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Interview   

Helloween : des dieux et des citrouilles, partie 2


Giants & Monsters, voilà un titre accrocheur pour un groupe qui, depuis quarante ans déjà, n’a jamais vraiment cessé de tutoyer les sommets du power metal. Helloween, véritable monstre à sept têtes, resurgit à nouveau des profondeurs de l’Allemagne, porté par l’élan d’un line-up complet réuni et plus solide que jamais. Depuis le succès de leur album éponyme en 2021 – premier opus à réunir à nouveau Michael Kiske et Kai Hansen aux côtés des membres historiques Michael Weikath et Markus Grosskopf – la pumpkin machine ne s’arrête plus. Trois chanteurs, des personnalités bien distinctes mais une vision partagée : chacun a mis la main à la pâte pour faire de Giants & Monsters un cocktail musical aussi varié qu’explosif. Car si les membres d’Helloween sont tous différents dans leur manière de penser, composer ou ressentir la musique, c’est sur leur perception de la spiritualité qu’ils se retrouvent – en tout cas concernant les deux frontmen.

À l’occasion de la sortie de ce nouvel album très attendu par les fans, c’est avec Andi Deris cette-fois ci que nous avons pu discuter. Plus cartésien et scientifique que son comparse Michael Kiske, il détaille le lien qui unit les deux chanteurs, sa propre approche de la spiritualité ainsi que les processus de création de certaines chansons. Un entretien plein de sens qui vient répondre pleinement à certaines questions qui restaient encore en suspens.

« S’il y a de la tension, ça peut être un moteur, mais je pense qu’il faut que tout le monde soit de bonne humeur [rires]. Les tensions sont toujours sur le fil ; il y a toujours un risque de basculer d’un côté ou de l’autre, et que ça devienne idiot. Ca demande de l’expérience, de se connaître et de la confiance. »

Radio Metal : Giants & Monsters est le deuxième album de cette incarnation du groupe. Avec le premier, vous étiez dans une phase de découverte – ou redécouverte – créative. Comment ça s’est-il passé cette fois-ci ? Avez-vous tiré des leçons de la première expérience ? Y a-t-il eu des différences notables dans le processus, votre approche ou votre manière d’interagir ?

Andi Deris (chant) : La plus grande leçon que nous avons apprise, Michael Kiske et moi – les chanteurs –, c’est que la dernière fois, nous avions passé plus de temps en studio à discuter de qui chante quoi plutôt qu’à chanter réellement. Cette fois, nous nous sommes dit que nous gagnerions probablement beaucoup de temps si nous chantions tout – Michael chante toutes les chansons, je chante toutes les chansons – et que nous laissions les producteurs faire leur boulot [rires]. Au final, ça s’est passé comme prévu : nous avons économisé au moins trois ou quatre jours que nous avions perdus la fois précédente, rien qu’en discussions. D’où notre décision : cette fois, nous ne discutons pas, nous chantons, et les producteurs font leurs coupes et leurs arrangements, puis ils nous font écouter à la fin.

C’était très drôle, parce que Michael et moi, nous descendions souvent à la plage qui est à une demi-heure de marche d’ici, on peut se balader, c’est magnifique. Et le soir, nous remontions pour écouter ce que les gars avaient fait. La plupart du temps, c’était top, nous étions super contents. Disons qu’il y a peut-être eu dix pour cent – et encore – de moments où Michael disait : « Là, je ne m’aime pas. Andi, tu pourrais le faire ? », ou bien moi qui critiquais : « Là, je ne m’aime pas. Michael, tu peux chanter à ma place ? » C’était vraiment bien. Ensuite, nous avons passé trois jours supplémentaires pour enregistrer les secondes voix et les harmonies. Quand il était décidé qu’un morceau serait chanté par Michael, j’entrais ensuite en studio pour poser toutes les secondes voix, les overdubs, etc. Et inversement. Nous gardons toujours ce côté duo : même si c’est lui le chanteur principal sur un titre, je suis quand même là, et si c’est moi le chanteur principal, Michael est quand même là… C’était fun, et tellement plus simple que la dernière fois, où nous passions notre temps à débattre.

Weiki a déclaré que « ce qui continue de [vous] motiver, c’est le fait que [vous] soy[ez] extrêmement différents ». On sait que les tensions avaient fini par poser problème dans le groupe à une époque, mais penses-tu que ces tensions, si elles sont bien gérées, peuvent aussi nourrir la créativité ?

Oui, si ça ne va pas trop loin. Les tensions sont toujours sur le fil ; il y a toujours un risque de basculer d’un côté ou de l’autre, et que ça devienne idiot. S’il y a de la tension, oui, ça peut être un moteur, tu as complètement raison, mais je pense qu’il faut que tout le monde soit de bonne humeur [rires]. Si quelqu’un est de mauvaise humeur, là, la tension peut devenir négative. Si chaque membre est dans un bon état d’esprit, aucun problème : on peut en discuter, tout le monde à le sourire et tout va bien. Les tensions peuvent être bonnes ou mauvaises, tout dépend de l’humeur des gens. L’art, c’est de repérer si tout le monde va bien ou si quelqu’un a un souci ce jour-là. Ça demande de l’empathie, il faut connaître les gens, leur faire confiance et écouter ton instinct qui te dit : « Oh, d’accord, Andi agit comme ça aujourd’hui. Tel qu’on le connaît, ce n’est peut-être pas le bon moment pour lancer cette discussion. » Ou, à l’inverse : si je vois que Weiki n’est pas dans un bon jour, je sais qu’il vaut mieux éviter de commencer à faire des bêtises. Dans un groupe où il n’y a pas de confiance, où personne ne fait attention aux autres et où tout le monde se met à discuter sans réfléchir, la tension devient vite quelque chose de moche. Je dirais que ça demande de l’expérience, de se connaître et de la confiance.

Dans Helloween, pour l’instant, il y a assez d’empathie pour que quelqu’un se lève et dise : « Peut-être qu’on devrait repousser cette discussion à plus tard », parce qu’il sent que quelque chose ne va pas avec telle personne. Jusqu’à présent, c’est très rare que ce soit devenu un gros problème. Et le bon côté, c’est que même quand la tension dérape – quand nous tombons de la falaise, pour ainsi dire [rires] –, il y a toujours cette confiance qui fait que nous allons nous retrouver deux heures plus tard pour en parler et dire : « Désolé, j’ai été idiot, j’ai mal compris. » Ce qui est génial, c’est que tout le monde dans le groupe actuel est capable de présenter des excuses. J’en ai souvent été témoin. C’est fantastique. J’ai dû passer par là aussi ; ce n’est pas facile d’admettre qu’on a tort, mais j’essaie de me lever et de dire : « Désolé mec, là j’avais tort, ma réaction était stupide. » C’est un miracle, mais ça marche [rires].

« En sortant ‘This Is Tokyo’ en premier single, nous savions très bien que cinquante pour cent des fans diraient ‘oh quel putain de bon morceau !’ et cinquante pour cent ‘ah non, ce n’est pas du heavy metal ou du speed metal !’ Nous voulions provoquer ce débat. »

La communication est la clé…

Absolument. S’il n’y a pas de confiance, il n’y a pas de vraie communication, pas d’échanges honnêtes. Je suis content de pouvoir dire que, pour l’instant, nous avons réussi à gérer ça plutôt bien. Nous le savions dès le départ : si nous décidions vraiment de reformer le groupe avec sept personnes, il fallait en être conscients et se préparer. C’est quelque chose que nous avons abordé très franchement. C’était génial : tout le monde acquiesçait, en disant qu’il comprenait parfaitement et qu’il acceptait. Nous nous sommes dit qu’il fallait faire attention non seulement à soi-même, mais aussi aux autres. De grands mots, certes, mais ça s’est avéré fonctionner.

Il est intéressant de noter que « Giants On The Run » a été écrit par toi et Kai Hansen. C’est votre première collaboration en duo de compositeurs. Dans l’univers d’Helloween, vous représentez deux époques et deux esthétiques très différentes. Comment s’est passée la collaboration sur ce morceau, et le « choc », pour ainsi dire, de ces deux mondes ?

Ce n’est pas exactement notre première collaboration, la première était « Pumpkins United » (il s’agissait d’une collaboration de composition en trio avec Michael Weikath, NDLR). Ça s’est passé sans problème. Honnêtement, c’est une histoire typique de Kai. Kai étant Kai, il n’a même pas téléchargé ma version terminée de « Giants On The Run ». Il pensait encore qu’il fallait ajouter des parties centrales, des solos, que ce n’était pas encore arrangé… Mon style personnel, c’est que je mets toujours mes idées sur Dropbox et, la plupart du temps, j’écris disons une intro, le riff principal, les couplets, les ponts, les refrains… bref, tout ce qui constitue l’ossature du morceau. Je m’arrête toujours avant de travailler les parties centrales et autres détails, parce que je sais que ça prend beaucoup de temps, et je ne vais pas investir autant dans un titre qui ne sera peut-être même pas retenu. Kai étant Kai, il ne s’est même pas rendu compte que le morceau était en fait fini, arrangé, prêt à être produit, alors que j’avais écrit à tout le monde un mail disant : « Voilà la version terminée, téléchargez-la, écoutez-la, dites-moi ce que vous en pensez. » Quatre ou cinq jours plus tard, nous avons reçu un mail de Kai : « Oh, j’adore tellement ce morceau, ‘Giants On The Run’, c’est un vrai hymne, je l’adore, voilà la partie centrale que je propose ! » Je lui ai répondu : « Ok, j’ai écouté ta partie centrale, je la trouve super, tout va bien… mais tu t’es rendu compte que j’avais déjà terminé le morceau ? » Et lui : « Ah bon ? Mince, je ne savais pas ! » J’ai alors ajouté : « Ne t’inquiète pas, de toute façon ta partie centrale est géniale, donc on la garde, on fait comme ça, je l’aime même plus que la mienne. » Après ça, nous avons un peu travaillé dessus, ici et là. La dernière partie vient quand même de ma version originale : après sa partie centrale, nous avons rajouté la partie finale de la mienne il me semble. C’était une belle symbiose, mais aussi une histoire marrante. C’était Kai qui a fait son Kai, mais au final, ça sonne mieux qu’avant [rires].

« This Is Tokyo » est un morceau très personnel pour toi. Tu as dit que tu avais « toujours voulu écrire cette chanson. Le Japon joue un rôle très spécial dans [ta] vie ». Qu’est-ce qui rend Tokyo et le Japon si spéciaux pour toi, au-delà du succès que Pink Cream 69 a connu là-bas ?

En fait, c’est ça la réponse. Avec Pink Cream 69, nous avons eu notre premier grand succès au Japon, et ça a déroulé le tapis pour l’Europe, qui est soudainement devenue de plus en plus importante aussi. La petite flamme est d’abord apparue au Japon, puis elle s’est transformée en grand feu. Ça a été très bénéfique pour nous permettre de commencer à percer en Europe également. Pour moi, le Japon restera toujours le pays numéro un où ma carrière a démarré. Être reconnaissant, c’est naturel chez moi. Si j’ai l’occasion de dire merci, je le fais. Je l’ai fait des centaines de milliers de fois à la télévision japonaise, en leur disant combien ils comptent pour moi. Cela dit, c’est quelque chose qu’on entend pendant une seconde et qu’on oublie dès l’année ou la semaine suivante. Une chanson, ça dure un peu plus longtemps. J’espère que les gens écouteront un morceau comme « This Is Tokyo » dans dix ans voire cinquante ans, on ne sait jamais. Certains l’écouteront probablement pour toujours, et j’espère qu’elle fera partie des archives du rock. Pour moi, c’est un « merci » bien plus substantiel que de rester planté devant une caméra de télévision idiote, parce que, comme je l’ai dit, ce genre de choses est oublié dès la semaine suivante.

« On dit toujours ‘là-haut’, mais mon avis personnel, c’est qu’il n’y a pas de ‘là-haut’. les gens devraient comprendre que Dieu est en nous. Qui est Dieu, qu’est-ce que Dieu, comment est Dieu… je m’en fiche, ce n’est pas important. Ce qui compte, c’est juste de savoir qu’il y a quelque chose. »

J’ai toujours voulu écrire une chanson de remerciement pour le Japon, mais jusqu’à présent, je n’avais jamais eu d’idée qui me plaisait vraiment. Puis il y a eu ce couplet qu’on retrouve désormais dans « This Is Tokyo ». Je me souviens, pour une raison quelconque, j’avais déjà la deuxième voix en tête quand je chantais la première [il chantonne], alors je me suis dit : « Ok, ce serait un parfait duo entre Michael et moi. » Pour une raison ou une autre, je me suis retrouvé avec le passage : « You’re one in a million. » Je me suis demandé : « Mais c’est quoi ce ‘one in a million’ ? Qui est unique parmi un million ? » C’est juste une idée que j’ai eue. Puis, soudainement, c’était le déclic : « Oui, Tokyo ! Voilà, enfin, Dieu merci ! » [Rires] Parfois, on a l’impression que c’est quelqu’un d’autre qui nous souffle l’idée, ce qui est absurde, mais on a vraiment l’impression que ça vient d’ailleurs, et on est heureux, on a la chair de poule, on se dit : « Ouais, enfin ! »

Je n’étais pas sûr que les gars l’aimeraient parce que c’est un de ces morceaux pop metal qui parfois conviennent à Helloween, et parfois pas. « Power », « Future World », « I Want Out », « Dr Stein » ou même « If I Could Fly », ces chansons ne sont pas des hymnes speed metal typiques. Sauf que quand on regarde l’histoire d’Helloween, ces morceaux sont très importants sur un album parce qu’ils permettent de respirer après un hymne heavy metal bourré d’énergie. Après un de ces grands titres speed metal, il faut quelque chose pour calmer le jeu, et j’ai réalisé à quel point c’est important d’avoir ce type de chansons sur un album. Je me suis dit « d’accord, je vais la présenter » et les gars l’ont adorée. A la fois, ce qui est super, c’est que c’est très controversé. En la sortant en premier single, nous savions très bien que cinquante pour cent des fans diraient « oh quel putain de bon morceau ! » et cinquante pour cent « ah non, ce n’est pas du heavy metal ou du speed metal ! » Nous voulions provoquer ce débat, parce que ça fait parler les gens. La majorité a quand même tout de suite compris en disant : « Ouais, mais tu sais, c’est Helloween, il y aura du speed metal sur l’album. » J’estime que le contraste est important, mais on ne peut pas plaire à tout le monde, et je pense que c’était un excellent choix parce que ça a lancé les discussions. C’était génial de voir, un peu partout, quand je passais sur YouTube : « Putain, quel super morceau ! » Et juste après : « C’est quoi ça ? Ce n’est pas du Helloween ! » J’ai adoré ! La discussion a duré encore et encore. C’est mieux de laisser les gens parler, même négativement, plutôt qu’ils ne parlent pas du tout [rires].

La dernière fois, tu nous avais dit avoir écrit une ballade pour Helloween qui n’avait pas été retenue parce qu’elle devait être retravaillée pour sonner plus « Helloween ». Tu avais ajouté : « J’espère que vous pourrez l’entendre dans le futur, et probablement que lors de la prochaine interview, tu me diras : ‘Oh Andi tu m’as dit des conneries’ ou bien ‘Oh Andi, tu avais raison’. » Je ne vois qu’une seule ballade sur l’album : « Into The Sun ». En supposant que ce soit celle-là, comment l’as-tu retravaillée pour la rendre plus « Helloween » ? Et au fait, c’est quoi une ballade typique de Helloween ?

Oui, c’est bien celle-là ! Il n’y a pas vraiment de ballade typique chez Helloween, c’est plutôt une manière de chanter. En l’occurrence, « Into The Sun » a une mélodie qui vole, qui s’élève. À l’époque, l’équipe de production avait suggéré d’abaisser la tonalité de cinq demi-tons pour que le public puisse chanter plus facilement. C’était une bonne idée, mais ça faisait perdre le flow. Cette hauteur particulière donne quelque chose de spécial, et là, ça disparaissait. Du coup, on obtenait une chanson un peu « neutre », que tout le monde pouvait chanter, et probablement une bonne chanson pour l’album, tout le monde aurait été content… sauf moi. Nous sommes Helloween collectivement ; j’ai écouté le résultat final et je me suis dit « non ». Je préférais largement ma démo – ce qui est toujours un risque, parce que dire ça, ça agace tout le monde. Cette fois, j’ai demandé à tout le monde : « Est-ce que vous ne préfériez pas le style de la démo initiale, quand le chant était aigu ? » Et tout le monde m’a confirmé : « Oui, on perd quelque chose quand ce n’est pas le cas. »

« C’est passionnant de plonger dans ces voyages philosophiques avec Michael. Quand on a un ami, on se rend compte qu’il n’y a aucune raison d’avoir peur de la spiritualité. Seul, ça peut faire peur. C’est quelque chose de beaucoup plus facile à vivre à deux. »

C’est en fait Dennis [Ward], notre ingénieur son, qui a donné l’argument : « Vous avez une célèbre ballade qui est aiguë : ‘Forever And One’. Écoutez les enregistrements live, les gens s’en fichent, ils chantent quand même. » Et ça sonne fantastique. Quand tu entends vingt mille personnes chanter « Forever And One », même si soixante-dix pour cent du public est masculin, ça reste superbe. Au final, Nous nous sommes dit : « Rien à foutre, on est Helloween, les voix aiguës font partie de notre carrière, revenons à l’idée originale. » Michael l’a chantée, c’était magnifique. J’ai alors proposé : « Si ça ma voix sonne bien, je peux aussi chanter le refrain, sinon on laisse Michael le faire. » C’est une superbe chanson, pas de problème d’ego ; je l’ai écrite mais je ne suis pas obligé de la chanter. La décision a été d’être tous les deux dessus parce que nous apportons chacun quelque chose. C’est ce qu’il fallait faire : chanter aigu, point final. Comme on l’a vu sur les albums live, ça marche parfaitement avec le public. « Forever And One » a été chantée par Michael et moi, juste avec une guitare acoustique de Sascha [Gerstner], et les gens chantaient avec un énorme plaisir. Voilà la preuve que ça marche.

Il y a deux chansons qui évoquent Dieu : « We Can Be God » et « Hand Of God ». Par le passé, il y a eu « My God-Given Right », « Wanna Be God », « Mrs. God » et même « Hey Lord ». Pourquoi es-tu aussi obsédé par Dieu ? D’où ça vient ?

C’est la plus grande question non résolue de l’humanité. J’essaie toujours – et je sais que les autres le font aussi – de l’aborder sous un angle différent. La regarder de gauche, de droite, d’en haut, d’en bas, de devant, de derrière… Il y a tellement d’opinions, tellement de croyances et tellement de versions différentes de Dieu. Au bout du compte, c’est probablement une histoire sans fin : on pourrait écrire cent albums sur Dieu, qu’on y croie ou pas. Pour moi, c’est le symbole de quelque chose de bien, et je pense qu’on a besoin de quelque chose de bien. C’est l’essentiel : l’humanité a besoin d’espérer qu’il y a quelque chose de bon là-haut – ou en nous. On dit toujours « là-haut », mais mon avis personnel, c’est qu’il n’y a pas de « là-haut ». C’est une façon de penser en trois dimensions ; les gens devraient comprendre que Dieu est en nous, qu’il n’y a pas de dimension, il est juste là. Mais ça, c’est une autre croyance. Je ne dis pas qu’il y ait un vrai ou un faux discours, parce qu’on ne sait tout simplement rien, et je trouve que c’est une bonne chose. La raison pour laquelle j’aime écrire sur Dieu, c’est que je pense vraiment que personne n’agirait en connard s’il savait qu’il y a un Dieu. Le fait est qu’on ne peut qu’y croire – pas savoir. Et c’est bien, parce que ma théorie, c’est que si tout le monde savait avec certitude qu’il y a un Dieu, personne ne serait bon volontairement, car on saurait qu’il y a quelque chose qui nous juge et nous présente l’addition [rires]. Personne n’apprendrait à être bon par choix. Qui est Dieu, qu’est-ce que Dieu, comment est Dieu… je m’en fiche, ce n’est pas important. Ce qui compte, c’est juste de savoir qu’il y a quelque chose.

« Into The Sun » parle de réincarnation. Je sais que Michael Kiske est très spirituel, mais toi, quelles sont tes croyances ?

Je pense que c’est la principale raison pour laquelle Michael et moi nous entendons si bien : nos croyances sont très proches. Nous sommes tous les deux dans ce domaine théorique, sans jamais, encore une fois, dire aux gens qui est Dieu – parce que nous ne savons pas ! Si je savais qui est Dieu, je serais Dieu. Ce serait déjà un blasphème. Ce n’est pas la bonne façon de voir les choses. Sur le plan philosophique, c’est très intéressant de m’asseoir avec Michael et de me rendre compte qu’il pense à peu près comme moi. Il l’exprime différemment, mais au final, la conclusion est toujours la même. C’est assez fascinant pour nous deux, car nous regardons la vie sous des angles différents, ce qui, au départ, pourrait laisser penser que nous avons des personnalités très différentes. Oui et non, car le terrain sur lequel nous évoluons est toujours le même. C’est ça qui est amusant : le résultat est toujours identique, nous défendons tous les deux le bien, nous savons tous les deux que nous ne savons rien, et ça, je ne l’avais encore jamais vu chez quelqu’un d’autre. Avoir toute la philosophie et connaissance qu’il a en tête et finir par m’admettre qu’il ne sait finalement rien… C’est exactement comme moi, mais vu sous un autre angle. Je suis plus du genre mathématique, physique, toujours en quête d’une explication scientifique ou d’une preuve rationnelle. Et ce qui est drôle, c’est qu’au bout du compte, nos visions ne s’opposent pas mais se rejoignent. Je pourrais expliquer la religion d’un point de vue scientifique, tandis que Michael le ferait sous l’angle philosophique et spirituel, et pourtant, nous nous retrouverions sur le même terrain, en réalisant que nous essayons juste de prouver la même chose. Tout en nous rendant compte que, même en nous retrouvant sur ce terrain commun, nous n’avons encore rien prouvé [rires]. Encore une fois, tout tourne autour de la croyance : on ne sait jamais, et c’est bien comme ça.

« Peut-être que pour les gens qui nous aiment, nous sommes des géants, d’accord. Je suis heureux d’être votre géant, mais moi, je ne me sens pas comme tel. J’essaie juste d’être un géant humble, le cas échéant [rires]. »

Je pense qu’on a été forcés d’oublier la spiritualité. Les mille dernières années ont été des siècles où les gens ont été poussés de plus en plus vers le vide, si l’on peut dire. La spiritualité est tournée en dérision, mais je crois qu’au fond, chacun sait qu’elle existe parfois vraiment. Je ne dis pas qu’elle est toujours là, mais les gens se rappellent toujours de leur spiritualité quand quelque chose ne va pas dans leur vie. C’est triste, parce que ça prouve qu’elle existe, qu’on le veuille ou non. Tôt ou tard, elle se présente à vous. Peut-être qu’elle vous détruira si vous l’avez niée ou négligée. Je ne sais pas ce qui est juste ou faux, je vis ça de manière très libre. J’accepte que parfois elle soit là, et parfois je peux en profiter – en particulier quand je suis avec Michael et que nous partons dans ces voyages philosophiques, c’est passionnant de plonger dedans. Quand on a un ami, on se rend compte qu’il n’y a aucune raison d’avoir peur de la spiritualité. Seul, ça peut faire peur. C’est quelque chose de beaucoup plus facile à vivre à deux. Même si, encore une fois, on est toujours en quête d’une réponse qui ne viendra jamais. C’est toujours une réflexion philosophique quand on dit : « Oui, je crois que ça pourrait être comme ça. » Mais le bon côté, c’est que ça reste toujours une croyance. Il n’y a aucune raison d’en avoir peur, car de toute façon, on ne saura jamais la vérité [rires].

L’album s’appelle Giants & Monsters. En tant que groupe, vous vous considérez plutôt géants ou monstres ? Ou peut-être un peu des deux ?

Non, pas vraiment. Les vrais géants, seraient Metallica, des gars comme ça, qui jouent en Ligue des Champions. Nous, nous sommes peut-être des petits géants dans la ligue supérieure d’une équipe de foot normale, disons-le comme ça [rires]. Ne te méprends pas, je suis content de ne pas être en Ligue des Champions parce que je mène une super vie ici sur mon île, les gens me laissent tranquille ; il n’y a que quelques chuchotements derrière mon dos, genre : « C’est un chanteur dans un groupe très connu. » Si j’avais été James Hetfield de Metallica, je ne me baladerais pas ici comme je le fais. C’est quelque chose que je ne voudrais changer pour rien au monde. Je suis heureux, nous vivons une belle vie, j’ai une super carrière, j’ai un groupe que j’aime, tout va bien. Peut-être que pour les gens qui nous aiment, nous sommes des géants, d’accord. Je suis heureux d’être votre géant, mais moi, je ne me sens pas comme tel. J’essaie juste d’être un géant humble, le cas échéant [rires].

Giants & Monsters est une tout autre histoire. Ça parle de nous tous, ça parle des géants que nous étions. Même dans tous les grands livres des principales religions du monde, la Bible, le Coran, etc., il est toujours question de « il y avait des géants sur Terre » – c’est dans tous les grands livres religieux. Il y a plein de théories du complot qui disent : « Peut-être qu’il y avait des extraterrestres ! » Non. Et si c’était nous ? Nous étions des géants. Maintenant, on a oublié comment l’être, peut-être qu’on n’a plus le droit d’en être, peut-être que c’est juste le système qui ne nous le permet pas, il y a tellement de façons d’en parler, mais tout le monde le ressent au fond de lui. Tout le monde sait qu’il se sent beaucoup plus grand que ce qu’on l’autorise à être. On rêve tous de beaucoup plus que ce qu’on nous permet. Moi-même, je rêve de beaucoup plus que ce qu’on m’autorise à être. On connaît tous ce sentiment, il est là, on est des géants mais on est un peu amnésiques, on fuit, on en a peur ou peu importe. C’est à débattre, mais on est bien plus que ce que l’on paraît. Le problème, ce sont ces petits monstres dans ta tête, les combats quotidiens contre eux qui ont été mis là peut-être par la société, l’éducation, l’école, tes parents, et les gros monstres à l’extérieur, des vrais gens, qui te barrent la route en te disant : « Non, tu n’as pas le droit, tu ne peux pas faire ça… » C’est ça, Giants & Monsters. Je dis toujours : « Essayons d’être un géant. » Pour moi, un géant n’en est pas un s’il écrase les autres. Ce n’est pas un géant, c’est le diable, un salaud ou un monstre. C’est très difficile d’être un géant dans la vie sans devenir un monstre. Ce qui est drôle avec la pochette, c’est que je dis toujours : « Ne perds pas la tête quand tu combats les monstres. » C’est pour ça que le géant retient sa tête de citrouille dans sa main [rires].

Interview réalisée en visio le 11 juillet 2025 par Mathilde Beylacq.
Retranscription & traduction : Mathilde Beylacq.
Photos : Mathias Bothor & Nicolas Gricourt (live).

Site officiel de Helloween : www.helloween.org

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