. Je pense à « Won’t Get Fooled Again » de Pete Townsend, au cycle de la rébellion de ceux qui arrivent au pouvoir et qui eux-mêmes deviennent les gros porcs – on en revient à La Ferme Des Animaux de George Orwell. Il y a ce cycle parce qu’inévitablement, le pouvoir corrompt. Donc les mots perdent effectivement de leur sens.

L’album se termine sur la ballade fédératrice « Here’s To The Losers » : qui sont ces losers à propos desquels – voire peut-être pour lesquels – tu chantes ? Penses-tu en faire partie ?

Gary : Absolument. C’est un passage plus léger dans l’album. Je trouve que c’est l’une des meilleures chansons du disque. C’est purement inspiré par « We Are The Champions » de Queen. Car dans Extreme, nous sommes de grands fans de ce groupe, et Queen était tellement… Quand tu repenses à certaines de leurs interviews, on leur demandait : « Pourquoi avoir écrit une chanson comme ‘We Are The Champions’ ? Ne trouvez-vous pas ça un peu complaisant ou prétentieux ? » Je crois que Roger Taylor a répondu : « Oui, ça l’est ! » Ils étaient tellement confiants. Je me suis toujours dit que la réponse à ça serait : « D’accord, Queen sont les champions. Eh bien, qu’en est-il du reste d’entre nous ? On est les losers ! Et on est plus nombreux que vous. Vous n’êtes que quatre ! » J’ai trouvé que c’était un titre sympa. Ça faisait d’ailleurs des années qu’il me trottait dans un coin de la tête. Nuno m’a présenté cette intro acoustique, et j’ai trouvé que ça faisait très hymnique. Mais au niveau des paroles, c’est une chanson positive, dans le sens où tous les gagnants ont à un moment donné perdu. Tu penses aux grands athlètes, à Michael Jordan, par exemple, qui a raté plus de paniers qu’il n’en a marqué, mais il est considéré comme le meilleur. Sans aller trop loin là-dedans, j’espère que c’est une chanson qui inspirera les gens.

« Quand tu ne te vois pas comme un musicien, mais comme un artiste, tu t’engages dans une tout autre mission, et c’est une mission de merde. Pourquoi ? Parce que tes chances d’arriver à tes fins sont extrêmement minces. Les gens ne se rendent pas compte que cette voie, c’est le choix le plus stupide qu’on puisse faire dans sa putain de vie. »

Nuno, ça fait un petit moment maintenant que tu es le guitariste de Rihanna. Tu as récemment pris part au spectacle du Super Bowl qui a beaucoup fait parler. On n’a pas beaucoup vu les musiciens à l’écran et à ce propos, tu as dit : « C’est tellement pathétique le peu d’amour qu’a reçu le groupe, mais c’est le Super Bowl de Rihanna ; ce n’est pas celui du groupe ou le mien. » Je suppose qu’être éclipsé est le revers de la médaille quand on joue pour une pop star aussi énorme. Vu le showman que tu es avec Extreme, est-ce frustrant de devoir s’effacer ou, en tout cas, de ne pas avoir tous les regards tournés vers toi ?

Nuno : Quand j’ai pris ce job, j’y ai pensé. Je me suis demandé : « Est-ce que j’en serai capable ? » Mais j’étais excité parce que j’ai vu tout le reste. Les musiciens avec qui je jouais dépassaient tout ce que je connaissais. C’était certains des meilleurs musiciens avec qui j’ai jamais joué – il y avait par exemple le batteur de Stevie Wonder. Tout le monde était là : « C’est de la pop, tu vas un peu t’ennuyer… » Non, c’était tout l’opposé. C’était difficile. Jouer dans Extreme et faire ton truc, c’est une chose, mais passer d’une chanson reggae à une chanson pop, à une chanson RnB, à une chanson trap, à une chanson de boîte de nuit, à devoir gérer les différents grooves, les différents feelings, et aussi à jouer de la guitare sur des chansons qui n’en avaient pas, c’est autre chose. La plupart du temps, j’ai pu créer ce que je voulais sur ces parties. De même, Rihanna m’offrait des moments de mise en lumière, genre trois ou quatre fois par soirée, en plein milieu de ces arènes, avec d’incroyables morceaux instrumentaux de quatre ou cinq minutes. Ce n’était pas : « Eh, c’est ce gars là-bas au fond ! » Il s’agissait de faire partie d’un incroyable groupe aux côtés de cette artiste qui enchaîne treize concerts d’affilée au O2 de Londres ou qui fait des stades. C’était dingue. La production avec les danseurs et tout, j’ai trouvé ça extraordinaire. Ce n’était pas un petit boulot confortable dans la pop.

Je me souviens, je crois que c’était en France, lors de la première tournée que j’ai faite avec elle. Un magazine français – je leur ai parlé récemment et ils se souviennent de cette histoire – avait contacté mon manageur. Comme j’allais être à Paris, ils voulaient voir s’ils pouvaient m’interviewer sur mon actualité, juste en tant que guitariste, pas par rapport à Rihanna. J’ai fait l’interview vers quatre heures de l’après-midi. J’ai terminé l’interview et mon tour manager est arrivé, et a dit : « Ok les gars, voici vos billets pour le concert. C’est juste-là dans le pit. Et voici vos pass si vous voulez venir dire bonjour après. » Ils se sont regardés et j’étais là : « Quoi ? Qu’est-ce qui ne va pas ? » Ils ont dit : « Ouais, ce n’est pas trop notre tasse de thé. Je pense qu’on va y aller, si ça ne vous pose pas de problème. » J’étais là : « D’accord. Vous savez quoi ? Vous êtes déjà là. On est sur scène dans une heure. Regardez deux chansons et voyez ce que vous en pensez. » Nous sommes montés sur scène et nous avons joué. Je me souviens que je les voyais dans le pit. Deux chansons, cinq chansons, sept chansons, une heure passe, une heure et demie. Nous avons terminé le set et ils sont venus en backstage. J’ai dit : « Qu’est-ce que vous faites là, les gars ? » Ils ont répondu : « On veut s’excuser. C’était incroyable ! La musicalité, le jeu, le groupe… » Nous avions deux claviéristes déments. Il n’y avait rien de pré-enregistré. Tout le monde apprend les parties, et les versions live des chansons n’avaient rien à voir avec les versions album. « Et les solos que tu as faits et le spectacle… On ne savait vraiment pas. » Je leur ai dit : « C’est ce que j’ai essayé de vous dire ! »

Je ne fais pas ça en tant qu’invité. Aucune offense à Slash, mais il ne pourrait pas jouer dans ce genre de show. Tu vois ce que je veux dire ? Slash fait le meilleur Slash au monde. Mais c’était parfait pour moi, car dans d’Extreme, nous faisions plein de choses différentes. Nous jouions des morceaux acoustiques et des morceaux pop, nous jouions de « More Than Words » jusqu’à du reggae, nous avions des cuivres, un côté funky, etc. Quand on m’a appelé pour ce job, ils m’ont envoyé les chansons, et j’étais là : « Oh bordel ! » Ce n’est pas comme si je me tournais les pouces. C’est intense. Il y a beaucoup de changements à faire. C’était presque plus complexe que ce que je fais dans Extreme, car Extreme, c’est à moi. Je pourrais jouer les morceaux du groupe les yeux fermés, tout en me baladant et en mangeant un sandwich, alors que ça, ça nécessitait toute mon attention. J’ai donc beaucoup appris, et soit dit en passant, tous les soirs après avoir joué, nous avions une grande pièce aménagée avec du matériel. Comme nous ne repartions pas avant quatre heures du matin – Rihanna aime partir très tard, donc tout le monde partait ensemble –, de onze heures du soir à trois heures du matin, nous ne faisions que jammer. Pas des chansons de Rihanna, mais les trucs de fusion, funk, pop les plus dingues que tu as jamais vus, avec certains des meilleurs musiciens avec lesquels j’ai jamais joué. Les jams les plus complexes et les plus folles que tu as jamais entendues – des trucs à la Return Forever. C’était complètement hors de contrôle ! Ça aurait été génial de tout enregistrer, vous n’en reviendriez pas. Il arrivait même parfois que Rihanna se joigne à nous, et nous jouions des chansons, comme du Bob Marley ou autre. Tous les soirs, c’était la fête là-dedans.

C’est d’autant plus dommage d’avoir un tel groupe et de ne pas le montrer à l’écran…

Nuno : Oui, mais écoute, c’est le Super Bowl. D’ailleurs, deux ou trois personnes m’ont dit que j’étais énervé. C’est pour ça que je déteste faire des interviews, parce que les gens décident à ma place ce que je ressens. J’ai dit ça avec un peu d’humour : « Ouais, c’est quoi ce bordel ? On n’était même pas à l’écran ! » en plaisantant, et tout le monde maintenant dit : « Oh, Nuno était furax ! » La dernière interview que j’ai faite, le gars a dit : « Tu étais vraiment en colère… » J’étais là : « Hein ? » J’ai dit que ce n’était pas mon spectacle. Ça aurait été sympa de voir le groupe, car il joue toujours un rôle très important, il joue la musique pour l’artiste, et nous étions très surpris ; je pense que Rihanna elle-même a dû être surprise. Quiconque a vu ça a dû se dire : « C’est quoi ce bordel ? Pourquoi ils n’ont montré que ce genre de plans de la production ? », qui était d’ailleurs magnifique, c’était extraordinaire, mais je me sentais mal pour les gars et tous ceux qui étaient là, car tout le monde a travaillé très dur et a tout joué live. Mais comme tu l’as dit, c’était le Super Bowl de Rihanna, pas le nôtre.

Interview réalisée par téléphone les 11 et 19 mai 2023 par Nicolas Gricourt.
Retranscription & traduction : Nicolas Gricourt.
Photos : Kyle Bertrand (2, 9, 11), Jesse Lirola (5, 12).

Site officiel d’Extreme : extreme-band.com

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