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Live Report   

Refused : la mort n’a jamais été aussi vivante


Il y a des fins qui résonnent comme des débuts. Pour Refused, c’est presque une tragédie. Celle d’un groupe condamné à être en avance sur son temps. En 1998, à la fin d’une tournée éreintante, les Suédois jetaient l’éponge en prononçant la phrase devenue culte : « Refused are fucking dead. » À l’époque, The Shape Of Punk to Come, disque visionnaire et déroutant, avait été un échec commercial. Personne n’avait compris qu’ils venaient d’inventer la grammaire du punk moderne.

Quelques années plus tard, l’album devient culte, cité comme influence par des générations entières. Le groupe se reforme, repart en tournée, publie de nouveaux disques. Toujours en décalage, toujours trop radicaux pour leur époque. Cette fois, c’est bien la fin. Refused tire sa révérence avec une ultime tournée européenne. Et à l’Élysée Montmartre, tout sonne comme un adieu plein de panache.

Artiste : RefusedQuicksandBleakness
Date : 8 octobre 2025
Salle : Elysée Montmartre
Ville : Paris [75]

La soirée s’ouvre avec Bleakness, trio punk français venu de Clermont-Ferrand. Anecdote savoureuse, cet été, le trio jouait dans un garage à Umeå, la ville natale de Refused. Dennis Lyxzén, présent ce soir-là, les avait remarqués et invités à ouvrir la tournée. Bleakness propose un punk tendu, ancré dans la tradition hardcore mais traversé d’influences post-punk. Le groupe construit ses morceaux autour d’une basse très présente, de guitares tranchantes et d’un chant à la fois mélodique et abrasif. L’ensemble évoque une atmosphère sombre et urbaine, sans jamais perdre l’énergie directe du punk. Sur scène, c’est énergique, sincère, mais un peu trop lisse pour marquer durablement. Les musiciens se donnent à fond, le public répond timidement, mais il manque ce grain de folie ou ces refrains qui transforment un bon set en performance mémorable.

Le ton change avec Quicksand, groupe culte de New York fondé au début des années 90 par Walter Schreifels (Gorilla Biscuits, Rival Schools). Précurseurs du post-hardcore moderne, ils ont façonné un son à la croisée du punk, du metal alternatif et du rock plus mélodique, influençant aussi bien les scènes emo que grunge. Sur scène c’est la déferlante de guitares saturées, une basse omniprésente et une batterie tendue qui confère à chaque morceau un groove singulier. Le jeu est précis, presque hypnotique. Sergio Vega, ancien Deftones, apporte une assise monumentale, tout en nuances, qui donne de la profondeur à l’ensemble. Pour Dennis Lyxzén, les avoir sur cette tournée tient du rêve. Il cite régulièrement Quicksand comme l’une des influences majeures de Refused.

Puis la salle plonge dans la pénombre. Les premières notes éclatent, et l’Élysée Montmartre explose. Dennis Lyxzén, silhouette élancée et costume noir à reflets pailletés, bondit, tourne, harangue la foule avec la même élégance féline qu’à ses débuts. Une manière de se mouvoir si particulière et si reconnaissable. Autour de lui, les musiciens semblent prendre un plaisir énorme à jouer.

Le set alterne entre les morceaux cultes de The Shape Of Punk To Come – « The Refused Party Program », « Rather Be Dead », « Liberation Frequency » – et des titres plus récents comme « I Wanna Watch The World Burn ». Le groupe se permet aussi quelques excentricités comme un extrait de « Raining Blood » de Slayer sur « The Deadly Rhythm ». L’intensité ne redescend jamais. Devant, la fosse s’enflamme. Derrière, les regards sont suspendus à la scène. C’est un public d’initiés, de fidèles, conscient d’assister à une page d’histoire.

Entre deux morceaux, Lyxzén prend la parole. Fidèle à son engagement, il rappelle les valeurs du groupe : « Si vous pensez que les personnes trans sont le problème, alors vous êtes le problème. » C’est à peu près le même discours qu’au Hellfest. Sur scène le drapeau de la Palestine est mis en avant. Véritable étendard d’un appel à la liberté. Le ton est direct, sans posture. Le chanteur mêle humour et politique, évoque ses débuts. Il raconte qu’adolescent, il voulait faire du harcore « New-York Style », mais qu’en se regardant dans le miroir il s’est dit que ce n’était pas possible. La salle rit, avant de replonger dans la tempête. Ce mélange d’autodérision et de lucidité, c’est tout Refused. Un punk intellectuel et profondément humain.

Et puis vient « New Noise ». Sans exagération, la meilleure intro du monde. Ces premières secondes provoquent une envie irrépressible de bouger, d’exploser, de tout lâcher. Ce morceau, devenu emblématique du punk moderne, utilisé dans d’innombrables séries et films, garde cette dimension dramatique unique. Et surtout, ces paroles : « Can I scream?! » – toujours aussi percutantes, toujours aussi viscérales. Forcément, dans la salle, c’est la folie furieuse. La fosse devient un raz-de-marée humain, et Dennis, tout sourire, canalise ce chaos avec grâce.

L’enchaînement avec « Tannhäuser / Derivé » est tout simplement dingue. Un basculement de la rage à la catharsis, une montée progressive vers la transe. Rarement un groupe aura su équilibrer autant de tension et de beauté. Et pour finir, « Coup d’État ». Grandiose. Un final parfait, à la hauteur de leur histoire. Un dernier cri avant le silence. Il émane de chaque note, chaque regard, la satisfaction d’avoir bouclé la boucle. Pas d’émotion excessive, juste la beauté du geste.

Refused quitte la scène sans grand discours, sans effet dramatique. Pas d’au revoir théâtral, juste un dernier salut, illuminé par des visages heureux de cette soirée. Ce n’était pas un concert pour pleurer, c’était un concert pour célébrer. Après tout, ils avaient prévenu, « Refused are dead ». Mais s’ils s’éteignent, leur héritage, lui, continue de vivre, dans chaque groupe qui mélange rage, conscience et élégance. Et à voir l’Élysée Montmartre trembler ce soir, il semblerait que la mort n’a jamais été aussi vivante.

Setlist :

Poetry Written In Gasoline
The Shape Of Punk To Come
The Refused Party Program
Rather Be Dead
I Wanna Watch The World Burn
Liberation Frequency
Summerholidays vs. Punkroutine
The Deadly Rhythm (avec un extrait de “Raining Blood” de Slayer)
Circle Pit
Pump The Brakes
Economy Of Death
Refused Are Fucking Dead
Worms Of The Senses / Faculties Of The Skull
Elektra
New Noise
Tannhäuser / Derivé

Rappel :
Coup d’État

Photos : Emilie Bardalou.



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