En 2021, personne n’était au volant de la Tesla maudite. En 2025, La Dispute reprend les commandes de son véhicule artistique et y injecte une problématique politico-sociétale capitale : qui pilote réellement nos systèmes modernes, un esprit éclairé ou un Big Brother omniprésent ? Composé de quatorze morceaux regroupés en cinq actes, No One Was Driving The Car dresse le portrait d’une société débridée en abordant des thématiques intrinsèquement liées au fléau sociétal que l’ère post-industrielle a entraîné. Le groupe parvient à axer sa réflexion sur un panorama de phénomènes explicitement politiques, donnant à réfléchir sur la fiabilité d’une figure compétente tenant solidement les rênes des systèmes politiques actuels. Des blessures psychiques aux évolutions technologiques, les consciences des membres de La Dispute se sont éveillées afin de diriger son cri contre la cupidité, la corruption et autres maux sans visage qui façonnent les faiblesses de ce monde.
Entièrement autoproduit à partir d’instruments analogiques au cœur des tréfonds australiens régis par une forêt nationale de la Nouvelle-Galles du Sud, La Dispute ne délaisse pas son aura conceptuelle et parvient à prouver que le terme de « limites » leur est inconnu. Les influences qui transcendent la substance du disque puisent leurs forces au sein de l’univers cinématographique de Paul Schrader, éclipsant les genres littéraires qui dessinaient autrefois l’identité de leurs albums. En vue de la multiplicité des intérêts constituant et motivant l’innovation même défendue par No One Was Driving The Car, nous avons eu l’honneur d’échanger avec l’intense et viscéral Jordan Dreyer afin de mieux saisir la portée d’un tel projet immersif. Comme personnifiée, l’œuvre de nos Michiganais ne se contente pas d’une simple écoute, mais se vit et se lit pleinement.
« Je crois qu’aujourd’hui, on place de plus en plus sa foi dans la bienveillance du système, convaincu qu’il saura innover pour nous mener au bonheur. On prend rarement le temps de réfléchir aux implications de cette confiance et à quel point on se trompe sur la technologie dans le monde moderne. »
Radio Metal : Le disque est entièrement autoproduit et reste largement influencé par le thriller dramatique First Reformed (Sur le chemin de la rédemption, 2017). Qu’est-ce que ce choix a changé dans la création artistique par rapport à vos albums précédents ?
Jordan Dreyer (chant) : Nous avons toujours – au moins pour chaque grand projet – emprunté à un autre médium artistique un appui structurel plus qu’autre chose. De ce fait, notre premier véritable album s’appuie beaucoup sur des histoires issues de mythes, de folklore, en guise d’allégorie pour le sujet et pour la structure du disque. Avec Wildlife, c’était des nouvelles, Rooms Of The House était un roman et Panorama est devenu une sorte de poème de rêve, un peu moins concret que les autres. Mais en abordant celui-ci, nous avons senti que le cinéma constituait le point de référence approprié – du moins pour moi, concernant ce que je consommais et avec quoi j’interagissais artistiquement au cours des cinq dernières années. Ça me paraissait être ce qui m’avait le plus parlé pendant cette période de ma vie. J’ai donc proposé le disque avec ça en tête, en pensant assez spécifiquement aux films de Paul Schrader, car j’en regardais beaucoup, en commençant par First Reformed. Je crois que ce film en particulier m’a marqué, car il me semblait représentatif du malaise que je ressentais face à la volatilité du monde en traversant une version mineure de la crise existentielle et déterminante vécue par le personnage du film. Cet aspect m’a vraiment frappé. La structure, qui constituait réellement le point de référence que nous voulions trouver pour construire ce disque du début à la fin, constituait également un aspect remarquable selon moi.
Il y a donc des éléments thématiques dans le film qui m’ont inspiré, dans le sens où ils capturaient une forme de sentiment que j’imagine que la plupart d’entre nous ressentent aujourd’hui face au changement climatique, à l’instabilité politique du monde, aux inégalités de richesses et à toutes ces choses. Les gens essaient de donner du sens à leur vie et au contrôle qu’ils ont dessus. Mais au-delà de ça, j’ai été profondément touché par la structure et par la manière dont l’histoire est racontée. Il y a une scène en particulier où les deux personnages principaux s’écartent de la réalité de façon très intéressante. Ils vivent ce moment presque surnaturel où ils se projettent dans des espaces et des instants qu’ils ne peuvent pas expérimenter physiquement. Ça m’a profondément marqué en tant que spectateur. Lorsque nous avons commencé à construire le disque et lorsque j’ai commencé à en parler à mes camarades de groupe pour expliquer ce que j’envisageais, je l’ai présenté avec ce type de structure lâche. Ça nous a été très utile pour trouver un plan de construction.
Comment la structure en cinq actes, inspirée du cinéma de Paul Schrader, a-t-elle façonné votre processus d’écriture ?
Je pense que ça m’a permis de disposer d’un cadre de travail qui reposait peut-être moins sur une narration chronologique et de trouver un moyen d’accomplir la caractérisation et l’exploration des thèmes de l’album de manière non linéaire. Plutôt que de dire : « Voici le début, le milieu et la fin », il s’agissait plutôt de dire : « Voici où on en est, comment en est-on arrivé là ? » et de le capturer davantage à travers des histoires qui, en surface, n’ont peut-être pas de corrélation narrative directe entre elles, mais qui, prises ensemble, juxtaposées et ordonnées dans une certaine séquence, construisent une individualité et une histoire pleinement développées. J’ai toujours été intéressé par les formats non conventionnels de narration. En travaillant sur un disque qui comporte entre onze et dix-huit morceaux, il faut généralement réfléchir de manière créative pour atteindre ce que l’on souhaite sans disposer d’un temps infini pour l’écrire et avec une structure fixée. Ce n’est pas comme écrire un roman de deux cents pages où l’on peut détailler explicitement chaque élément. Il faut trouver un moyen, à travers des images, des observations et des scènes particulières, d’accomplir ce qu’on veut accomplir. Je pense que travailler en cinq actes a été une bonne solution.
No One Was Driving The Car traite du désespoir face à une apocalypse technologique rampante et relate un accident mortel impliquant une Tesla. Pourquoi avoir choisi spécifiquement un fait divers lié à une voiture autonome comme point de départ métaphorique de l’album afin de refléter notre perte de contrôle face aux systèmes qui nous gouvernent ?
Je pense que je ressentais moi-même une perte de contrôle dans ma propre vie. J’ai passé beaucoup de temps durant la quarantaine liée au Covid-19 et dans les moments d’inactivité entre deux disques à réfléchir à la manière d’y faire face, à la façon dont chaque individu y fait face et aux différentes choses auxquelles il s’accroche pour expliquer la volatilité de la vie ou établir une forme d’agence personnelle au-delà de ce qu’il peut contrôler. Historiquement, je crois que beaucoup trouvent du réconfort dans leur foi, leur vocation, leur travail et leurs passions. Beaucoup trouvent de la foi dans les personnes qui les entourent. Je crois qu’aujourd’hui, on place de plus en plus sa foi dans la bienveillance du système, convaincu qu’il saura innover pour nous mener au bonheur. On prend rarement le temps de réfléchir aux implications de cette confiance et à quel point on se trompe sur la technologie dans le monde moderne. Par là, j’entends qu’on accorde beaucoup de confiance aux innovateurs et au monde technologique pour améliorer la qualité de nos vies sans vraiment reconnaître l’intérêt qu’ils pourraient avoir à nous convaincre qu’ils ont notre intérêt à cœur alors qu’en fin de compte, ce n’est pas le cas. Plus que jamais dans ma vie, j’ai le sentiment que tout le monde, moi y compris, accepte aveuglément les évolutions de notre quotidien comme des améliorations ou comme des promesses d’une ère meilleure.
« Il n’est pas difficile de tirer la conclusion qu’il y a une urgence dans le disque, parce qu’il y a une urgence dans la vie moderne. Je crois que foncer vers un futur encore plus complexe est inquiétant. »
Ça semblait être une bonne métaphore pour montrer à quel point ça peut être catastrophique de ne pas remettre en question ce qui nous entoure, ou de mettre sa foi en quelque chose censé veiller sur nous alors que ce n’est pas le cas. Je pense que c’est souvent vrai, pas seulement pour la technologie, mais concernant aussi la religion – en particulier la religion institutionnalisée – et les gouvernements. J’ai été vraiment marqué par la métaphore de ces gens qui ne comprennent pas le fonctionnement de quelque chose parce qu’ils font confiance à l’innovation et à ceux qui la produisent, et dont l’issue finale était la mort. Je pense que ça ressemble un peu à la trajectoire qu’on suit tous dans la vie contemporaine.
Comment as-tu articulé tes expériences personnelles (crise de la quarantaine, deuil, échec amoureux) avec des thématiques technologiques et sociales plus larges comme la religion et la classe ?
J’ai grandi dans un environnement religieux, que j’ai quitté assez tôt. Je crois qu’en vieillissant, je repense de plus en plus à ma vie, à l’environnement qui m’a façonné et à la façon dont j’expérimente le monde. Viennent ensuite ces questions plus larges de classe, de privilège, de lieu, de nationalité et toutes ces forces qui te tirent ou te poussent dans une direction ou dans une autre. Je trouve fascinant de réfléchir à la manière dont tu deviens qui tu es et à ce qui forge ta vision du monde. C’est devenu une grande partie de ce dont je parle sur le disque, que ce soit à travers des expériences personnelles, un héritage religieux, l’influence du capitalisme sur chacun de nous, ou les choix que j’ai faits, individuellement et personnellement, pour avancer ou au contraire me freiner. Finalement, c’est de toutes ces thématiques que parle le disque.
Pour vos auditeurs, l’écoute intégrale de l’album dans l’ordre figure-t-elle comme une nécessité, ou chaque acte peut-il suffire seul ?
Je pense que tous nos disques ont toujours été basés sur une grande idée conceptuelle. Idéalement, nous aimerions que l’album soit écouté tel qu’il a été écrit, du début à la fin, mais nous n’avons jamais voulu nous limiter à ça. Sinon, le disque serait une seule piste d’une heure. C’est donc entièrement aux auditeurs de décider la manière dont ils l’écoutent. Je crois que chaque morceau se suffit à lui-même, notamment parce que beaucoup d’entre eux racontent une histoire fermée. J’encouragerais les gens, s’ils ont le temps et la patience, à écouter l’album au casque du début à la fin, mais ce n’est pas une obligation. Le sortir tel que nous l’avons fait était pour nous une manière de fournir davantage de contexte sur la manière dont il a été écrit, pour montrer assez délibérément qu’il existe en cinq actes. Si ça enrichit l’expérience de l’auditeur de le savoir et d’écouter l’album avec ça en tête, tant mieux. Mais s’il préfère écouter des morceaux individuellement, les mélanger ou autre, je crois que tout fonctionne : tout fonctionne en cinq parties, et tout fonctionne individuellement. C’est vraiment au choix de chacun.
La majorité des morceaux de ce disque évoquent la perte de contrôle et des instants de vie morbides. Vois-tu l’album uniquement comme une critique de notre rapport à la technologie et au progrès ? Est-ce que l’album est pensé comme un cri artistique contre le système dans son ensemble ?
Dans une certaine mesure. J’hésite toujours à dire que j’ai une intention précise ou que nous espérons une réaction particulière de la part des gens. Au fond, la beauté de l’art réside dans l’expérience individuelle que chacun en fait, dans l’interaction que tu as avec lui et dans la façon dont il résonne avec un moment de ta vie. Je crois qu’en fin de compte, ce que j’essaie de faire en tant que parolier et ce que nous essayons de faire ensemble en tant que groupe, c’est observer et capturer une histoire. Je ne réfléchis pas beaucoup plus loin que cet acte-là. Mais je pense qu’il n’est pas difficile de tirer la conclusion qu’il y a une urgence dans le disque, parce qu’il y a une urgence dans la vie moderne. Je crois que foncer vers un futur encore plus complexe est inquiétant et exige que les gens construisent des communautés et se poussent individuellement à améliorer notre sort, à garantir un avenir sain. Je pense qu’il y a des critiques évidentes dans le disque. Bien que ce ne soit pas explicitement politique, c’est implicitement le cas à partir du moment où l’on aborde ces sujets. Au final, s’il y a un but à cet album, c’est de trouver quelque chose qui t’apporte du réconfort. La conclusion à laquelle je suis arrivé, c’est que même si c’est facile de désespérer en regardant le monde, il y a une grande beauté dedans. Dans les liens que tu crées avec les personnes qui comptent pour toi, celles que tu aimes et celles de ta communauté. Je pense que c’est la résignation à laquelle arrive le personnage dans la dernière partie du disque : il y a cette personne, ce partenariat. Je pense que ça représente là où chacun de nous peut trouver de la valeur dans sa vie : à travers les gens qu’on aime et qui nous aiment en retour.
« Je trouve un grand réconfort dans les choses incroyables que ceux qui n’ont pas sont capables d’apporter au monde. La beauté du monde vient très souvent de la lutte, très souvent de gens qui essaient simplement de faire de leur mieux et de survivre. »
L’image finale de l’album est à la fois désespérée et poétique. Par exemple, tu dis que « laissés sur Terre, leurs jardins plantés poussent », en référence à ceux qui ont souffert. Terminer sur cette note semi-porteuse d’espoir après tant de chaos reflète-t-il une volonté d’offrir une forme d’espérance ?
Oui, je pense que le dernier morceau parle justement de la disparité entre ceux qui ont et ceux qui n’ont pas. Je trouve un grand réconfort dans les choses incroyables que ceux qui n’ont pas sont capables d’apporter au monde. La beauté du monde vient très souvent de la lutte, très souvent de gens qui essaient simplement de faire de leur mieux et de survivre. Et oui, la dernière phrase du disque est : « Plante un jardin, les fleurs poussent. » Si je devais garder une seule pensée finale, ce serait celle-ci. Encore une fois, aussi facile qu’il soit de désespérer, il y a de belles choses dans ce monde. La seule façon de le rendre plus beau, c’est que les gens y mettent de l’amour, fassent de l’art et construisent des relations. Même si les choses peuvent sembler sombres en ce moment, il est utile de se rappeler ce fait.
Diriez-vous que l’album a vocation à être visionnaire sur les risques encourus dans la massification des techniques de contrôle et d’asservissement des populations ? Pourrait-il faire écho à un univers orwellien ?
Oui, dans une certaine mesure. Selon moi, on vit aujourd’hui dans une autre forme d’univers orwellien. Non pas dans un où nous sommes surveillés par nos gouvernements, mais par l’industrie et les grandes entreprises. Il me semble impossible de regarder le monde sans voir que le moteur principal de notre situation est ce mariage avec le profit et cette croyance dans sa capacité à corriger les inégalités dans le monde. Quant à la surveillance, elle a lieu directement entre nos mains, via nos téléphones et les algorithmes. Je trouve ça fascinant de réfléchir à quel point cette dynamique a modifié notre façon de fonctionner en tant qu’êtres humains, moi inclus. J’y pense régulièrement : à quel point il est impossible de s’en extraire, car c’est partout. Ce n’est pas intrinsèquement une mauvaise chose, mais derrière tout ça, il y a la collecte de données depuis ton téléphone, filtrées à travers ton algorithme pour ensuite te vendre autre chose. Il y a en effet beaucoup de références aux caméras dans le disque, au fait d’être activement filmé. Je réfléchis beaucoup à la vie privée que nous avions autrefois et que nous avons volontairement cédée aux puissants au nom du divertissement et de la commodité. À mes yeux, nous avons abandonné énormément de contrôle dans notre vie quotidienne aujourd’hui. Je trouve ça assez fascinant.
Aimerais-tu que la réflexion sur les constats sociétaux et technologiques modernes que l’album enclenche parvienne également à amorcer un tournant dans les esprits de vos auditeurs ? Selon toi, est-ce possible que la musique à elle seule déclenche une prise de conscience ?
Oui, je crois fondamentalement que la musique peut être une ressource incroyable. Je dois beaucoup de ce que je suis aujourd’hui et de ce en quoi je crois au fait d’avoir découvert le punk rock très tôt. Ça a vraiment changé la trajectoire de ma vie. J’en suis profondément reconnaissant. Ça continue encore aujourd’hui d’ouvrir de nouvelles portes dans ma perspective et ma vision du monde. Donc oui, je pense que la musique est un instrument de changement, comme l’est toute forme d’art, mais ce n’est jamais quelque chose à quoi nous pensons activement. Dans la mesure où, sur scène, nous avons une plateforme pour transmettre une idée, nous en profitons. Souvent, nous avons beaucoup à dire. Mais en ce qui concerne la musique elle-même, réfléchir à la réaction qu’elle pourrait susciter ou à une idée qu’elle pourrait inspirer… Je pense que ça compromettrait le processus créatif dès le départ. Je veux parler de ce qui me semble juste pour moi et je veux que mes camarades créent les meilleures chansons possible avec ce qu’ils ont en eux. Le vrai plaisir, la vraie joie, c’est que les cinq d’entre nous créons ensemble, les uns pour les autres. Nous ne nous asseyons pas en nous disant : « Comment faire passer ce message pour que quelqu’un agisse ensuite dans le monde ? » Nous voulons simplement rester fidèles à ce en quoi nous croyons. Si ça inspire quelqu’un à penser différemment, c’est un superbe effet secondaire, mais ce n’est pas la motivation première.
Vous avez choisi de concevoir cet album de manière isolée dans un studio entouré par la forêt en Nouvelle-Galles du Sud, en Australie. Quel effet cela a-t-il eu sur votre musique ?
Le simple fait d’être isolés, dans un environnement où nous fixions nous-mêmes notre emploi du temps, où nous nous tenions mutuellement responsables, où quelqu’un travaillait toujours sur quelque chose et où quelqu’un enregistrait pendant qu’un autre composait dans la pièce d’à côté était un cadre vraiment propice au travail créatif. Les distractions étaient minimes. Nous étions à part, enfermés avec mes camarades de groupe, tous aussi concentrés que moi sur ce que nous faisions ensemble. Et puis, être dans la forêt, dans la jungle, le son des choses, la manière dont elles résonnent, la façon dont elles se ressentent : tout ça contribue à ta motivation et à ce que tu vois quand tu t’assieds pour te concentrer vraiment sur ce que tu crées. Je pense que ça a joué un rôle immense dans le résultat final du disque.
« Le plus excitant dans ce disque, c’était l’absence de limites que nous nous imposions. Nous nous sommes autorisés à tout essayer, même les idées les plus bizarres. »
En quoi l’autoproduction dans un environnement isolé a-t-elle permis d’affiner votre son, notamment au niveau des ambiances instrumentales ?
Nous en parlions déjà depuis un long moment. Nous voulions nous y mettre, mais nous avons attendu d’avoir à la fois le niveau technique et la confiance nécessaires. Nous tenions également à garder un maximum de choses sous notre contrôle. Nous avons toujours eu une idée assez claire de la direction que devait prendre chaque projet, même ceux réalisés avec d’autres producteurs. En réalité, nous étions déjà capables de prendre les rênes depuis longtemps. Cet album était simplement le bon moment pour franchir le pas. Ce processus a surtout permis de tirer le meilleur de chacun. Lorsque les seules personnes qui jugent tes prises sont tes quatre partenaires, qui te connaissent mieux que quiconque, à la fois humainement et artistiquement, tu peux oser davantage. Même les idées un peu étranges, celles qui, avec un producteur extérieur, auraient pu paraître trop risquées, deviennent possibles. On se fait confiance depuis si longtemps que l’enjeu n’était pas seulement technique, mais relationnel : est-ce que nous avons assez de confiance mutuelle pour nous dire les choses franchement ? Pour expérimenter sans peur ? La réponse est oui. C’est ce qui nous a permis d’aller plus loin, individuellement comme collectivement.
Comment avez-vous conçu les transitions entre spoken word et post-hardcore explosif de sorte que vos productions restent fluides ?
Nous avons toujours mêlé ces deux dimensions. Pour nous, un disque repose avant tout sur une dynamique. Nous pensons toujours en termes d’arc narratif : où placer les grands moments, où ménager des respirations. Le contraste rend chaque extrême plus intense — le calme accentue la brutalité, et inversement. Concrètement, ça signifie que chaque morceau est pensé selon sa place dans l’ensemble du disque. Ça rend les transitions naturelles, parce que nous savons déjà ce que nous voulons provoquer sur le plan sonore et émotionnel. Après, il y a aussi une part plus pratique : un passage parlé n’a pas la même texture si je viens de passer trois heures à hurler dans un micro. Donc parfois, nous choisissions simplement quel morceau enregistrer ce jour-là pour préserver l’équilibre. Mais globalement, la vision de l’ensemble du disque nous guidait.
Avez-vous exploré des instruments auxiliaires et/ou des techniques d’enregistrement analogique pour obtenir certaines textures inédites ? Comment parvenir à un tel rendu avec la seule force de l’esprit DIY au sein d’un projet musical aussi riche que celui-ci ?
Oui, complètement. Le plus excitant dans ce disque, c’était justement l’absence de limites que nous nous imposions. Nous nous sommes autorisés à tout essayer, même les idées les plus bizarres. Nous avons joué avec différents instruments, mais surtout avec les manières de capter le son : quel micro utiliser, où le placer, dans quel coin étrange de la pièce… Ça a donné lieu à des expérimentations parfois absurdes, mais toujours créatives. Nous avions également la chance d’être épaulés par notre ingénieur du son, Connor, qui était prêt à tenter n’importe quoi, même si ça paraissait complètement fou. Une grande partie de la richesse de l’album vient de là : les instrumentistes ont osé sortir des sentiers battus, non seulement dans leur jeu, mais aussi dans la manière dont ils l’ont capturé.
Avec sa densité narrative et son ambition formelle, diriez-vous que cet album représente une forme d’aboutissement artistique ou un tournant définitif ?
Difficile de dire ce que l’avenir nous réserve, mais je peux dire que c’est l’album que nous avons pris le plus de plaisir à réaliser depuis longtemps. Le confinement a été un moment de pause forcée, où nous avons douté de la possibilité même de refaire de la musique ensemble. Ça nous a fait redécouvrir à quel point c’était vital pour nous. Par conséquent, nous nous sommes pleinement investis, sans stress, en prenant du plaisir tout au long du processus. Aujourd’hui, ça ressemble clairement à un tournant. Nous avons retrouvé une dynamique que nous pensions perdue après le précédent disque et le chaos du Covid-19. Cette fois, tout s’est mis en place naturellement. Ça nous motive à aller encore plus loin et à nous remettre au travail rapidement, dès que l’inspiration et le moment seront là. Oui, on peut dire que c’est le début d’une nouvelle ère pour nous.
Vous êtes actuellement en pleine tournée. Prévoyez-vous d’intégrer des éléments visuels dystopiques ou immersifs à votre scénographie, afin de prolonger l’univers sonore de l’album sur scène ?
Absolument. Nous aimons que chaque disque ait sa propre identité visuelle et scénique. Pour celui-ci, nous voulons vraiment prolonger son atmosphère sur scène. Nous travaillons sur des visuels qui varieront probablement selon les régions du monde, parce que nous n’aurons pas les mêmes moyens en Amérique, en Europe ou en Australie. Mais l’idée reste la même : plonger le public dans l’univers du disque et recréer cette ambiance en live.
Interview réalisée en visio le 31 juillet 2025 par Louhanne Pellizzaro.
Retranscription & traduction : Louhanne Pellizzaro.
Photos : Martin (2, 4, 5).
Facebook officiel de La Dispute : www.facebook.com/LaDisputeMusic
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