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Interview   

S.U.P. : schizophrénie et damnation


S.U.P. sait se faire désirer. Car que l’attente a été longue ! Aussi longue qu’Hegemony, dernier album en date, était bon, ce qui n’a fait que contribuer à l’impression que ces onze années étaient interminables : on en voulait plus et on savait qu’ils avaient plus à offrir. Pourtant les frères Loez, Thierry Berger et Frédéric Fievez ne se sont pas tournés les pouces, bouclant la boucle avec l’entité alter ego Supuration : fin du triptyque du Cube avec CU3E et un coup de jeune donné à de vieilles démos via Reveries, sans parler des diverses tournées, du projet de bande dessinée encore en cours de travail, de la chaîne YouTube We Love It Loud…

Mais il était grand temps de retrouver une dose de ce metal singulier, piochant autant dans le death metal que dans le gothique ou la cold wave, et ses concepts de science-fiction horrifique. En ça, Dissymmetry tient ses promesses et il y a fort à parier que sa « poésie gorifique », pour reprendre les termes des frères Loez, va longtemps nous hanter.

Impossible de ne pas marquer le coup : alors que nous avions les deux frangins sous la main, nous n’allions pas les lâcher. L’interview qui suit revient sur la longue attente pour aboutir à Dissymmetry, sa conception et son concept. Mais nous en profitons également pour remonter le temps, trente ans en arrière, exactement, lorsqu’un groupe du nom d’Etsicroxe était formé avant de muter en Supuration, puis S.U.P. De l’impact de l’environnement dans lequel ils ont grandi, dans le Nord-Pas-de-Calais, à l’état d’esprit d’un groupe qui a refusé des premières parties de Metallica et Rammstein, Fabrice et Ludovic jouent le jeu de l’introspection et des confidences.

« Notre truc, c’est vraiment de surprendre les fans et de leur plaire, mais pas forcément d’acquérir de nouveaux fans. Nous n’en sommes plus à chercher la gloire [petits rires]. »

Radio Metal : Dissymmetry sort onze ans après Hegemony. Entre-temps vous vous êtes concentrés sur Supuration, en sortant CU3E et Reveries. Pourquoi avoir mis S.U.P. plus ou moins en stand-by pendant tout ce temps ?

Ludovic Loez (chant & guitare) : Pendant ce temps nous avons aussi sorti deux DVD, Traces part I et II, une sorte de collection d’images d’archives live, ainsi que des bootlegs en CD, nous avons aussi sorti des vinyles de S.U.P. par le biais d’Overpowered Records… Pour nous, c’est passé plus ou moins vite.

Fabrice Loez (guitare) : Nous avons aussi fait des musiques de courts-métrages et d’un long-métrage, Dying God, avec Metaluna Production, ce qui prend un peu de temps. Et avec Supuration, nous voulions vraiment clôturer l’aventure de la meilleure façon, donc c’est vrai que ça nous a pris du temps d’établir CU3E, déjà, et après nous nous sommes fait un kiff perso, avec Reveries, en réenregistrant les premières démos de Supuration pour terminer en beauté. Tout ça, ça prend du temps, et du coup ça a pris dix ans [rires].

Ludo : Nous avons fait un Hellfest avec S.U.P. en 2015, donc c’était déjà revenu un petit avant. Quand nous répétions, nous répétions des morceaux de S.U.P. aussi de temps en temps.

Fabrice : Et puis nous aimons bien jouer avec la frustration des gens [rires]. C’est involontaire mais c’est ce qu’il se passe. Même pour les précommandes des trucs, nous ne les faisons pas tout de suite parce que nous aimons bien que les gens soient au taquet pour écouter le disque [petits rires]. C’est nul mais…

Vous êtes un peu les Tool français, finalement.

C’est un compliment ! Merci beaucoup ! Nous adorons Tool.

Ludo : Musicalement, c’est un peu en dessous quand même…

Fabrice : Nous sommes un peu en dessous de tout [rires].

Vous êtes durs avec vous-mêmes ! Mais vous avez ce sens de l’originalité et effectivement ce côté « attente », il y a presque un petit côté mystique, même, chez S.U.P. parfois.

Oui. Nous préservons un peu ce côté-là. Nous aimons bien le mysticisme et puis nous n’aimons pas trop nous dévoiler non plus. Nous gardons un peu privé notre côté obscur.

Ludo : En termes de timing, nous avons deux ans de retard. Après, ce sont des soucis qui sont dus à des trucs de la vie qui ne sont pas de notre fait. Mais bon, si ça avait été neuf ans après Hegemony au lieu de onze ans, ça n’aurait pas beaucoup fait de différence, ça aurait été pareil.

Fabrice : Nous ne sommes plus à deux ans près. Nous aurions pu attendre encore deux ou trois ans…

Ludo : Nous aurions fait un double !

On peut avoir l’impression que vous êtes un peu à contre-courant de ce qui se passe aujourd’hui dans la scène metal : tout doit aller vite, il faut toujours avoir de l’actualité, sortir quelque chose, toujours être très présent sur les réseaux sociaux et se dévoiler. Vous, ça semble être un peu le contraire…

Oui, après, avec S.U.P. au début nous sortions un album tous les deux ans, depuis 90…

Fabrice : Il y a aussi le fait que quand on est jeune, on se dit qu’on n’a pas le temps parce que quand on aura trente ans, on ne fera plus de musique, on sera rangé, on aura un métier, etc. C’est ce que nous nous disions à chaque fois. Et puis, quand on a trente ans, on se dit qu’à quarante ans on arrête. Et quand on a quarante ans, on se dit : « Bon, en continue. » Et puis après on a le temps, du coup ! [Rires] Ça arrive comme ça parce que les mentalités évoluent. Pour nos parents, il fallait à un moment donné se ranger, avoir un métier, des enfants, une maison, et terminé. Mais maintenant, la vie est différente. Nous continuons à faire de la musique parce que ça nous plaît et si ça continue à plaire aux gens, nous continuerons. Nous avons donc un peu plus de temps, un peu plus de recul. Nous sommes moins speed.

Ludo : Après, c’est vrai que tout ce qui est metal « moderne », tous ces groupes qui font plein de trucs et sont à fond, ils ont raison. Il faut qu’ils profitent un maximum. Après, vu que ça va se terminer forcément un jour ou l’autre pour tout le monde dans l’entonnoir, il faut bien réussir à se renouveler. Il ne faut pas non plus faire quinze fois le même album, surtout pas à deux ans d’écart. Mais de toute façon, c’est comme ça, on ne pourra pas changer, tout va trop vite.

Fabrice : C’est vrai que quand tu sors album sur album, tu as tendance à faire un peu les mêmes choses. Je vais prendre l’exemple du Cube : quand nous avons sorti le Cube, nous avons tout de suite enchaîné sur un maxi, In The Sphere, qui était beaucoup plus proche du Cube. Du coup, ça ne nous a pas plu. Nous nous sommes dit : « Putain, faut pas qu’on refasse un Cube 2. Ce n’est pas le but. » Du coup, ce que nous avons fait est que nous avons sorti un truc à contre-courant, Anomaly, pour bien casser le truc. Car nous nous sommes dit qu’il ne fallait pas rester enfermé dans un cancan à chaque fois identique. Si on ressort toujours les mêmes albums, ça ne sert à rien. Or quand tu sors des albums trop rapprochés, tu as tendance à faire toujours un peu la même chose. C’est bien de prendre un peu de recul et de réfléchir à ce qu’on va faire pour surprendre les gens. Nous, c’est notre concept depuis longtemps.

« S.U.P. nous a manqué quand même. Là, nous avons retrouvé notre motivation du départ avec S.U.P., car il y a énormément d’émotions, de choses qui se passent quand nous jouons ensemble les nouveaux morceaux de S.U.P. Il y en avait un peu moins avec Supuration parce que c’était devenu un petit peu routinier. »

Aujourd’hui, vous avez mis un terme définitif à Supuration ?

S.U.P. c’est un peu Supuration, quelque part, les bases sont là. Après, faire un album de Supuration… En fait, nous n’avons pas envie de rester dans le passé, nous voyons un peu plus l’avenir. Les trucs old school, c’est bien, mais à un moment donné, c’est mieux de partir plus loin et voir l’avenir. Supuration, ça nous cantonne à 1990. Or ce n’est pas ce que nous voulons. Nous voulons quelque chose d’un peu plus futuriste, un peu plus moderne. Nous essayons de trouver du renouveau dans le metal, avec ce que nous avons envie de faire, ce que nous aimons. Nous aimons bien Supuration mais ça reste du passé pour nous. Nous n’allons donc probablement plus prendre la bannière de Supuration. Après, il ne faut jamais dire jamais. Déjà, nous n’étions pas censés faire Incubation [petits rires]. Nous avons fait Incubation, après nous avons dit que nous allions arrêter là, et nous avons fait CU3E… Mais je pense qu’un triptyque, ce n’est pas mal. Dans les albums de Supuration, à chaque fois il y a neuf titres, chaque titre correspond respectivement aux autres de chaque album, ce sont trois dimensions parallèles, disons. Le triptyque est vraiment super, je trouve. Faire un nouvel album reviendrait à dénaturer Supuration. C’est mon avis. Ce n’est probablement pas l’avis des fans de Supuration [rires].

Comment aborde-t-on l’exercice de conception d’un album quand ça fait autant de temps qu’on n’en a pas fait, en tout cas sous l’entité S.U.P. ? Est-ce que votre dynamique créative a évolué ?

Non, si ce n’est que là c’est Ludo qui a fait les textes et la musique. Parce qu’il est parti dans la dynamique de cette histoire, et à partir du moment où il m’a sorti le titre Dissymmetry, je me suis dit : « C’est parfait ! Moi, ça me va. » Nous sommes ensemble, mais sur cet album-là, c’est Ludo qui a fait ça tout seul comme un grand [petits rires] et j’étais là plus pour l’aider, pour aménager, mettre tout ce qu’il y a autour. Mais S.U.P. a toujours été en nous. Le problème est que le temps ne nous permettait pas de le faire. Quand tu fais Supuration, il faut se remettre dans l’univers de Supuration, donc on a du mal à faire un album de S.U.P., mais S.U.P. est là ; il l’a toujours été. Il y a un titre du dernier album qui a quand même été composé juste après Hegemony. C’est un petit peu le fil conducteur qui a fait que ça a déclenché le reste.

Ludo : Il s’agit de « Tribulation », la cinquième plage du CD. Mais en fait, un album de S.U.P., une fois que tu as trouvé l’histoire, c’est composé en quinze jours à trois semaines. Ce n’est pas l’inspiration artistique qui manque, c’est juste un peu de temps. Mais il suffit de trouver une belle histoire, l’envoyer à la traductrice, Siobhan Mc Carthy, qui fait nos lyrics, et après la musique est composée rapidement, il suffit de répéter un petit peu, enregistrer… Après, nous avons eu beaucoup de galères, dans le sens où nous avons mis un peu de temps à retrouver un label, Overpowered Records, après la scission avec Holy Records. Nous avons récupéré tous nos droits sur les albums de S.U.P. afin de pouvoir ressortir des vinyles. En plus, c’est un label tout nouveau, donc il faut le temps qu’il se mette en route. Sinon, l’album en lui-même a été composé en trois semaines, disons qu’en deux mois c’était plié, en comptant les répétitions et l’enregistrement, mais ça s’est étalé sur au moins deux ans. Je veux dire que même pour nous ça a été un peu long, nous avons eu des problèmes, y compris des problèmes personnels qui ne venaient pas forcément du groupe, ce qui fait que nous avons perdu environ six ou sept mois. Mais, sur le principe, cet album est terminé depuis un petit moment. Et là, ça sort à la fin du mois.

Il y a une raison particulière pour que vous ayez mis du temps à trouver un label ?

Nous n’avons pas non plus cherché. Nous sommes tombés par hasard sur ce label, par le biais d’un ami. C’était surtout la séparation avec Holy Records qui a été un peu douloureuse, dans le sens où nous n’avons pas pu récupérer nos droits au départ. Mais à partir du moment où nous avons récupéré nos droits, ça s’est mis tout doucement en branle. De toute façon, les labels, c’est devenu difficile… Là, nous sommes bien, nous sommes libres de faire ce que nous voulons. C’est le début du label, je ne sais pas si ça va durer longtemps, on verra.

Fabrice : En fait, ce qui est bien avec le label, c’est que c’est venu à nous comme ça et nous ne sommes pris par rien. Nous avons été libres de tout, artistiquement notamment. C’est ce que nous recherchons. De toute façon, nous savons très bien que nous ne deviendrons jamais riches et célèbres. Ce n’est pas le but ; le but est que nous puissions nous exprimer en faisant de la musique, en jouant ensemble à quatre avec Thierry et Fred. Nous sommes bien comme ça. Nous sortons un album. Nous essayons de le faire le plus propre possible, le plus beau, le plus intéressant. Le leitmotiv pour nous est que ça plaise vraiment aux fans de S.U.P., ceux qui écoutent S.U.P. et nous soutiennent depuis longtemps. Notre truc, c’est vraiment de surprendre les fans et de leur plaire, mais pas forcément d’acquérir de nouveaux fans. Nous n’en sommes plus à chercher la gloire [petits rires]. Et ce label-là nous permet ça. Il n’y a pas un mec qui va nous prendre la tête en disant : « Putain, maintenant, il faut faire ça… » Ah non, nous faisons ce que nous voulons. Nous n’avons plus vingt ans. Nous avons envie de faire de la belle musique, quelque chose qui nous plaît vraiment, optimiser au maximum ce côté-là, prendre notre temps, être tranquilles, pas de pression, pas de stress. C’est ce que nous avons actuellement. Nous avons un digipak, nous allons avoir un vinyle, nous partons en tournée, nous avons une belle promo, je trouve que ça va… Qu’est-ce que tu veux de plus ?

En fin de compte, cette « pause » vous a-t-elle fait du bien pour renouveler votre inspiration dans l’univers plus profond et émotionnellement complexe de S.U.P. et aboutir à Dissymmetry ?

S.U.P. nous a manqué quand même. Là, nous avons retrouvé notre motivation du départ avec S.U.P., car il y a énormément d’émotions, de choses qui se passent quand nous jouons ensemble les nouveaux morceaux de S.U.P. Il y en avait un peu moins avec Supuration parce que c’était devenu un petit peu routinier. Du coup, S.U.P. nous a manqué, quand même, pendant ces dix ans. Quand Ludo nous a sorti les morceaux, nous avons commencé à répéter et ça nous a carrément bien re-boostés. Les morceaux, pour nous – c’est normal, je ne suis pas objectif –, sont vraiment super à jouer.

« Nous sommes un peu damnés par rapport à la musique. Nous sommes un petit peu obligés de faire ça maintenant. Nous avons construit notre vie autour de ça, depuis que nous sommes tout jeunes. […] Tous nos choix de vie sont basés autour de S.U.P. et de Supuration. C’est dramatique ! »

Ludo : En fait, avec S.U.P, musicalement, nous sommes moins bridés par les codes qu’avait Supuration. Ce sont des codes musicaux très spéciaux. Il n’y a peut-être que moi qui l’entends, et ce n’est pas très grave, mais avec S.U.P., nous pouvons faire un peu plus ce que nous voulons. Nous pouvons partir dans n’importe quoi, n’importe quelle histoire, y compris musicalement dans des trucs un peu plus barrés. C’est-à-dire que l’album aurait pu partir dans un truc plus indus bizarre, par exemple. Là, ce n’est pas le cas, même si j’aurais préféré personnellement, mais ça sera peut-être pour le prochain. Là, l’album, pour nous, est une suite « logique » à Hegemony, s’il était sorti deux ans après Hegemony, ça n’aurait pas été grave.

Hegemony était un album assez accrocheur et mélodique, tout en restant évidement dans l’univers sombre très particulier de S.U.P. Là, Dissymmetry est très noir et l’atmosphère vraiment pesante, avec un sentiment de souffrance et d’oppression. On aurait pu croire qu’après la période passée sur Supuration, qui est très noir en soi de par le style pratiqué, vous auriez pris un peu le contre-pied. Mais vous êtes partis dans quelque chose de noir encore, mais différent…

Fabrice : Il y a différentes teintes de noir, on va dire. Il y a du noir plus foncé, du noir plus clair… [Petits rires]. Tu as raison… Enfin, Hegemony est glauque en même temps, car dans l’histoire c’est vraiment super dramatique, mais c’est vrai qu’avec Dissymmetry, nous sommes partis très, très loin dans la souffrance individuelle, psychologique et physique. Et j’ai l’impression que c’est magique ce qui se passe : il y a les textes, il y a la musique de Ludo, et quand ça se mélange, ça fait un tout qui nous apparaît comme ça. Ce n’est pas vraiment volontaire la liaison entre les deux, mais… En fait, Siobhan Mc Carthy, quand elle va écouter l’album avec ses textes – c’est elle qui réécrit et qui fait vraiment de beaux textes depuis Room Seven, elle ne fait pas l’histoire mais les paroles –, à chaque fois elle est surprise de la corrélation qu’il y a entre la musique et ses textes et donc l’histoire. Alors peut-être qu’en ayant l’histoire en tête, en composant, Ludo s’imprègne de ça, et à force de faire, ça vient naturellement. Il sait intuitivement quel passage il doit mettre à tel moment de l’histoire, mais c’est naturel. Je ne sais pas comment t’expliquer. On ne peut pas dire que c’est fait exprès, mais ça tombe bien.

Ludo : En fait, une fois que tu as l’histoire, tu as une musique qui se dessine et c’est rapide à faire : tu découpes ton texte en dix parcelles, donc tu as neuf ou dix morceaux. Ensuite avec les vrais lyrics de Siobhan, on découpe, et après tu vois si le mec est enfermé dans une pièce, c’est un peu stressant ou autre, ou alors c’est un truc plus aérien où il se sent mieux, quand il est drogué comme dans le dernier… En fait, ce sont dix petits courts-métrages qu’on met en musique. Du coup, c’est facile à faire… Enfin, peut-être pas pour tout le monde, mais nous, nous faisons comme ça, depuis même Anomaly il y a plus de vingt ans.

Est-ce qu’au niveau de la conception, entre l’élaboration des textes et des musiques, il y a une communication, un échange ?

Fabrice : Aucun échange. Elle n’a absolument rien écouté avant de nous envoyer les textes.

Ludo : Par contre, nous, forcément, oui. Nous avons ça en tête, nous découpons déjà les morceaux. Quand Siobhan reçoit l’histoire, c’est déjà découpé, si tu veux, en partie. C’est comme un synopsis de film, comme une sorte de storyboard. Une fois, il me semble, je ne sais plus sur quel album, la musique a été composée avant le texte, mais sinon, en général, l’histoire est écrite avant, et ensuite la musique, par morceaux. Un morceau, ce n’est pas « à la recherche du riff perdu », si tu veux. Tu n’es pas là dans ta chambre en train de faire un riff : « Ça j’aime bien, je le mets de côté et je verrai sur quel morceau je vais le mettre. » Je vais te dire une connerie, un truc pas gai, mais tu as l’histoire d’un mec qui se pend, par exemple, tu ne commences pas à faire un riff qui ressemble à du grindcore. Il faut que tu sois dans l’ambiance du mec qui se pend. Donc tu décomposes toute l’histoire, et après, tu fais morceau par morceau et, quand tu as un tout petit peu d’expérience avec ce genre de manipulation musicale, ça se fait tout seul. Après, ce n’est pas technique ce que nous faisons, donc ça va, ce n’est pas compliqué.

Fabrice : Mais à un moment, comme je disais tout à l’heure, il y a quand même un truc magique qui s’opère et qui termine le disque.

Dans l’histoire de Dissymmetry, il est question d’amputation, d’une sorte de clonage, etc. et on apprend que le protagoniste est lui-même responsable de ce qui lui arrive… Est-ce que vous pouvez nous raconter exactement de quoi il est question ?

Ludo : En fait, c’est une sorte de scientifique un peu névrosé qui décide de se recomposer. Il met deux chaises l’une face à l’autre et, avec l’aide des machines, il se décompose pour se recomposer en face. Le problème est que la machine a des défauts, et du coup, il est recomposé d’une manière un peu dissymétrique. Il se retrouve avec la jambe à la place du cou, etc. Et à la fin, la machine met en route une bande vidéo où tout est filmé, où il se voit se faire découper et remonter à l’envers.

Fabrice : Il y a un petit peu le côté schizophrène du personnage aussi, au début, quand il entend dans sa tête des voix qui le poussent à faire ça.

Et à la fin on dirait comme un effet de boucle, où tout pourrait recommencer…

Ludo : Bonne question. C’est-à-dire qu’à la fin ça reprend au début ? En fait, sur chaque album, il n’y a jamais vraiment de fin. Enfin, sauf sur Hegemony où c’est mort. Mais sur Imago, par exemple, le mec se transforme en papillon monstrueux à la fin et on pourrait très bien imaginer une suite. Là c’est pareil : la machine peut très bien se remettre en branle puis le recomposer normalement mais avec des défauts mentaux, par exemple, c’est possible. Donc il y a une forme de boucle. Donc ça peut continuer ad vitam aeternam, s’il ne meure pas – car avec toutes les drogues qu’il se prend, s’il ne meurt pas, il aura de la chance !

Fabrice : Et c’est vrai aussi que nous avons voulu mettre une sorte d’outro qui refait penser à l’intro pour inciter à remettre au début. Quand tu mets l’album et qu’il tourne en boucle, tu n’as pas l’impression qu’il y a une fin, c’est toujours en continu. C’était un peu volontaire. Après, c’est bien que chacun ait sa propre interprétation. Même sans lire les textes, tu écoutes l’album, en comprenant quelques bribes de phrases, surtout dans les chants clairs, et tu peux te faire ta propre histoire, et ça c’est intéressant aussi. C’est ce qui se passe pour pas mal de gens.

« Ici, à l’époque où nous avons commencé, il y avait encore des terrils, de grandes montagnes de charbon qui ressortaient du sol. Nous étions entourés de trucs comme ça, c’était vachement sombre, noir, il y avait toujours plein de poussière dans la maison, partout, car nous habitions à côté de la mine. Notre jeunesse, c’était ça. Et peut-être que c’est ça qui fait notre côté un petit peu froid, sombre. »

Quelle est la moralité ou le message de cette histoire ?

Il ne faut pas se décomposer pour changer de chaise. C’est mal [rires]. Non, je n’en sais rien.

Ludo : Il n’y a pas vraiment de moralité.

Fabrice : Nous n’avons jamais été un groupe moralisateur. Nous ne donnons pas de leçon. Ce sont des histoires de science-fiction, c’est tout.

Ludo : A ne pas reproduire chez vous [rires].

Vous avez l’air d’être très dans la transformation de l’être, ce qu’on retrouvait dans Imago justement…

Et dans Angelus aussi, quand le prêtre se transforme en extraterrestre. Dans Hegemony, il y a les hommes-plantes, des hommes « herbacés », on va dire.

Fabrice : C’est marrant, dans le film Prometheus, il y a une sorte d’hybride au début et franchement, quand j’ai vu ça, je me suis dit que c’était carrément le personnage d’Hegemony. Je l’imaginais comme ça ! C’est un être un peu dégénéré, transformé par l’ADN. Room Seven, par contre, il n’y a pas de transformation.

Ludo : Imago, quand tu regardes, ça peut rappeler La Mouche. Donc c’est beaucoup par rapport aux films de science-fiction. Après, Dissymmetry, ce n’est pas tant une transformation qu’un déchiquetage de chair, c’est un peu plus « gorifique ». C’est moins sympa que de devenir un papillon.

Fabrice : Ludo voulait faire une poésie gorifique au départ, mise en musique [rires].

On parlait plus tôt de l’adéquation entre la musique et les textes, et ça donne en soi quelque chose de très cinématographique. Le cinéma, c’est votre grande source d’inspiration ?

Ludo : Forcément, et c’est le cas depuis Anomaly, car ça aide beaucoup. Quand tu as des images dans la tête, la musique vient toute seule. Si tu parles de guerres, tu joues dans Bolt Thrower, si tu parles de science-fiction, tu peux jouer dans S.U.P. ou dans Voivod.

Fabrice : Après, nous adorons ça depuis tellement longtemps que forcément ça influe sur les histoires, il y a toujours des trucs qui reviennent. Nous n’inventons rien. C’est difficile d’inventer un truc ; nous aimerions bien trouver un truc hyper innovant. Là, par exemple, je sais que Ludo dernièrement était à fond dans Tusk et Human Centipede, des trucs comme ça. Donc, à mon avis, ça doit jouer sur l’écriture. Mais Tusk, c’est ce qui se rapprocherait le plus de Dissymmetry, je trouve.

Ludo : Ouais, c’est chirurgical. Ça pourrait. Pour ceux qui ne l’ont pas vu, Tusk est à voir. Par contre, pas à midi, il faut regarder ça après manger.

Fabrice : Même pas après manger [rires]. Mais en tout cas, ce côté cinématographique est vraiment ce que nous recherchons depuis le début. Nous aurions adoré, avec Ludo, faire des films, mais après c’est du budget et nous n’avons pas d’argent, donc c’est compliqué.

Il y a aussi les séries aujourd’hui qui, j’ai l’impression, prennent de plus en plus le pas sur les films, notamment en termes de créativité.

Oui, carrément. Je suis à fond dans les séries. J’en regarde plein, des biens, des moins bien. J’aime bien regarder des séries parce que c’est long, il se passe plein de trucs. Dans Games Of Thrones, tu attends la suite, c’est super bien foutu, c’est un très long film. Ça a commencé au cinéma avec Le Seigneur Des Anneaux, de grandes trilogies de neuf heures, et du coup en petites séquences de 45 minutes, ce n’est pas mal.

Ludo : Un des trucs qui m’ont marqué personnellement, ce n’est pas vraiment une série, mais c’était La Quatrième Dimension. Chaque épisode avait son histoire propre et originale. C’était vachement bien. Nous avons baigné dedans quand nous étions tout petits, donc forcément nous ne sommes pas très marginaux dans les textes. Ce qui se passe dans la vie réelle, c’est bien, c’est comme ça, on ne peut rien faire, à moins de mettre un gilet jaune et foutre un peu le binz sans qu’il y ait trop de casse. Après, c’est quand même mieux de s’évader et parler d’autre chose que de la vie réelle. Il y a tellement de groupes qui font ça mieux que nous. Nous, nous préférons partir dans d’autres sphères et raconter des choses qui ne sont pas réelles ou qui sont paranormales.

Le texte est écrit à la première personne ; c’est donc le personnage qui raconte son histoire pendant qu’elle se produit : c’est votre façon d’impliquer l’auditeur, de le mettre à la place du protagoniste et de le faire vivre son histoire comme s’il la vivait lui-même, plutôt que d’en être seulement spectateur ?

C’est comme ça presque sur tous les albums, quand tu regardes bien. Sauf sur Anomaly où il y avait plusieurs personnages.

Fabrice : C’est vrai que pour impliquer l’auditeur, c’est ce qu’il y a de mieux. De toute façon Ludo, même pour lui, quand il chante, s’il parle à la première personne, il s’implique beaucoup plus dans l’histoire, ce qui fait ressortir beaucoup plus d’émotion et il a beaucoup plus d’idées qui lui viennent en tête. Ludo m’expliquait qu’en chantant, il s’était fait lui-même décapiter plusieurs fois [petits rires]. Car à force de lire les textes, il l’a vécu et je pense que ça se ressent dans l’album, en fin de compte. Nous avons pris cette décision de ne pas parler à la troisième personne pour ne pas raconter une histoire. Il y a très longtemps déjà, nous nous étions dit que c’était mieux de parler à la première personne et d’impliquer vraiment l’auditeur. Je suis vraiment fan des albums comme ça, où tu rentres dans l’histoire parce que tu es impliqué dans le truc. Quand on parle à la troisième personne, on est juste spectateur. Alors qu’à la première personne, quand on rentre dans l’univers, c’est quand même plus prenant.

« Les premiers albums de Depeche Mode, c’était un peu froid aussi. A l’époque on les traitait de pédés, mais d’un autre côté c’est quand même plus brutal, plus froid et plus dark que certains groupes de metal que je peux entendre aujourd’hui. Sans critiquer, mais bon… »

Sur un autre sujet, cette année est une année anniversaire, puisqu’il y a tout juste trente ans, vous avez formé le groupe Etsicroxe, qui était les prémices de Supuration et S.U.P. Pouvez-vous nous parler de cette époque ?

En 89, c’étaient les débuts de Supuration…

Ludo : Oui, nous avons fait les deux la même année.

Fabrice : La période Etsicroxe était vraiment très courte. Tu sais, Thierry, je le connais depuis la maternelle. C’est mon copain d’enfance. Et avec Ludo, nous avons toujours fait tout à trois.

Ludo : Au début, il y avait un autre groupe. Un groupe où on chantait en français. Il y a eu une petite démo vite fait dans le garage des parents de Thierry. Après, avec Etsicroxe, nous avions fait une démo de quatre titres que nous avons aussi enregistrés comme des punks chez les parents de Thierry. Après, c’est ressorti chez Xtreem Music, en Espagne, avec un live que nous avions fait avec Loudblast en 89 aussi, je crois…

Fabrice : Et Scrotum ! C’était un split LP que Francis Depreux (manageur de Scrotum, NDLR) avait sorti en cassette.

Ludo : Après, Supuration, la première démo c’était en juin 1990, et puis en octobre, nous sommes partis en studio faire Sultry Obsession, après ça s’est enquillé avec la Promo Tape ’91, après le Cube en 92, qui est sorti en 93… C’étaient les débuts, j’avais quel âge ? J’avais quatorze, quinze ans, donc forcément nous avons fait plein de trucs, nous étions excités comme des puces. Puis après ça s’est vite calmé. Mais nous avons commencé hyper jeunes, c’est peut-être pour ça que nous ne paraissons pas trop vieux, même si nous le sommes.

Fabrice : Tu sais, Ludo, j’ai pensé à un truc la dernière fois : le premier nom de groupe que nous avions trouvé dans le dictionnaire avec Thierry, nous étions à trois, tu te souviens ? C’était Otherwise, ce qui veut dire « autrement », et déjà à l’époque, nous voulions faire de la musique différemment, je crois. Inconsciemment, c’est peut-être ce qui s’est passé.

C’était quoi votre ambition durant ces premières années ?

Ludo : Devenir riches et célèbres. Mais nous avons vite arrêté [rires].

Fabrice : Non, je ne sais pas. Nous ne savions pas jouer mais nous voulions faire de la musique. De toute façon, nous ne savons toujours pas jouer [rires]. Parce que quand je vois vraiment les jeunes musiciens comment ils jouent, wow. Nous, nous ne savons pas jouer, mais nous faisons quand même de la musique. Comme quoi…

Pourquoi avoir successivement changé de nom, là où la plupart des autres groupes ayant fait évoluer leur musique n’ont pas pris cette peine ? Je pense à Anathema ou même Paradise Lost…

Mais tu le dis toi-même, regarde : Anathema, ça sonne à mort ! Paradise Lost, ça sonne ! Supuration, sérieux… [Rires] Ce n’est quand même pas pareil. Ça ne sonne pas pareil quand tu fais du gothique.

Ludo : Par rapport à Anathema, c’est intéressant, parce qu’eux ont changé du tout au tout.

Fabrice : Mais ça marchait bien. Le nom peut rester. Anathema, c’est beau comme nom, ça sonne.

Ludo : Supuration, c’était parce qu’au début, nous faisions beaucoup de grindcore. Et sur le Cube, nous avons changé un peu de style, c’était moins bourrin, et aussi de logo qui était plus futuriste, mais nous avons quand même gardé le nom. Mais c’est une bonne question…

Avec les allers-retours entre les deux entités, Supuration et S.U.P., l’idée de dissymétrie voire de schizophrénie est un petit peu inhérente à la formation, non ?

Oui. Après, nous ne sommes pas bipolaires, si tu veux savoir. Pas encore, en tout cas. Avec Supuration, nous avons de super souvenirs de plein de trucs. Nous avons fait nos dents dessus. Après, avec S.U.P., nous avons tout plaqué, nous pensions que nous allions nous faire planter par tout le monde, ça n’a pas été le cas du tout. A l’époque, chez PIAS, ça s’est bien passé, nous nous sommes sentis un petit peu aidés. Mais nous n’avons pas non plus laissé tomber Supuration. Nous avons fait un retour en 2003 avec Incubation parce que beaucoup de personnes nous demandaient de refaire un Supuration. Du coup, nous avons fait un préquelle, le premier épisode de la trilogie. Et puis en 2013, nous nous sommes dit que nous allions en faire un troisième pour faire un triptyque. Mais ce sont les mêmes mecs qui jouent dedans. Sauf que dans Supuration, ce sont les mêmes codes sur trois albums, tu peux écouter les trois d’affilée et tu verras que ça fera un album complet, ça ne fera pas une cacophonie. Alors que S.U.P. c’est vraiment à part à chaque fois.

Fabrice : En fait, ce que je pense vraiment, c’est que nous sommes un peu damnés par rapport à la musique. Nous sommes un petit peu obligés de faire ça maintenant. Nous avons construit notre vie autour de ça, depuis que nous sommes tout jeunes. Toute notre vie tourne autour de Supuratuion et S.U.P. Nous avons été modelés par ça. Donc forcément, ça se ressent même dans nos personnalités, tu as peut-être raison, peut-être que nous avons un petit côté schizophrène qui se ressent dans les deux formations. Je ne sais pas. Quelque part, c’est triste, quand même. Tu te rends compte ? Nous avons construit notre vie autour de ça ! Toute notre vie tourne autour de ça ! Je ne sais même pas comment les groupes peuvent dire : « Moi, je vais arrêter. » Tu comprends ? C’est dur. Tous nos choix de vie sont basés autour de S.U.P. et de Supuration. C’est dramatique ! C’est peut-être de là que vient un petit peu le côté froid de notre musique. Au fur et à mesure, ça va peut-être être de pire en pire.

Vous avez l’impression d’être piégés dans cette carrière ?

Oui, tout à fait. C’est carrément « piégé ». Nous ne pouvons plus avoir une vie normale. J’ai l’impression qu’on est dans C’est Mon Choix [rires].

Vous êtes originaires du Nord-Pas-de-Calais.

Ludo : Des Hauts-de-France ! [Rires]

« Quand Metallica a joué au Mainsquare, on nous a proposé de faire la première partie. Mais en fait, ça ne nous intéresse pas. […] Rammstein aussi, on nous a proposé de faire leur première partie et nous avons refusé, parce que ça ne nous intéresse pas de jouer devant du monde. Nous jouons du S.U.P., nous avons envie de jouer pour des fans de S.U.P. Nous n’avons pas envie de jouer pour des gens qui s’en branlent. »

Ma question repose peut-être sur un cliché, mais jusqu’à quel point l’environnement dans lequel vous avez grandi, dans cette région, peut-il en partie expliquer la teneur de votre musique, son côté froid et sombre ?

Fabrice : Tu as carrément raison. Car c’est une question que nous nous sommes déjà posée. Nous nous sommes dit, à un moment donné, qu’il faisait toujours froid et que ce que nous avions à faire, c’était de nous réchauffer à faire de la musique. Mais imagine, tu es carrément à Cannes ou à côté de la mer : tu n’as pas envie de répéter l’après-midi, tu as envie d’aller à la plage ! Pour être un peu plus sérieux, c’est vrai que nous venons d’une famille de mineurs – notre père était mineur et le père de Thierry travaillait aussi dans ces trucs-là. Nous n’étions pas gâtés, donc il fallait que nous arrivions à sortir de ça. Parce qu’ici, à l’époque où nous avons commencé, il y avait encore des terrils, de grandes montagnes de charbon qui ressortaient du sol. Nous étions entourés de trucs comme ça, c’était vachement sombre, noir, il y avait toujours plein de poussière dans la maison, partout, car nous habitions à côté de la mine. Notre jeunesse, c’était ça. Et peut-être que c’est ça qui fait notre côté un petit peu froid, sombre. Nous étions aussi fans de cold wave, ça joue peut-être aussi.

Ludo : Les premiers albums de Depeche Mode, c’était un peu froid aussi. A l’époque on les traitait de pédés, mais d’un autre côté c’est quand même plus brutal, plus froid et plus dark que certains groupes de metal que je peux entendre aujourd’hui. Sans critiquer, mais bon… Ceci dit, géographiquement parlant, tu as eu Agressor qui répétait dans le Sud. Après, tu as Gojira qui sont du Sud-Ouest, ils répétaient aussi. Ils devaient avoir chaud, tant pis pour eux. Nous, nous n’avons jamais eu chaud ! Nous ne sommes pas moroses, mais notre musique, nous la concevons comme ça.

Fabrice : Malgré tout, je disais tout à l’heure que nous avons été damnés, piégés par ça, mais la musique nous a quand même permis de découvrir plein de choses différentes, de sortir de là.

Ludo : De toute façon, c’était ça ou le football. Autrement, il fait trop froid.

Fabrice : Oui, c’était vite réglé. Le football, c’était le dimanche matin, il caillait quand même…

Ludo : Et puis, mon parrain était musicien, il faisait des trucs, ça m’intéressait. Quand je voyais une guitare dans la famille, je gratouillais un peu dessus. Du coup, après, il a fallu avoir des bonnes notes à l’école pour avoir une guitare… Ce n’est pas tombé dans notre bec comme ça tout seul.

Ludo, tu disais au début que niveau label c’est devenu difficile : c’est plus difficile aujourd’hui que ce que ça l’a été à une époque ?

A l’heure actuelle, pour un groupe qui débute, par exemple, c’est mieux de vendre ses disques tout seul, de faire tout seul, ça coûtera moins cher, d’une, et avec tous les réseaux sociaux qui existent, c’est plus rentable d’un point de vue promo de ne pas se faire vampiriser par un label réputé, à moins que ce soit sur une grosse major, chez Universal ou Sony pour les gros trucs… Mais pour un petit groupe qui débute, je pense que c’est bien de faire son propre label, ça ne coûte pas cher, et de commencer comme ça. Si jamais ça marche, on peut essayer de partir sur d’autres choses, mais les labels actuels, c’est beaucoup de VPC, on te fait miroiter beaucoup de choses… Pour moi, ce n’est plus crédible.

Fabrice : Nous, ça fait quand même longtemps que nous faisons des disques et nous avons été avec pas mal de labels, et c’est vrai qu’à l’époque, ton label payait la prod, il payait l’enregistrement, le mixage, le mastering, la pochette, etc. et c’était le distributeur qui pressait les albums ; c’est à ça que servait le label. Maintenant, ce côté-là du label, c’est le groupe qui le fait. Nous-même nous payons l’enregistrement, le mixage, l’ensemble du produit fini… Nous fournissons le produit carrément terminé au label qui va se charger de trouver une boîte de distribution et le presser. Il y a quand même vachement de trucs qui ont changé. Par contre, du reste, qu’est-ce que ça apporte ? A partir du moment où tu arrives à trouver un bon réseau de distribution ou de promotion, ça suffit, à moins d’avoir les dents longues et de chercher à devenir riche et célèbre, ce que je souhaite à tout le monde, mais ça n’arrive pas à tout le monde [petits rires].

Malgré le fait que Supuration/S.U.P. soit une entité reconnue pour son talent, son originalité et sa position de pionnier sur la scène française, vous avez toujours gardé un pied voire deux dans l’underground. Pensez-vous que pour vivre mieux, il faut vivre caché, pour ainsi dire ? Ou bien vous auriez aimé connaître un peu plus la lumière ?

Ludo : On vient de là, donc c’est vachement bien l’underground. Tu y rencontres des personnes vachement intéressantes. Après, si c’est pour aller dans la lumière aux côtés des stars et tout, nous nous en foutons un peu. Nous sommes bien à notre place là où nous sommes. Nous nous sentons bien. Pour le succès c’est trop tard.

Fabrice : A un moment donné, quand tu es jeune et que tu fais de la musique… Tu vois, Supuration, ça a quand même bien marché à l’époque, nous vendions des albums, etc. C’est vrai qu’il y a eu une petite période où ça nous a un peu monté à la tête. Ça nous est tombé dessus comme ça mais nous sommes vite retombés sur le plancher des vaches et nous nous sommes dit que nous étions mieux comme ça. Nous avons vite repris goût aux vraies valeurs, la musique, le fait de faire plaisir aux gens, etc. car ça ne nous a posé que des problèmes, en fait, de se prendre la tête. Un exemple : quand Metallica a joué au Mainsquare, on nous a proposé de faire la première partie. Mais en fait, ça ne nous intéresse pas. Nous avons dit non. Ludo a dit au producteur : « Prenez Gojira. Ce serait plus dans leur trip. » Ce sont des fans de Metallica. Rammstein aussi, on nous a proposé de faire leur première partie et nous avons refusé, parce que ça ne nous intéresse pas de jouer devant du monde. Nous jouons du S.U.P., nous avons envie de jouer pour des fans de S.U.P. Nous n’avons pas envie de jouer pour des gens qui s’en branlent.

« [Notre salle de répète fait] trois mètres, par trois, par trois. Un cube. Les prémices du Cube, c’était ça ! Nous répétions là-dedans, Ludo a fait un rêve d’un cube et, à mon avis, c’est qu’il était traumatisé par les répètes [rires]. »

Mais n’y avait-il pas dans tout ce public des gens qui auraient été intéressés de découvrir S.U.P. ?

Oui, certainement. C’est peut-être un traumatisme, mais j’ai toujours le souvenir quand nous sommes allés voir Metallica en 88 à Bruxelles, au Forest National, pour la sortie d’And Justice For All…, il y avait Queensrÿche en première partie, qui était un très bon groupe, mais nous, nous voulions voir Metallica, donc on s’en tapait grave le coquillard ! Donc ça ne servait absolument à rien, à part se faire mousser, c’est tout. Nous ne sommes plus là pour nous faire mousser. Arnaud, qui était dans l’organisation du Mainsquare et qui nous avait proposé ça, il a halluciné que nous refusions. Mais c’est comme ça. Ça ne nous aurait pas plus apporté, puisque de toute façon, nous faisons une musique… Il y en a qui disent qu’elle est froide [rires].

Du coup, que vous inspire le succès de Gojira ?

C’est bien, c’est un très bon groupe. Ce sont de très bons musiciens. Ça leur convient bien. Ça leur correspond tout à fait, donc c’est parfait. C’est vraiment le genre de groupe qui représente bien la France à l’étranger. Je trouve que le dernier album est vraiment bien. L’Enfant Sauvage, je n’ai pas trop accroché. J’étais vraiment fan des premiers albums. En plus, je les avais vus plusieurs fois et je trouvais que c’était vraiment mortel. Après j’ai un petit peu lâché, mais le dernier album, je trouve qu’il est vraiment très bien. Et ça, c’est parfait pour ce genre de groupe, l’international, le succès, etc. C’est bien pour eux, c’est vraiment le genre de personnalité à qui ça correspond. Nous, ça ne nous correspond pas. Nous serions perdus là-dedans.

Vous avez travaillé sur une adaptation en BD autour de la trilogie The Cube, en incluant Hegemony. En 2015, la moitié était faite, mais quatre ans plus tard, le projet n’a visiblement toujours pas abouti. Où ça en est ?

La BD est totalement terminée, avec les textes et tout. Maintenant, nous sommes sur la colorimétrie, nous réfléchissons à savoir si ça sera en couleurs ou pas. Et puis pour l’instant nous avons la sortie de l’album, donc j’ai mis ça un petit peu en standby. Mais sinon, tout est terminé, les 48 pages, les quatre albums – donc en comptant Hegemony. Mais c’est un projet sacrément long ! Quelque part, nous avons quand même une vie à côté, alors mélanger tout, à un moment donné, c’est long. Tous les dessins, c’est long. Remettre les textes au bon endroit, c’est long. Savoir ce qu’on va faire, quels dessins on met en valeur par rapport aux textes… C’est du boulot. Ça a été par vagues : en 2015, c’était la grande période où nous avons vraiment bien bossé, après c’est retombé un petit peu, puis nous sommes repartis. C’est Patrick Urbaniak qui fait les dessins – il a fait les premières démos et les premiers T-shirts de Supuration à l’époque ! C’est pareil, chacun sa vie, il a des trucs, c’est compliqué, c’est long, nous avons tellement de projets en même temps, on ne peut pas tout suivre. Et puis, je ne veux pas sortir des trucs à moitié faits. Donc c’est toujours en route mais nous ne savons pas comment ça va sortir. Comme je t’ai dit, ce que nous aurions aimé faire, ce sont des films, mais ça coûte trop cher, alors nous nous rabattons sur des choses un peu moins coûteuses pour mettre en images la musique. Je n’ai jamais été un gros fan de BD mais j’en ai lu quelques-unes et c’est vraiment un support intéressant, quand même. C’est compliqué de mettre le Cube en image !

Vous avez monté une sorte d’émission sur votre chaîne YouTube qui s’appelle We Love It Loud pour présenter des chansons ou albums qui vous tiennent à cœur et partager des souvenirs musicaux, des anecdotes, etc. Vous en êtes déjà au numéro 45, consacré à Metal Health de Quiet Riot. Comment l’idée de mettre ça en place vous est venue ?

Tout simplement, quand nous nous sommes mis à répéter, puis à discuter, à la fin nous nous sommes dit que ça serait bien que nous refassions comme à l’époque : tu faisais une répète, tu buvais des bières et puis tu discutais autour d’un album ou d’un morceau que tu avais écouté. Je me suis dit que c’était bien de partager ça, en repartant sur des anciens titres que nous écoutions à l’époque. Et puis c’est sans prétention. C’est hyper perso, c’est peut-être égoïste, mais ça nous permet d’archiver des souvenirs, d’en reparler, de ne pas oublier… Il faut parler du passé, il ne faut pas oublier ce que nous avons vécu, ce que nous avons fait. Nous nous sommes aperçus qu’au fur et à mesure des années, ça passe tellement vite, nous n’avons pas assez discuté de tout le passé, de tout ce que nous vivons, etc. et du coup, on oublie. Donc j’ai décidé que nous n’oublierions pas et qu’on nous filmerait en train de parler de ça, c’est intéressant. Je voulais juste que les gens qui regardent boivent une bière avec nous. Nous ne sommes pas là pour expliquer comment fonctionne une télécommande, nous sommes là pour parler de musique avec des gens. Je voulais quelque chose d’hyper simple, court, cinq à sept minutes, un petit format où les fans du groupe sont un peu avec nous et rentrent un peu dans notre intimité de groupe. Après, c’est vrai que ça dévie sur des amis, comme Jérémie Grima qui nous a aidés sur des trucs : « T’as écouté quoi toi ? Maiden ? Eh bien, on va en parler. » Nous aimons bien ce genre de petit délire entre nous. Ça nous aide à nous exprimer un petit peu sur nous-mêmes, car nous avions tendance à être introvertis. Donc je pense que ça aide un peu tout le monde. C’est bien de tout garder, mais à un moment donné, il faut pouvoir exprimer un peu et surtout ne pas oublier tout ce que nous avons pu vivre ensemble, et pouvoir en parler entre nous, ça nous renforce. We Love It Loud, ça nous a tous réunis, renforcés et remotivés. Je suis bien content qu’il y ait quand même quelques personnes qui regardent. Et puis les gens peuvent voir notre salle de répète, du coup ! Trois mètres, par trois, par trois. Un cube. Les prémices du Cube, c’était ça ! Nous répétions là-dedans, Ludo a fait un rêve d’un cube et, à mon avis, c’est qu’il était traumatisé par les répètes [rires].

Pour finir : est-ce qu’il faudra encore attendre dix ans pour un prochain album de S.U.P. ?

Non, probablement pas, parce qu’il ne va plus y avoir d’album de Supuration ! Non, mais je ne pense pas. Nous n’allons pas attendre autant de temps, c’est sûr et certain.

Interview réalisée par téléphone le 4 mars 2019 par Nicolas Gricourt.
Retranscription : Nicolas Gricourt.

Site officiel de S.U.P. : www.supuration.fr

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