Du haut de ses quinze ans d’existence, comme tous les adolescents de son âge, Moonreich n’est plus tout à fait le même que quand il était enfant. Il ne suit plus forcément les règles de ses parents, entendez par là le black metal frontal d’un Marduk avec qui le public lui trouvait de nombreuses affinités. Depuis Fugue, Moonreich aborde un style plus ouvert et plus épuré, faisant fi des codes et de la tradition chère aux puristes. S’il n’est plus tout à fait le même, c’est aussi parce que son compositeur Arthur Legentil a changé de nombreuses fois de line-up, même s’il a toujours été la tête pensante pour l’écriture, trouvant une alchimie tout à fait différente pour le live. Ayant toujours délégué le chant sur les planches, il porte désormais la double casquette en concert en assumant pleinement le projet sur ses épaules.
Cinq années séparent Amer de Fugue, le temps pour le musicien de faire une pause sur le metal extrême et d’explorer d’autres choses. Comme il nous le confie dans cet entretien, ce qui l’intéresse dans sa démarche est toujours de surprendre son auditorat. Ainsi, quand il propose sa réinterprétation de « Broken » de Depeche Mode sur le précédent EP Wormgod, l’artiste va évidemment sur un terrain inattendu pour le fan, mais finalement compatible avec l’ouverture musicale qu’il revendique. Amer garde donc ce sens de la surprise, en nettoyant les imperfections trouvées sur Fugue, tout en allant plus loin dans l’exploration de nouveaux horizons musicaux. Cependant Moonreich a une identité et un nom à préserver, bien que ce dernier ait pu être changé d’après les confidences du musicien, le matraquage caractéristique du groupe est toujours au premier plan. Arthur Legentil revient pour nous sur l’histoire récente du groupe, sur l’esthétique du black metal, sur ses inspirations diverses et même sur une possible reprise insolite d’un célèbre duo français.
« L’idée c’est vraiment que, quand j’écoute de la musique, je n’aime pas m’ennuyer et je n’aime pas savoir ce qui va venir après rien qu’en écoutant le début d’un morceau. J’aime bien surprendre. »
Radio Metal : Amer sort cinq ans après Fugue, il y a eu l’EP Wormgod entre-temps en 2019. Moonreich nous a habitués à un rythme assez soutenu de sorties depuis sa création, qu’est-ce qui a pris plus de temps pour cet album ?
Arthur Legentil (chant & guitare) : Déjà, ce n’est pas du tout le Covid, ça n’a rien à voir. S’il n’y avait pas eu le Covid, il y aurait quand même eu cette petite pause. Nous voulions nous mettre en pause en 2020, nous étions à peu près à douze ou treize années d’albums, de concerts et ainsi de suite. Tout simplement, j’avais envie de voir d’autres choses, de lancer de nouvelles choses musicales et de sortir un peu du black, parce que dans ma vie privée, j’écoute vraiment plein de choses et je me suis retrouvé à un moment où je me sentais frustré de n’avoir le temps que pour faire du black. Je me suis dit que je mettrais en pause le groupe – sans date d’échéance – et qu’on allait voir ce qu’il se passerait. J’avais commencé à bosser sur un autre projet avec des amis, mais ce n’est jamais sorti. Puis, au bout d’un moment, ça m’a quand même manqué. A chaque fois que je prenais la guitare, je sentais qu’il y avait des trucs qui revenaient, je revenais beaucoup à ce que nous avions fait sur Fugue, donc je me suis dit qu’il serait peut-être temps de refaire un album et nous revoilà.
Musicalement, comme tu le dis, il est vraiment dans la lignée de Fugue qui ouvrait beaucoup le spectre de tes influences et qui s’ouvrait à d’autres styles de metal extrême en déployant davantage de mélodies. Est-ce que d’une certaine manière, il est pensé comme une suite de ce qui a été entamé sur Fugue ?
Oui et non. Ce n’était pas voulu au début. L’EP qui est sorti entre les deux n’a pas grand-chose à voir ; après, c’est un format EP qui est encore un autre exercice. Là, je n’avais pas spécialement ça en tête, mais c’est vraiment en me remettant à composer que c’est venu comme ça, naturellement, j’avais envie de retrouver cette ambiance. Franchement, non, ce n’est pas calculé. Quand je me suis retrouvé avec pas mal de riffs en stock, je me suis dit que c’était dans la lignée et plus je m’en rendais compte, plus j’étais convaincu que c’était le moment de bosser sur une suite, même si ça ne s’appelle pas Fugue II. Ce n’était pas voulu au départ, mais j’ai complètement assumé après que ça irait dans cette direction et j’en suis content. Finalement, ça m’a permis de corriger les défauts qu’il y avait, selon moi, dans Fugue. C’était un peu une manière de me rattraper.
Quels sont les défauts que tu voyais dans Fugue ?
Je ne réécoute pas les anciens albums en général, mais je m’étais refait une écoute quand je composais Amer, et je trouvais ça long. Il y avait un ventre mou un peu trop forcé quelquefois, ça traînait en longueur. Donc je me suis dit que nous allions essayer de faire un format un peu plus direct, plus court mais aussi plus condensé, et j’ai bien aimé l’idée de pouvoir faire plus dans moins, d’essayer d’apporter des éléments un peu différents et un peu nouveaux pour nous dans moins de temps, ce qui permet d’aller à l’essentiel et de moins s’éparpiller. J’étais très content de faire ça comme ça.
On a l’impression que, comme cet album fait quarante-trois minutes au lieu de cinquante-trois minutes pour Fugue, tu as vraiment voulu faire un travail de synthèse…
C’est exactement ça. Les morceaux d’Amer sont pas mal longs, mais j’ai des versions préprod qui sont encore plus longues et je me suis dit que c’était dommage parce j’avais l’impression de retomber dans des travers dans lesquels je ne voulais pas retomber justement. Je me suis dit : « Allons à l’essentiel tout en gardant une dynamique intéressante, sans que l’on s’ennuie en l’écoutant et sans que les ambiances soient trop bâclées et que ce soit trop vite balayé. »
En tout cas, ce qui paraît clair dans la vision de Moonreich, c’est le côté martial, franc et direct, mais depuis Fugue, tu développes d’autres atmosphères, parfois plus lumineuses. Est-ce intentionnel ?
Il n’y a rien de calculé dans ce que nous faisons, mais je vois ce que tu veux dire. L’idée c’est vraiment que, quand j’écoute de la musique, je n’aime pas m’ennuyer et je n’aime pas savoir ce qui va venir après rien qu’en écoutant le début d’un morceau. J’aime bien surprendre. Donc effectivement, j’aime beaucoup faire des morceaux où ça blaste, c’est du black, c’est violent, et puis calmer le jeu, apporter une autre atmosphère et revenir sur du black. J’aime bien décontenancer l’auditeur et l’emmener vers ce à quoi il ne s’attend pas.
« Aux débuts du groupe, j’étais vraiment un black metalhead, je n’écoutais que ça. Puis, à un moment, tu vieillis un peu, tu découvres qu’il y a plein d’autres choses cool ailleurs. Pour moi, Moonreich n’a jamais été un groupe de black metal pur et dur qui ne fera que du black. »
C’est vrai qu’il y a beaucoup d’inattendu dans les morceaux, particulièrement sur Amer.
C’est totalement le but, mais encore une fois, ce n’est pas calculé, c’est juste naturel pour nous. A titre personnel, j’écoute vraiment des artistes différents et j’aime les artistes qui m’emmènent là où je ne m’attends pas à aller. Ça passe par des cassures rythmiques, des changements de tonalités, des changements d’ambiances. Mais je ne suis pas en train de composer un morceau en disant : « Tiens, là il faut que ça change, il faut que je trouve autre chose. » Non, ça vient naturellement. Je ne me pose jamais pour penser à ça. C’est juste peut-être mon cerveau reptilien qui n’aime pas s’ennuyer et qui me fait faire complètement autre chose.
Un autre aspect qui revient dans tes compositions et qui n’est pas forcément calculé, c’est le sens de l’accroche et le côté entraînant et groovy qui apparaît de plus en plus dans Moonreich. C’est déjà le cas dans « Heart Symbolism » sur Fugue, qui est un tube black metal selon nous. Sur Amer, il y a « Of Wine and Ecstasy » qui a une cassure totalement hors black metal avec un riff bien senti, presque rock feel good. Le Moonreich d’aujourd’hui, il cherche cette accroche ?
C’est marrant que tu parles de « Heart Symbolism » car lorsque nous avons enregistré Fugue, j’ai failli virer ce morceau de l’album au dernier moment, parce que je me disais que ça ne collait pas, que le riff d’accroche était trop joyeux. Ça ne me parlait pas trop. Puis j’ai demandé l’avis de l’ingénieur du son, Frédéric Gervais qui bosse au studio Henosis et qui fait d’ailleurs un travail remarquable, et il m’avait dit que non, ce n’était pas spécialement joyeux, mais plutôt déterminé. Après, j’ai vu ce morceau d’une autre manière, nous l’avons gardé et finalement je ne regrette pas, car nous le jouons toujours en live et c’est toujours un plaisir. Ça vient aussi du fait que j’écoute plein de choses et peu de metal maintenant, et ce genre de cassures sont naturelles pour nous et nous ne nous posons pas la question, et je pense qu’il y en aura de plus en plus. Je trouve ça vachement intéressant de mélanger du black avec des éléments extérieurs. Les gens qui ont pu écouter l’album, tous m’ont dit au sujet de ce passage qu’ils ne l’avaient pas vu venir, or j’adore qu’on me dise ça, donc ça m’encourage à continuer ce genre de délire.
Un autre groupe qui est un peu surprenant – en étant peut-être moins dans la cassure – avec un sens de l’accroche, auquel tu as rendu hommage sur ton EP, c’est Depeche Mode. Là non plus, on ne vous a pas vus venir. Penses-tu avoir un lien plus proche avec Depeche Mode qu’avec Marduk, auquel on vous comparait au début ?
Comme je te disais, j’écoute de tout et quand j’ai entendu ce morceau de Depeche Mode, je me suis dit qu’il y avait un truc à faire car je trouvais, assez paradoxalement, la sonorité très black metal et sombre dans leur riff, même s’ils ne le jouent pas pareil. Ça faisait longtemps que j’avais fait l’arrangement de ce morceau et nous n’avions jamais trouvé l’occasion de le sortir. Je me suis dit que le format EP était une bonne occasion de sortir ce genre de reprise. Si tu veux de l’inattendu, ce n’est pas la seule que j’ai en stock. J’en ai une autre des Daft Punk, un titre du dernier album qu’ils ont sorti, mais on verra si nous l’enregistrerons et la sortirons un jour.
Tu as déjà répondu en partie sur l’ouverture de Moonreich qui évolue avec la musique que tu écoutes. Penses-tu qu’à l’époque c’est le fait que tu restais fermé dans le black qui faisait que Moonreich restait dans une approche très metal extrême et qu’aujourd’hui, comme tu écoutes beaucoup plus de groupes et que tu as ouvert ton spectre, ça accompagne musicalement l’évolution de Moonreich ?
C’est totalement ça. Aux débuts du groupe, j’étais vraiment un black metalhead, je n’écoutais que ça. Puis, à un moment, tu vieillis un peu, tu découvres qu’il y a plein d’autres choses cool ailleurs. Pour moi, Moonreich n’a jamais été un groupe de black metal pur et dur qui ne fera que du black. Vu que c’était mon projet solo à la base, ça a toujours été pour moi l’expression de ce que j’ai envie de faire, de ce que j’écoute et des influences que j’ai envie de mettre dans ma musique. Donc c’est très naturel pour moi de faire évoluer le projet en fonction des écoutes du moment, je n’ai aucun souci avec ça, c’est assumé, tu as vu juste.
Nous avons vu que From Mars To Sirius de Gojira faisait partie de tes albums préférés et que Gojira faisait partie de tes groupes préférés. C’est vrai qu’on entend cette influence sur Fugue mais aussi sur Amer. On l’entend sur le riffing en général et dans la manière dont sont composées les parties de batteries et de percussions. Qu’est-ce qui te parle et t’inspire chez eux ?
Je pense qu’ils font partie de ces groupes qui ont ce truc, dont je parlais tout à l’heure, qui fait que tu ne t’ennuies pas. Il y a plus de cassures, plein de changements de rythmes et de tempos, et ils ont un riffing assez spécial, ils ont une patte bien à eux. Ils savent faire des trucs violents mais ils savent aussi être mélancoliques. Ça m’a toujours parlé et je mettrais ma main au feu qu’eux aussi écoutent plein de choses en dehors du metal, ça se ressent beaucoup dans leur musique. Cela étant, je n’ai pas trop écouté le dernier album, mais les deux ou trois morceaux que j’avais entendus, j’en étais moins fan. Ça reste quoi qu’il en soit un super groupe à voir en live, même si je n’écoute pas trop en ce moment et que je n’ai pas du tout écouté pendant la composition d’Amer. Mais oui c’est sûr qu’inconsciemment, ça a été une grosse influence et mélanger ça au black avec plein d’autres choses a été une évidence pour moi.
« Pour moi, c’est un mélange de bagarre, de chiale et de danse. C’est ainsi que je vois cet album et ça me plaît bien. »
On entend aussi un petit pont jazzy sur la chanson titre. C’est un genre d’expérimentation qui est nouveau aussi. Penses-tu que ce sont des choses que tu n’osais pas faire avant parce qu’il ne faut pas désacraliser le black metal ?
Je pense que je ne me l’interdisais pas consciemment. Peut-être que, même si j’en avais eu envie sur Fugue voire celui d’avant, je me suis un peu retenu inconsciemment, peut-être par peur de surprendre les gens, de choquer dans le mauvais sens du terme. Aujourd’hui, je n’en ai plus grand-chose à faire et je m’assume totalement. Je suis content du résultat et si ça plaît aux gens, c’est cool. Je ne m’interdis plus rien et je ne m’en interdirai de moins en moins.
Est-ce que pour toi Moonreich est toujours un projet uniquement de black metal ou est-ce que tu rajouterais une étiquette supplémentaire comme ça se fait beaucoup ?
Tu parles d’étiquette, mais je suis super nul là-dedans. Franchement, je ne me pose pas trop la question, je pense que nous sommes juste quatre musiciens qui font ce qu’ils aiment faire et nous ne nous posons jamais la question de savoir quel style nous faisons. Je comprends que ça peut être un peu déroutant parce que parfois, on entend des vieux de la vieille dire que ce n’est plus du black ou au contraire, des gens qui n’écoutent pas trop de black metal, que c’est quand même très black metal. Nous nous retrouvons un peu avec le fessier entre deux chaises, mais ça me va, j’aime bien. Chacun mettra l’étiquette qu’il veut s’il a envie de mettre une étiquette. Je t’avoue, je ne me pose pas la question, nous faisons ce que nous aimons. Si ça parle à certaines personnes, c’est cool, sinon tant pis. Nous faisons ça pour notre plaisir. Je ne saurais pas te donner d’étiquette précise. Si je devais le définir, je pense que ce serait une base de black avec plein d’éléments externes, peut-être du black fusion, je ne sais pas, je ne pourrais pas te dire.
On voit que le Moonreich de 2023 est plus épuré, même s’il reste agressif. Ça s’entend musicalement, mais ça se voit aussi visuellement. Sur scène, vous avez abandonné le corpse paint, vous adoptez un style plus sobre, avec une capuche pour ta part. Est-ce une volonté de trancher avec vos origines ou une lassitude du folklore du black ?
C’est un peu comme la musique, je suis devenu complètement imperméable aux codes et aux choses qui se font, et ce sont des trucs qui m’irritent un peu maintenant. Je comprends totalement la démarche de vouloir faire du black avec du corpse paint et des grosses rangers qui vont bien, parce que ça fait partie du style et j’accepte totalement la volonté de rester dedans et de vouloir faire un truc « pur », mais en tant que musicien, tout ce qui est code et « il faut faire comme ça parce que ça a toujours été comme ça », ça a tendance à me donner des boutons et je n’en ai plus envie. Tout ce qui est maquillage… Maintenant, j’ai juste envie que nous soyons un groupe de musiciens qui viennent faire leur musique sans faux-semblant, sans rien. Il y a un côté proximité aussi avec les gens qui viennent nous voir. Cela étant, je trouve ça cool aussi le côté théâtral de la chose, mais nous voulons quelque chose de plus naturel, plus franc. C’est autant musical que visuel, comme tu le disais, une volonté de s’éloigner des codes. Vu que nous apportons pas mal d’éléments extérieurs au black, ce serait dommage de nous limiter à une imagerie.
Il y a plein de groupes qui ont arrêté le corpse paint et qui ont dit vouloir se contenter de la musique – je ne parle pas forcément de ceux qui vont dans la démarche inverse, où tu ne vois plus les visages, plus rien, car c’est un choix esthétique. Penses-tu que cette esthétique old-school soit vouée à disparaître ?
Je n’espère pas car c’est quand même un élément visuel fort et ça fait partie de l’identité du genre. Tout ce que je t’ai dit avant, ça ne concerne que nous. Nous ne le faisons plus parce que ce n’est plus dans notre démarche, ce n’est plus ce que nous sommes aujourd’hui et ce n’est plus ce que nous avons envie de faire. Mais c’est bien que ça existe encore, je prends toujours plaisir à voir des groupes qui poussent le truc jusqu’au bout, parce que c’est leur identité et ça fait partie de la scène. Je n’ai pas envie que ça disparaisse. J’ai envie qu’il y ait des groupes qui fassent évoluer la scène, mais je trouve ça bien aussi que certains restent fidèles à l’esprit du black du début. Chacun peut vivre ensemble avec sa démarche.
Un groupe qui fait évoluer la scène, c’est Schammasch qui eux, pour le coup, sont dans une esthétique très travaillée, cohérente avec le côté ésotérique de leur musique.
Carrément. Après, ce qui est bien, c’est que le corpse paint est tellement suranné que ça force des gens à être créatifs, ce qui n’est jamais une mauvaise chose. Ça fait un petit peu bouger le style et ce n’est pas plus mal. Oui, ils font partie de ces groupes qui ont inventé une identité et il y en a plein. Je n’ai pas spécialement de noms en tête, mais je vois souvent passer des trucs assez nouveaux. Après, est-ce que la musique est bien derrière, je ne sais pas, mais oui, c’est bien qu’il y en ait qui restent sur le corpse paint, c’est bien qu’il y en ait qui fassent évoluer, c’est bien qu’il y en ait qui arrêtent tout ça… Chacun fait ce qu’il veut.
« L’amertume, ce n’est pas la dépression, ce n’est pas la joie de vivre, c’est un sentiment un peu mitigé entre les deux et j’ai trouvé que ça mettait un bon nom sur ce qu’est l’album musicalement et conceptuellement. »
Un autre aspect qui tranche, c’est l’artwork d’Amer qui a une certaine filiation avec celui de Fugue, même si cette fois on abandonne le cœur pour un crâne. Quelles consignes as-tu données aux Came Roy De Rat et que souhaitais-tu illustrer ?
Quand je travaille avec un artiste, j’aime plutôt lui laisser carte blanche parce que j’estime que si j’ai envie de bosser avec quelqu’un, c’est pour ce que je connais de lui et ce qu’il aime faire. Je n’ai pas envie d’être trop directif, de le brider et d’interférer dans son travail. J’ai envie qu’avec une idée de base et quelques mots de ressentis ou quelques compositions, il puisse s’imprégner de la chose et créer son propre univers avec ce qu’il a pu entendre. C’est ce que nous avons fait là. Je lui ai donné très peu d’indications et il est venu avec cette idée qui a un peu évolué et finalement, je trouve que ça colle très bien avec l’album et le travail est assez remarquable. Il a fait un super boulot sans être trop dirigé, c’est ce que je trouve encore plus fort.
Il a fait pas mal de travaux pour des groupes chez Les Acteurs De l’Ombre. Le connais-tu de là ou connaissais-tu déjà ses travaux pour d’autres raisons ?
Je le connais de là et aussi d’affiches de concerts et de festivals qu’il a pu faire. Nous nous étions croisés à une date sur la tournée de Fugue et nous avions sympathisé. Quand j’ai cherché un artiste pour l’artwork de cet album, je me suis tourné vers lui parce que j’étais sûr qu’il serait capable de capter ce que nous voulions faire et de s’imprégner de l’ambiance de l’album, et il l’a super bien fait. Mais oui, nous l’avons connu principalement par les Acteurs de l’Ombre et les travaux qu’il a faits pour leurs groupes.
Ce que nous avons dit sur l’aspect musical et esthétique, ça va dans le sens d’un album globalement plus mélancolique, plus résigné qu’agressif. Est-ce une émotion que tu voulais illustrer à travers Amer ?
Oui. En fait, c’est un album de contraintes. J’aime bien emmener les gens dans différentes ambiances musicales mais aussi dans différentes émotions. C’est pour ça qu’il y a des chansons plus énervées où tu auras envie de mettre des patates dans le pit, mais juste après, tu auras envie de chialer avec le mec que tu viens de taper [rires]. Je trouve ça cool et oui, c’est totalement voulu. Tu vas peut-être trouver ça bizarre, mais je trouve qu’il y a aussi des passages un peu dansants. Pour moi, c’est un mélange de bagarre, de chiale et de danse. C’est ainsi que je vois cet album et ça me plaît bien.
Que se cache-t-il derrière ce nom, Amer ? Est-ce un ressenti général sur ce qui t’entoure, par exemple le monde d’aujourd’hui ?
Un peu, mais c’est aussi parce que c’est un titre qui collait bien avec ce dont je viens de te parler, c’est-à-dire le contraste. L’amertume, ce n’est pas la dépression, ce n’est pas la joie de vivre, c’est un sentiment un peu mitigé entre les deux et j’ai trouvé que ça mettait un bon nom sur ce qu’est l’album musicalement et conceptuellement. C’est l’entre-deux des phases violentes qu’il peut y avoir et des phases mélancoliques, tu ne sais jamais dans quel état tu es. C’est le fait de passer d’une émotion à une autre en peu de temps dans un même morceau. C’est un peu ce que j’ai voulu marquer. Pour moi, ça colle mais je ne sais pas si ce que je raconte est compréhensible.
On a l’impression dans cet album que tu fais parler des personnages qui sont souvent dans une forte misanthropie, mais pas que. Globalement, qu’explores-tu thématiquement à travers ces personnages sur Amer ?
Je vois ce que tu veux dire pour les personnages, c’est d’ailleurs un peu ce que je me dis parfois quand j’écris des textes. Si personnages il devait y avoir, ce serait les mêmes que ceux de Fugue qui se retrouvent coincés dans une sorte de vortex émotionnel, qui ne savent pas trop où se placer. Après tu peux extrapoler, est-ce que c’est quelqu’un qui ne sait pas où se placer dans la société ou quelqu’un qui est perdu entre plein d’émotions différents ? Pour moi, c’est un peu les deux. En tout cas, oui, c’est un peu ce que j’ai voulu faire. Je suis content que tu aies vu des personnages parce que pour moi, c’est totalement le cas et tu es le premier à me le dire. Si je devais raconter leur situation, ce serait : perdus dans un tourbillon émotionnel ; ils ne savent pas trop quoi ressentir, ils ne savent pas trop où se mettre. C’est un peu l’album de quelqu’un de perdu.
« Quand on a enregistré Amer, j’ai eu une phase où je me suis demandé si nous ne changerions pas le nom du groupe. Nous ne sommes absolument pas politisés et encore moins d’extrême droite, ni même de droite, mais je suis convaincu que pour une personne qui ne nous connaît pas et qui ne prend pas le temps de se renseigner sur ce que nous faisons, les raccourcis peuvent être vite faits. »
Ces dernières années, on voit que Moonreich a pas mal changé de line-up live. C’est d’ailleurs la première fois que vous êtes dans une configuration à quatre, puisque avant tu faisais toujours appel à un chanteur. Comment expliques-tu ce petit jeu de chaise musicale ? As-tu du mal à trouver des membres qui peuvent être investis sur Moonreich, vu qu’avant il y avait pas mal de musiciens qui avaient d’autres projets à côté ?
Nous avions déjà été à quatre mais c’était il y a une bonne dizaine d’années. Ça s’explique par plein de choses. Là c’est stable depuis presque deux ans, sauf que notre dernier chanteur est parti il y a à peu près un an. Quand il est parti, nous ne nous sommes pas dit qu’il fallait un nouveau chanteur. Il faut savoir que c’est moi qui ai enregistré le chant sur les albums ; sur Fugue aussi c’était moi. Nous nous sommes donc dit que c’était bien à quatre, que l’osmose était bonne entre nous et que je pouvais faire le chant en live en plus de la guitare, que ce n’était pas forcément nécessaire de chercher quelqu’un qui allait se greffer là-dessus. Vu que nous fonctionnions bien comme ça, nous nous sommes dit que nous allions rester tels quels. C’est sûr qu’avant ce line-up-là, ça a bien bougé, mais c’est toujours compliqué de trouver des gens investis, bons dans ce qu’ils font et avec de bonnes idées. Il faut aussi que ce soient des gens avec qui tu as envie de passer du temps humainement. Mine de rien, c’est du temps passé en répétition et quand tu vas jouer quelque part, ce sont des heures à passer enfermés dans un van. Je pense que tous les groupes te le diront, si tu fais ça avec une personne que tu ne peux pas blairer ou avec qui ça ne passe pas, tu ne prends plus de plaisir. Nous sommes tous très potes, quand nous partons jouer quelque part, nous avons l’impression de partir en bande de potes et c’est super cool, c’est super précieux pour moi. Nous sommes bien comme ça à quatre et je pense que nous allons le rester.
C’est toi qui composes tout, mais souhaiterais-tu voir un côté un peu plus participatif dans Moonreich ? Comment perçois-tu les choses ?
Sur la composition, je ne sais pas, parce que c’est quand même particulier. J’ai ma propre patte avec mes influences, mais je ne suis pas du tout fermé. Notre guitariste a participé, il a écrit un riff. En revanche, c’est la première fois dans l’histoire du groupe que c’est vraiment tout le line-up qui enregistre l’album, que chacun enregistre son instrument, ce n’était jamais arrivé avant. C’était toujours un batteur de session et moi, je faisais tout le reste ou avec des musiciens que j’appelais à droite, à gauche, mais là, c’est vraiment la première fois que le vrai line-up live enregistre tous ses instruments et j’étais très fier de ça. Tout le monde a bien bossé, tout le monde a pu apporter son petit groove et sa petite patte. C’est super cool parce que c’est ce qui se passer en live, les morceaux vont être fidèles à ce qui est sur l’album. C’est une chance incroyable. J’imagine que c’est comme ça pour tous les groupes, mais pour nous ça n’a jamais été le cas et je suis super fier que ce soit passé comme ça sur cet album.
Souhaites-tu appuyer sur la dimension live de Moonreich en faisant plus que quelques concerts à droite, à gauche et avoir vraiment un plan de tournée ?
Notre but est clairement de jouer. Nous sommes un groupe live, donc si nous avons une bonne opportunité, nous y allons. Ceci étant dit, ce n’est pas si facile parce qu’avec la crise, les concerts, c’est un peu chaud. Mais notre but est de défendre les morceaux un maximum en live et de jouer le plus possible là où nous pouvons aller. Nous ne nous retenons pas du tout là-dessus. Si ne nous jouons que quelques concerts de temps en temps, c’est bien malgré nous, car nous aimerions jouer plus.
Lorsque nous nous sommes rencontrés il y a quelques années, tu nous avais raconté une petite anecdote – tu en rigolais à ce moment-là mais finalement ce n’était pas si marrant que ça. Tu as eu un souci en allant au Québec avec le nom du groupe Moonreich, qui vous a porté préjudice par le passé. Evidemment, il n’y a absolument rien de politique dans Moonreich, encore moins d’extrême droite ou quoi que ce soit, mais n’as-tu jamais eu de regret de vous être appelés Moonreich ?
Quand on a enregistré Amer, j’ai eu une phase où je me suis demandé si nous ne changerions pas le nom du groupe. Nous ne sommes absolument pas politisés et encore moins d’extrême droite, ni même de droite, mais je suis convaincu que pour une personne qui ne nous connaît pas et qui ne prend pas le temps de se renseigner sur ce que nous faisons, les raccourcis peuvent être vite faits. J’ai donc eu une phase où j’ai songé à changer le nom du groupe parce que – je n’ai aucun moyen de le vérifier – si ça se trouve ça nous a peut-être fermé des portes. J’ai donc cherché un nom et puis je suis revenu dessus. Je me suis dit que finalement, je préférais largement rester comme ça et faire en sorte de dire tout ce qui pouvait être dit, de laver notre nom et d’assumer ce que nous sommes – ou plutôt ce que nous ne sommes pas ! Nous sommes restés Moonreich, nous assumons. L’avantage, c’est que nous commençons à avoir un peu d’années de tournée et forcément, tu rencontres pas mal de gens, tu discutes avec plein de monde et à force de côtoyer les gens de la scène, que ce soit des organisateurs ou des spectateurs, on voit que les gens savent très bien que nous ne sommes pas ce que certains ont pu laisser entendre que nous étions par le passé. Je préfère largement laver notre nom que de le changer. Le Canada c’était particulier, mais finalement, ce n’était pas tant pour nous. Nous venions jouer à La Messe Des Morts à Montréal et il y avait des groupes un peu tendancieux sur ce festival. Lors de la pseudo-arrestation, après le coup de pression, le policier a fini par me dire qu’il n’avait rien contre nous, que c’était juste pour vérifier. Il m’a dit qu’il attendait d’autres groupes et qu’il n’avait pas de soucis avec nous. Ça s’est bien passé finalement !
Interview réalisée par téléphone le 11 mai 2023 par Jean-Florian Garel & Clément Demarquet.
Retranscription : Emma Hodapp.
Facebook officiel de Moonreich : www.facebook.com/Moonreich