Le chanteur Jay Buchanan et le guitariste Scott Holiday sont les forces créatrices principales de Rival Sons, et pourtant, ils ont tous les deux une façon différente de vivre et d’aborder leur création. Pour l’un, c’est une introspection, pour l’autre, c’est une évasion. Mais pour les deux, la création musicale a été essentielle lors de l’épisode Covid-19. Si bien que le groupe revient cette année non pas avec un mais deux albums : Darkfighter et Lightbringer.
C’est donc pour évoquer le premier que nous nous sommes entretenus avec Jay qui parle de cette créativité et de son vécu de l’arrêt des tournées, qui l’a déboussolé, mais dans lequel il a aussi, malgré tout, vu de bons côtés. Jay mettant beaucoup de lui-même dans ses paroles, il nous explique également ce que recouvre le terme « darkfighter » et nous parle de la mort – il a travaillé dans une morgue –, de la vie et de spiritualité, avant de terminer en évoquant Pressure & Time, second album du groupe qui les a fait connaître et dont ils ont célébré les dix ans en 2021.
« Très souvent, Scott et moi serons en train d’écrire une chanson ou même sur scène, et ce sera pour des raisons différentes, car nous abordons ça sous des angles différents. Et je crois que cette petite tension fait partie de ce qui crée notre son. »
Radio Metal : Darkfighter a été fait en pleine pandémie, à une période où les gens étaient anxieux. Scott a dit que les albums étaient « une forme saine d’évasion ». Evidemment, c’est le cas pour l’auditeur, mais dans quelle mesure est-ce que ça a été une échappatoire pour vous, en tant qu’artistes, durant cette période ?
Jay Buchanan (chant) : Oh, tu sais, c’est ce que Scott pense. Lui et moi avons tendance à voir les choses très différemment. Il y a différentes raisons pour écouter de la musique et je pense que quand on a besoin d’évasion, la musique nous aide à nous évader. Et puis quand on a besoin qu’elle nous aide à regarder en nous pour régler quelque chose, elle le fait, sans qu’on ait à le demander. D’après mon expérience, la musique trouve le moyen de nous donner ce dont on a besoin. Et pour ma part, artistiquement, je ne suis pas sûr que ce soit de l’évasion. On a vécu des moments compliqués et écrire sur les choses qui comptent pour moi était ma façon de tenir et de m’accrocher à ce qui est important dans ma vie. Je crois que ça m’a aidé à rester focalisé et à conserver mon optimisme.
Tu viens de dire que Scott et toi avez tendance à voir les choses très différemment. Dirais-tu que c’est même cette sorte de tension qui fait Rival Sons ?
Je trouve que « tension » est le bon mot pour décrire ça. La tension n’implique pas forcément quelque chose de négatif. Je crois que les différences entre le point de vue de Scott et le mien dans ce contexte participe au son de Rival Sons. Très souvent, Scott et moi serons en train d’écrire une chanson ou même sur scène, et ce sera pour des raisons différentes, car nous abordons ça sous des angles différents. Et je crois que cette petite tension fait partie de ce qui crée notre son. Je pense que cette friction entre nous deux, entre nos points de vue, fait partie de l’identité de notre son.
Tu as déclaré que « le plaisir des concerts et cette interaction magique [t’avaient] manqué ». D’un autre côté, l’album est plein d’énergie live. Comment êtes-vous parvenus à retrouver ce plaisir et cette magie pendant une période aussi déprimante où le retour des concerts était incertain ? Est-ce que l’envie de retrouver ces sensations et peut-être une forme de frustration se sont retrouvées dans la musique en réaction ?
Je pense que l’envie de retrouver cette connexion était très présente durant la conception de Darkfigther. L’envie de retrouver une interactivité humaine et cet aspect collectif qui fait qu’un concert est ce qu’il est, le lien avec le public ou celui avec son propre groupe, les voyages, etc. L’envie et le désir intense de pouvoir s’échapper des contraintes et de l’isolement de la pandémie, des conflits politiques et des idéologies clivantes auxquelles, je pense, on faisait face collectivement. J’avais à l’esprit le fait de vouloir dépasser ces choses. Nous avons essayé de faire une tournée en 2021, ici aux Etats-Unis, et nous l’avons fait, mais bon sang, ça a commencé en septembre 2021 et tout le monde a attrapé le Covid-19. Nous étions donc sur la route, la tournée a duré une éternité et c’était très difficile. Nous avons dû reporter des concerts. Nous avons dû en annuler. Ce qui est étrange avec cette tournée est que c’était très difficile pour nous, mais nous sommes restés sur la route, nous ne l’avons pas annulée, et nous l’avons miraculeusement finie.
Vous avez commencé à travailler sur cette musique en vous échangeant des idées à distance jusqu’à ce que ce soit judicieux de collaborer en personne. De nombreux groupes ont fait des albums totalement à distance durant la pandémie, mais est-ce fondamental pour Rival Sons et votre musique qu’il y ait ces interactions physiques ? Penses-tu que quelque chose se perdrait sans ça ?
Non, je ne pensais pas du tout que nous perdrions quoi que ce soit. En fait, il y a eu une conséquence au fait de créer à distance. Ça m’a donné le temps de digérer certaines choses que j’essayais d’assembler émotionnellement, mentalement et intellectuellement. Ça m’a donné le temps de me poser et de nuancer certains de mes sentiments et de mes points de vue. Du coup, quand vient le moment d’aller en studio, nous sommes tous ensemble et nous avons de l’énergie, et nous sommes tous présents pour ça. A ce moment-là, le groupe est réuni et il tourne à plein régime comme il l’a toujours fait. Mais je pense que le fait d’avoir du temps et de l’espace en écrivant à distance était très sain. Plus que tout, c’était profitable parce que je traitais de thématiques très lourdes, avec tous les sujets clivants, culturellement, auxquels on devait faire face ici aux Etats-Unis durant la pandémie. On avait le virus, les gens qui voulaient politiser l’idée de porter un masque, politiser l’idée d’un vaccin, politiser le sentiment d’isolement, politiser ou diffamer le mouvement Black Lives Matter, diffamer les manifestants pacifiques… Toutes ces choses. C’était partout parce que c’était une année d’élection. Donc le pays, la droite et la gauche, étaient à couteaux tirés. Donc en évoluant au milieu de tout ça, j’étais content d’avoir le temps de me poser et d’avoir de l’espace pour créer.
« Je suis content que tout le monde ait été prêt à prendre la décision d’avancer et d’essayer d’étendre nos propres paramètres au sein du genre musical, parce que personnellement, je ressens ça comme une nécessité. […] Tous mes artistes préférés sont les meilleurs quand ils essayent d’innover avec leur propre vocabulaire. »
Comme tu l’as dit, vous avez passé plus de temps sur Darkfighters que sur n’importe quel autre album et ça t’a permis de bien réfléchir à ce que tu avais à dire. Du coup, est-ce que plus de temps implique plus d’intensité ?
Je ne dirais pas ça, et ce parce que ce qu’on a traversé durant la réalisation de Darkfighter et ensuite de Lightbringer qui sortira en octobre… Nous avons traversé une période tellement intéressante et unique culturellement que je ne peux pas dire que plus de temps égale plus d’intensité, car la période en soi était intense. Si nous y avions passé moins de temps, il se peut que le résultat aurait été le même. Ça a été deux années vraiment étranges à vivre. Je pense que, typiquement, en prenant plus de temps, on s’expose à beaucoup de doutes de soi et à la possibilité de sur-examiner l’art qu’on crée, les choses se sont faites comme elles se sont faites pour cet album. Ce n’est pas que ça a pris beaucoup de temps. Nous avions juste beaucoup de temps pour le faire, et nous allions en studio pendant une semaine et demie pour enregistrer, puis nous avions des mois – genre quatre ou cinq – entre les sessions, parce que notre producteur était occupé ou parce que tous les membres du groupe n’étaient pas disponibles pour se réunir. Nous avions donc cette période pour nous poser, réfléchir aux choses et écrire davantage. Quand tu es prêt et que tu as la matière, tu peux probablement aller en studio, faire un album et enregistrer assez rapidement. C’est l’écriture, je pense, qui prend le plus de temps.
Scott a dit que vous puisiez moins dans vos inspirations, et que vous vous éloigniez de vos influences pour vous rapprocher de ce que vous êtes. Penses-tu que c’est forcément ce qui arrive avec le temps, à mesure qu’on aiguise son art, ou bien est-ce aussi le résultat de cette période qui était propice à l’introspection ?
Pour ma part de l’écriture, j’ai toujours fait ça. Musicalement, par rapport au groupe, je suis content de dire que je suis d’accord avec ce que Scott a dit. J’ai l’impression qu’en termes de son, le groupe a pris une toute nouvelle approche. De nombreuses chansons dans cet album ne ressemblent à rien de ce que j’entends actuellement. Je suis content que tout le monde ait été prêt à prendre la décision d’avancer et d’essayer d’étendre nos propres paramètres au sein du genre musical, parce que personnellement, je ressens ça comme une nécessité. Il faut le faire pour grandir. Après, je ne peux pas te dire, Nicolas, que nous n’avons pas grandi avec chaque album, car je crois fermement que c’est ce que nous avons fait. Si tu écoutes Pressure & Time, puis si tu passes à Head Down, c’est très différent. Puis de Head Down à Great Western Valkyrie, encore une fois, très différent. Puis en allant sur Hollow Bones, puis Feral Roots, extrêmement différent. Et maintenant, avec cet album, j’ai l’impression que nous avons cassé des choses de telle façon que nous avons dû les reconstruire, mais en conservant uniquement les parties les plus vitales de ce que le groupe avait en tête sur le plan créatif.
Tu viens de dire que cet album « ne ressemble à rien de ce que [tu] entends actuellement ». N’as-tu pas l’impression que ça devient de plus en plus dur de faire quelque chose d’unique, vu la quantité de musique et de groupes que l’on entend aujourd’hui ?
Non, je ne pense pas que ce soit plus dur qu’avant. Je pense que la fraîcheur de l’approche doit venir de l’osmose du créateur. Il faut simplement se souvenir de ce qu’on a entendu et, quand on essaye de créer quelque chose de nouveau, s’assurer qu’on ne reproduit pas ce qu’on connaît déjà. On le sent quand on crée quelque chose d’entièrement nouveau pour soi, ça procure un certain sentiment. Quelque chose de nouveau pour une personne peut ne pas l’être pour une autre personne, mais si c’est raconté ou joué d’une nouvelle manière, et que ça doit être ainsi, ça reste authentique et vrai. Ça peut être authentique même si on ne réinvente pas le fil à couper le beurre. Et quand c’est un espace qu’un artiste donné n’a pas encore investi, j’adore ça. Tous mes artistes préférés sont les meilleurs quand ils essayent d’innover avec leur propre vocabulaire.
Todd Ögren a été votre claviériste, percussionniste et choriste de tournée et de studio depuis 2014, mais pour la première fois, vous le présentez sur les photos promo en tant que cinquième membre. Sa place dans le groupe a-t-elle évolué avec cet album ?
Il est clair que nous l’avons plus que jamais inclus dans le processus de composition et d’enregistrement avec cet album. Todd est un super musicien. Je trouvais que la seule étape logique était de l’inclure et de lui donner un espace créatif.
Darkfighters est le nom que tu donnes à un collectif d’individus que tu as rencontrés au cours de la dernière décennie. A quoi les reconnais-tu ?
Quand tu tombes sur quelqu’un qui illumine et essaye d’aider les gens autour de lui, quelqu’un qui soulève tout le monde autour de lui au lieu de se soulever au-dessus de tout le monde, quelqu’un qui éclaire, qui enflamme, qui insuffle de la vie chez les autres, pour moi, c’est ça un Darkfighter. Je connais un certain nombre de personnes comme ça. J’ai beaucoup de chance de les avoir dans ma vie. J’ai pu parler de Darkfighter et de ce que ça veut dire, ça reste un concept ésotérique même pour moi, mais je sais ce que ces gens et leur mode de vie signifient pour moi. Quand on écoute du premier morceau « Mirrors » au dernier « Darkside », je pense qu’on a cette impression d’un protagoniste – je suppose qu’il s’agit de moi – qui traverse l’album dans ces différentes chansons, et quand je fais un zoom arrière, je peux voir qu’il s’agit de quelqu’un qui essaye de toutes ses forces de ne pas laisser le loup entrer dans la bergerie, de laisser l’obscurité de l’autre côté de la porte, même quand les choses deviennent très difficiles. Ceci, pour moi, illustre le rôle d’un Darkfighter selon moi. Ça semblait être le bon titre pour cet album.
« Il y a des fragments du mouvement woke qui sont nécessaires et sains, puis il y a tout un tas d’autres choses qui sont parties en sucette. Généralement, les gens ne se voient pas comme faisant quelque chose de mal. Ils ne se voient pas comme étant en train d’aller trop loin. Ils ne se voient pas comme étant nocivement hypocrites. »
Penses-tu que ces Darkfighters sont ceux qui contribuent à équilibrer le monde, que sans eux, on serait condamnés ?
Oh, je ne sais pas. Ça fait très bande dessinée comme façon de voir la chose, mais tu as peut-être raison. Ce que je sais est que je me sens bien auprès de certaines personnes. Il y a certaines personnes qui font que, quand je suis en leur présence et que je parle avec elles, je me sens bien et j’ai le sentiment que tout est possible. Je sais que, peu importe ce que je fais dans ma vie, si je peux être ça pour qui que ce soit, alors c’est tout ce que je veux, car je sais comment je me sens quand je suis inspiré par les mots ou les actions de quelqu’un. C’est merveilleux.
Te considères-tu donc comme un de ces Darkfighters ?
J’écris ces chansons, n’est-ce pas ? C’est évident que je suis celui qui écrit ces paroles et ces mélodies. Je chante avec mon cœur. Donc oui, le personnage du Darkfighter, c’est clairement moi. C’est étrange et gênant de le dire, mais bien sûr, c’est moi. Je chante sur ce qui se passe dans ma vie, donc oui.
L’un des thèmes de l’album est celui de la perte d’identité. Est-ce quelque chose que tu as ressenti durant la pandémie, avec le fait qu’on t’ait pris une partie de ton boulot ?
Oui, et plus que juste mon boulot. L’identité est entrée en jeu à ce moment-là pour plein de raisons. L’isolement et le fait qu’on m’ait enlevé la musique, la possibilité de chanter et d’interagir tous les jours avec des gens, et d’avoir cette sainte communion qu’est un concert ou cette interaction artistique avec cette belle énergie qu’est la musique… Ne plus avoir tout ça, ça désoriente énormément. Donc oui, c’était clairement difficile à bien des niveaux, en termes d’identité, mais avec le recul, je suis reconnaissant de l’introspection que m’a offerte ce contexte, sur ce qu’est l’art, l’aspect créatif et l’aspect communautaire de celui-ci. Le fait d’être obligé de faire une pause m’a apporté de nombreuses choses. J’ai eu un enfant fin 2020 et parce que j’étais forcé de rester à la maison tout le temps que ma femme portait notre enfant, j’ai pu être là avec elle, j’ai pu voir son ventre grossir, j’ai pu la réconforter tous les jours et nous avons pu être ensemble. Puis, quand l’enfant est né, j’ai pu être là chaque jour. J’ai vu l’enfant naître et j’ai pu me réveiller chaque jour avec cet enfant durant toute la première année de sa vie. Quel cadeau ! Si ça avait été un autre moment, j’aurais choisi de travailler ; je choisis toujours de travailler. J’adore mon boulot. J’adore faire de la musique. Mais ayant reçu un tel don ou ayant été obligé de vivre de cette façon à cause des restrictions sociales induites par le Covid-19, ça montre qu’il y avait aussi un bon côté dans ce malheur.
Tu as qualifié le climat actuel de « mitose culturelle ». Tu as dit qu’on nous demande constamment de quel côté on se tient, et qu’on « est tellement divisés qu’on ne peut pas franchir les lignes sans offenser quelqu’un ». Je suppose que la cancel culture et le mouvement woke font partie de ton constat, mais les gens impliqués là-dedans ont eux-mêmes l’impression de le faire pour le bien, en défendant certaines causes, etc. Selon-toi, y a-t-il une perversité dans leur action qu’ils ne voient pas ? Sont-ils dans le côté obscur alors qu’ils se voient du côté de la lumière ?
Je pense que la plupart des gens se voient comme étant justes. Personnellement, je n’ai jamais rien dit se rapportant à la cancel culture ou même au mouvement wok. Il y a des fragments de la cancel culture qui sont nécessaires, mais pas tout. Il y a des fragments du mouvement woke qui sont nécessaires et sains, puis il y a tout un tas d’autres choses qui sont parties en sucette. Généralement, les gens ne se voient pas comme faisant quelque chose de mal. Ils ne se voient pas comme étant en train d’aller trop loin. Ils ne se voient pas comme étant nocivement hypocrites ou comme entretenant un deux poids, deux mesures très dangereux. Je ne pense pas que les gens voient ces aspects d’eux-mêmes. Donc quand chacun d’entre nous réfléchit à la façon de traiter ces problèmes, personne ne veut faire quelque chose de mal. Bon, certaines personnes veulent faire du mal, mais je ne pense pas que ce soit ce que ressent la majorité des gens. Je pense que la majorité des gens veut faire le bien. Ils veulent du bien à leur voisin et ils veulent faire partie de la solution. Simplement, ils ne savent pas trop comment faire. Le mouvement Black Lives Matter n’a que trop tardé et était extrêmement nécessaire aux Etats-Unis, mais même avec ça, après le meurtre de George Floyd, il y avait quand même des gens pour dire qu’il n’y avait pas de racisme systémique au sein de la police dans le pays, ce qui me fait halluciner. Mais les gens défendent leurs idéaux, ils défendent quelque chose qui, selon moi, n’a pas forcément besoin d’être défendu. Je pense que dans la plupart des cas, il faut que les gens écoutent au lieu de rejeter, qu’ils cherchent la validité et la vérité dans les arguments d’autrui au lieu de… Je ne sais pas, il se passe tellement de choses ici, Nicolas.
« Être ainsi au contact de la mort, pour moi, c’est aussi être au contact de l’amour, car j’ai été témoin de toutes ces funérailles et de fantastiques éloges funèbres. le fait de ne pas avoir peur de la mort et de l’idée de mourir est important. Il faut mettre de l’ordre dans ses affaires, mais ça m’a aussi donné envie de vivre ma vie à fond. »
Dans ce climat de « mitose culturelle », en tant qu’artiste, fais-tu parfois attention à ce que tu dis, que ce soit dans les médias ou dans tes chansons ?
Non, je ne pense pas faire plus attention aujourd’hui qu’avant. Je ne sais pas à quel point j’ai pu être un artiste provocateur. Je ne suis pas sûr d’être quelqu’un de polémique. Je cherche juste typiquement ma vérité, sans essayer de l’imposer aux gens ou de provoquer inutilement. Tout ce que j’essaye de faire, c’est d’écrire autant de bonnes choses que je peux tant que j’ai la vie que j’ai. Je travaille dur en faisant ce que je peux pour devenir aussi accompli en tant qu’être humain que j’en suis capable. Mais je ne peux pas dire que je fais de l’art de manière provocante. Donc, je n’ai jamais ressenti le besoin de faire attention ou de faire preuve de langue de bois.
Dans la chanson « Nobody Wants To Die », tu chantes que « peu importe ce qu’on fait, elle nous poursuit », en parlant de la mort. Tu as travaillé dans une morgue pendant des années, à conduire et ouvrir des corbillards. Tu assistais à trois funérailles par jour. Comment cette expérience a-t-elle façonné ton point de vue sur la mort ?
Je pense que j’avais une relation saine à la mort avant même de commencer ce boulot, ce qui m’a d’ailleurs permis de le faire, et de le faire très bien. Je trouve que c’était un très beau job. Être ainsi au contact de la mort, pour moi, c’est aussi être au contact de l’amour, car j’ai été témoin de toutes ces funérailles et de fantastiques éloges funèbres. J’ai pu entendre ces récits de vie et c’était magnifique d’interagir avec ça tous les jours. Je pense que le fait de ne pas avoir peur de la mort et de l’idée de mourir est important. Il faut mettre de l’ordre dans ses affaires, mais ça m’a aussi donné envie de vivre ma vie à fond.
Quel genre de spiritualité as-tu développé dans ce genre d’environnement, en étant quotidiennement confronté à la mort ?
Avec l’âge, je suis passé par de nombreuses religions et chemins spirituels, pour ainsi dire. Je pense qu’au final, tout est spirituel. Je crois que rien en soi ou autour de soi manque d’esprit. Je crois que tout possède cette énergie ou ce mysticisme. Je trouve qu’il est très important de garder ses yeux ouverts et d’être soi-même ouvert spirituellement. Les questions spirituelles ne nécessitent pas forcément autant de connaissance que d’expérience, car parfois on ressent les choses au plus profond de soi. Ça n’a pas forcément de sens scientifiquement et logiquement, mais d’une certaine façon, on sait quelque chose et on ressent quelque chose, il y a une intuition là-derrière. Donc je suppose que oui, toutes ces expériences mènent à ça. Mais je ne sais pas, c’est une vaste question [petits rires].
Tu as dit que la musique sonnait comme une poursuite : est-ce le sentiment que te procure la mort ?
La poursuite, oui, la mort est juste derrière toi ! Peu importe où tu vas, elle est un ou deux pas derrière. La mort n’est jamais plus loin qu’à portée d’une petite tape sur l’épaule. La mortalité est tout autour de toi. Donc je pense qu’essayer de la distancer est complètement naturel. On veut vivre.
Dans la chanson « Guillotine », tu chantes : « Suis-je plus proche du paradis ou de l’enfer ? Plus j’avance, plus j’ai du mal à dire. » Est-ce ça la vie pour toi, plus tu avances et y penses, plus confus ça devient ?
Je ne dirais pas que la vie est ainsi pour moi. A bien des égards, plus j’avance, plus la vie a de sens, mais pour cette chanson, c’était plus à propos de l’épreuve qu’on a traversée avec la pandémie, qui a fait qu’on était très désorientés, il ne s’agissait pas de la vie.
A propos de la chanson « Rapture », tu as dit qu’on essayait « de vivre correctement [et] à différents stades, on a ces révélations où on réalise que sa façon d’aborder les situations rendait tout difficile ». Avez-vous connu avec le groupe des moments où vous vous êtes compliqué la vie ?
Oui, bien sûr. Surtout au début. J’ai fait des choses qui ont compliqué les choses pour d’autres gens. On peut dire la même chose d’autres membres du groupe. On apprend à coexister, à survivre sur la route, à être soi-même face à tous les magazines et les télévisions, à des choses qui ne sont pas réelles. On a ses douleurs liées à la croissance, et on ne les a pas seulement quand on est jeune et ignorant, on n’arrête jamais de se développer et de faire des erreurs. En réalité, on fait des erreurs, avec un peu de chance on s’en rend compte et on peut affiner, mais ce processus d’affinage dure toute la vie.
« Je pense qu’au final, tout est spirituel. Je crois que rien en soi ou autour de soi manque d’esprit. Je crois que tout possède cette énergie ou ce mysticisme. Je trouve qu’il est très important de garder ses yeux ouverts et d’être soi-même ouvert spirituellement. »
Le clip de « Nobody Wants To Die » ressemble à un petit film dont vous êtes les acteurs. Vous êtes présentés avec des pseudonymes. Evidemment, Scott est le Fuzzlord. Dans quelle mesure est-ce que « The Preacher » reflète ta personnalité ?
Je pense qu’il y a clairement de moi dans ce pasteur et de ce pasteur en moi. Je ne suis pas un escroc. J’essaye juste d’être moi-même, mais ça ferait un personnage très ennuyeux, donc j’ai voulu créer le personnage du pasteur qui arnaque tout le monde, car c’est le protagoniste dans les paroles de « Nobody Wants To Die ». Ça dit : « The priest took off his collar and started wearing it like a headband. He said, X’s and O’s, fingers and toes. Do you want to kiss a dead man? » En gros, ça raconte l’histoire d’un gars qui escroque toute une ville et qui est en cavale. Donc quand nous nous sommes mis à faire le clip, c’était genre : « D’accord, super, la vidéo représentera la poursuite. » C’était juste un super personnage et j’étais clairement prêt à le jouer, ça paraissait très amusant à faire. Je ne suis pas un acteur, je ne sais pas jouer la comédie. Du coup, nous nous sommes pointés sur le tournage et nous avons commencé à faire les idiots, et à essayer de faire les acteurs. Aucun de nous ne sait faire ça, mais ça a fonctionné ! Rien qu’avec le peu de jeu d’acteur que nous avons fait pour ces clips, je peux voir que ça peut être très marrant, mais je peux aussi voir que c’est très exigeant.
Darkfighter sera suivi plus tard dans l’année par un second album intitulé Lightbringer. Evidemment, il y a l’idée d’ombre et de lumière, mais quel genre de relation entretiennent ces deux albums ?
Leur relation est qu’ils ont été originellement enregistrés comme un seul et même grand recueil de chansons. Nous n’avions pas prévu de faire deux albums, mais lorsque nous avions fini la création, nous avions beaucoup de morceaux, trop pour un seul album, et ça ne semblait pas être la bonne chose à faire de tout mettre sur un long album. Nous avons voulu diviser l’ensemble et assurer un entracte. Donc après la sortie de Darkfighter, tout le monde pourra profiter de cet album pendant quatre mois avant que le suivant n’arrive. Nous avons voulu donner du temps aux gens pour digérer Darkfighter. Puis, quand Lightbringer arrivera, nous pensons qu’il donnera un contexte au recueil. Nous n’avons pas cherché à faire un grand opus et à mettre en place tout un plan. Ça s’est fait tout seul. Nous avons voulu présenter les chansons de la meilleure manière possible. Nous avons cherché à voir quelles chansons pourraient être regroupées pour former les deux meilleures compilations, et vous verrez que Lightbringer est la continuation d’une plus grande histoire, plutôt qu’un truc façon yin et yang. Après « Darkside », dès que Lightbringer commence, ça reprend sur une chanson qui va tout de suite aider à donner du contexte. Puis la déclaration est terminée une fois qu’on arrive à la fin de l’album. On part sur quelque chose de très différent de ce que Darkfighter a amené.
Vous avez effectué une tournée en 2021 pour célébrer les dix ans de Pressure & Time, où vous avez joué l’album en intégralité. Comment était-ce de rejouer ces chansons et de réfléchir sur ces dix années d’aventure ?
Eh bien, je ne suis pas pressé de le refaire, je peux te le dire. Il faut comprendre que nous étions très occupés en studio à essayer de finir Darkfighter, et le fait de devoir faire une pause au milieu de tout ça pour aller jouer les chansons d’un album vieux de onze ans à ce moment-là, c’était genre : « Putain, aller… » Nous voulions le faire parce que Pressure & Time était l’album qui nous a fait connaître, nous voulions donc honorer cette étape importante pour nous. Mais bon sang, ça m’a déboussolé de devoir m’enfermer dans cette identité, car ça revenait à faire un bond loin dans le passé tandis qu’à la fois, nous essayions d’innover et de faire le nouvel album. C’était difficile de revenir en arrière. Pressure & Time est un super album, donc il ne s’agit pas de ça, mais c’est une déclaration artistique qui a été faite il y a longtemps, et nous avons écrit plein d’autres albums et fait plusieurs fois le tour du monde depuis.
Penses-tu que cette expérience a déteint, d’une façon ou d’une autre, sur les nouvelles chansons, ou avez-vous essayé d’éviter ?
Oh, je pense que ça n’avait rien à voir avec les nouvelles chansons. En tout cas, je ne crois pas. Plutôt… Bon voyons, après cette tournée, je crois que nous avons enregistré trois ou quatre chansons supplémentaires. Tu mets peut-être le doigt sur quelque chose, Nicolas, c’est intéressant, je n’y avais pas du tout pensé. Je pense que ça m’a donné envie d’aller encore plus loin dans une direction différente, dans laquelle nous n’étions jamais allés. Donc en fait, oui, ça a bien influé. Merci pour cette révélation !
Pressure & Time est votre second album, mais à bien des égards, on a l’impression que c’est votre premier, dans la mesure où c’est là que Rival Sons a décollé…
Tu as raison à ce sujet. Le premier vrai disque de Rival Sons est l’EP pour moi. On y trouve « Torture », « Get What’s Coming », « Soul », « Sleepwalker »… C’est un super disque, mais c’est vraiment le son d’un groupe qui trouve ses marques. Before The Fire est un super album, mais j’ai toujours eu du mal à le considérer comme un véritable album de Rival Sons, car tout dedans a été écrit avant que Rival Sons ne soit formé. C’était un peu les vestiges de ce que les gars faisaient avant que je les rencontre. Je suis donc arrivé et je n’ai rien écrit ou quoi. J’ai juste chanté pour que l’album ne meure pas, car c’est un bon album et les gars avaient travaillé dur dessus. C’aurait été dommage de le laisser tomber comme ça. Mais bien que ce soit le même line-up, l’esprit de Rival Sons n’était pas présent sur cet album. C’est quelque chose que nous avons développé ensemble juste après. Comme je l’ai dit, je ne critique pas du tout Before The Fire, c’est un chouette album. « On My Way » et « Memphis Sun » sont de super morceaux, mais c’est juste différent. Ça ne sonne pas comme une déclaration collective, à la différence même de l’EP.
Interview réalisée par téléphone le 2 mai 2023 par Nicolas Gricourt.
Retranscription & traduction : Nicolas Gricourt.
Photos : Blackham Images (1) & Pamela Littky (2, 3, 5, 6).
Site officiel de Rival Sons : www.rivalsons.com
Acheter l’album Darkfighter.