Souvent les changements majeurs amènent une certaine remise en question et mettent face aux choses qui importent. Roy Khan est sans conteste l’un des meilleurs et plus identifiables chanteurs de la scène heavy/power actuelle. Il a officié pendant douze ans au sein de Kamelot en tant que chanteur et co-compositeur avec le guitariste Thomas Youngblood et est sans l’ombre d’un doute l’un des principaux ingrédients qui a mené la formation là où elle est aujourd’hui. Donc, voir ce chanteur, en 2010, quitter ses compagnons de la table ronde est, assurément, un changement majeur pour Kamelot.
Après un intérim assuré par Fabio Lione, chanteur de Rhapsody (lequel au fait ? Ah oui, celui qui a gardé le complément « Of Fire »), c’est finalement un bel inconnu du nom de Tommy Karevik qui a investi le poste. Belle gueule, qui n’est pas sans rappeler son prédécesseur par certains traits, qui se trouve en sus être engagé chez les pompiers – c’est bien connu, l’uniforme fait craquer les filles – il a donc tout pour plaire à la jolie demoiselle en noir sur la pochette de l’album (nous y reviendrons). Plus important encore, le Suédois, sait chanter. Indéniablement. Il sait aussi et surtout chanter à la manière de Roy Khan. Pas tout à fait une copie carbone dans le timbre (même si la similitude apparaît parfois bluffante) mais l’approche vocale, les mimiques, etc. sont telles que Karevik fait illusion par rapport à son prédécesseur norvégien. Si le groupe affirmait que sa capacité à approcher au plus près le style de Roy Khan n’était pas un critère déterminant dans la décision de l’intégrer au groupe, on aurait peine à le croire. Le guitariste Thomas Youngblood disait justement dans une interview publiée sur la page Facebook du groupe qu’ils ont choisi le chanteur qui collait le mieux en termes de sonorité, d’écriture et d’image. Voilà qui est cohérent.
Mais est-ce un choix judicieux en fin de compte ? De but en blanc, on pourrait facilement croire que les remplaçants trop différents ont tendance à se faire refouler par les fans. A regarder l’histoire de notre genre de prédilection, la boiteuse histoire entre Iron Maiden et Blaze Bayley a tendance à confirmer cette supposition. Tout comme le remplacement couronné de succès du défunt Steve Lee au sein de Gotthard par un Nic Maeder au timbre vocal très proche. Mais à y regarder de plus près, il y a aussi l’histoire d’AC/DC et d’un Brian Johnsson à la personnalité vocale différente du vénéré et regretté Bon Scott, qui ont, dès le premier essai, engendré Back In Black, le plus populaire de leurs albums avec Highway To Hell. Il y a aussi l’histoire de Ripper Owens qui, malgré ses qualités vocales et humaines unanimement reconnues, et avec un registre aussi proche du Metal God qu’il était éloigné de celui de Matt Barlow, s’est fait débouter tour à tour de Judas Priest et d’Iced Earth. Tout ça pour dire que manifestement, en musique, lorsque vient l’heure des changements, il n’y a pas de règle, juste des angoisses et des spéculations mais aussi et surtout des choix – parfois influencés par ces dernières – qui fonctionnent et d’autres pas. Les émotions humaines – autant du côté de l’artiste que du public – ont toujours rendu le choix artistique complexe, là où, pourtant, il devrait être le plus simple : celui du désir égoïste, voire de l’instinct.
A l’écoute de Silverthorn, le nouvel album de Kamelot, il est facile de comprendre le choix du groupe. Changer le visage de celui qui apparaît comme sa première vitrine est déjà assez angoissant comme ça donc un peu de confort est le bienvenu. Un confort retranscrit dès la pochette de l’album représentant une charmante jeune femme gothique entourée de corbeaux (il s’agirait de Jolee, jeune fille du XIXe siècle, personnage central du concept de l’album, dépeignant une histoire de famille et de fantômes). « Quel cliché ! » s’écrient certains, à juste titre. A travers cette représentation jolie mais facile et peu profonde, Kamelot ne semble pas chercher davantage qu’à parler à l’un des cœurs de cible de son public : les jeunes filles et jeunes hommes attirés par l’esthétique gothique. Une esthétique que le groupe de power metal a très vite développé par son romantisme, ses orchestration et ses teintes claires-obscures. Un artwork qui crie avec évidence le caractère de son contenu. Un artwork offrant, de ce fait et de prime abord, une image superficielle à l’album. Un album pourtant pas si superficiel, en tout cas moins que les quelques tentatives peu convaincantes de moderniser la musique de Kamelot via ses deux prédécesseurs.
Silverthorn est un album confortable dans le sens où Kamelot se recentre sur ce qui lui a le mieux réussi par le passé et, sans doute, ce qui est le plus naturel pour lui. Par bien des aspects, Silverthorn peut être rapproché de l’album Epica (pour les arrangements, essentiellement) et de The Black Halo. Un power metal très mélodique à la personnalité immédiatement identifiable, le romantisme des phrasés du chanteur, le clair-obscur des mélodies et harmonies, les soyeux chœurs et orchestrations, etc. tout y est, dans un savoir-faire (presque) totalement retrouvé. A cet égard, « Prodigal Son », le titre épique de l’album, avec son orgue et sa chorale d’église est un bel exemple de la maîtrise du groupe en matière d’arrangements. Le talentueux duo de producteurs Sascha Paeth / Miro, indissociable du son de Kamelot depuis The Fourth Legacy, doit y être pour quelque chose, sans occulter le travail évident d’Oliver Polotai, tous les trois figurant dans les crédits de chacune des chansons de l’album. Se retrouve également sur l’album, une fois de plus, quelques invités, anecdotiques car servant essentiellement d’arrangements. La performance d’Elize Ryd (Amaranthe) fait quelque peu écho aux précédentes apparitions de Simone Simmons (Epica) dans son apport, même si plus réduit ; et celle d’Alissa White-Gluz (The Agonist) vaut surtout pour la sombre rugosité de ses vocaux extrêmes sur le single « Sacrimony (The Angel Of Afterlife) », à l’instar de Bjorn « Speed » Strid (Soilwork) ou Shagrath (Dimmu Borgir) par le passé.
Voilà pourquoi il est aisé de comprendre le choix d’un Tommy Karevik proche de Roy Khan au poste de frontman. Avec Silverthorn, suite au départ de son chanteur emblématique, Kamelot renoue, dans les grandes largeurs et délibérément, avec son essence, ce n’était donc pas pour la retrouver dénaturée par un timbre et un style vocal trop éloigné. C’est ainsi que Kamelot donne l’illusion que presque rien n’a changé pour lui depuis la publication de The Black Halo en 2005. Et puis, sait-on jamais, Roy Khan pourrait avoir envie de revenir dans le business de la musique (qu’il a, selon Youngblood, totalement quitté)… Même si certaines fines oreilles préféreraient le voir revenir dans Conception. Mais ceci est une tout autre histoire !
Album Silverthorn sorti le 29 octobre 2012 chez Steamhammer/SPV
Je viens enfin de le recevoir (bien la peine de le précommander…) et en effet pas de doute à avoir c’est du Kamelot tout craché! Très bon album!