Oomph! ou l’art de la rupture dans la continuité. Que le choc a été grand quand le pionnier de la Neue Deutsche Härte a annoncé en septembre 2021 se séparer de son emblématique frontman et membre fondateur Dero Goi. Cela faisait plus de trente ans que celui-ci et les guitaristes-producteurs Flux et Crap œuvraient main dans la main, façonnant l’identité évolutive du groupe. Qu’allaient-ils faire ? Pouvaient-ils même continuer sous ce nom ? Pour les deux compères restants, la réponse était claire : pas question d’abandonner l’œuvre de toute une vie. Et c’est en la personne de Der Schulz, premier chanteur auditionné et vieille connaissance, qu’ils ont trouvé leur sauveur.
C’est bien simple, Richter Und Henker, quatorzième album de la formation, ne dépaysera pas les fans : Oomph! reste indéniablement Oomph! et le choix de Der Schulz comme nouveau frontman s’impose comme une évidence tant son style vocal se fond dans l’esthétique du groupe, en s’inscrivant dans la lignée de son prédécesseur. Un album rassurant donc, par sa musique, mais angoissant par ses thématiques qui érigent des constats sombres sur le monde actuel. Nous discutons de tout ceci et plus encore avec le trio.
« C’était un peu surprenant que nous ne soyons pas arrivés à trouver une solution pour sauver le groupe sous cette forme, car nous ressentons une grande responsabilité envers l’œuvre de toute une vie, notre création. »
Radio Metal : En septembre 2021, vous avez annoncé le départ du frontman de longue date et fondateur du groupe Dero Goi. C’était évidemment un choc pour les fans. Dans votre déclaration vous avez dit que « malgré tous les efforts, [vous n’étiez] pas parvenus à garder le groupe sous ce line-up » et que vous vous étiez beaucoup battus pour ça. De son côté, Dero a dit que des désaccords internes couvaient depuis environ une décennie. Vous avez été des partenaires créatifs depuis le début du groupe en 1989. Après tout ce temps, étant donné que vous vous connaissiez très bien, qu’est-ce qui vous a empêchés de continuer l’aventure ensemble à ce stade ?
Rene Bachmann alias Flux (guitare) : Tu imagines bien que c’est un long processus, quand vous travaillez ensemble pendant trente ans. Crap et Dero étaient même amis depuis l’âge de trois ou quatre ans, ils ont grandi dans le même appartement. Ça n’est donc pas arrivé du jour au lendemain, même si, au final, pour nous, c’était un peu surprenant que nous ne soyons pas arrivés à trouver une solution pour sauver le groupe sous cette forme, car nous ressentons une grande responsabilité envers l’œuvre de toute une vie, notre création. Nous sommes nous-mêmes parmi les plus grands fans de Oomph! et de notre musique, et nous savons ce que les chansons, les paroles et les concerts de ce groupe signifient pour nos fans. Nous le savons grâce à de nombreuses discussions que nous avons eues – nous participons régulièrement à des meet-and-greet avec les fans et nous entendons plein d’histoires, comme quoi notre musique les a aidés à traverser des situations difficiles, comment ils ont retrouvé goût à la vie en écoutant notre musique ou en se rendant à l’un de nos concerts. Donc pour Crap et moi, il n’a jamais été question d’arrêter Oomph!, car ce groupe est notre vie depuis plus trente ans, alors pourquoi l’arrêter ? Bien sûr, c’était triste, mais à un moment donné, il faut se dire qu’on s’est battu pour que ce changement n’ait pas lieu, qu’on a tout essayé, mais que parfois, on a beau vouloir régler un problème, ce n’est pas possible. Nous avons donc dû aller de l’avant. Nous avons décidé de continuer en prenant notre temps pour chercher le bon chanteur, celui avec lequel nous retrouverions la même magie en studio que nous avions avant, avec lequel nous aurions le même feeling en écrivant de la musique et qui ferait que ça sonnerait comme du Oomph!. Quand nous avons travaillé en studio avec Der Schulz… Nous avons aussi essayé vingt-cinq autres chanteurs, mais avec lui, le feeling c’était : « Oh, je suis juste en train de travailler sur le prochain album d’Oomph!. » Ça ne donnait jamais l’impression d’un projet parallèle. Les chansons, le feeling, les paroles, la musique que nous écrivions, c’était Oomph!. Il n’était donc pas question de donner un autre nom au groupe.
Dero a dit que son départ du groupe a été décidé d’un commun accord entre vous trois et qu’il vous a permis de continuer à utiliser le nom du groupe. A quel point ça a été complexe – ou facile – de trouver un accord, vu qu’en tant que membre originel, il avait des droits sur le nom ?
Je ne vais pas faire de commentaires sur ce qu’il a dit. Je peux seulement dire ce que nous avons écrit dans notre communiqué. C’est tout. Il n’y a rien de plus à dire. A un moment donné, nous ne pouvions plus maintenir le groupe sous son ancienne forme. Nous avons dû trouver un accord sur la façon d’y mettre un terme. Tu peux imaginer que quand ça fait longtemps que tu as un groupe, tu as aussi une société autour – car tu as des revenus, tu dois payer des impôts, etc. – et tu vends du merch, et il faut diviser cette société, comme on doit le faire pour n’importe quelle société quand une personne décide de partir. Nous nous sommes donc mis d’accord là-dessus, et nous nous sommes mis d’accord sur le communiqué, sur chaque mot, car nous sommes des adultes et nous faisons du business. Nous avons donc écrit ce communiqué, et comme c’est écrit dessus, nous lui souhaitons le meilleur pour son avenir et il nous souhaite le meilleur pour notre avenir. C’est tout ce que nous pouvons dire sur ce sujet.
Dero était la voix et le visage du groupe, c’est un frontman charismatique, c’était le principal porte-parole du groupe… Vous avez dit qu’il n’était pas question d’arrêter le groupe, mais malgré tout, avez-vous eu le moindre doute sur le fait de continuer sans lui ou étiez-vous dès le début confiants sur votre capacité à relever le défi ?
Personnellement, je n’avais aucun doute. Évidemment, tu réfléchis à toutes les éventualités, tu penses : « Et si on changeait de nom ? Quel nom ce serait ? » Mais tout de suite, tu vois que ça ne va pas, car tu as déjà un groupe, tu as déjà un bon nom, tu as une communauté de fans. Crap et moi sommes les deux tiers du groupe, et un tiers est parti, donc la majorité est toujours là. Crap et moi écrivons des chansons et des paroles. Nous avons besoin d’un chanteur seulement parce que je ne suis pas assez doué dans ce domaine et Crap non plus. C’est suffisant pour écrire des chansons, mais… Nous n’avons jamais essayé, donc peut-être… Mais ça n’a jamais été envisagé. Nous sommes contents du rôle que nous avons dans le groupe, donc nous avons cherché quelqu’un capable de compléter le groupe à nouveau et de travailler avec nous comme nous avons travaillé par le passé, c’est-à-dire en se servant du chanteur comme d’un bon instrument. C’est comme quand on enregistre une partie de guitare, tu dis : « Ok, le guitariste, donne-moi un son. Peux-tu jouer avec plus de saturation, s’il te plaît ? Peux-tu gratter plus fort ? Peux-tu mettre un effet d’écho et du vibrato sur ton solo de guitare ? Peux-tu accentuer un peu plus les notes ? » Nous travaillons de la même manière avec le chanteur en studio. Il faut qu’il y ait une forme de magie à l’œuvre quand on écrit des chansons et des textes ensemble, et il faut que le chanteur ait des capacités et des compétences quand, en tant que producteur, on lui demande : « S’il te plaît, peux-tu chanter avec une voix plus rauque ? Peux-tu chanter avec une voix plus opératique ? Peux-tu chanter avec plus de vibrato ? » Alors le chanteur doit avoir les capacités d’offrir ça. Et ce doit aussi être une personne très émotionnelle, car je crois que dans la musique d’Oomph!, tout est une question d’émotions, que ce soit de la haine, de la joie ou toutes les nuances entre les deux. Le chanteur doit donc être capable de ressentir et transmettre ces émotions. Der Schulz était la première personne que nous avons invitée, puis nous avons essayé vingt-quatre autres chanteurs, car nous avons reçu beaucoup de candidatures quand il était devenu officiel que nous recherchions un nouveau frontman. Dans le cas de Der Schulz, la magie a opéré dès la première rencontre. Il était capable de chanter les anciennes chansons avec la même émotion qu’avant, ainsi que les nouvelles chansons.
« Il n’y a pas de règle ! Où est-il écrit qu’il faut arrêter ou prendre un autre nom ? Bien sûr, je lis tous ces commentaires et je peux les comprendre, mais ça montre seulement à quel point nos fans s’impliquent et se sentent liés à notre musique, de tout leur cœur. C’est beau à voir. »
Thomas Döppner alias Crap (guitare) : Nous n’avons jamais pensé que le groupe devait mourir. C’est notre œuvre et nous sommes à la moitié de notre vie, donc il était clair que nous voulions faire perdurer le groupe, en essayant d’aller plus loin avec un nouveau chanteur.
Daniel Schulz alias Der Schulz (chant) : Tu portes un t-shirt de Van Halen : ils n’ont pas arrêté après le départ de David Lee Roth. AC/DC n’a pas arrêté après Bon Scott. Black Sabbath, idem. Je pense qu’il y a de nombreux exemples qui montrent que ça fonctionne, qu’on peut continuer avec un autre chanteur. Pourquoi arrêter le groupe quand une personne le quitte ?
Flux : Il n’y a pas de règle ! Où est-il écrit qu’il faut arrêter ou prendre un autre nom ? Bien sûr, je lis tous ces commentaires et je peux les comprendre, mais ça montre seulement à quel point nos fans s’impliquent et se sentent liés à notre musique, de tout leur cœur. C’est beau à voir, et je peux le comprendre. Peut-être que je peux ressentir la même chose avec un autre groupe, mais pour nous, en tant que musiciens et producteurs, il n’a jamais été question d’y mettre un terme. Et nous sommes contents que la majorité de nos fans nous laisse une chance et ait envie de voir ce que ça donnera. A ce moment-là, ils pourront juger par eux-mêmes et décider s’ils jettent l’album à la poubelle ou s’ils achètent une place de concert et un t-shirt.
La pandémie a été une période d’introspection, de questionnements et de changements dans la vie de nombreuses personnes, y compris dans l’industrie musicale. Est-ce que cette période particulière a eu un effet sur Oomph! ?
Evidemment, on a beaucoup de choses qui nous traversent l’esprit quand on ne peut pas partir en tournée et faire des concerts. Nous avions encore des festivals qui étaient calés quand la pandémie a commencé. Ça a provoqué l’arrêt de nos revenus. Evidemment, nous nous étions préparés à partir jouer pour nos fans et, tout d’un coup, ça s’est arrêté. Je me souviens que nous avons donné nos derniers concerts en mars et il y avait déjà des cas dans l’ouest de l’Allemagne où nous jouions, mais personne ne savait encore comment gérer ça. Puis il y a eu un long break qui, au final, nous a été profitable pour trouver le nouveau chanteur, écrire des chansons et démarrer la production du nouvel album avec Der Schulz. On ne peut pas jouer, donc on peut écrire des chansons, et c’est ce que nous avons fait, nous en avons profité. Tout ce qui se passait, la façon dont les gens réagissaient, dont ils changeaient, etc. a aussi eu une influence sur nos paroles. Il y a des sujets dans les textes liés à ça.
Vous avez déclaré que, comme vous vous connaissiez et vous appréciiez depuis longtemps, Der Schulz était le premier chanteur que vous avez contacté. Pouvez-vous nous en dire plus sur votre histoire ? Comment vous êtes-vous connus au départ ?
Der Schulz : J’aime le groupe depuis très longtemps, depuis l’époque « Das Weiße Licht » (sur l’album Plastik en 1999, ndlr). Nous avons joué ensemble sur un festival, le M’era Luna, avec mon vieux groupe en 2002. C’est là que je les ai vus pour la première fois en live, j’étais très impressionné. Ensuite, j’ai joué avec mon autre groupe Unzucht, nous avons ouvert pour eux sur une tournée européenne, en 2015 je crois. Nous avons fait la France, l’Espagne, la Suisse et d’autres pays. Nous nous sommes beaucoup rapprochés sur cette tournée, nous avons appris à nous connaître. A partir de là, nous étions amis, nous nous connaissions, nous nous respections. Il y a presque deux ans de cela, j’ai reçu un appel des deux gars. Ils m’ont demandé si je pouvais m’imaginer faire un projet parallèle avec eux. Evidemment que je pouvais m’imaginer faire ça. Nous ne vivons pas très loin les uns des autres – je vis à Hanovre et eux à Brunswick, c’est à cent kilomètres. Je suis allé à leur rencontre et ils m’ont révélé qu’en fait, ce n’était pas pour un projet parallèle, mais pour être le prochain chanteur d’Oomph!. Ça a créé une explosion dans ma tête ! Après quelques instants de réflexion, je me suis dit que je pouvais tenter le coup. Nous nous sommes retrouvés pour essayer de travailler ensemble. Après le premier jour, nous avions des idées de lignes mélodiques pour cinq chansons, voire plus, et des bouts de paroles. C’était très facile de travailler ensemble. La magie a opéré dès la première seconde. Il n’y avait rien d’étrange ou quoi, c’était organique et comme il faut.
Vous avez dit que vous aviez auditionné vingt-cinq chanteurs. Selon vous, qu’est-ce qui a fait la différence avec Der Schulz ? Qu’est-ce qui a fait qu’il se démarquait de tous les autres candidats ?
Flux : Au final, c’est juste un feeling qu’on a quand il chante, on se dit : « C’est Oomph!. C’est ce que je recherche. C’est exactement ce que j’ai ressenti quand j’ai écrit cette chanson. Il transmet le sentiment que j’ai. » Tout est une question d’émotion, c’est indescriptible. Il y a une magie qui se produit, ou pas. Il y a des chanteurs capables de chanter parfaitement, qui atteignent toutes les notes, qui ont la maîtrise technique, tout, mais tu ne ressens rien. Avec Der Schulz, dès le début, le feeling était positif, et comme il l’a dit, nous avons essayé à la première rencontre de travailler sur des démos pour nous mettre dans la situation dans laquelle nous allions être plus tard en studio au moment de produire l’album. Cinq des idées qui ont émergé à ce moment-là sont présentes dans l’album. Ça montre à quel point c’est facile, amusant et inspirant de travailler ensemble.
« L’une des significations du titre de l’album, Richter Und Henker, est que tout le monde sera à la fois le juge et le bourreau quand nous sortirons l’album. Nous le savons, nous avons cette seule chance et nous voulions que ce soit bien, mais nous avons aussi puisé de l’énergie dans cette pression. »
Une chose qui est assez incroyable à l’écoute du nouvel album, c’est que ta voix et ta façon de chanter, Der Schulz, ont de nombreuses similarités avec Dero. On n’est clairement pas désorienté, ça sonne familier. Était-ce aussi l’un de vos critères, que le nouveau chanteur soit dans la même veine, ou avez-vous travaillé là-dessus ensemble ?
Je pense que c’est quelque chose qui se produit naturellement durant le processus. Crap et moi travaillons comme nous avons toujours travaillé avec un chanteur. Tu as par exemple le couplet d’une chanson, puis tu te demandes quel genre de chant irait bien avec ça et tu travailles avec le chanteur, tu lui demandes : « Chante plus fort. Chante de manière plus détendue. Peux-tu essayer ceci ? » Puis arrive un moment où tu te dis : « Oui, c’est exactement ça ! Maintenant, on peut enregistrer le couplet. » C’est ainsi que nous travaillons en tant que producteurs avec n’importe quel chanteur. Peut-être ceci est ce que nous aimons entendre de la part d’un chanteur, ce que nous aimons entendre dans une chanson, le genre de tessiture et de répertoire vocal dont nous avons besoin chez un chanteur. Peut-être est-ce la raison pour laquelle ça sonne familier quand vous écoutez et comparez à d’autres albums que nous avons produits auparavant. Car ce sont le même genre de production et le même style de chant que nous recherchons et que nous avons développés au fil des années pour Oomph!, et qui collent à notre musique.
Der Schulz : En plus, nous sommes tous les deux barytons, avec un timbre chaleureux dans les médiums, donc nous produisons des sons qui sont proches.
Flux : Crap et moi savons précisément ce qui convient à nos chansons. Quand nous voulons un chant très rigide, robotique, qui suit le rythme pour un couplet, par exemple, parce qu’il y a ce côté Neue Deutsche Härte et EBM, alors il nous le faut. Mais il y a aussi d’autres chansons avec des mélodies plus libres et flottantes parce que c’est une ballade mélancolique ou peu importe, et c’est exactement ce que nous demandons parce que nous savons ce qu’il faut et ce qu’il ne faut pas.
Der Schulz : Oui, et d’ailleurs, j’ai beaucoup appris sur ma voix au cours de l’année et demie passée [rires].
Flux : Nous verrons sur le prochain album s’il s’est bien souvenu de tout [rires].
C’était naturel pour toi, Der Schulz, de rentrer dans le moule d’Oomph! ?
Der Schulz : C’était naturel, oui. Nous sommes dans la même tranche d’âge, nous parlons le même langage, nous avons le même sens de l’humour. C’était très facile de travailler sur le plan créatif ensemble, mais j’ai aussi essayé de nouvelles choses avec ma voix, quand par exemple Flux disait : « Essaye ceci sans aucune vibration. » En temps normal, je chante tout avec un vibrato. J’ai donc essayé plein de nouvelles choses avec ma voix et c’était inspirant.
Flux : Vous le sentiriez et l’entendriez si Der Schulz faisait semblant, s’il ne l’avait pas senti. Si nous lui avions demandé de faire quelque chose qu’il ne sentait pas, ça n’aurait pas marché. L’enregistrement du chant en particulier implique beaucoup d’émotion et demande que ça vienne du cœur, donc je crois qu’il le sentait.
Der Schulz : Oui. Pour certaines des parties les plus difficiles, il a fallu attendre le lendemain, mais j’ai fini par le sentir [rires]. Non, c’était très inspirant.
Evidemment, le nouvel album Richter Und Henker ouvre ce tout nouveau chapitre et, en un sens, c’est un album très important. Je suppose que la pression était énorme, surtout après Ritual qui avait atteint la première place des classements en Allemagne. Comment avez-vous géré cette pression ? Ce n’était pas dur pour les nerfs parfois ?
Flux : En fait, nous étions tellement pris dans le processus créatif, passant d’un pic d’euphorie à un autre… Quand tu travailles sur un album et que tu enchaînes les moments magiques, c’est comme si tu étais drogué, de façon positive. Bien sûr qu’il y a eu des moments où nous avons ressenti cette… pas pression mais plutôt responsabilité, je dirais, envers nous-mêmes, notre musique, nos fans et nos partenaires, comme notre maison de disques et notre tourneur qui avait déjà calé la tournée il y a un an parce qu’ils croyaient en nous. Au final, nous n’étions pas prêts à temps, nous avons dû repousser la tournée d’un an et demi, mais nous avons pris notre temps, et encore une fois, nous sommes beaucoup soutenus par notre maison de disques, qui a dit : « Prenez votre temps, on va y arriver, on va trouver un nouveau planning, mais il faut que ce soit bien. » Comme tu l’as dit, c’est l’album le plus important que nous ayons jamais fait et sorti, donc nous avons beaucoup de chance et sommes très contents que nos partenaires et en particulier nos fans aient été aussi patients et nous aient donné le temps de le finir, sans avoir à sortir sept chansons mal produites.
« Tout le monde est libre de juger l’art. On a le droit de l’aimer ou de le détester – c’est légal –, du moment que ça crée des émotions. Si personne n’en parle, c’est qu’il n’est pas nécessaire. »
Vous avez justement déclaré que vous aviez décidé « avec Napalm Records que tous les partis [voulaient] se donner le temps de produire l’album parfait ». Quels efforts a impliqués la production d’un « album parfait » ?
Le centre d’attention, c’est le fait d’avoir de bonnes chansons, des chansons qu’on adore, des chansons qu’on aime écouter. Ayant trente ans d’histoire avec le groupe, nous croyons fermement que si nous avons des fans qui nous suivent aujourd’hui, sachant que nous avons aussi beaucoup changé en termes de style sur nos derniers albums, c’est parce qu’ils ont les mêmes goûts musicaux que nous. Quand on crée de la musique qu’on aime soi-même, il y a de fortes chances que ses fans l’aiment aussi, parce qu’il ressentent la même chose que soi, la plupart d’entre eux étant là depuis trente ans. C’est la seule mesure que nous avons : nous devons adorer notre musique, et nous devons nous amuser à la faire et en l’écoutant. Quand on écrit une chanson, qu’on la produit, qu’on la prépare pour le live et qu’on la joue en live, on l’écoute un millier de fois, donc si on n’aime pas ce qu’on fait, si elle nous ennuie ou si on la fait juste pour recréer quelque chose, alors ça ne va vraiment pas, ça revient à pointer à l’usine. Je crois que nous essayons toujours de faire le meilleur album que nous ayons jamais fait, mais bien sûr, cet album est très important pour nous. Tout le monde va nous juger. C’est l’une des significations du titre de l’album, Richter Und Henker : tout le monde sera à la fois le juge et le bourreau quand nous sortirons une chanson et l’album. Nous le savons, nous avons cette seule chance et nous voulions que ce soit bien, mais nous avons aussi puisé de l’énergie dans cette pression.
Ce choix de titre d’album, « juge et bourreau », fait donc référence aux fans…
Pas seulement aux fans, mais aussi aux journalistes qui vont noter l’album, etc. D’une certaine façon, c’est toujours ainsi quand tu sors un nouvel album, tu sais que les gens vont le juger. Tu ne peux pas les forcer à avoir une certaine opinion de ton art. Tout le monde est libre de juger l’art. On a le droit de l’aimer ou de le détester – c’est légal –, du moment que ça crée des émotions. Si personne n’en parle, c’est qu’il n’est pas nécessaire. Il ne s’agit pas de gagner de l’argent, mais de créer des sentiments et des émotions. Donc, je n’ai pas peur quand quelqu’un dit qu’une chanson est merdique, ce n’est que son opinion, « merci de me dire que tu la détestes, moi je l’aime bien ».
Der Schulz : Je ne sais plus qui a dit ça, mais les opinions, c’est comme les trous du cul, tout le monde en a un [rires].
Crap : En tant que producteur, tu as besoin de confiance en soi. Personnellement, quand nous aimons, nous aimons, et si des gens n’aiment pas, pas de souci. Comme l’a dit Flux, au fil des années, nous avons rassemblé des gens qui recherchent les mêmes saveurs que nous, mais il faut cette confiance en soi pour faire sa propre musique.
Der Schulz : C’est ça le truc, nous étions très confiants lorsque nous avons produit cet album ensemble. Normalement, quand on le sent bien, plein d’autres gens le sentiront bien.
Pensez-vous avoir fait l’album parfait ?
Flux : Pour l’instant, j’en suis très content, oui. Et tous ceux qui ont pu déjà l’écouter, étant donné qu’en phase de démo, on fait aussi écouter les morceaux à ses proches amis et à sa famille, ont tous dit que ça sonnait comme des chansons d’Oomph! et ça nous a donné confiance pour continuer.
Avec Richter Un Henker, on obtient une sorte de compromis entre le côté plus heavy qui avait fait son retour sur Ritual et celui plus mélodique et mélancolique d’Oomph!. Avez-vous explicitement cherché à faire de cet album une sorte de synthèse ou même du Oomph! typique pour rassurer les fans, sans trop d’expérimentations ?
Je ne crois pas que nous travaillons comme ça. Nous ne réfléchissons pas trop en faisant un genre de croquis pour savoir quoi produire. Crap et moi composons constamment des chansons. Dès que nous en avons le temps et que nous le sentons, nous commençons à écrire une chanson et ensuite nous rassemblons ce que nous avons et continuons à travailler sur la musique avec Der Schulz. Nous avons simplement choisi les chansons qui nous semblaient être les meilleures sur la base des démos. Il peut arriver à la fin qu’on se dise qu’il n’y a pas de ballade sur l’album ou peu importe, mais nous produisons les chansons une à une en ayant pour seule ambition qu’elles soient bonnes, et si l’album ne contient que des ballades, alors qu’il en soit ainsi, ça n’a pas d’importance. Notre seul critère est qu’il faut que ce soit de bonnes chansons. Ceci étant dit, je crois que nous avons essayé de reprendre les choses là où nous les avions laissées avec Ritual, pour passer à l’étape suivante. Nous n’avons pas voulu créer de rupture et redéfinir Oomph! parce qu’avec le nouveau chanteur, c’est déjà un changement suffisant. C’est donc la suite de Ritual qui a été un succès. Les gens ont apprécié ce retour en arrière vers des parties plus heavy et nos racines. Nous essayons toujours de faire intervenir nos vieilles influences, ce style électronique avec lequel nous avons commencé, en incluant des parties typées EBM et Neue Deutsche Härte. Il y a aussi toujours bien sûr un petit peu d’évolution et de changement d’un album à l’autre, nous incluons de nouveaux styles et influences et nous faisons appel à de nouvelles compétences que nous avons acquises. Je crois qu’en l’occurrence, en termes de paroles, c’est l’album le plus personnel que nous ayons écrit.
« Dans le passé, chaque petit village avait un idiot sur la place du marché qui hurlait des trucs idiots et on en riait, mais il n’était pas entendu au-delà de son village, et le village d’à côté en avait un autre. Aujourd’hui, ça a changé : tout le monde voit et écoute les idiots. »
Dero était généralement perçu comme étant le parolier du groupe, en amenant des thématiques fortes. Comment avez-vous abordé cette partie justement ? Et qu’as-tu apporté, Der Schulz, à cet égard ?
Nous avons toujours écrit les textes ensemble. Bien sûr, quand j’écoute certains groupes, je me dis aussi que le frontman est responsable des paroles parce que c’est lui qui me parle. Evidemment, beaucoup d’influences et de points de départ venaient de Dero, mais ça change d’un album à l’autre. Une fois c’était plus, une fois c’était moins, et souvent, nous travaillions tous les trois ensemble. Cette fois, nous avons continué à travailler avec Der Schulz. Il a complètement comblé ce vide.
Der Schulz : C’est exactement ça. J’ai commencé à écrire des idées de chansons et de paroles il y a six ans, en étant simplement inspiré par ce qu’on appelle la « vie normale », parce que celle-ci n’est pas toujours « normale » à mes yeux. J’ai donc commencé à écrire pour exposer mon point de vue différent. C’est toujours un processus organique pour moi quand j’écris des paroles, des chansons ou des lignes mélodiques. C’est pour exprimer ce que je ressens quand je réalise ce qui se passe dans ce monde. Et dans ce groupe, le processus n’a pas changé, c’est le même qu’avant pour moi. J’apporte des idées, des paroles, tout comme les autres gars. Nous nous posons ensemble et nous faisons une chanson à partir de ça. Nous y réfléchissons pour savoir comment faire ressortir ce que nous voulons dire. En musique, il faut avoir quelque chose à dire. Quand on n’a rien à dire et qu’on veut juste faire de la musique pour gagner de l’argent facilement, en Allemagne on fait du schlager [rires].
Nous avons parlé du titre de l’album tout à l’heure, mais j’imagine qu’il y a une autre dimension derrière, plus globale sur la société…
Flux : En effet, ce titre ne renvoie pas seulement à la situation que nous avons évoquée, c’est aussi – comme on peut le voir dans les paroles de la chanson éponyme – qu’aujourd’hui, tout le monde croit être à la fois un juge et un bourreau. La chanson parle du fait qu’en Allemagne, on est connu culturellement pour penser, discuter, partager une vision, etc., or ceci a, d’une certaine façon, disparu à l’ère des réseaux sociaux. Tout le monde croit mieux savoir que les autres. Tout le monde a un avis sur tout et se sent le besoin de l’imposer aux autres. Tout le monde juge, et plus ce jugement fait dans le populisme, mieux c’est. Ça nous a particulièrement influencés quand la pandémie a commencé, car ça n’a fait qu’empirer sur les réseaux sociaux. Ça parle donc de la disparition de cette culture de la discussion. Dans le passé, chaque petit village avait un idiot sur la place du marché qui hurlait des trucs idiots et on en riait, mais il n’était pas entendu au-delà de son village, et le village d’à côté en avait un autre. Aujourd’hui, ça a changé : tout le monde voit et écoute les idiots. Au bout d’un moment, on se dit que tout le monde pense comme ça, mais ce ne sont que trois ou quatre idiots qui font beaucoup du bruit sur les réseaux sociaux, et ça fait peur.
« Nur Ein Mensch », qui signifie « seulement humain », est un hymne anti-guerre. Pensez-vous que la guerre soit une part de la nature humaine dont on ne peut se débarrasser ?
Tout dépend comment on définit la guerre. Le fait de se battre pour sa survie est inscrit dans notre biologie ; on cherche à survivre et à multiplier son espèce, c’est en nous. D’un autre côté, les êtres humains sont différents des singes en raison de notre cerveau et de nos émotions. Nous avons une morale, des règles et des lois qui valent pour tout le monde et que nous avons découvert être bonnes pour notre société, et nous nous sommes mis d’accord là-dessus. La guerre n’est pas dans notre nature. La guerre c’est pour les gens stupides, peut-être parce qu’ils ont une petite bite ou parce qu’ils veulent vivre leur vie du mieux possible de façon égoïste, sans empathie pour autrui, sans tenir compte de ce qui se passe dans la vie d’autrui, ils s’en fichent, et c’est ridicule. Ce n’est pas humain.
Crap : Je pense que c’est le problème : la guerre est toujours liée à l’argent et au pouvoir, et toutes les générations sont marquées par des gens qui courent après ça.
La guerre est de retour en Europe avec ce qui se passe en Ukraine, ce qui a mené à un changement dans la politique militaire et à un tabou brisé en Allemagne qui est en train de se réarmer. Quel est votre sentiment par rapport à ça ?
Flux : A-t-on le choix ? Etant un groupe qui a beaucoup tourné en Europe de l’Est – nous avons tourné en Russie, en Biélorussie, en Ukraine, et nous avons des fans dans tous ces pays –, nous avons rencontré plein de gens là-bas. Même quand nous faisions des concerts à Kiev, il y avait des fans russes qui voulaient juste voir un concert d’Oomph!, et ils faisaient tous la fête avec nous. Ce qui est le plus choquant pour nous, comme nous l’avons écrit dans les paroles, c’est qu’il y a des frères qui se tuent entre eux. La plupart des Ukrainiens ont de la famille en Russie et vice versa. Ma femme est ukrainienne et la guerre est assez proche, plus près de quelques kilomètres par rapport à la France. Il y a la Pologne entre les deux, mais malgré tout, ça paraît très proche et incroyable que ça puisse se reproduire aujourd’hui en Europe. Tu crois qu’on a des nations unies et des lois sur lesquelles tout le monde s’est mis d’accord, comme je le disais plus tôt, alors qu’en fait, non. C’est effrayant.
« Quand nous faisions des concerts à Kiev, il y avait des fans russes qui voulaient juste voir un concert d’Oomph!, et ils faisaient tous la fête avec nous. Ce qui est le plus choquant pour nous, c’est qu’il y a des frères qui se tuent entre eux. La plupart des Ukrainiens ont de la famille en Russie et vice versa. »
Ta femme a encore de la famille en Ukraine ?
Oui. Sa mère et son frère sont en Pologne, mais son père n’a pas le droit de quitter le pays, car les soldats potentiels doivent rester. Sa grand-mère est aussi encore là-bas. Ils vont bien. Ils ont été sous occupation et maintenant, ils sont dans une partie du pays qui a été libérée, mais ils sont sous le feu des bombes. Ça a été un ascenseur émotionnel depuis plus d’un an.
Globalement, du point de vue des textes, cet album est très sombre et pessimiste. Je veux dire que vous avez même une chanson qui s’intitule « Nichts Wird Mehr Gut », signifiant « plus rien ne s’améliore ». Avez-vous perdu tout espoir aujourd’hui ?
Der Schulz : Non. Ça paraît pessimiste, mais parfois, il faut en arriver là, à se dire que ça n’ira jamais mieux, pour réaliser que ce qu’on fait ne fonctionnera plus, qu’il faut essayer de nouvelles choses et changer sa vie, en laissant certaines choses derrière soi. Ce n’est pas aussi pessimiste, mais il faut se regarder droit dans les yeux pour comprendre et aller de l’avant.
D’ailleurs, l’album se termine sur une chanson intitulée « Ein Kleines Bisschen Glück », qui signifie « un petit peu de bonheur ». Vous êtes-vous sentis contraints de finir sur une note légèrement positive ?
[Rires] Cette chanson est un petit peu différente. Elle est partie d’un vieux poème à moi sur l’ère industrielle, où les ouvriers travaillaient comme des esclaves sur des machines jusqu’à la nuit tombée pour le compte des puissants propriétaires de ces usines, en recevant un salaire de misère et en se ruinant la santé. En fait, c’est une chanson sombre [rires].
La chanson « Wut » voit la participation de Joacim Witt qui est un personnage important de ce genre musical. Les non-Allemands ou les gens qui ne font pas partie de cette scène ne le connaissent peut-être pas, donc que représente-t-il pour vous ?
Flux : Je pense que tout le monde en Allemagne connaît Joacim Witt, surtout ceux de notre âge, car c’est une icône. Fut un temps, dans les années 80, où un nouveau mouvement musical baptisé Neue Deutschen Welle – similaire à la Neue Deutsche Härte, c’est de là que vient le slogan, d’ailleurs, ils ont juste changé un mot – est apparu. C’était une icône de cette période. Il nous a tous ouvert les yeux en Allemagne en nous montrant comment travailler sur des paroles en allemand. C’était l’époque où des artistes progressifs allemands ont commencé à avoir le courage de faire un usage de paroles en allemand différent du schlager. Il y a eu Deutsch-Amerikanische Freundschaft que vous connaissez peut-être, Kraftwerk, Einstürzende Neubauten, etc. Et plus tard, quand c’est devenu populaire, il y a aussi eu des artistes créés par des majors qui ont fait de la pop avec des paroles en allemand, en prenant le train en marche. Mais Joacim Witt était très excentrique. J’avais treize, quatorze ou quinze ans quand j’ai écouté son premier album. J’étais là : « Bordel, c’est quoi ce truc que je suis en train d’écouter ?! » C’étaient des paroles de dingue, un look de dingue, une façon de danser de dingue que personne n’avait jamais vus avant.
A un moment, je me suis un peu déconnecté de ce qu’il faisait, mais en 1999, j’ai reçu un appel chez moi et c’était sa voix dans le téléphone : « Allo, c’est Joacim ! » J’ai cru que quelqu’un me faisait une blague, mais j’ai fini par comprendre que c’était bel et bien lui. Il m’a dit qu’il avait suivi notre musique et l’évolution de Rammstein pendant des années, qu’il avait un nouvel album intitulé Bayreuth I et qu’il voulait avoir une plateforme pour celui-ci. Il cherchait donc une place en première partie, en tant qu’invité spécial, sur notre tournée. Je lui ai dit que nous nous étions déjà engagés auprès de deux groupes d’ouverture et donc qu’il devrait jouer avant eux. Il a dit : « Je m’en fiche, je veux juste jouer et inviter quelques journalistes, c’est tout. » Nous sommes devenus bons amis depuis. Nous suivons nos carrières respectives. Quand nous nous croisons sur un festival, en backstage, c’est toujours un grand événement. Nous avons beaucoup de chance. En plus, Der Schulz est aussi ami avec lui, donc c’était facile. Nous l’avons appelé en lui disant que nous avions une chanson à laquelle nous voulions qu’il participe pour soutenir notre nouveau chanteur. Deux jours plus tard, il a enregistré ses parties et c’était fait. Malheureusement, il l’a fait dans un autre studio – aujourd’hui, il suffit d’envoyer des fichiers –, mais nous allons jouer à Hambourg et alors nous pourrons nous voir et faire la fête.
L’année dernière a marqué les trente ans du premier album, sans titre, d’Oomph!. Il se trouve que sur le nouvel album, vous avez une chanson intitulée « All Die Jahre » (« Toutes les années »). Je n’ai pas les paroles et je ne comprends pas l’allemand, mais est-ce que le fait de clore ce gros chapitre dans l’histoire du groupe vous a fait penser à ces trente dernières années ?
Nous ne regardons pas toujours le calendrier pour compter. Ce sont plus les journalistes ou les fans qui nous rappellent ce nombre d’années. C’est aussi peut-être que lorsqu’on vieillit, on ne veut pas qu’on nous rappelle notre âge ou que ça fait déjà trente ans ou plus qu’on travaille sur quelque chose. Je me souviens quand j’ai vu pour la première fois en live les Rolling Stones dans les années 80, je me suis dit : « Oh mon Dieu, ces vieux sur scène ! » Alors que quand tu fais le calcul, ils avaient peut-être l’âge que j’ai aujourd’hui, et désormais, je me dis : « Oh, ces vieux se portent bien, à courir partout sur scène ! » Bref, je ne compte pas trop, même si je le sais car les gens nous disent que c’est désormais notre quatorzième album, donc je m’en souviens. Pour revenir à la question, « All Die Jahre » ne parle pas de repenser aux années passées, même si ça aurait été un bon titre pour ça. Le morceau décrit plutôt comment se sent une personne en dépression chronique, à sans arrêt rechuter. Elle a l’impression de régulièrement perdre le contrôle de sa vie et n’a qu’un souhait, c’est de s’écraser au sol, que cette chute interminable s’arrête. Encore une fois, c’est une histoire triste, désolé !
« Parfois, il faut en arriver à se dire que ça n’ira jamais mieux, pour réaliser que ce qu’on fait ne fonctionnera plus, qu’il faut essayer de nouvelles choses et changer sa vie, en laissant certaines choses derrière soi. »
Quels sont vos souvenirs des toutes premières années du groupe ?
Ça fait trente ans ! Par où commencer ? Où finir ? Evidemment, nous étions très excités au début. Tu es jeune, tu ne réfléchis pas aux erreurs. Nous voulions être le groupe le plus agressif et téméraire du monde, et nous ne nous disions pas qu’un jour il faudrait gagner de l’argent avec ou que ce serait notre boulot. Nous étions étudiants ou avions un petit boulot à l’époque. Je crois que le tout premier album est toujours le plus facile à faire. Tu as une collection de démos que tu es heureux de graver sur CD pour la première fois. C’est comme un rêve qui devient réalité. La première tournée, c’est comme être constamment sous endorphine.
Crap : La première fois, ce n’était même pas sur CD, c’était sur cassette !
Flux : C’était sur CD et vinyle, et aussi sur cassette ?
Crap : Tout à fait. C’était il y a tellement longtemps, nous sommes tellement vieux !
Der Schulz : Mais c’est redevenu à la mode !
Flux : Oui, le vinyle revient. Puis il y a eu tout ce qui s’est passé après, de la première tournée allemande, à la première tournée européenne en ouverture de Skunk Anansie, à la rencontre avec de grandes stars comme Nina Hagen, au fait de pouvoir travailler avec elles… Il y a eu le premier grand contrat avec une maison de disques, le fait de pouvoir filmer des clips sur deux jours avec un budget de cinq cent mille dollars, le premier tube qui atteint la première place, le premier disque de platine…
Crap : C’était génial la première fois que nous avons joué hors Allemagne, à New York ou au Mexique, et d’avoir du succès dans d’autres pays. Il n’y a pas tant de groupes allemands qui ont ça sur leur CV.
Flux : Exactement. Ça a donc été une sacrée aventure et nous sommes très reconnaissants qu’on nous ait donné cette chance de vivre notre rêve et de notre passion. C’est tout l’inverse de ce que nous décrivons dans la chanson « Ein Kleines Bisschen Glück ». Là, les gens travaillent dur pour au final gagner une misère à dépenser dans le peu de vacances qu’ils ont pour être heureux. Nous, c’est l’inverse : nous faisons pratiquement vingt-quatre heures sur vingt-quatre ce que nous aimons faire et nous en profitons.
Evidemment, Oomph! est un pionnier de la scène et a été une inspiration pour Rammstein, et je suppose que vous avez pu les connaître au fil des années. Quel est votre sentiment sur ce qui se passe actuellement de leur côté, avec les accusations envers Till Linderman qui, je crois, ont fait beaucoup de bruit en Allemagne (interview réalisée avant le classement sans suite de l’enquête pour agressions sexuelles) ?
Si c’est avéré, évidemment, c’est horrible, mais je n’ai pas plus d’information que toi. Je ne fais que lire les infos. Je crois que la dernière fois que nous avons croisé Till et le groupe, c’était en 2011, en backstage, lors d’un concert à Hanovre. Nous avons bu des coups avec tous les gars, mais tout allait bien. Le guitariste de Scorpions, Rudolf Schenker, était même là avec sa femme, car il était à Hanovre, et il y avait d’autres amis. Je ne peux rien dire de mieux. L’un des techniciens guitare de Richard [Kruspe] est un ami à moi, de Brunswick, ainsi que le tour manager, donc nous connaissons des gens et nous nous connaissons depuis les années 90, mais nous ne sommes pas des amis proches qui s’appellent. Je n’appelle pas Richard, genre : « Qu’est-ce qui se passe ? Peux-tu m’en dire plus ? » Ce n’est pas comme ça, mais nous nous respectons et quand nous nous croisons, nous parlons, mais depuis que ceci est arrivé, je n’ai pas plus d’information que toi.
Crap : Pour nous, il y a la présomption d’innocence. C’est la seule chose que nous savons.
Le groupe Lord Of The Lost, qui est sur le même label que vous, a représenté l’Allemagne à l’Eurovision. Vous les avez soutenus sur vos réseaux sociaux, et le label lui-même les a beaucoup soutenus, mais ils ont fini à la dernière place. Comment analysez-vous ceci ? Qu’est-ce qui n’a pas marché selon vous ?
Flux : Evidemment, ce sont des amis de longue date et je crois que Der Schulz est encore plus proche de Chris Harms, le chanteur, que nous, et puis, comme tu l’as dit, ce sont des collègues de label, donc évidemment, nous les suivons et les soutenons. J’ai donc regardé toute l’émission. Je dirais qu’il y a eu une ou deux autres bonnes chansons, mais pour moi, d’un point de vue composition, la leur était la meilleure. Et nous connaissons l’un des compositeurs, il s’agit du bassiste d’Eisbrecher, Rupert Keplinger, qui a aussi son propre groupe et a aussi écrit avec nous, des chansons comme « Alles Aus Liebe » ou « Kosmonaut », comme nous le faisons régulièrement avec des amis – nous faisons des sessions d’écriture avec eux et voyons ce que ça donne. Chris Harms a aussi fait des remix et du chant sur notre dernier album (la chanson « Europa », ndlr). Donc évidemment, nous étions impliqués émotionnellement. Je ne peux pas dire ce qui n’a pas marché, je ne peux pas l’analyser. Pour moi, c’était une bonne chanson ! Et aussi une bonne prestation. Le chanteur chantait live – le reste était évidemment sur bande – et je dois dire que je n’avais jamais entendu Chris Harms chanter aussi bien que sur ce show. J’ai entendu toutes les émotions qu’il avait en lui, toute l’excitation qu’il avait à chanter pour cet événement.
« En 1999, dans certains pays, comme en Italie, il a même fallu changer la setlist parce que nous avions des paroles trop antireligieuses. La réaction du public lors du premier concert à Milan n’était pas bonne. Il y avait cinquante mille personnes qui souhaitaient notre mort ! »
Crap : Je crois que le plus important pour le groupe n’a jamais été de gagner. Ils voulaient toucher de nouveaux auditeurs et je pense qu’ils y sont parvenus. Et puis, c’est bon aussi pour notre style de musique. Ça nous a ouvert des portes dans d’autres pays. C’est bien d’avoir des groupes comme eux à l’Eurovision parce que c’est une couleur musicale que des gens veulent voir.
Der Schulz, as-tu eu l’occasion de croiser Chris après ça, pour savoir ce qu’il en avait pensé ?
Der Schulz : Oui, nous en avons parlé et il avait pris pas mal de recul. Il a dit que ça leur avait permis de toucher énormément de gens et qu’ils le referaient s’ils en avaient l’occasion. Avec la télévision, tu touches plus de gens que dix années de tournée. Actuellement, ils tournent de nouveau avec Iron Maiden, donc ils arrivent à se faire un nom. Il y a aussi cette histoire où, quand tu n’es pas dans les dix premiers, tu n’obtiens aucun point. S’ils avaient compté tous les votes, ils se seraient retrouvés à la quinzième ou quatorzième place. Mais ils font avec. Ils ont pris du recul. C’est un super groupe, de très bons amis, et ils vont réussir à faire avancer leur carrière.
Flux : Est-ce qu’en France, vous avez toujours ce pourcentage d’artistes français obligatoire pour les radios ?
Oui ! Il faut d’ailleurs que ce soit chanté en français.
Oh, je ne savais pas ! Je croyais qu’il fallait juste que ce soit des artistes français. Der Schulz, tu sais ce qu’il te reste à faire pour le prochain album ! J’ai appris le français à l’école, mais peut-être qu’on pourra t’envoyer nos textes pour correction. Bref, c’est un soutien que nous n’avons pas en Allemagne. Nous sommes en compétition avec tous les autres artistes, Madonna, Harry Styles, etc. Il n’y a pas de pourcentage d’artistes allemands obligatoire. C’était donc une occasion pour Lord Of The Lost d’apparaître à la télévision et sur les radios allemandes normales en prime time. Pour eux, c’était une grande scène ouverte et ils en ont profité.
Crap : Et ils ont joué au Cavern Club [à Liverpool]. Qu’est-ce qu’on pourrait vouloir de mieux ? Tous les musiciens veulent jouer au Cavern Club !
A quand Oomph! à l’Eurovision ?
Flux : [Rires] Nous avons fait quelque chose de similaire en Allemagne en 2007. Un présentateur télé avait reproduit le même genre de spectacle mais pour les seize régions allemandes. Ça s’appelait le Bundesvision Song Contest. Nous avons joué la chanson « Traümst du » avec Marta Jandová et nous avons gagné ! C’était pareil pour nous : c’était une occasion d’apparaître plusieurs fois en prime time sur la plus grande chaîne de télé privée allemande. Nous avons gagné beaucoup de fans rien que grâce à ça. Mais concernant l’Eurovision, ce n’est pas prévu. Et puis, il faut que ça coïncide avec la sortie de ton prochain album. Pour Lord Of The Lost, ça coïncidait parfaitement avec leur album Blood & Glitter, ou peut-être que tout cela était planifié…
Mais est-ce que ça vous intéresserait ?
Je pense que nous sommes ouverts à tout. Nous n’avons pas peur. Quand on nous a offert d’ouvrir pour Skunk Anansie, personnellement, j’aimais leur musique, mais en termes de style, ça n’avait rien à voir. Surtout en 1999, nous étions beaucoup plus agressifs, sombres et diaboliques que Skunk Anansie, donc c’était un défi de jouer pour leurs fans, et dans certains pays, comme en Italie, il a même fallu changer la setlist parce que nous avions des paroles trop antireligieuses. La réaction du public lors du premier concert à Milan n’était pas bonne. Il y avait cinquante mille personnes qui souhaitaient notre mort ! Nous avons donc retiré la chanson « Unsere Rettung », où ça dit « Ave Satani et stupor et Christi », au concert suivant à Rome, et tout s’est bien passé. On apprend beaucoup avec le temps et nous n’avons pas peur de relever des défis.
Interview réalisée par téléphone le 25 juillet 2023 par Nicolas Gricourt.
Retranscription & traduction : Nicolas Gricourt.
Photos : Heilemania & Fabian Riediger.
Site officiel d’Oomph! : www.oomph.de