Une révélation ne vaut que si elle est confirmée. L’adage se vérifie souvent, au risque de faire passer la découverte pour un bref feu de paille.
Après avoir été élu « nouveau groupe le plus excitant de la planète » par Kerrang lors de la sortie de leur premier opus éponyme en 2011, et s’être fait remettre à leur grande surprise un disque d’or des mains mêmes du maître Dave Grohl, la pression est sur les Norvégiens avec la sortie de ce second album intitulé Meir, « Plus » en français. Parce que ce simple mot reflète parfaitement le contenu de l’album, comme l’a confié le chanteur Erlend Hjelvik à l’émission de radio américaine Full Metal Jackie: « Le côté accrocheur l’est encore plus, et le lourd est plus lourd, alors nous sommes très heureux de ce nouvel album. Je pense que si vous avez aimé le premier, vous adorerez le second. » Pas de surprise en perspective donc, pour ceux qui avaient frémi à l’écoute d’un premier opus, plébiscité en Norvège, leur patrie d’origine, et partout dans le monde ? Pas sûr, car en poussant le bouchon plus loin, les Norvégiens abordent, avec un air de ne pas y toucher, d’autres styles dans lesquels pourraient s’inscrire leur avenir, mais également quelques longueurs de titres plus ambitieuses donnant pour la première fois une dimension instrumentale progressive plutôt inattendue.
D’où vient cette ambition et cette envie de tout mélanger dans un melting-pot brut d’énergie ? Tout d’abord de l’attirance des membres du groupe pour des styles qui n’ont a priori rien à voir. Comme l’explique encore le vocaliste : « Il y a bien trop d’influences pour commencer à les mentionner. Notre guitariste BJ (Bjarte Lund Rolland, ndlr.) s’occupe de toute la partie musicale et il écoute de tout, de Marvin Gaye à Darkthrone. Il prend juste tout ce qu’il aime et le met dans le groupe. » Cela s’entend clairement et fonctionne sans anicroche. Le combo passe effectivement en toute transparence de blasts black metal à des mélodies classic rock très accessibles, comme sur le titre « Snilepisk », un des nombreux exemples de la singularité de Kvelertak.
Que tout cela se passe en Norvégien peut-il poser des problèmes au public pour saisir le message du groupe ? « Je me sens beaucoup plus à l’aise quand je chante dans la langue que je parle tous les jours. Je sens que si j’écris en anglais, j’utiliserais des clichés. » Simple comme bonjour, somme toute. A l’image du son de Kvelertak, le chanteur est un instinctif. Et effectivement, l’auditeur risque peu de souffrir d’une absence de compréhension littérale des paroles, le message est avant tout dans l’énergie dégagée.
Les expérimentés Converge les ont pris dès le départ sous leurs ailes, et cela n’a pu qu’aider les jeunes Kvelertak à se faire une place dans le milieu metal et hardcore, étant à la croisée de ces deux styles. Ainsi Kurt Ballou, le guitariste de Converge, a récidivé en produisant une seconde fois l’album des Norvégiens, une patte qui donne ce côté brut et sans concession à leur son comme à eux qui pourraient s’enfermer dans la froideur de certaines influences death et black metal. Mais la chaleur y est toute Hardcore, ce qui rend, par le jeu des oppositions, l’univers du groupe très vivant. Et le côté rock’n’roll bien sûr, qui transforme l’objet Kvelertak, par des titres comme « Undertro », en une réalisation rock puissamment groovy. Puisque tout va plus loin dans ce second opus, les voix ne sont pas en reste. Plus mélodiques que jamais, elles donnent parfois étrangement une impression de planer sur une agressivité étouffée par un tempo volontairement ralenti (« Evig Vandrar »). Pourtant ces voix font toujours preuve de véhémence dans la plus pure tradition hardcore, mêlée à des relents black metal (« Spring Fra Livet », « Tordenbrak »).
La batterie quant à elle montre également des aspects encore peu soupçonnés sur le premier opus éponyme : des contre-temps extatiques sont eux aussi créateurs d’ambiances sur des titres comme « Eminent Wrath » ou la fin de « Undertro ». Mais avec l’enchaînement « Nekrokosmos », « Undertro » et « Tordenbrak » à la fin de l’opus, Kvelertak dévoile surtout une autre facette de sa personnalité musicale, plus discrète sur la précédente réalisation, et qui interpelle : celle d’un groupe capable de faire voyager l’auditeur par de l’instrumental aux limites du stoner et du rock psyché. Quand l’album éponyme donnait un propos musical court, efficace et direct, Meir donne le temps et l’espace à l’auditeur pour s’évader dans des contrées plus aériennes et abstraites à l’occasion de quelques titres aux longueurs dignes d’un monde plus progressif (entre six et huit minutes). Peut-être est-ce une piste supplémentaire quant à la direction musicale que pourrait prendre le groupe à l’avenir.
John Baizley (Baroness) a fait une nouvel fois preuve de ses talents artistiques pour réaliser l’artwork de Meir, comme il l’avait déjà fait pour le premier album. A double tranchant, car celui qui se le procurera aura l’espace de quelques instants l’impression de tenir le nouveau Baroness – ou un autre groupe de cette scène sludge qu’il illustre habituellement – entre ses mains… Mais la comparaison s’arrêtera là, car une fois le disque lancé, l’auditeur ne pourra pas se tromper. Posséder un univers déjà si marqué et identifiable à l’aube de la sortie d’un second album est un signe très positif pour Kvelertak. S’ils ont un peu abandonné les textes mythologiques scandinaves de leurs débuts pour aborder des thèmes plus variés, ils n’ont pas perdu le moteur énergique originel. Et au vu du large éventail de leurs possibilités et envies stylistiques, ces Norvégiens bondissants possèdent un potentiel de carrière effectivement excitant, tant pour le public que pour eux-mêmes. Et avec les nouvelles histoires musicales qu’ils content dans cet opus, le champ des possibles s’avère immense.
Meir, sortie le 26 mars 2013 chez Roadrunner Records