Si S.U.P. semblait sortir bien discrètement son huitième album, le bien nommé Octa, il était pour le moins très attendu par ses fans puisque dix jours après sa sortie, plus tardive que prévu, il a dû repartir au pressage ! Il faut dire qu’au-delà de son statut d’institution française dans le modeste milieu du metal, S.U.P. ne ressemble à personne d’autre, et cela depuis l’emblématique Anomaly de 1995. Le groupe lui-même a bien du mal à se définir, flirtant aussi bien avec l’univers de la cold wave que de la scène gothique, Octa n’hésite pas non plus à piocher, plus encore que par le passé, dans l’agressivité de Supuration qui restera pour le coup définitivement enterré. Qualifié comme avant-gardiste en son temps, le groupe a encore bien des choses à dire et une nouvelle histoire de science-fiction à nous raconter, autour de sa vision de prison du futur où les prisonniers se retrouvent enfermés dans les rêves et cauchemars des autres.
Si S.U.P. a bien sûr affiné sa recette avec le temps, il n’a dans son âme pas fondamentalement changé. L’idée introspective du projet et ses riffs hypnotiques et addictifs sont toujours bien là. Octa a une facilité d’écoute telle qu’il pourrait être un bon album d’ouverture vers la discographie du groupe de presque trente ans, en rendant hommage à son passé aussi bien qu’en s’illustrant dans des expérimentations nouvelles. Le guitariste Fabrice Loez nous raconte la démarche du groupe pour ce huitième opus, développant également ce désir d’indépendance et la découverte de l’autogestion pour la sortie d’un disque, et parcourant avec nous le fil narratif de cette nouvelle histoire de science-fiction proposée par le groupe.
« Nous savons très bien que de toute façon, nous ne vendrons pas des milliers d’albums, nous ne serons pas ultra connus du jour au lendemain, etc. Ce n’est pas notre but. Notre but est de préserver notre monde. »
Radio Metal : On aurait pu imaginer avec les dernières années qu’on vient de traverser, avec la pandémie, le retour de la guerre en Europe, etc., qu’une sorte de colère aurait pu se dégager et vous emmener davantage vers un album de Supuration. Est-ce que cette question s’est posée à un moment donné ou bien votre vision est-elle toujours que vous en avez fait le tour ?
Fabrice Loez (guitare) : Non, la question ne s’est absolument pas posée parce que nous avions déjà décidé après Cube 3, le dernier en date, d’arrêter les albums de Supuration. Nous nous sommes dit que la trilogie était terminée et que ça n’avait plus de sens de continuer sur ce genre de musique. De toute façon, je pense que dans l’ensemble des albums de S.U.P., on ressent quand même beaucoup l’influence de Supuration. Nous mettons toutes les idées que nous avons exclusivement sur S.U.P.
La dernière fois, vous nous aviez dit que votre scène était l’underground, que vous aviez même, fut un temps, refusé de faire la première partie de Rammstein. Est-ce que cette démarche explique aussi qu’Octa sort presque dans le silence, avec très peu de relais dans les médias et de communication hors de vos réseaux ?
Non, ce n’est pas vraiment volontaire. Il faut savoir que nous nous autoproduisons sur cet album. Nous essayons de mettre tous les moyens que nous avons à notre disposition dans des budgets forcément ultra limités, donc nous faisons le maximum ! Je trouve ça plus normal de faire ça nous-mêmes. Si c’est pour payer pour exister, je trouve que ça n’a pas beaucoup de sens, donc nous essayons de faire tant de demandes [auprès de la presse] et nous espérons que les gens vont nous aider à développer ce réseau au maximum.
Ça ne vous effraie pas à l’époque actuelle où il y a énormément de sorties ?
Pas vraiment. En fait, nous sommes plutôt contents de continuer à faire plaisir aux fans de S.U.P. C’est notre principal objectif, c’est-à-dire de continuer à faire de la musique que nous aimons pour des gens qui comprennent le groupe. C’est notre priorité. Après, si nous pouvons intéresser d’autres personnes, ce serait vraiment super, mais nous savons très bien que de toute façon, nous ne vendrons pas des milliers d’albums, nous ne serons pas ultra connus du jour au lendemain, etc. Ce n’est pas notre but. Notre but est de préserver notre monde.
On voit de plus en plus cette démarche – on peut penser à Gorod et Carcariass qui ont aussi sorti leur album en indépendant, ou presque. Pourquoi ce choix ?
Déjà, ça fait un intermédiaire et des difficultés en moins. C’est comme un groupe : plus vous êtes nombreux, plus la logistique est compliquée. Avec un label, c’est pareil : plus tu as d’intermédiaires, plus la communication est compliquée, et ainsi de suite. Et puis, là, ça nous permet de bien comprendre le fonctionnement et en conséquence, si jamais il y a un problème, nous ne pouvons nous en prendre qu’à nous-mêmes. Il n’y a plus d’excuse. C’est plus un challenge qu’autre chose. Ce sont vraiment des contraintes en moins. Un label, ça rajoute des contraintes supplémentaires. C’est vrai que ça nous aide sur certains points, mais finalement, ça n’apporte pas beaucoup plus, en ce qui nous concerne, pour un groupe comme nous – je suis sûr que pour un jeune groupe qui a les dents longues, c’est plus intéressant d’avoir un label, mais pour nous, je pense que c’est plutôt bien de pouvoir faire vraiment ce que nous voulons, quand nous voulons et comme nous voulons.
Et vous gérez aussi la distribution ?
Nous sommes distribués par L’autre Distribution – un distributeur indépendant – qui met en place les albums en magasin. Ensuite, nous allons nous-mêmes vendre les digipacks et les vinyles par nos propres moyens, c’est-à-dire le shop, Bandcamp, etc.
« J’ai écouté quelques trucs d’intelligence artificielle qui commence à faire des morceaux par elle-même, ça fout les jetons. Ce n’est pas encore au top, mais s’ils y arrivent, ça voudra dire qu’on est là sur Terre pour faire quoi ? Rien ? Tout le monde va se laisser aller allongé dans son canapé à regarder la vie passer devant soi. »
Vous avez communiqué le 31 mai sur quelques retards que vous avez rencontrés. Peux-tu nous expliquer ?
C’était dû au fait que nous créons notre label. Nous sommes un petit peu novices en la matière et nous avons fait une grosse erreur dans la préparation de la sortie : il manquait un document, ce qui a fait que les albums ont été ralentis dans la livraison. Nous faisons vraiment tout, tout seuls, donc j’ai vraiment mis ma tête dedans pour essayer de bien comprendre ce qui se passait et nous nous en sommes sortis ! Je pense qu’il faut reconnaître ses erreurs. Nous en avons fait une, ce n’est absolument pas la faute du distributeur qui n’y est vraiment pour rien. C’est compliqué de faire un label… enfin, nous n’avons pas vraiment fait un label, mais de s’occuper d’un groupe tout seuls. Il n’y a vraiment personne qui nous aide, à part l’ancien patron d’Overpowered qui nous file encore un coup de main – de loin, mais il est toujours là pour veiller au grain. Respect à tous ceux qui gèrent un label ! Déjà, un groupe, c’est compliqué, alors j’imagine quand tu en as trente…
Ça s’est donc fini en bons termes avec Overpowered Records…
Oui, carrément. C’est lui qui a décidé d’arrêter son label. C’est vraiment quelqu’un qui nous aide beaucoup.
J’ai l’impression qu’avant la sortie de l’album vous n’avez pas diffusé de single, ou alors de façon confidentielle : est-ce voulu pour inciter l’auditeur à écouter l’album dans son intégralité ?
Il y a eu quand même deux singles, mais c’est vrai qu’étant en réseau fermé, tu n’es peut-être pas tombé dessus. Nous avions commencé avec une reprise de Depeche Mode le 17 avril et ensuite, nous avons enchaîné sur le premier morceau, « Pseudopodic Phantasm », en premier single et le second, « Not Icarus », en deuxième single. Effectivement, le but était de lancer l’auditeur dans l’écoute de l’album du début à la fin. Nous avons aussi en projet de faire un clip, mais que nous diffuserons probablement à la rentrée, en octobre ou novembre. Nous nous laissons un peu de temps là-dessus, mais oui, nous allons relancer l’album avec un titre en clip. En espérant que le projet aboutisse, mais logiquement, ça devrait le faire !
En réécoutant l’ensemble de votre discographie, le son et la production évoluent, mais chaque album présente un ancrage dans son époque. Par exemple, Anomaly, Room Seven et Chronophobia transpirent vraiment les années 90, tandis qu’on ne doute pas que Dissymmetry et Octa sont des albums modernes. Ressens-tu un peu la même chose ?
Oui, c’est un petit peu le but, et c’est un peu notre vie, car nous n’avons pratiquement fait que ça de notre vie, de la musique, depuis trente-cinq ans avec mon frère, du coup c’est un peu nos madeleines de Proust. Je vais écouter Anomaly et j’aurai carrément des visions de l’époque. C’est un peu un album de famille, si tu veux. A chaque fois que j’écoute un album de S.U.P., je me replonge dans l’année de la sortie de l’album, ce qui s’est passé dans ma vie, etc. Et c’est vrai que c’est très connoté par la période, tu as tout à fait raison, même si je trouve que… Forcément, ça a vieilli, mais en ce qui me concerne, ça garde toujours une sorte de charme, qui n’était pas vraiment intentionnel à l’époque mais qui prend de l’ampleur avec le recul. En tout cas, nous avons beau être nostalgiques de ce que nous avons fait, je ne tomberai pas dans le fait de repartir en arrière. Notre vision est toujours d’aller de l’avant. Nous n’allons pas refaire du Anomaly. C’est justement pour ça que nous avons carrément arrêté Supuration, car nous voulons vraiment progresser. Je pense que Ludo a déjà des idées pour un prochain album et c’est certain qu’il sera encore différent d’Octa, de Dissymmetry et de tous les albums précédents de S.U.P.
Vous revendiquez l’appellation new goth metal sur YouTube…
C’est difficile de trouver un nom assez attractif pour essayer de faire écouter les albums. New goth metal… Je ne sais pas si c’est vraiment le bon terme. Nos influences principales, c’est vraiment plus la new wave des années 80 avec du metal, mais c’est quand même beaucoup plus connoté metal et death metal avec les growls. On ressent le côté gothique surtout par les textes, peut-être, le côté dramatique et fleur bleue qui peut ressortir des histoires. Mais je ne sais pas… C’est difficile. J’avais trouvé new goth metal, mais je ne sais pas si ça convient.
« Quand nous écoutons à quatre la démo, nous trouvons toujours que les idées de Ludo sont tellement intéressantes que c’est difficile de quitter le projet. Nous nous disons : ‘Putain, il a encore trouvé des trucs qui sont vraiment excellents !' »
Dans S.U.P., il y a toujours un riff un peu hypnotique qui reste en tête un long moment. Est-ce quelque chose que tu recherches ?
Oui, c’est vrai. Nous essayons de faire un album assez éclectique, diversifié, et c’est vrai que nous nous raccrochons toujours à ce genre de riff un peu hypnotique pour aller vers quelque chose de lancinant ou répétitif pour que l’auditeur puisse rentrer dans le morceau. Je pense par exemple au morceau « Queen Quintessence », le cinquième. Ça permet de bien rentrer dans l’histoire, de bien s’imprégner du morceau, tout en essayant toujours d’avoir une sorte de surprise vers la fin, une sorte de dénouement plus mélodique. Ce sont des constantes. C’est un petit peu comme les albums de Metallica à l’époque : il y avait toujours une sorte de slow, un morceau rapide, un morceau un peu plus doom, etc. Nous essayons de reconstituer ça dans les albums de S.U.P. pour vraiment diversifier l’écoute, et forcément, il y a toujours ce côté répétitif ou lancinant qui va revenir.
Il y a même un côté aliénant, quelque part, qui peut se rapprocher du concept de S.U.P., en particulier avec cet album. Ce n’est pas à écouter avant de se coucher parce que sinon, ça va rythmer un peu les rêves, car ça reste dans la tête.
C’est un peu le but, et puis les rêves et les cauchemars, c’est le concept de l’album. Ce que tu dis est plutôt un compliment. Si jamais on écoute ça en s’endormant, est-ce qu’on fera des rêves ou des cauchemars… ce serait intéressant d’essayer de voir ! En tout cas, c’est vrai que nous essayons de trouver des riffs qui restent, enfin surtout Ludo car moi, j’interviens surtout dans la partie arrangement, écoute, etc. Nous retravaillons les morceaux ensemble, mais c’est surtout Ludo qui compose les titres et les riffs.
Sur quelle période Octa a-t-il majoritairement été composé ?
L’idée de faire un nouvel album a germé dans la tête de Ludo à la suite de la tournée que nous avions faite avec Gorod et Psykup en 2019. Ça a un remotivé un peu tout le monde. Cette tournée avec des gens super cool nous a reboostés. C’est à partir de là que ça a germé. Quand c’est comme ça, en général, Ludo compose un titre qui sera un peu le socle. Même si ce titre-là n’apparaît pas sur l’album, c’est lui qui définit la ligne directrice – il a toujours fait comme ça : il compose un titre, ensuite ça devient la ligne directrice, le socle. Ça a donc commencé en 2019. Après, forcément, il y a eu le confinement pendant lequel il a continué à travailler quelques titres. Au fur et à mesure des écoutes, nous rechangeons, ça évolue, jusqu’à ce que ça arrive à une démo potable avec une dizaine de titres que nous écoutons en boucle. Ensuite, nous choisissons les titres qui apparaîtront sur l’album, l’histoire, les paroles de Siobhan McCarthy et ça roule.
Le titre Octa, c’est juste parce que c’est votre huitième album ou est-ce l’acronyme de quelque chose ?
C’est vraiment parce que c’est le huitième album et je trouvais que ça sonnait plutôt pas mal, surtout que nous avions huit titres à proposer. Nous aimons bien aller au bout du bout autant que possible. Ça rappelle aussi un peu le côté géométrique que nous avons pu avoir dans des albums précédents, comme The Cube. Ça reste dans le concept un peu mathématique que nous pouvions laisser transparaître.
N’est-ce pas un truc français aussi ? Je pense au groupe de doom Monolithe qui aime aussi ce côté un peu géométrique ou à Gorod qui a un peu de ça aussi sur son dernier album.
Je ne sais pas. Peut-être. C’est vrai que quand j’ai écouté Monolithe, j’ai ressenti ce genre de chose, même dans leur clip ou leur façon de voir les choses. Gorod aussi. Je ne sais pas si c’est typiquement français, il y a certainement des groupes étrangers qui font ça.
Chez S.U.P., il y a un concept assez complet qui va au-delà de la musique. Cherchez-vous à proposer une sorte d’art total à travers S.U.P. ?
C’est ce que nous avons essayé de faire lorsque nous avons sorti l’album Chronophobia. C’est là qu’est venu le nom Spherical Unit Provided, car j’aimais bien l’idée de regrouper un peu toutes les personnes qui pouvaient apporter quelque chose à la musique, l’histoire, l’imagerie, au concept, etc. Tout ce qui peut s’apparenter à de l’art est le bienvenu dans S.U.P. C’est un peu notre ligne directrice avec Spherical Unit Provided.
« Nous n’avons pas créé le groupe en cherchant des musiciens, ça a été plus un développement de vie. J’ai tout fait avec Thierry et Ludo depuis tout petit, nous avons tout commencé ensemble, nous continuons la vie ensemble. »
Octa semble plus agressif sur les atmosphères death metal et ce chant qui semble un peu plus incisif qui fait écho à Supuration. D’un autre côté, il va aussi approfondir le côté planant de la cold wave. Que vouliez-vous pousser ou franchir avec cet album ?
Nous ne nous sommes pas mis de limites. Nous nous sommes dit que nous allions faire vraiment ce que nous voulions et ce que nous aimions. Du coup, je trouve que le chant de Ludo, surtout les growl sont hyper ressentis sur cet album, parce qu’il a vraiment vécu ce qu’il chantait. Et toutes les parties chantées claires, il les a vraiment bien travaillées, retravaillées et re-retravaillées, parce que nous écoutions beaucoup de fois les démos, il a essayé beaucoup de choses. C’est vraiment le résultat d’une recherche et nous avons réussi à faire ce que nous avions envie d’obtenir. Tout ça était donc voulu. Il n’y avait donc aucune concession. Nous aimons la new wave, la cold wave, le metal, et nous nous sommes dit que quitte à faire les choses, nous allons les faire à fond en faisant un bon mélange de tout ça, mais qu’il faut aussi que ce soit crédible, bien composé, que ça s’enchaîne bien. Nous sommes plutôt très satisfaits du résultat avec Ludo, Thierry et Fred.
Dans les années 90, vous étiez taxés de metal avant-gardiste parce que vous expérimentiez déjà avec la fusion d’influences différentes. Aujourd’hui, on en voit de plus en plus chez les groupes. Trouves-tu que ce soit une bonne chose qu’on casse certaines limites et certains codes, et qu’on mélange un peu tout ça ?
Oui, carrément. Il faut que ce soit bien fait, mais il y en a qui réussissent très bien l’exercice des mélanges. Ça a toujours plus ou moins existé. Nous étions de la génération Fear Factory, Voivod, etc., tous ces groupes qui cassaient les codes. Et puis, à l’époque, en 90, chaque groupe avait vraiment sa personnalité, il fallait vraiment trouver son truc pour se démarquer. Maintenant, je trouve qu’il y a tellement de choix, tellement de musique, c’est tellement difficile de sortir du lot que c’est devenu pratiquement une obligation de trouver sa patte. C’est plus ou moins bien réussi, mais des fois, en faisant des mélanges, ça marche. C’est vrai que nous, depuis l’album The Cube, nous nous sommes un peu inspirés de ces modes de basse à la Cure et Depeche Mode, c’était ce que nous aimions faire. Après, chacun fait comme il veut !
Conceptuellement parlant, Octa est « une plongée dans l’esprit torturé d’un homme pris au piège de cette étrange machine OCTA qui le balade de rêves en cauchemars ». Qu’est-ce qui vous a inspiré ce concept, du point de vue de la littérature, du cinéma ou des arts en général ?
Nous sommes passionnés de cinéma fantastique avec Ludo – c’est lui qui a écrit l’histoire. Là, c’est dans une prison moderne où les prisonniers sont enfermés par huit. On leur enlève leur cerveau, leur conscience, on les raccorde les uns aux autres, et le piège ou la prison est que chacun est obligé de traverser le cerveau de l’autre pour subir ou apprécier les rêves, les cauchemars et la conscience des uns et des autres. Cette machine s’appelle donc OCTA. C’est inspiré de pas mal de films, même si je ne sais pas si ça l’est vraiment directement – je n’ai pas posé la question à Ludo d’où est vraiment venue cette histoire, mais je sais qu’il regarde énormément de films, donc forcément, inconsciemment ou consciemment, il a été inspiré par quelque chose. L’univers futuriste est un peu notre truc – c’était le cas d’Anomaly, par exemple. Il y a aussi le côté gore qui était sur Dissymmetry – je sais que Ludo adore les films gore, d’où à la fin d’Octa, l’explication de l’histoire, où on lui arrache la cervelle pour l’inclure dans la machine.
On peut penser à une série comme Black Mirror qui va très loin sur ces questions-là et qui s’inspire déjà de pas mal de choses…
Je n’ai vu que le premier épisode de Black Mirror. Je t’avoue que j’étais un petit peu choqué, je ne suis pas allé plus loin. Ça m’a tellement perturbé… Mais il faudrait que je m’y replonge, car on m’a dit que c’était vraiment une super série.
Voulez-vous aussi transmettre la confusion entre le rêve et la réalité avec ce côté cold wave/new wave injecté avec parcimonie dans la musique ? Des titres de Depeche Mode ou de Bronski Beat ont ce côté évasion de la réalité et onirique…
Tu as tout à fait raison. C’est certainement fait inconsciemment, mais c’est vrai que toutes les parties qui nous font évader et partir, c’est tout le côté new wave et cold wave des morceaux. On plonge dans la réalité avec le côté growl et death metal, et peut-être qu’avec le côté new wave, c’est plus le rêve.
Justement, tu as évoqué un peu la fin et ce côté onirique qui laisse progressivement place à un côté horrifique, notamment avec l’ambiance dessinée sur le dernier titre. C’est un peu votre vision du progrès technologique, le rêve qui vire au cauchemar ?
Oui, il y a de ça. Déjà sur Anomaly, c’était le cas. L’avenir ne nous promet pas que du bon, je pense. Je trouve que l’idée d’être enfermé dans la cervelle de quelqu’un d’autre, c’est terrifiant ! Mais je ne trouve pas le progrès spécialement positif.
« Dans un groupe il ne peut y avoir qu’un seul vrai leader, il ne peut pas y en avoir deux ou trois. C’est une tête qui réfléchit, qui compose des trucs, et après, les autres l’aident à sublimer l’ensemble. Je pense que c’est ça le secret et que beaucoup de gens n’ont peut-être pas compris ça, ou ne l’acceptent pas. »
Aujourd’hui, il y a énormément de débats et d’inquiétudes sur l’intelligence artificielle. Vu que vous traitez de ces sujets-là, est-ce quelque chose qui vous inquiète ou qui vous fascine ?
Sur l’intelligence artificielle, ça me fait peur, surtout au niveau artistique, parce que si on standardise tout, ce sera compliqué d’avoir des choses qui nous font rêver. Ça va modeler au fur et à mesure l’esprit des gens jusqu’à ce que tout soit terme, monotone. J’ai écouté quelques trucs d’intelligence artificielle qui commence à faire des morceaux par elle-même, ça fout les jetons. Ce n’est pas encore au top, mais s’ils y arrivent, ça voudra dire qu’on est là sur Terre pour faire quoi ? Rien ? Tout le monde va se laisser aller allongé dans son canapé à regarder la vie passer devant soi. Je ne sais pas. Ça me fait peur. Mais c’est un thème que nous n’avons pas encore essayé.
D’un autre côté, A.K. (Decline Of The I, Neo Inferno 262) que nous avons interrogé récemment nous disait voir ça comme un outil dont on pourrait se servir et que ça ne remplacera jamais les artistes…
Pour l’instant, je n’arrive pas à trouver l’utilité de ce genre de machine. Si quelqu’un l’a trouvée, tant mieux. Si on peut se servir de ça pour créer quelque chose… De toute façon, on crée toujours quelque chose à partir d’autre chose, mais je ne sais pas, ne serait-ce que des peintures, comment on peut s’imaginer une intelligence artificielle créer tout ce que ça peut développer. Quand on regarde une œuvre, il se passe un truc. Est-ce que l’intelligence artificielle arrivera à ce stade-là ? Je ne sais pas ; je n’espère pas. Pour l’instant, j’ai du mal à me prononcer là-dessus. Tout ça est encore un peu nouveau, je ne m’y suis pas trop intéressé.
Revenons un peu à l’histoire de S.U.P. Vous aviez déjà évoqué le sujet la dernière fois, mais le line-up de S.U.P. n’a pas bougé depuis 1999. Comment garde-t-on une telle synergie dans un groupe ? Les groupes qui ne se séparent pas ou qui ont très peu de membres qui sont partis, c’est rare…
Nous sommes tous des passionnés et des fans de S.U.P. En étant fans de la musique que nous faisons, quand nous écoutons à quatre la démo, nous trouvons toujours que les idées de Ludo sont tellement intéressantes que c’est difficile de quitter le projet. Nous nous disons : « Putain, il a encore trouvé des trucs qui sont vraiment excellents ! » Et nous sommes tous amis de très longue date. Thierry est quand même un ami depuis la maternelle ! Fred, c’est pareil avec Ludo. Nous nous connaissons depuis super longtemps. C’est une famille. C’est pour ça : nous n’avons pas créé le groupe en cherchant des musiciens, ça a été plus un développement de vie. J’ai tout fait avec Thierry et Ludo depuis tout petit, nous avons tout commencé ensemble, nous continuons la vie ensemble. Je n’envisage pas que quelqu’un quitte le groupe, de toute façon. Si c’était le cas, ce serait très compliqué de rebondir. Nous sommes tous impliqués les uns avec les autres. S.U.P. sans Thierry, est-ce que ce serait vraiment S.U.P. ? Fred, qui a vraiment bien intégré le groupe depuis si longtemps, je trouve qu’il s’est surpassé sur Octa avec les basses. Chacun, nous nous impliquons davantage d’album en album. C’est un petit peu notre leitmotiv. Nous attendons avec impatience de nous voir, de répéter, de faire des choses ensemble, même si des fois nous ne répétons pas et que nous ne faisons que discuter, c’est déjà super. Il arrive que nous nous disputions, mais nous passons toujours de super moments ensemble. C’est peut-être ça le secret : il faut bien s’entendre avec les gens avec qui on est et être tous sur la même longueur d’onde. Surtout, un truc important, c’est que – Ludo dirait ça car ça fait longtemps qu’il y pense et il a raison – dans un groupe il ne peut y avoir qu’un seul vrai leader, il ne peut pas y en avoir deux ou trois. C’est une tête qui réfléchit, qui compose des trucs, et après, les autres l’aident à sublimer l’ensemble. Je pense que c’est ça le secret et que beaucoup de gens n’ont peut-être pas compris ça, ou ne l’acceptent pas. Il faut l’accepter. Il faut que chacun ait un rôle à jouer, plutôt que de dire « moi, je veux être le meilleur, c’est moi qui vais faire les trucs ». Le « moi je » ne peut pas exister dans un groupe. La longévité d’un groupe, c’est de faire des concessions, un peu comme dans un couple. Si tu ne fais pas de concessions, ça ne peut pas fonctionner. Tout le monde est différent. Il faut accepter les autres et quand tu as compris ça, que tu mets ton égo de côté, je pense que tu peux tenir longtemps.
Avez-vous des perspectives pour le live pour porter cet album ?
Nous n’avons absolument aucune piste pour l’instant. Déjà, nous [étions] super contents de jouer avec Voivod. Tu n’imagines même pas comme ça nous a scotchés ! Pour nous, c’est LE groupe. C’est une grosse influence pour nous et de pouvoir jouer avec eux, c’est vraiment super. Rien que ça, nous sommes contents. Nous ne recherchons pas vraiment à faire des concerts. Tu sais, maintenant, ça fait tellement longtemps que nous faisons ça que nous ne cherchons pas vraiment. Si nous avons de bonnes opportunités, nous les acceptons, mais pour l’instant, il n’y a pas vraiment d’autres dates de concerts qui se profilent. Après, une tournée comme nous l’avons fait avec Gorod, grâce à Overpowered et Base Production, ça coûte quand même un petit peu d’argent, donc il faut bien réfléchir quand on fait ce genre de truc. Est-ce que ça sera rentabilisé ? Il y a plein de choses à penser, parce que maintenant, quand on fait un concert, il faut déjà déclarer tout le monde, il y a beaucoup de contraintes, comparé aux années 90 où on pouvait faire un concert en disant « allez, on y va », se faire défrayer et c’est tout. Si tu veux un petit peu de technique, de lumière, du son, forcément les gens viennent, ils travaillent, il faut les payer, c’est un minimum et ça coûte un petit peu d’argent. On ne va pas non plus planter les assos et les gens de bonne volonté qui veulent se faire plaisir.
Tu parlais d’« idées pour un prochain album ». Ça veut dire qu’il est déjà en vue ?
Oui, de loin. Le projet de faire un prochain album germe tout doucement. Nous avons planté la graine dans la tête de Ludo.
Interview réalisée par téléphone le 31 mai 2023 par Jean-Florian Garel.
Retranscription : Nicolas Gricourt.
Photos : Mylène Van Laere.
Site officiel de S.U.P. : www.supuration.fr
Superbe article,
Merci Jean-Florian.