Rune « Blasphemer » Eriksen a beau avoir quitté Oslo il y a des années, il reste l’une des pierres angulaires de la scène norvégienne : après avoir fait ses classes dans Mayhem où il avait repris le rôle de guitariste à la mort d’Euronymous, il a imposé ses riffs dissonants dans des groupes aussi divers qu’Aura Noir, Twilight Of The Gods ou Vltimas, pour n’en citer que quelques-uns. Plus de vingt-cinq ans après ces débuts, le guitariste s’est replongé dans ses premières créations pour fonder un nouveau projet, Ruïm, où il est seul maître à bord, avec le soutien du batteur César « CSR » Vesvre. Particulièrement personnel, il donne la part belle à la spiritualité d’Eriksen, notamment à l’umbanda, qui mêle spiritisme, traditions afro-brésiliennes et christianisme.
Affable et enthousiaste malgré son emploi du temps chargé – l’enregistrement du nouvel Vltimas devait commencer très peu de temps après notre entretien –, Blasphemer est revenu avec nous sur la genèse et la direction du projet, et en a profité pour remettre en perspective sa carrière, et préciser ses ambitions en tant que musicien. Il le dit lui-même : ce premier album est un avertissement…
« Avec ce projet Ruïm, cette volonté de boucler la boucle est bien plus importante. Ça m’a permis de régler les choses qu’il me restait à régler ; ce projet est une façon de mettre un terme à tout ça. »
Radio Metal : Ruïm est un projet assez récent : tu l’as fondé en 2020. Quel est le contexte dans lequel il a démarré ?
Rune « Blasphemer » Eriksen (chant & guitare) : Tout s’est arrêté pendant un moment : lorsque la pandémie a commencé en mars 2020, je rentrais juste de tournée, et je suis resté chez moi à voir le monde se fermer et plus ou moins s’écrouler… Mon idée initiale à l’époque était de continuer avec le deuxième album d’Vltimas, mais évidemment, en raison des restrictions au niveau des voyages, etc., nous n’avons rien pu faire. J’ai continué à écrire pour Vltimas malgré tout, mais comme je ne pouvais pas passer du temps en salle de répétition avec les autres ou quoi que ce soit de ce genre, ce n’était pas pareil. C’est vraiment de cette manière que nous voulons travailler, donc comme je ne pouvais pas travailler là-dessus de cette façon, j’ai décidé de commencer un autre projet. Il a vraiment démarré vers mai-juin 2020, au moment où j’ai contacté Peaceville. Je ne sais même plus pourquoi j’ai commencé à en parler avec eux mais c’est ce label qui a les disques de Mayhem et certains d’Aura Noir, donc je suis régulièrement en contact avec eux. Quand j’ai eu l’idée de ce projet, j’ai demandé à Paul [Groundwell] : « Est-ce que ça t’intéresserait de sortir quelque chose ? » et il a immédiatement été motivé. Je lui ai envoyé un riff – un seul riff, ce n’est pas une façon de parler – et c’est grâce à ce riff que j’ai été signé [rires].
C’est lequel ?
C’est là que c’est drôle : il n’est même pas sur l’album [rires]. Il sera sur le deuxième. Il était censé être sur le premier album, mais il y a eu des complications et la chanson n’a pas vraiment tourné comme je le voulais, donc j’ai préféré la retirer de ce disque et l’améliorer pour le prochain. Bref, en tout cas, c’est comme ça que les choses ont démarré. Peaceville s’est montré très intéressé et à partir de là, le nom, le thème et le reste se sont déroulés d’eux-mêmes. J’écrivais donc beaucoup de musique et j’étais à la recherche d’un batteur : j’en ai parlé à un ami parisien qui m’a recommandé CSR. Tu connais la suite.
Ruïm, c’est du portugais, je suppose ?
Oui, c’est dérivé d’un mot qui en portugais s’écrit sans le umlaut – le « i » avec tréma –, « ruim ». À l’origine, ça veut dire « mauvais » ou « méchant », quelque chose comme ça, et je n’aimais pas vraiment cette signification, ça me semblait trop convenu [rires], trop banal pour ce projet. C’est pour cela que j’ai ajouté le umlaut, ce qui permet de le relier à l’alphabet runique et à mon héritage norvégien en plus de sonner d’une façon qui me plaît. C’est plutôt symbolique, comme nom.
Quand Vltimas a été fondé, tu disais que ça avait été une façon pour toi de revenir à tes racines metal extrême. Même si dans ce cas, c’était plutôt orienté death metal, est-ce que ce côté « retour aux sources » a eu une influence sur Ruïm ?
Pour moi, Vltimas n’est même pas du death metal, c’est une sorte de chose hybride. J’adore ce groupe et nous sommes en train de travailler dur sur le deuxième album, mais c’est quelque chose de nouveau pour moi, ce n’est pas vraiment un retour aux sources. Ça n’a rien à voir avec des albums comme Black Thrash Attack d’Aura Noir ou Wolf’s Lair Abyss de Mayhem à l’époque, par exemple. Pour moi, c’en est très éloigné. Mais avec ce projet Ruïm, cette volonté de boucler la boucle est bien plus importante. C’est pourquoi j’y ai inclus « Fall Of Seraphs » de Wolf’s Lair Abyss, chantée ici par Proscriptor [McGovern] d’Absu. Pour moi, c’est une façon de clore quelque chose, aussi, peut-être de terminer ce que j’avais besoin de terminer. Et à partir de là, je peux aller de l’avant [petit rire]. Ça m’a permis de régler les choses qu’il me restait à régler ; ce projet est une façon de mettre un terme à tout ça.
Apparemment, tu as réutilisé d’ancien riffs de Mayhem que tu as retrouvés ?
Non, pas vraiment. C’est vrai que c’est ce que dit le communiqué de presse, j’ai remarqué, et si c’est partiellement vrai, ça ne l’est pas complètement. Clairement, lorsque j’ai mis la main sur ces vieux riffs, je me suis dit qu’ils étaient vraiment cool. Un ami à moi avait acheté cette cassette qui contenait – je ne sais même plus vraiment quoi, mais probablement des choses que j’avais improvisées dans mon appartement à Oslo à l’époque. Quand j’ai écouté ces chansons – il a réussi à digitaliser la cassette et m’a envoyé les fichiers par WeTransfer –, j’ai reconnu certaines choses, des éléments de « Completion In Science Of Agony » qui est sur Grand Declaration Of War. J’ai aussi reconnu d’autres choses qui n’avait pas été utilisées ou même terminées à l’époque. Non, je ne les ai pas utilisées sur cet album, mais je pense que ça a servi à me rappeler ce que je faisais à ce moment-là, dans quel état d’esprit j’étais, ça m’a donné des idées, parce que quand bien même je voudrais essayer de me détacher de mon passé, c’est toujours à mon passage dans Mayhem que la plupart des gens m’identifient de toute façon. Pour moi, à nouveau, c’est une manière de boucler la boucle. Je crois que de ce point de vue-là, c’est très important que je m’en empare, que je le fasse, et que ça ait de la force. Pour moi, c’est très puissant comme musique, et ça me semble avoir encore plus de force maintenant qu’à l’époque où je l’ai écrit pour Mayhem. Je dois oser dire ça [petit rire], j’en suis convaincu et j’ai conscience de ce dont je suis capable. Ce n’est pas une renaissance, mais c’est une façon de dire que oui, j’ai fait partie de ça, et c’est une part de moi-même. C’est quelque chose qui fera toujours partie de moi, et ça se retrouve ici.
« Pour moi, c’est très puissant comme musique, et ça me semble avoir encore plus de force maintenant qu’à l’époque où je l’ai écrit pour Mayhem. Je dois oser dire ça [petit rire], j’en suis convaincu et j’ai conscience de ce dont je suis capable. »
Vingt-cinq ans plus tard, qu’est-ce que tu penses de cette scène qui est pratiquement devenue un mythe ? De quelle façon t’a-t-elle formé en tant que musicien ?
C’était en 1994 – quel âge j’avais ? Dix-neuf ans ? Comme tu peux l’imaginer, mon cerveau absorbait absolument tout. C’était une époque dingue, complètement dingue. Si tu connais bien le mini-album Wolf’s Lair Abyss, tu sais que certaines chansons sont très inspirées de l’album précédent, De Mysteriis Dom Sathanas, mais il y a aussi deux chansons qui s’en éloignent. Je crois que déjà à l’époque, je commençais à trouver mon propre style. Je ne sais pas trop… Il y a eu tellement d’impulsions, de trucs bizarres et étranges qui se sont passés entre 1994 et mon départ en 2008… C’est tellement d’informations que je ne saurais même pas par où commencer. C’est trop ! Je me dis que peut-être à un moment je devrais me poser et écrire un livre sur tout ça, mais ça risque de me prendre longtemps car j’aurais besoin de l’aide des gens qui m’entouraient à cette époque-là, histoire de m’aider à me souvenir de tout ça, parce que c’était tellement fou. Mais oui, ça m’a clairement formé. Tu peux clairement entendre ma patte sur l’album de Ruïm, et ça, ça a été fondé pendant mes premières années dans Mayhem.
Tu as été impliqué dans de nombreux projets au long de ta carrière – nous en avons déjà mentionné plusieurs, Mayhem bien sûr, Aura Noir, Vltimas… – mais il me semble que c’est la première fois que tu es la seule force créatrice du groupe ? Tu disais que pour Vltimas par exemple, vous aviez besoin de vous voir et de travailler ensemble…
Oui, tu sais, je crois fermement en la manière old school de composer en jammant ensemble avec tout le groupe. C’est vraiment important pour nous tous, et c’est aussi important pour Ruïm, en fait. Je suis venu à plusieurs reprises en France à Dijon pour répéter avec CSR, et il est venu au Portugal pour que nous puissions répéter ici aussi. Nous avons vraiment beaucoup joué ensemble. L’interaction, c’est très important pour moi. Il y a tellement de groupes qui font tout par ordinateur… Pour la batterie par exemple, tu peux faire tout ça virtuellement en achetant le bon logiciel. D’accord, ça te permet de créer ton propre univers, mais il n’y a pas d’interactions, pas de synergie, pas de véritable force motrice, selon moi. Je pense que tout ça, même la magie qui peut émaner d’un disque vient du fait de jouer avec les autres, de passer du temps ensemble dans la même pièce à travailler pour le même objectif. Ça crée quelque chose – un pouvoir, une force. C’est pour cette raison que j’ai laissé tomber l’idée d’écrire pour Vltimas tout seul chez moi. Une grande partie des choses qui apparaissent sur le premier album d’Vltimas ont été écrites ici sur mon ordinateur, une grande partie des idées principales qui ensuite peuvent fonctionner, ou pas : en fin de compte, il a fallu que nous nous réunissions pour voir si elles fonctionnaient vraiment et ensuite jammer ensemble. Il m’est arrivé tellement souvent de me dire : « Pourquoi j’ai perdu trois semaines à essayer d’ajouter des trucs et des add-ons à ces parties… » Ces idées ont changé de toute façon, elles ont changé en studio. J’ai laissé tombé tout ça, je ne veux plus composer une chanson entière tout seul chez moi. La musique, c’est un peu comme le tennis : oui, bien sûr, tu peux jouer contre un mur, mais c’est mieux de jouer avec quelqu’un qui essaie vraiment de te battre.
L’album a été enregistré au studio Drudenhaus en France. Pourquoi ce choix ? À quel point as-tu été impliqué dans le processus de production ?
Nous avons envisagé pas mal de choses, mais pour être honnête, ici, au Portugal, c’est vrai qu’il y a quelques options, mais comme à la base, je ne suis pas un mec très sociable, je ne sais pas trop ce qui peut se faire. J’ai quelques amis et l’un d’entre eux a un studio ici, mais ce n’était pas l’idéal pour cet enregistrement. Donc nous avons plutôt essayé de voir si César avait une piste en France. J’aime beaucoup la France, et puis ça me permet de partir de chez moi, ce qui me donne des sources d’inspiration différentes. Si j’avais fait ça dans un studio ici, je serais rentré chez moi tous les soirs après les sessions, et l’expérience est complètement différente. J’aime bien être isolé. J’aime être dans un environnement différent, idéalement à la campagne, et c’était le cas au studio Drudenhaus, ce qui est génial. Je trouve que ça donne une atmosphère, une ambiance et un son différents à l’album. Je crois que c’est César qui m’a parlé de cet endroit : je ne crois pas qu’il le connaissait, mais il en avait entendu parler. Quand j’ai regardé la liste de ce qui y avait été enregistré ou des enregistrements où Benoît [Roux] avait été impliqué, j’ai été très impressionné. Je me suis dit : « OK, parlons avec ce mec. » J’ai récupéré son numéro de téléphone, nous avons discuté, et nous nous sommes très bien entendus. Je le considère maintenant comme un ami, nous avons vraiment accroché. Donc l’environnement était beau, le studio était super, et son approche est très rustique, ce qui m’a vraiment plu. C’est ce qu’il me fallait : m’éloigner de ma vie quotidienne, du stress, des ordinateurs et tout ça. C’était vraiment important pour moi. En ce qui concerne la production en elle-même, évidemment, je savais ce que je voulais entendre comme son de guitare, j’ai vraiment fait le difficile. Je ne sais pas combien d’amplis nous avons loués, mais en tout cas, nous n’avons pas lâché l’affaire [petit rire]. Benoît mérite vraiment une accolade pour ça, il a été vraiment persévérant dans cette chasse à l’ampli : évidemment, je n’avais aucun contact dans le nord-ouest de la France, donc c’était compliqué pour moi de lui donner un coup de main, mais il y est arrivé. Il a trouvé le bon ampli, et à partir de là, tout a roulé. Je crois qu’il a vraiment compris ce que je voulais. Je le considère comme le producteur principal, j’ai donné mon avis parce que c’est ma musique et que je sais ce que je veux entendre en termes d’effets, etc., mais c’est un magicien et un mec super. Je n’ai que des bonnes choses à dire de lui.
« La musique, c’est un peu comme le tennis : oui, bien sûr, tu peux jouer contre un mur, mais c’est mieux de jouer avec quelqu’un qui essaie vraiment de te battre. »
Il y a beaucoup d’ambiances et d’atmosphères différentes tout au long de l’album, certains morceaux sont presque méditatifs alors que d’autres sont beaucoup plus agressifs. Ta palette en tant que chanteur est variée aussi. C’était important pour toi de ne pas t’imposer de limites ? Comment as-tu incorporé ces éléments différents ?
Le truc, c’est que j’ai des limitations matérielles, mais dans mon esprit créatif, il n’y a pas de limites. Surtout en ce qui concerne ma musique. C’est comme ça : tout est possible. Et je crois que le plus important, c’est de capturer l’esprit de chaque chanson, car chaque chanson est comme un individu, elle a sa propre énergie, son propre truc. Chaque chanson mérite un traitement particulier, surtout celles-ci qui sont si personnelles. C’est moi qui les ai composées et qui ai écrit les paroles : elles se présentent à toi comme des idées uniques et c’est en tant que telles que tu dois les aborder ; tu dois t’inspirer de l’énergie de la chanson et comprendre ce qu’il lui faut. Beaucoup de choses ont été improvisées. C’est selon mon ressenti, selon mon impression d’à quoi la chanson doit ressembler. Et tu as raison, il y a beaucoup de variété au niveau du chant : par exemple, sur « Black Royal Spiritism », il a quelque chose de gothique, alors que sur la première chanson, « Blood.Sacrifice.Enthronement », il est très extrême. Ce sont des humeurs différentes. Et puis tu sais, je ne supporterais pas d’écouter un album qui va à 300 BPM du début à la fin. Mon cerveau a besoin de plus de complexité, de pauses, d’ambiances et d’atmosphères… En plus de cela, ces chansons ont été écrites suivant une certaine tradition qu’on pourrait qualifier de sorcellerie ou de vaudou, peu importe, et qui impose une trame narrative. Chaque chanson est pratiquement une histoire ou est dédiée à quelque chose. C’était important pour moi de le garder à l’esprit et de mettre ça en valeur.
Apparemment, le projet est destiné à être une trilogie, qui je suppose va s’appeler Black Royal Spiritism. Pourquoi ce choix ? Est-ce que tu en as déjà les grandes lignes ?
En ce qui concerne la thématique, les thèmes, tout est déjà à peu près établi : j’ai déjà les titres des albums et j’ai les titres de presque toutes les chansons du deuxième album. Je n’ai pas encore vraiment réfléchi au troisième au-delà de son titre, mais je sais dans quelle direction il va aller musicalement. Pour le deuxième album, riff que j’ai envoyé à Peaceville inclus, j’ai deux chansons pratiquement terminées et deux autres pour lesquelles j’ai déjà des idées, ce qui fait en tout quatre chansons déjà en route. Mais là, j’ai surtout besoin d’un peu de distance, parce que le premier album n’est même pas encore sorti et que c’est encore trop frais dans mon esprit. Je ne veux pas me remettre tout de suite à l’écriture. Je ne veux pas me répéter, je ne l’ai jamais fait par le passé et je n’ai pas l’intention de commencer. Donc le deuxième album sera assez différent de celui-ci, mais j’ai besoin de temps.
Est-ce que ce concept de trilogie a une signification particulière à tes yeux ?
Je pense, d’une certaine façon, mais cette idée de trilogie Black Royal Spiritism m’est venue après l’idée originelle. Ça s’est fait au fur et à mesure que je trouvais les thèmes, que j’ai commencé à parler de tout ça à voix haute : ça m’est venu comme ça, et j’ai construit là-dessus. Mais évidemment, le concept de trinité a une valeur symbolique très importante.
Quel est le thème de cette trilogie en général et de ce premier album en particulier ?
Ce sont des histoires différentes. La première chanson, « Blood.Sacrifice.Enthronement » parle d’anciennes traditions, d’une entité qui se transforme en roi. C’est inspiré de la voie de la main gauche de l’umbanda, de la tradition de cette religion. La deuxième chanson, « The Triumph (Of Night & Fire) », est un hymne dédié a un esprit important de cette voie de la main gauche de l’umbanda, tout comme la troisième : « The Black House » parle d’un lieu de culte – une maison noire – et de possession par un esprit. Ça se déroule comme ça. À l’exception de la chanson en norvégien, « Evig Dissonans », tout tourne autour de cette forme de vaudou brésilien. « Evig Dissonans », c’est un regard dans le rétroviseur, ça parle de l’époque où j’ai commencé dans Mayhem en 1994. Le titre de travail de cette chanson était « 1994 », d’ailleurs, quand j’avais le fichier sur mon ordinateur. En gros, son objectif est d’évoquer toutes les émotions et les sensations de cette époque, ce qu’il se passait dans la tête des gens à ce moment-là, et dans la mienne aussi. C’est un hommage à cette période, ça rejoint l’idée de cercle qui se referme dont nous avons parlé plus tôt, et ça explique aussi pourquoi les paroles de cette chanson sont en norvégien.
O Sino Da Igreja veut dire « La cloche de l’église », si je ne me trompe pas. Pourquoi ce choix ?
C’est exactement ça que cela veut dire, et voici pourquoi c’est le titre de l’album : tout d’abord, cette expression vient d’une chanson dédiée à toutes les entités qui se trouvent sur cette voie de la main gauche ; cette chanson commence exactement par ces mots. Mais il y a aussi autre chose : au Moyen Âge, si tu entendais le tocsin, la cloche de l’église, sonner pendant la nuit, ça voulait dire qu’il y avait un intrus ou un ennemi qui approchait. C’était un avertissement : quelqu’un approche, quelque chose veut nous détruire ou nous attaquer. C’est ce que ça voulait dire à l’époque, et ça m’a semblé être le début idéal pour la trilogie. C’est un avertissement concernant ce qui va suivre.
Ta source d’inspiration principale pour cet album est l’umbanda, une tradition brésilienne, comme tu viens de le dire. Quelle est ta relation à cette religion ? Comment t’y es-tu intéressé ?
Je me suis retrouvé impliqué dans certaines choses et certains rituels en 2012 ou en 2013, je crois, et j’ai trouvé ça super intéressant. J’ai continué d’y participer pendant une longue période, jusqu’à la pandémie, en fait. J’ai une relation très étroite avec ce qui se passe en coulisses, pour ainsi dire. C’est un disque très personnel et spirituel.
« L’objectif, c’est de maintenir un équilibre. C’est une chose en laquelle je crois fermement ; il y a évidemment des énergies qui sont vues comme des énergies adverses, mais moi, je les considère souvent comme des aides ou des protectrices. »
Mais tu parles de voie de la main gauche, un concept qui revient beaucoup dans l’ésotérisme occidental. Quel est le lien avec l’umbanda ?
Non, ce n’est pas lié à l’approche occidentale de la voie de la main gauche… Ça dépend de ta manière de voir les choses, je pense, mais l’Église a toujours vu ça comme le diable, l’opposition à Dieu et au bien. Mais je ne vois pas ça comme ça du tout, c’est pour moi un côté différent de la réalité qui doit être considéré avec autant de respect que l’autre côté. L’objectif, c’est de maintenir un équilibre. C’est une chose en laquelle je crois fermement ; il y a évidemment des énergies qui sont vues comme des énergies adverses, mais moi, je les considère souvent comme des aides ou des protectrices. Pour moi, elles ont aussi leur rôle à accomplir, d’une certaine manière.
Dans quelle mesure cet intérêt pour la spiritualité influence ta musique en général et ce projet en particulier ?
Pour ce projet, beaucoup… Pour Vltimas, je ne sais pas trop, et pour Aura Noir, pas du tout. Ruïm est un projet très personnel, c’est pour cette raison que c’est moi qui écris les paroles et que je m’exprime de cette façon. C’est difficile de déterminer sur le plan purement musical d’où vient mon inspiration. Mais comme cette fois-ci, je fais tout, ce projet est vraiment un véhicule pour que je puisse m’exprimer, et j’ai l’impression que c’est la première fois que je peux utiliser ma musique de cette façon. Je dirais que ma spiritualité n’affecte pas ma musique en général, mais ce projet, complètement.
Tu chantes en trois langues sur l’album, norvégien, anglais et portugais, ce qui reflète son côté éclectique et syncrétique. Pourquoi ce choix ?
J’ai déjà parlé de ce que représentait le norvégien – le côté regard rétrospectif sur une époque, et puis c’est ma langue maternelle. En ce qui concerne le portugais, ça s’explique par le fait que l’album est connecté aux entités dont je parlais plus tôt, à l’umbanda, etc. Les incantations et les hymnes sont chantés en brésilien – en portugais brésilien, ils sont transmis de manière orale dans cette langue. Ça fonctionne de cette façon. C’est parce que ça vient du Brésil que ces chansons sont en portugais, et j’ai fait le choix de continuer sur cette voie pour être fidèle à cette religion, à cette spiritualité. Certaines de ces paroles en portugais sont vraiment des passages d’hymnes ou de prières : la première partie en portugais de « The Triumph (Of Night & Fire) », par exemple, est un vieil hymne dédié à l’entité qui s’appelle Exo Veludo. Je me permets de l’emprunter parce que je suis très lié à son énergie ; j’ai l’impression de non seulement le lui devoir, mais aussi d’être autorisé à le faire. C’est vraiment un hymne, j’ai emprunté ces paroles et les ai placées dans mon propre contexte. Voilà pour le portugais. Concernant l’anglais, c’est la langue par défaut pour tout le monde, tout le monde chante en anglais – même sans vraiment savoir le parler [petit rire]. C’est le plus simple pour tout le monde, et je parle anglais la plupart du temps. Je parle un peu portugais, mais surtout anglais, et comme je ne suis pas très sociable, je passe beaucoup de temps chez moi et je suis en contact avec des gens qui vivent à l’étranger en permanence, donc c’est très naturel, comme choix.
Est-ce que le fait de vivre au Portugal a changé ton rapport à tes racines norvégiennes ? Est-ce que tu penses que c’est pour ça que tu peux désormais boucler la boucle, comme tu le disais ?
Je vis ici depuis un moment maintenant. Quand j’ai quitté la Norvège, je ne supportais plus ce pays, la mentalité des gens, tout – mes cinq dernières années passées à Oslo ont vraiment été pénibles, j’avais besoin d’une pause. Déménager dans les environs de Lisbonne a changé ma perspective sur à peu près tout. Ça m’a changé moi. Je ne sais pas si ça a changé mon rapport à mes racines, ça, je crois que ça n’a pas évolué, mais ça m’a changé en tant que personne, ça a changé ma manière de voir la vie, tout compris. Je crois que pour la première fois de ma vie d’adulte, lorsque je suis arrivé au Portugal, je me suis senti plutôt heureux. Il m’a fallu des années pour trouver cette espèce de paix intérieure. Et puis, tu sais, finalement, je vis au Portugal surtout quand je ne travaille pas. Je suis musicien à temps complet depuis la fin des années 1990, je travaille et voyage beaucoup. Je passe beaucoup de temps aux États-Unis et puis maintenant en France, un pays que j’adore, ou en Angleterre. À vrai dire, je suis plus souvent en France qu’en Norvège… Et chaque fois que je reviens au Portugal après avoir passé trois semaines aux États-Unis ou six semaines en tournée, c’est vraiment une libération, c’est rafraîchissant et relaxant. Tout est plus détendu, les gens sont plus détendus, parfois trop dans certains aspects [rires], mais c’est un pays magnifique. J’y suis pour le moment, je ne sais pas si ce sera toujours le cas dans les années qui viennent, mais pour le moment, ça me va bien.
« Quand j’ai quitté la Norvège, je ne supportais plus ce pays, la mentalité des gens, tout – mes cinq dernières années passées à Oslo ont vraiment été pénibles, j’avais besoin d’une pause. […] Je crois que pour la première fois de ma vie d’adulte, lorsque je suis arrivé au Portugal, je me suis senti plutôt heureux. Il m’a fallu des années pour trouver cette espèce de paix intérieure. »
Qu’est-ce que signifie la pochette du disque ? On parlait du vieux Mayhem plus tôt et même si c’était avant ton époque, la silhouette de l’église me fait penser à De Mysteriis Dom Sathanas…
Je n’ai pas eu la main sur cet aspect-là, c’est un artiste norvégien formidable, Sindre Foss Skancke, qui s’en est occupé. J’ai pris contact avec lui parce que j’avais repéré certains de ses logos qui me plaisaient beaucoup, j’aimais bien le côté magie noire qu’ils pouvaient avoir. Je lui ai demandé s’il voulait créer le logo du projet, et non seulement il m’a dit que oui, mais il m’a aussi dit qu’il faisait des pochettes, si ça m’intéressait. J’ai regardé son portfolio et j’ai trouvé ça vraiment super, très différent. La pochette du disque est la première chose qu’il m’a proposée et je me suis dit que c’était vraiment mystérieux, que ça ne ressemblait pas aux crânes et aux croix inversées habituels. Je ne voulais pas de ce genre de trucs parce que ça n’a rien à voir avec ce projet – je ne dis pas que c’est mal ou que les gens ne devraient pas utiliser ces symboles, respect à eux, mais là, ça n’aurait pas collé. Je voulais quelque chose d’esthétique et de propre, de mystérieux, d’un peu inquiétant. C’est ce qu’il a créé et après quelques petits ajustements, ça a donné ça, et j’en suis très content. J’aime beaucoup l’atmosphère qui s’en dégage – à l’inverse de la pochette de De Mysteriis qui est épouvantable [rires]. Je lui ai donné le titre de l’album, Black Royal Spiritism – I.O Sino Da Igreja, avec cette histoire de tocsin dont nous avons parlé, et c’est comme ça que je le vois aussi. Pour moi, ça colle parfaitement au titre, à la musique et à l’atmosphère. C’est vraiment un travail formidable, donc je lui ai demandé de s’occuper de toute la trilogie, il fera aussi les autres pochettes.
Est-ce que tu prévois des concerts avec ce projet ?
Au départ, c’était mon intention, et puis tout d’un coup je n’en ai plus eu envie. Maintenant, je suis à nouveau à l’étape où j’ai vraiment envie que ça se fasse – pas seulement besoin, mais envie –, en revanche ce n’est clairement pas pour cette année, ni la prochaine. Ça se fera sans doute après la sortie du deuxième, qui j’espère aura lieu début 2025. Donc oui, nous commencerons à travailler là-dessus en début d’année prochaine. Nous allons définitivement essayer de participer à quelques festivals : ce n’est pas le genre de projet pour lequel nous allons passer quatre mois par an dans un tour bus pour jouer dans des petites salles, je ne suis pas d’humeur à ça. Nous verrons comment ça se passe, mais en tout cas, ce n’est pas pour maintenant.
Tu es impliqué dans plusieurs autres groupes : est-ce que tu as des choses à annoncer pour ces autres projets ? Tu disais que tu avais commencé à travailler sur le nouvel Vltimas il y a un moment, par exemple ?
L’album va être enregistré très prochainement, c’est pour ça que j’essaie de faire vite avec les interviews et que je suis un peu éparpillé : j’ai beaucoup de choses à garder à l’esprit en ce moment [rires], je suis pratiquement littéralement en train de faire mes valises pour partir en studio. J’essaie de faire le plus d’interviews possible maintenant parce qu’il me reste encore beaucoup de choses à répéter et à faire pour les chansons d’Vltimas… Mais en tout cas, ça prend une forme vraiment géniale. Je vais voir les autres membres du groupe très prochainement et j’ai hâte de m’y mettre. Le nouvel album sera un peu plus mélodique que le premier, il sera à la fois un peu plus rapide et un peu plus lent, il va y avoir un peu de tout. Nous avons hâte, nous avons tous travaillé dur lorsque je suis allé passer des semaines au Texas pour que nous puissions avancer, et je pense que ça va donner un album vraiment bon.
Interview réalisée par téléphone le 8 mai 2023 par Chloé Perrin.
Retranscription & traduction : Chloe Pettin.
Photos : Mara D’Eleán.
Facebook officiel de Ruïm : www.facebook.com/BlackRoyalSpiritism
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