Lord Of The Lost, voilà un groupe qui nous occupe régulièrement par ses nombreuses sorties et sa force de proposition intarissable ces dernières années. Mais, si vous avez encore faim, la formation allemande a de quoi vous rassasier une bonne fois pour toutes avec Opvs Noir, une trilogie de trente-trois titres dignes d’un buffet médiéval sonore, et le tout servi sur un plateau d’argent option trois volumes étalés sur trois saisons : été, hiver et printemps. Le Vol. 1, paru durant la douce canicule aoûtienne, présente un fond sombre, torturé, plongeant dans les méandres de l’âme humaine. Fort de pas moins de quinze featurings, l’œuvre globale, sans aller jusqu’à signer un retour du groupe à son époque Judas, s’inspire du panel d’émotions humaines à trois cent soixante degrés les plus violentes, profondes et intenses.
Une telle sortie nécessitait forcément un entretien pour répondre à nos interrogations. C’est ainsi que, pour changer un peu de nos derniers échanges avec Chris Harms, nous avons cette fois-ci discuté une heure durant avec Pi Stoffers, guitariste du groupe depuis 2017. Il abordera avec entrain son nouveau duo formé avec le dernier recrutement en date, Benjamin Mundigler, ainsi que les détails d’écriture de l’album, allant du choix des collaborations aux thèmes torturés développés dans certains titres, le tout avec un sourire solaire, malgré la fatigue de la tournée.
« Chaque album a été un détour par rapport au précédent, et Opvs Noir ne fait pas exception. »
Radio Metal : Opvs Noir est une trilogie de trente-trois morceaux : pourquoi ce nombre précis et pourquoi trois volumes ?
Pi Stoffers (guitare) : Ce nombre précis, c’est parce que nous avions écrit trente-quatre morceaux et en avons éliminé un. Voilà ! [Rires] Je vais entrer un peu plus dans les détails. Au départ nous n’avions pas du tout prévu d’écrire trente-trois morceaux ni de faire une trilogie. Nous avons commencé avec l’idée de faire un album « normal », donc entre dix, douze ou treize morceaux peut-être. Nous nous sommes mis à écrire et nous ne nous sommes pas vraiment arrêtés, jusqu’au moment où, en tournée, nous avons écouté les démos que nous avions, et nous nous sommes dit que toutes collaient à notre concept et à notre vision de ce que devait être Opvs Noir. Nous n’avons rien voulu laisser de côté, mais nous nous sommes demandé : « Bon, qu’est-ce qu’on fait maintenant ? On a toutes ces chansons, on ne veut pas en jeter, on a déjà fait un double album, on ne peut pas en refaire un tout de suite, sinon on se répéterait trop vite… » Alors nous avons opté pour un triple album – c’est ainsi que nous l’avons qualifié à ce moment-là.
Évidemment, quand tu penses à un triple album – en tout cas, moi, je l’imagine comme ça – tu sors trente-trois chansons d’un coup, le même jour. Bien sûr, tous les singles auront eu plus d’attention puisqu’ils seraient déjà sortis, mais après, il n’y aurait plus eu d’espace pour mettre en valeur les autres morceaux qui le méritent aussi. Un album de trente-trois titres, c’est beaucoup trop pour n’importe qui, personne n’écouterait ça d’une traite. Nous non plus, nous n’étions pas tellement fans de cette idée. Nous nous sommes donc dit : « On a toutes ces chansons, et en plus, une qui ne colle pas vraiment. Parfait, ça fait trente-trois ! C’est facile à séparer en trois parties. » Ça s’est fait tout naturellement, sans plan [rires]. Trente-trois n’est pas un nombre mystique ou quoi, c’est juste comme ça que ça s’est passé. J’aurais adoré te donner une réponse du genre : « Oui, il y a une signification profonde derrière tout ça », mais en réalité il y a beaucoup plus de sens derrière l’album lui-même que derrière le nombre de titres qui composent la trilogie. Faire une trilogie était simplement nécessaire pour que chaque morceau ait potentiellement l’attention qu’il mérite.
Comment écrit-on trente-trois morceaux sans en compromettre la qualité ?
Sans prévoir d’écrire trente-trois morceaux. Je pense qu’il y aurait forcément eu un compromis si, dès le départ, nous nous étions dit : « Bon, il faut absolument qu’on écrive trente-trois chansons. » Arrivés vers dix-huit, nous nous serions probablement dit qu’il restait encore beaucoup de travail à faire, et quand tu en arrives là, tu finis les morceaux juste pour les finir, ce qui, évidemment, aurait compromis la qualité. Je suis sûr que la totalité des morceaux des trois volumes ne plaira pas à tout le monde, car avec trente-trois titres, on a un immense terrain de jeu, avec plus de possibilités et d’expérimentations. Ce ne sont pas seulement des singles super accrocheurs. Sur chaque volume, il y a une ballade très artistique. En particulier sur le volume 3, il y a un morceau qui s’appelle « The Days Of Our Lives ». C’est le dernier de la trilogie et c’est l’un de mes préférés de tous les temps. Il n’est sans doute pas pour tout le monde, mais il est incroyable. Ensuite, tu as bien sûr les singles, beaucoup de featurings, des morceaux qu’on attend aussi de nous, je pense, mais dans le bon sens, parce qu’avec Opvs Noir, pas mal de gens disent : « Ils sont de retour ! » [rires]. Et nous, nous nous disons : « Mais qu’est-ce que vous voulez dire par là ? On n’est jamais partis ! On s’est juste éloignés de ce que vous aimez chez nous. » Par exemple, avec Blood & Glitter, c’est sûr que l’album n’était pas pour tout le monde et que c’était un détour par rapport à ce que nous avions fait auparavant. Mais en réalité, chaque album a été un détour par rapport au précédent, et Opvs Noir ne fait pas exception. Il y a énormément de choses et chacun peut trouver son compte. Parfois, je me dis aussi que certains n’aimeront pas du tout, mais on ne peut pas plaire à tout le monde, pas même avec beaucoup de morceaux.
Les deux autres volumes seront-ils dans la même veine ?
D’une certaine façon, oui, parce que nous disons toujours que nous ne sortons qu’un seul album. Nous considérons Opvs Noir comme un seul et même album, et il a d’ailleurs été écrit, enregistré, produit, mixé et masterisé comme un album unique – donc tout est déjà fait. Quand tu écoutes le Vol. 1 et le Vol. 2, la sphère sonore, la manière dont le tout évolue, l’ambiance générale et les sons sont très homogènes. Si nous avions terminé le Vol. 1, puis que nous étions ensuite passés à la production du Vol. 2, puis du Vol. 3, ils seraient radicalement différents, parce qu’avec ce fonctionnement-là tu es déjà en train de te projeter vers d’autres choses pour l’avenir. Dans l’ensemble, ils sont donc de la même nature. Evidemment, ce sont des chansons différentes. Je pense que la transition entre le Vol. 1 et le Vol. 2 est un peu plus extrême que celle entre le Vol. 2 et le Vol. 3. A la fois, elles sont toutes un peu extrêmes, parce que le Vol. 1 – surtout avec l’ouverture « Bazaar Bizarre » – te plonge directement dans l’univers d’Opvs Noir. Ensuite, le Vol. 2 – qui sort en décembre – est un peu plus doux, un peu plus romantique sans être vraiment romantique, mais tu vois ce que je veux dire [rires]. A l’exception d’un morceau, vraiment très décalé, qui n’a pas grand-chose à faire sur ce volume… mais qui, justement, parce qu’il est si différent, y trouve sa place, et quand tu l’écoutes, tu te dis : « Mais qu’est-ce qui se passe ?! »
« Les gens ont besoin de garanties et de preuves pour tout, sauf pour quelque chose qui détermine leur vie : la religion. Désolé, ça peut paraître offensant, mais c’est absolument absurde et stupide ! [Rires] »
Quelle est cette chanson ?
« Raveyard » avec Käärijä, le candidat finlandais à l’Eurovision 2023. Le titre l’indique déjà, c’est un morceau très mouvementé et particulier, avec trois langues. Nous avons tourné le clip en Finlande, c’était vraiment super amusant, et c’est l’un des morceaux du Vol. 2 qui sortent complètement du cadre d’Opvs Noir. Tout comme « Bazaar Bizarre » est un titre marquant pour nous en général, parce que nous n’avons jamais rien fait de tel auparavant à mon avis, « Raveyard » est un autre morceau phare de l’album. Sur Opvs Noir Vol. 3, tout devient presque porteur d’espoir, presque amusant, même si Opvs Noir n’est pas un album joyeux et festif. Il est mélancolique, introspectif et sombre, avec une touche gothique par moments – « on est de retour » [rires]. Ce n’est vraiment pas joyeux, mais pour les standards de l’album, le troisième volume est plus joyeux et enjoué, jusqu’à se terminer sur le dernier morceau « The Days Of Our Lives », qui vient clore l’ensemble.
Il y a beaucoup d’artistes invités sur ce premier volume : Sharon Den Adel (Within Temptation), l’ensemble a cappella sombre Stimmgewalt, Whiplasher Bernadotte (Deathstars), Anna Maria Rose (Tales Of Time), la violoncelliste Tina Guo et le groupe Feuerschwanz. Quel est pour vous l’objectif des collaborations et des apparitions d’invités ?
Nous faisons des collaborations parce que nous aimons tellement le travail de nos artistes invités que nous voulons les voir briller sur l’un de nos morceaux. C’est le cas de toutes ces collaborations. La chanson « Lords Of Fyre » fait un peu exception : pas que Feuerschwanz ne brille pas dessus, mais elle a été écrite bien avant Opvs Noir. C’était plutôt une expérience pour voir comment connecter deux groupes sur une même chanson et essayer de représenter les deux à cent pour cent, ce qui n’est pas facile, surtout parce qu’eux utilisent beaucoup d’instruments différents, comme le violon, la cornemuse, la flûte et d’autres instruments médiévaux, mais nous avons réussi à le faire. Pour d’autres invités, comme Tina Guo, la chanson « Ghosts » était déjà terminée, et nous avons pensé que ce serait génial de l’avoir sur un morceau et que celui-ci serait idéal. Au début, nous n’avions pas l’impression qu’il manquait quelque chose, mais imaginer le violoncelle de Tina dessus l’a vraiment sublimé. Son jeu de violoncelle n’est pas juste dans le style plus ou moins romantique traditionnel, c’est très expérimental et il peut devenir une pièce à part entière. C’est exactement ce qu’elle a fait sur « Ghosts », et j’adore ça. C’est devenu une vraie chanson de violoncelle.
Concernant Within Temptation et Sharon, la chanson a été écrite pour cette collaboration. Nous l’avions en tête, nous avons essayé de la mettre en œuvre pour voir si ça fonctionne ; si ça n’avait pas été le cas, nous ne l’aurions peut-être pas mise sur l’album. Elle tire énormément de la performance de Sharon, et sa prestation correspond parfaitement au morceau. Pour faire simple, son chant est la lumière dans toute l’obscurité de la chanson, ça crée un très beau contraste. Si Sharon n’était pas là, ce serait quand même une chanson accrocheuse, mais peut-être pas un single. C’est aussi une question de la faire briller dessus. C’est un mot un peu bête, parce que le morceau s’appelle « Light Can Only Shine In The Darkness », mais tu vois ce que je veux dire [rires]. Ce que j’aime aussi, c’est que le clip est très beau mais très triste, et Sharon sourit tout le temps pendant sa performance. C’est le plus drôle des contrastes. Enfin, ce n’est pas vraiment drôle, mais je me suis demandé : « Mais pourquoi sourit-elle tout le temps ? » [Rires]
Avez-vous une liste de souhaits d’artistes avec lesquels vous aimeriez encore collaborer ? Combien d’invités y aura-t-il au total à travers la trilogie ?
À travers les trois albums, il y a quinze collaborations. C’est beaucoup, mais après tout, ce sont trente-trois chansons. Pour la liste de souhaits, je n’ai pas envie de toujours dire les mêmes choses, parce que c’est assez ennuyeux… Je pense que, personnellement, la voix de Lana Del Rey s’intègrerait très bien dans notre musique. Peut-être pas pour une chanson comme « Bazaar Bizarre », plutôt pour une ballade, mais bon, qui sait ? J’adorerais ça ! Je sais que Chris aimerait évidemment collaborer avec Roxette et Lady Gaga. C’est aussi quelque chose auquel on pense parfois quand on écoute une chanson et qu’on imagine quelqu’un dessus. Pour l’instant, je m’en tiendrai à Lana Del Rey, parce que, d’abord, j’adore sa musique, j’adore ce qu’elle me fait ressentir, car en écoutant sa musique, j’ai toujours l’impression d’être dans un vieux film hollywoodien, à fumer trop de cigarettes et à boire du champagne – je ne fume pas de cigarettes cela dit. Nous avons définitivement réalisé certains souhaits avec cet album, par exemple avec Within Temptation, Tina Guo et IAMX qui en était un gros. C’est absolument incroyable que ça se soit produit, car la dernière collaboration de IAMX remonte à 1998 avec Marilyn Manson ! C’est donc un honneur d’avoir cette nouvelle collaboration pour lui sur l’album.
« Mettre tout hors contexte et utiliser ça pour un discours de haine d’extrême droite, c’est juste stupide. J’essaie toujours de faire très attention en sélectionnant les groupes que j’écoute, et spontanément, il n’y a qu’un seul groupe pour lequel je sais que les membres ne sont pas comme ça, ils sont sympas et font du black metal, ils s’appellent Der Weg Einer Freiheit. »
C’est votre premier album en tant que groupe à six membres. Comment s’est passée l’intégration de Benji [Mundigler], passant de guitar tech, backliner, régisseur de scène et ingénieur de retour au sein de l’équipe de Lord Of The Lost à guitariste et compositeur ?
Quand tu parles de la transition vers l’écriture des chansons, je dois revenir cinq ans en arrière, parce qu’il écrivait déjà des morceaux pour nous depuis 2020. Ce n’était pas vraiment nouveau pour nous, c’est juste que c’est plus ou moins nouveau pour Benji, parce qu’il doit maintenant aussi jouer les morceaux aussi. Quand il compose, il doit penser au fait qu’il les jouera – il a dit qu’il trouvait ça sympa. Concernant l’aspect écriture des parties de guitare, maintenant que nous sommes deux guitaristes, ça rend le tout vraiment spécial et amusant, parce que j’ai désormais un compagnon de jeu avec qui je peux partager mon instrument et nous pouvons nous répartir les parties de guitare, ce qui est vraiment cool. L’interaction sur scène est aussi différente quand tu interagis avec quelqu’un qui joue le même instrument que toi. En studio, c’était différent parce que d’habitude, j’étais le seul à enregistrer toutes les guitares. Cette fois, nous étions en studio ensemble et c’était vraiment fun. Vu de l’extérieur, c’était aussi… je ne dirais pas risqué, mais nous ne savions pas comment ça allait se passer. Nous ne sommes pas du genre à avoir un ego énorme, nous sommes amis, mais on ne sait jamais, nous ne connaissions pas la dynamique du duo parce que nous ne l’avions jamais fait avant ! En réalité, ça a été super facile.
Autre chose que nous avons faite : quand tu écoutes l’album, comme nous doublons souvent les guitares avec une piste gauche et une piste droite, je suis toujours à gauche et Benji toujours à droite. Les parties de guitare à l’oreille gauche sont donc toujours les miennes et celles à l’oreille droite sont toujours celles de Benji. C’est un peu geek comme réponse, mais surtout lors des parties où nous jouons le même accord mais à des positions différentes sur le manche, ça sonne légèrement différent. Nous avons choisi de ne pas changer ça, car sinon ça aurait sonné trop similaire. Notre micro-timing est très proche, nous jouons pratiquement de la même façon, ce qui est étrange, mais c’est bien, notamment pour Chris qui devait éditer les guitares. C’est un petit détail amusant si tu écoutes l’album et en particulier si tu te focalises sur les parties de guitare : elles sont toujours un peu différentes de gauche à droite. C’est une approche très old school. Je pense toujours à Appetite For Destruction de Guns N’ Roses : un guitariste dans une oreille, l’autre dans l’autre, et ils jouent parfois des choses très différentes. C’est exactement ce que nous avons fait sur Opvs Noir. Il existe d’ailleurs une édition Deep Dive de l’album, dans laquelle on a les fichiers audio des pistes de batterie, de chant, et ainsi de suite. Chacun peut donc les intégrer dans une session de sa station audionumérique et ça permet de n’écouter que la batterie, que les guitares, etc. C’est très amusant.
Une chanson comme « I Will Die In It », coécrite par Benji, flirte avec des influences progressives. Apporte-t-il une énergie différente à Lord Of The Lost ?
Toutes les parties prog de l’album sont très « Benji ». Il adore le metal et rock progressif, et ça se comprend quand on regarde les crédits, surtout musicalement : quand on voit le nom de Benji, certaines parties prennent plus de sens. C’est pareil pour « Bazaar Bizarre », par exemple. Pour « I Will Die In It », j’ai été très surpris par ses parties quand j’ai écouté la première démo et écrit les paroles. Benji, Chris et moi avons fait la chanson ensemble. C’est définitivement une influence que Benji apporte à l’ensemble. C’est un autre regard, une autre façon de faire les choses, d’écrire la musique et d’écrire les paroles.
Le groupe parle souvent de l’importance de l’équilibre entre la lumière et l’obscurité. Comment maintiens-tu cet équilibre dans ta vie quotidienne ? La musique vous aide-t-elle, toi et les autres membres du groupe, à y parvenir ?
Je pense que oui, j’en suis presque sûr. Pour presque tout le monde, pas seulement dans ce groupe, la musique est un énorme catalyseur pour beaucoup de choses. Je ne peux parler que de ma propre expérience : à bien des égards, la musique me fait me sentir en sécurité et bien. C’est super kitsch à dire aussi, mais quelle que soit la situation, je sais que quand j’écoute un certain type de musique, je me sens un peu plus à l’aise. Par exemple, quand nous sommes arrivés ici aujourd’hui, nous étions tous très fatigués et avec quelques événements récents de ma vie personnelle, parfois ça me semble stupide de ne pas être chez moi, car nous sommes en tournée alors que je devrais être à la maison. Je pense que ce sentiment est présent chez beaucoup de musiciens en tournée. Écouter de la musique aide, ça permet de traiter ses émotions. Par exemple, en venant ici, j’ai écouté en boucle « Zombie » de Yungblud. Le trajet en bus a duré environ une heure, j’ai écouté la version album, puis la version live, une autre version live, puis une version acoustique, c’est une super chanson. J’ai aussi essayé de ne pas me faire voir par les autres parce que je pleurais vraiment, mais ce fut un bon moment.
La musique aide évidemment à maintenir un équilibre, mais ce n’est qu’une chose parmi d’autres. J’ai évoqué le champagne : ça aide de ne pas en boire tous les jours, pour garder un équilibre, essayer de prendre soin de soi et faire du bien à son corps. Je sais que le champagne est fait pour être apprécié, mais il peut arriver qu’on en abuse, ce qui n’est pas une bonne idée. Personnellement, j’adore bouger, faire des activités, faire du sport, ça aide beaucoup. Faire des choses très simples, qui n’ont rien à voir avec son métier, qui on est ou qui on pense être, ça aide aussi. Et ce qui aide également, c’est quand d’autres personnes le font pour soi – par exemple, qu’on me dise : « C’est cool que tu reviennes de tournée, mais tu peux aller faire des courses ? Super, merci. » Les gens qui font partie de ta vie t’évitent d’être trop dans les nuages, trop arrogant, trop détaché de la réalité. C’est aussi très important.
« Souvent, le mal que les gens infligent aux autres n’est que la projection de problèmes qu’ils ont avec eux-mêmes. »
Vous avez une chanson intitulée « Ghosts » : crois-tu aux fantômes et aux phénomènes paranormaux ?
Non, je n’y crois pas. Je ne crois pas à ce genre de choses. Je veux quand même laisser le bénéfice du doute et dire que je n’ai pas besoin d’avoir raison à cent pour cent. C’est comme avec les gens qui croient en des puissances supérieures, en Dieu ou autre, je me dis : « Pas de problème. Personnellement, je n’y crois pas. Tu n’as aucune preuve que quelque chose existe. Je n’ai pas non plus de preuve que rien n’existe. Donc fais comme tu veux et laisse-moi faire comme je veux. Moi, je vois des fantômes dans les films d’horreur. » D’ailleurs, c’est fou que quelque chose comme la religion, qui n’est absolument pas prouvée, pousse les gens à faire tant de choses, et pas forcément seulement de bonnes actions, sur la base de faits qui sont probablement, peut-être, complètement inventés. Les gens ont besoin de garanties et de preuves pour tout, sauf pour quelque chose qui détermine leur vie. Désolé, ça peut paraître offensant, mais c’est absolument absurde et stupide ! [Rires]
Pour revenir à l’album et à la chanson « Ghosts » – je ne sais pas si tu voulais que je fasse le lien, mais je vais le faire –, nous avons trouvé assez drôle de nous cacher sous ce grand tissu rouge et de ressembler un peu à des fantômes [rires], mais les fantômes dont nous parlons ne sont pas ceux qu’on voit dans un château abandonné, dans un film ou dans Harry Potter. Il s’agit métaphoriquement de nos démons intérieurs et de les conquérir. La chanson parle littéralement de toi qui hantes tes propres fantômes, et non des fantômes qui te hantent. Dans l’album, c’est l’une des chansons porteuses d’espoir ; elle parle de reprendre le pouvoir et de retrouver l’indépendance dans sa vie. C’est un message très fort.
Il y a une chanson intitulée « The Things We Do For Love » : quelle est la pire chose, la plus immorale, que tu puisses faire par amour ?
Moi, personnellement ? Je ne peux de toute façon pas parler pour quelqu’un d’autre… Je ferais probablement disparaître des gens. Si tu as vu Sons Of Anarchy, tu comprendras [rires]. C’est sans doute très immoral. L’amour est assurément quelque chose qui existe et pour lequel les gens peuvent faire des choses horribles. Dans la chanson « The Things We Do For Love », il n’y a absolument rien d’optimiste. Le refrain parle de tout ce qu’on ferait par amour – ça peut être bon, ça peut être horrible, et toutes les nuances entre les deux. Chris a écrit les paroles du refrain puis m’a demandé de faire les couplets. Il s’attendait à ce que je fasse une sorte de chanson d’amour. J’ai fait exactement le contraire, c’est super désespéré [rires]. L’amour prend une apparence différente pour chacun.
La dernière fois, Chris nous a dit : « Ici et là, nous jouons un peu avec des harmonies black metal et ce genre de choses – ce n’est pas du black metal, nous n’essayons pas d’en faire, mais cette touche de black metal, cette obscurité froide, peut parfois se ressentir dans certaines chansons. » En écoutant l’album, ça sonne parfois comme du black metal atmosphérique avec des chœurs, etc. Est-ce un style avec lequel toi ou d’autres membres du groupe vous sentez personnellement connectés ?
Ça dépend du black metal. Il y a des groupes que j’aime beaucoup et qui se catégorisent comme black metal, et puis il y a des groupes très problématiques… [Rires] Brûler des églises, c’est une chose, mais tuer des gens pour des croyances ou des raisons politiques et être anti-je-ne-sais-quoi, c’est complètement différent des groupes de black metal plus modernes. Mettre tout hors contexte et utiliser ça pour un discours de haine d’extrême droite, c’est juste stupide. J’essaie toujours de faire très attention en sélectionnant les groupes que j’écoute, et spontanément, il n’y a qu’un seul groupe pour lequel je sais que les membres ne sont pas comme ça, ils sont sympas et font du black metal, ils s’appellent Der Weg Einer Freiheit. Ils viennent de Stuttgart en Allemagne. Je sais aussi que c’est discutable pour certains, mais par exemple Gerrit [Heinemann], notre claviériste, adore Dimmu Borgir. Certaines personnes vont être furieuses et dire : « Ce n’est pas du black metal ! » Mouais, bon, mais nous aimons tous un peu de black metal sous différentes formes.
Tu as dit que « Bazaar Bizarre » est probablement votre chanson la plus étrange. Chris a mentionné une inspiration directe des œuvres de Jérôme Bosch. Quel est ton lien – ou celui de Chris – avec cet artiste et sa vision du monde ?
Je n’en ai pas [rires]. Je sais que Chris en a, et quand tu lis les paroles, ça peut presque être une description directe d’un tableau de Jérôme Bosch. C’est vraiment étrange. Les peintures sont vraiment cool ; je ne les connaissais pas avant. La chanson est très visuelle et évoque des images très étranges dans ta tête ; nous avons aussi tourné des images très bizarres pour ce morceau. C’était super amusant, j’adore la chanson. Nous ne l’aurions probablement pas faite il y a cinq ans, avec tous les changements de tempo étranges et les parties de guitare super bizarres, très dissonantes, et toutes les parties orchestrales très grandioses… Je l’aime bien. La chanson est beaucoup trop longue pour un single et pour ouvrir un album, mais nous nous en fichions.
« Nous pouvons avoir l’air de poseurs aux yeux de certaines personnes, et ce n’est pas un souci, car parfois c’est le cas [rires], je suis d’accord, mais ça nous plaît. Nous adorons transcrire l’atmosphère de la musique aussi par notre apparence. »
La chanson « Damage » traite de la douleur qu’on inflige aux autres et donc à soi-même. Question en deux parties : penses-tu qu’on soit condamné à faire du mal aux autres et qu’il existe un lien direct entre ce qu’on inflige aux autres – bon ou mauvais – et ce qu’on ressent soi-même ?
Tout d’abord, il est absolument impossible de ne pas faire de mal aux gens. Ça arrivera forcément à un moment ou à un autre. Même si tu essaies de l’empêcher, tu feras du mal à d’autres personnes dans le processus. Si tu essaies d’apaiser et de plaire à tout le monde, ça ne marchera pas, ça ne fonctionnera pas, et la première personne qui le ressentira, c’est toi-même, parce que pour satisfaire les autres, tu te négligeras, que ça te plaise ou non. Ça renvoie aussi à la religion, parce qu’à un moment dans la Bible – je ne sais pas où exactement, je m’en fiche – il est dit que tu ne devrais pas faire aux autres ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse à toi, ou quelque chose dans ce genre – c’est probablement écrit exactement comme ça dans la Bible d’ailleurs [rires]. Mais je pense que ce n’est pas si fréquent que les gens appliquent cette ligne de conduite dans leur vie. Souvent, le mal que les gens infligent aux autres n’est que la projection de problèmes qu’ils ont avec eux-mêmes. Il y a définitivement un lien direct.
Encore une fois, plusieurs clips accompagnent les morceaux et vous avez travaillé sur de nouveaux looks pour ce nouveau cycle. Penses-tu qu’à l’heure actuelle, les visuels et même les récits soient aussi importants que la musique pour se démarquer ?
Je pense que c’est presque aussi important. Au final, c’est la musique qui te fera éprouver le plus d’émotion. Comme je l’ai déjà dit, pour moi, c’est ce qui importe le plus dans la musique : si je ne ressens rien, à quoi ça sert ? Ça n’a aucune importance, ça ne m’intéresse pas. Cela dit, pour accompagner la musique, offrir un vrai spectacle et ne pas se contenter de faire un concert qu’on pourrait jouer dans un bar jazz, les visuels doivent entrer en jeu. Dans un monde très visuel, avec les réseaux sociaux qui le sont aussi – toutes les plateformes fonctionnent presque uniquement avec des vidéos verticales, sauf YouTube, mais il y a aussi YouTube Shorts –, c’est absolument essentiel.
C’est bien pour nous, parce que nous avons toujours considéré que c’était très important de nous donner un look en rapport avec la musique. Nous pouvons avoir l’air de poseurs aux yeux de certaines personnes, et ce n’est pas un souci, car parfois c’est le cas [rires], je suis d’accord, mais ça nous plaît. Nous adorons porter du maquillage et transcrire l’atmosphère de la musique aussi par notre apparence. Avec Opvs Noir, ce serait absolument stupide de porter du jaune ! C’est très facile de choisir l’esthétique générale, mais ça doit aussi se distinguer, par exemple, d’albums comme Judas, qui était dans un nuancier de noir et de blanc. Opvs Noir est un peu plus gothique romantique, mais toujours dans un style avant-gardiste, d’une certaine manière. Du moins, nous essayons, et c’est ce que j’essaie de faire quand je choisis les tenues. J’espère avoir réussi. J’aime notre look. Avec Blood & Glitter, l’esthétique était très flashy et exubérante, il le fallait. Je pense que l’aspect visuel ne peut pas être négligé, sauf si on joue dans un groupe de free jazz. C’est autre chose, mais il n’y a pas beaucoup de gens qui jouent dans des groupes de free jazz – je ne connais personne qui le fait !
Chris a déclaré que jouer de nouvelles chansons en live vous aide à redécouvrir l’excitation originelle. C’est ce que vous avez fait récemment. Est-ce que ça fait partie de votre motivation pour écrire de nouveaux albums ? Comment choisissez-vous quelles chansons tester sur scène ?
Dans ce cas précis, nous nous sommes juste dit : « Ok, il nous faut un nouveau morceau d’ouverture de set. » Nous jouions « The Curtain Falls » depuis tellement longtemps – elle a d’ailleurs été écrite comme ouverture de concert. Ça n’a pas de sens pour le style de l’ère Opvs Noir de commencer avec cette chanson un peu à la sauce Pokémon [petits rires], donc nous avons réfléchi et nous sommes dit que parmi les singles déjà sortis, aucun ne convenait. Ça ne dit rien sur le fait que la chanson soit bonne ou mauvaise, c’est juste que ce n’est pas un opener.
Nous avons alors songé que nous pourrions peut-être le faire à l’ancienne et jouer une chanson que personne ne connaît pour démarrer un show. Nous l’avons fait, d’ailleurs, sans trop y réfléchir. Quelle est la pire chose qui aurait pu arriver ? Nous trouvons que c’est une bonne idée après tout. Nous l’avons donc fait et joué « Moonstruck », qui ne sera même pas un single. C’est juste une chanson de l’album, mais qui s’avère être une excellente ouverture. C’était très excitant ; de façon générale, jouer de nouvelles chansons est très excitant, parce qu’on en retire beaucoup en voyant la réaction du public, mais aussi notre propre réaction, et si ça fonctionne réellement pour soi en live, si ça fonctionne pour le public, comment les autres l’ont perçu, etc. Évidemment, intégrer de nouvelles chansons dans la setlist avec la perspective de les jouer régulièrement à partir de maintenant, ça apporte beaucoup de fraîcheur et maintient l’intérêt. Ce n’est probablement pas surprenant si je dis qu’on se lasse un peu de certains morceaux après les avoir joués quelques centaines de fois. Surtout, j’adore quand nous jouons des chansons que personne ne connaît. Les gens se disent : « Qu’est-ce qui se passe ?! C’est quoi cette chanson ? Je ne la connais pas ! » [Rires] On peut littéralement le voir sur leurs visages et c’est très drôle. C’est ce qui s’est passé avec « Moonstruck ». Après avoir trouvé la situation drôle, tu espères que les gens aiment, mais je pense que la majorité a aimé… Je crois que tout va bien !
Interview réalisée en visio le 5 août 2025 par Mathilde Beylacq.
Retranscription & traduction : Mathilde Beylacq.
Photos : VD Pictures.
Site officiel de Lord Of The Lost : lordofthelost.de
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