Le 3 mai dernier, Roger Waters était à l’Accor Arena dans le cadre de sa tournée This Is Not A Drill, et on s’en souviendra. Pour de nombreuses raisons. La première et non la moindre, c’est que l’ex-Pink Floyd a offert au public français un show démesuré, mêlant musique et politique. Ensuite parce que cette tournée était sa « première tournée d’adieux », et que, malgré l’ironie du qualificatif qui laisse penser qu’il y aura d’autres séries de concerts, l’âge du monsieur (79 ans) ne nous met à l’abri de rien.
C’est sur les écrans d’une scène en forme de croix placée au milieu de la salle qu’après un décompte toutes les cinq minutes annonçant le début des hostilités que s’affiche un premier message en forme d’avertissement : « Si vous êtes une de ces personnes qui pensent “ouais, j’aime Pink Floyd mais je ne supporte pas les engagements politique de Roger”, allez vous faire voir au bar ! »
Artiste : Roger Waters
Date : 3 mai 2023
Salle : Accor Arena
Ville : Paris [75]
Après un coup de tonnerre, l’intro du premier morceau résonne enfin. En projection, un paysage urbain désert et détruit annonce froidement la couleur : « Confortably Numb » apparaît dans une version dépouillée, sourde et apocalyptique, volontairement amputée des deux solos de guitare joués par David Gilmour sur les versions floydiennes. Une façon sans doute de s’approprier encore davantage le spectacle. Les écrans remontent alors afin de découvrir le groupe et c’est l’enchaînement « The Happiest Days Of Our Lives – Another Brick In The Wall Part 2 & 3 » qui déboule. Un son clair, puissant, appuyé de messages rouges en lettres géantes qui défilent et impriment immanquablement cerveaux et rétines. La charge contre les oligarques qui dirigent le monde commence : Waters ne les lâchera jamais durant tout le show. Après « The Powers That Be » extrait de l’album Radio K.A.O.S., le maître de cérémonie se paye un à un les présidents des Etats-Unis depuis Ronald Reagan jusqu’à Biden, les qualifiant un à un de « criminel de guerre » et rappelant leurs méfaits guerriers au son de « The Bravery Of Being Out Of Range ».
Puisant allégrement dans son immense répertoire, le maître de cérémonie alterne une nouveauté (« The Bar ») et quelques standards judicieusement choisis comme « Have A Cigar » et « Wish You Were Here » faisant planer un air de nostalgie et de tristesse. L’ombre de Syd Barrett est bien là, omniprésente à cet instant. « C’est si facile de se perdre, n’est-ce pas ? » avouent les écrans géants. C’est là que résonnent les premières notes de « Shine On You Crazy Diamond part V-VII » durant lequel Roger raconte comment, à l’image de son ancien acolyte, il a failli perdre le contact avec la réalité. Il semble même le regretter. Après un petit retour sur l’album « Animals » avec un « Sheep » intense et dense au cours duquel un drone mouton survole le public tandis qu’un troupeau d’ovins animés fait du karaté sur les écrans (oui, la folie n’est finalement pas si loin), c’est la fin de première partie. Vingt minutes d’entracte qui permettent à chacun, groupe et public, de reprendre ses esprits.
Dès le retour du groupe l’immersion est instantanée. « In The Flesh », et ses guitares heavy totalitaires, suivi de « Run Like Hell » mettent le public au pied du mur (« The Wall »). « Déjà Vu » et « Is This The Life You Really Want ? » calment un peu le jeu avant un enchaînement de quatre extraits de Dark Side Of The Moon qui commence par « Money » et s’achève sur « Eclipse ». Les lasers sont de sortie et forment le triangle illustrant l’album : l’effet visuel est grandiose. Roger continue d’asséner sa politique et nous avertit que le risque de guerre nucléaire n’a jamais été aussi élevé qu’aujourd’hui. Pour illustrer son propos, il nous livre l’inattendu et saisissant « Two Suns In The Sunset » exhumé de l’album « The Final Cut », son dernier avec Pink Floyd (ou ce qu’il en restait alors). Un road trip terminal et des corps humains qui se déchirent en particules graphiques accompagnent visuellement cette fin du monde à la fois tranquille et effrayante. Après quelques derniers mots d’engagement interrompus par des « Macron démission » qu’il feint dans un sourire de ne pas avoir entendus, Waters retourne au piano, s’offre un petit mezcal et reprend la suite de « The Bar » avant de quitter définitivement la scène avec sa petite troupe au son de « Outside The Wall » en version acoustique. Un dernier salut depuis les coulisses où les caméras ont suivi les musiciens, et les lumières se rallument. Il est temps de rentrer dans notre monde et de tirer éventuellement les enseignements personnels et politiques de ce concert à la fois hors du temps et tellement connecté à la réalité.
Setlist (source setlist.fm) :
Set 1 :
Comfortably Numb
The Happiest Days Of Our Lives
Another Brick in the Wall, Part 2
Another Brick in the Wall, Part 3
The Powers That Be
The Bravery Of Being Out Of Range
The Bar
Have a Cigar
Wish You Were Here
Shine On You Crazy Diamond (Parts VI-VII, V)
Sheep
Set 2 :
In the Flesh
Run Like Hell
Déjà Vu
Is This the Life We Really Want?
Money
Us and Them
Any Colour You Like
Brain Damage
Eclipse
Rappels :
Two Suns in the Sunset
The Bar (Reprise)
Outside the Wall