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Interview   

The Rasmus célèbre la différence


Trente ans de carrière et toujours cette flamme qui refuse de s’éteindre. The Rasmus, figure incontournable de la scène finlandaise, n’a cessé d’évoluer depuis ses débuts, sans jamais renier cette mélancolie lumineuse qui fait sa signature. Porté par le succès planétaire de « In The Shadows », le quatuor aurait pu se reposer sur ses acquis, mais c’est tout le contraire. En 2019, l’arrivée d’Emilia « Emppu » Suhonen à la guitare a insufflé un nouveau souffle, une énergie et une complicité qui redonnent aujourd’hui au groupe des allures de seconde jeunesse.

C’est cette renaissance que capture Weirdo, leur nouvel album. Fidèle à leur ADN, il mélange théâtralité et fragilité, riffs accrocheurs et confessions intimes, dans ce paradoxe que Lauri Ylönen aime appeler une « tristesse positive ». Entre hymnes fédérateurs et morceaux plus sombres, le disque assume l’étiquette de « weirdo » comme une bannière fièrement brandie : une invitation à être soi-même, différent, et à transformer cette différence en force. Nous avons rencontré Lauri et Emppu à Paris, dans les locaux du Dr Feelgood, lors d’une journée promo. L’occasion d’évoquer ce nouvel opus, leur rapport à la différence et la façon dont The Rasmus continue d’évoluer.

« Les gens pouvaient utiliser le mot ‘weirdo’ comme une insulte ou quelque chose de négatif. Mais nous essayons de le célébrer, comme si tout le monde devait être bizarre, trouver son propre chemin et être différent. »

Radio Metal : Vous sortez un nouveau disque intitulé Weirdo, un mot qui peut avoir de nombreuses significations. Est-ce que vous avez l’impression que ce terme vous définit ? Pensez-vous être des « weirdo » tous les deux ?

Lauri Ylönen (chant) : Oh oui, totalement. Nous voyons ce mot sous un angle positif, comme si c’était une bonne chose d’être un peu bizarre.

Emilia « Emppu » Suhonen (guitare) : Parfois, avant, les gens pouvaient l’utiliser comme une insulte ou quelque chose de négatif. Mais nous essayons de le célébrer, comme si tout le monde devait être bizarre, trouver son propre chemin et être différent.

Lauri : Il y a beaucoup de pression venant de la société et des réseaux sociaux pour correspondre à un certain type. Surtout pour les jeunes, je pense. Quand nous avons grandi, c’était différent. C’était déjà difficile d’être soi-même, mais aujourd’hui, il semble y avoir tellement de tendances et d’idées sur la façon d’être.

Quel impact a eu sur vous le fait de vous sentir différents en grandissant ?

Je pense qu’au final, c’était une forme de force, parce que nous nous exprimions à travers notre apparence, nos coiffures, nos vêtements, notre maquillage et tout ça. C’était une sorte d’invitation pour d’autres personnes qui nous ressemblaient à nous rejoindre. C’est comme ça que j’ai rencontré mes meilleurs amis quand j’étais ado. C’est comme ça que j’ai rencontré les gars du groupe et que tout a commencé. Ce n’était pas très populaire de s’habiller comme ça, avec des vêtements vintage ou d’occasion, souvent grands, étranges, marrants.

Emilia : J’ai appris une histoire drôle une fois adulte : quelqu’un m’a dit qu’il avait essayé de me harceler à l’école parce que j’étais trop bizarre. Mais j’étais un peu au-delà du harcèlement, car je ne m’en rendais même pas compte. J’écoutais ma musique et je jouais de la guitare, j’étais tellement dans ma bulle que je ne voyais pas les moqueries.

Lauri : Je me souviens de moments où des gens voulaient me frapper parce que j’avais des plumes dans les cheveux. Ça me faisait un peu peur, oui, mais je me suis créé une sorte de bouclier. J’arrivais à ne pas voir si les gens me fixaient. Parfois, même quand nous étions déjà connus, on sortait, et mes amis me demandaient : « Ça ne t’embête pas que tout le monde te regarde ? » Et moi : « Ah bon ? Je n’avais même pas remarqué. » Ils prenaient même des photos… mais c’est une manière de se protéger.

Je pense que c’est exactement ce qu’on retrouve dans votre musique. Vous avez ce côté théâtral – tu as toujours tes plumes –, mais en même temps vous êtes vulnérables. Vous ouvrez vos émotions et allez assez loin dans ce que vous ressentez. Et les deux coexistent : vous avez des riffs accrocheurs, joyeux, mais vous transmettez aussi des vérités dures.

Oui, c’est vrai. Bien dit. Je pense que nous avons toujours eu cet élément de fantaisie dans l’univers de The Rasmus. Surtout visuellement, nous aimons jouer avec ça, le mettre en avant. Mais aussi, je pense que nous avons ajouté plus de réflexion, comme ce concept de « weirdo », ou des choses plus personnelles.

Emilia : Lauri a cette superbe expression que j’ai entendue quand j’ai rejoint le groupe il y a quatre ans. Tu décrivais la musique de The Rasmus avec l’expression « tristesse positive ». J’adore ça. C’est tellement juste à bien des égards.

En venant de Finlande, où les gens sont plutôt réservés et timides, est-ce que c’est difficile pour vous de vous ouvrir ? Est-ce que ça influence votre façon de composer ou de vous exprimer ?

Lauri : Évidemment, nous regardons le monde à travers notre prisme, notre façon d’avoir grandi. Tout ça fait partie de nous, profondément. Mais c’est aussi une bonne source d’inspiration. Et je pense que nous avons appris à être plus sociables, parce que nous avons dû le faire. Nous sommes obligés, surtout dans ce genre de situations [rires]. Parler de nous-mêmes et de notre nouvel album, c’est parfois difficile.

Emilia : Mais quelque chose au fond de nous reste intact et très finlandais, même si nous savons comment nous comporter dans différentes situations.

Lauri : Je pense que nous essayons d’éliminer tout ce que nous n’avons pas envie de faire, et d’être assez égoïstes pour dire non, parce qu’il faut se sentir bien pour tenir des décennies. Nous avons eu une carrière super longue, et chaque fois que nous nous sommes retrouvés dans une situation inconfortable, il fallait juste être égoïste et dire : je veux faire ça, pas ça. C’est un boulot étrange. Parfois les gens pensent qu’ils te possèdent, surtout quand ils sont ivres : « Viens Lauri, assieds-toi là ! » Comme si j’étais un objet, appartenant à tout le monde. Les gens peuvent être impolis, même sans le vouloir. Il y a ce côté sombre de la popularité. A la fois, il y a beaucoup d’avantages. Au fond, je suis plutôt timide, réservé, introverti même, mais j’aime le fait que les gens viennent me parler. Ça m’inspire, j’entends leurs histoires. Parfois c’est trop. Et toi aussi, je sais que tu as besoin d’une pause sociale. Surtout toi : « J’ai besoin de partir, salut, je ferme la porte, je n’arrive plus à respirer. »

« La musique que nous jouons, c’est comme la cape de Superman. Avec ma guitare, je peux tout faire, mais sans, je suis nue et exposée. »

Tu dis que tu es timide, mais en même temps, dans certains clips ou sur scène, tu te montres torse nu. Est-ce que c’est une façon d’assumer pleinement qui tu es ? De te mettre à nu dans tous les sens du terme ?

Sur scène, je suis différent. Je peux devenir quelqu’un que je ne suis pas dans la vraie vie. C’est un peu ça. Peut-être qu’au fond, j’aimerais être comme ça.

Emilia : La musique que nous jouons, c’est comme la cape de Superman. Je ressens la même chose. Avec ma guitare, je peux tout faire, mais sans, je suis nue et exposée.

Lauri : Dans beaucoup de situations, je me sens mal à l’aise, je ne sais pas quoi dire ou quoi faire, mais sur scène, je sais ce que je fais. J’ai mon équipe, mes gars, mes amis super-héros – les Quatre Fantastiques. C’est une force. De plus en plus, je vois tout ça comme un tout : le public, nos fans, les millions de personnes là dehors, ils font partie du groupe. D’une certaine façon, nous ne sommes pas seulement le groupe : eux aussi, parce qu’ils sont nos oreilles. Nous avons besoin de cette interaction, en concert, sur les réseaux sociaux. Sans eux, ça n’aurait pas de sens. Je ne suis pas du genre artiste solitaire à écrire seulement pour moi-même. Il y a toujours cette volonté : « S’il vous plaît, écoutez-moi. Trouvez-moi. » C’est l’appel romantique dans le vide.

Emilia : J’allais dire : sans le public, nous ne sommes que quatre, et pas les Quatre Fantastiques.

Dans ce nouveau disque, dans vos textes, il y a une vision parfois très personnelle tout en gardant une portée plus large. Tout le monde peut se reconnaître dans ce que vous chantez, car c’est spécifique et universel à la fois.

Lauri : Oui, je pense que ça vient peut-être avec l’âge. Quand tu es jeune, tu penses surtout à toi-même, à ta survie, tes problèmes, « moi, moi, moi ». Puis tu grandis, et tu vois les choses différemment. Parfois, je me rends compte moi-même de notre parcours en prenant du recul et c’est plus facile de réaliser : « On a fait du bien à des gens. » Nous avons joué récemment en Ukraine, pour une œuvre caritative. Voir les visages des gens, comment ils ont oublié la guerre pendant une heure grâce au concert… là tu comprends que c’est bien plus que toi-même. Et je crois que ça transparaît dans nos textes. Nous y glissons des pensées plus grandes, mais c’est souvent le point de vue d’une personne – j’aime les petites grandes choses. C’est le mieux, parce que c’est compréhensible.

Emilia : Oui, ça touche.

Pour vous, quel est le morceau qui vous parle le plus dans ce disque ?

Je dirais probablement le morceau-titre, « Weirdo ». C’est tellement finlandais.

Lauri : Tout dans ce morceau respire la Finlande. La mélodie, les paroles, l’ambiance. C’est très mélancolique, mais il y a de l’espoir. La « tristesse positive », encore une fois. Et il y a quelque chose qui vient de la musique traditionnelle finlandaise dans cette mélodie. Ce n’est pas quelque chose qu’on entend souvent dans le rock.

Emilia : C’est puissant, mais pas dans le sens d’être fort et imposant. C’est puissant d’une manière sensible, douce.

Lauri : Il y a tellement de types de héros. Je chante : « Je suis juste un weirdo, je ne serai jamais un héros. » Ce n’est pas vraiment vrai, car j’étais devant soixante mille personnes en Ukraine à leur transmettre de l’énergie positive. C’est héroïque à sa manière.

Emilia : Mais ceux qui s’appellent eux-mêmes des héros ne le sont jamais vraiment. C’est logique de le dire ainsi.

Lauri : C’est une manière de se rabaisser, très finlandaise aussi. « Je ne suis que ce type-là. » Mais j’ai vécu dix ans aux États-Unis, alors j’ai appris à me dire : « Je suis bon ! Je suis doué pour ça ! Je déchire ! » [Rires]

Emilia : Résiste à cette mentalité ! [Rires]

Donc c’est ce paradoxe que vous cultivez entre positif et tristesse ?

Lauri : Oui. Après trente ans de carrière, tu comprends la force de ça. Tu réalises qu’avec ta musique, tu peux changer un peu le monde. Même subtilement, entre les lignes. Parfois, une seule personne reçoit du courage grâce à une chanson. On entend beaucoup d’histoires de ce genre. Des gens nous disent que la musique leur a sauvé la vie. Certains veulent même se tatouer des paroles.

On a tous vécu ça, on a grandi avec des chansons qui ont changé nos vies…

Emilia : Ce sentiment est tellement fort.

« Tu réalises qu’avec ta musique, tu peux changer un peu le monde. Même subtilement, entre les lignes. Parfois, une seule personne reçoit du courage grâce à une chanson. »

Vous avez choisi d’ouvrir le disque avec « Creature Of Chaos », un titre assez lourd, avec ce riff énorme. C’était une déclaration d’intention ?

Lauri : Oui, ce morceau entre dans la catégorie des « weirdos ». Nous sommes aussi des créatures. C’est une invitation : « Rejoignez-nous ! » Beaucoup de nos fans se reconnaissent là-dedans. Nous l’avons joué en live – nous avons été en tournée aux États-Unis pendant cinq semaines.

Emilia : C’est tellement fun à jouer, le riff, les paroles. Les gens semblent adorer. C’est encore nouveau, mais ils chantaient déjà.

Lauri : Ça a un côté Joker, le film, lorsqu’il invite les exclus, pas seulement les méchants.

Emilia : C’est une histoire triste aussi.

Lauri : Oui, et ce film est beau dans ce sens : personne n’est totalement mauvais. Presque personne. Personne n’est purement maléfique. Sauf peut-être… [rires]

« Banksy » a un côté très rock, très catchy. Est-ce que c’est toi Emilia qui chantes avec Lauri ?

Emilia : Oui. Et j’aurais aussi pu répondre ce titre quand tu m’as demandé le morceau qui me parlait le plus. Les paroles ne sont pas aussi profondes, ce n’est pas censé être un texte émotionnel. C’est malin, fun, un morceau de fête. Nous allons le jouer en tournée. Mon passé dans la scène punk rock se ressent, il y a cette énergie-là.

Lauri : C’est génial d’avoir Emilia qui chante sur certains passages. Ça apporte une nouvelle dimension. Nous faisons aussi un ancien morceau, « October And April », qui était un duo avec la chanteuse de Nightwish à l’époque [Anette Olzon]. Les fans adorent, ça donne l’impression qu’on est toujours le même groupe, mais renouvelé.

C’est vrai que vos voix se mélangent bien.

Emilia : Exactement. Quand nous enregistrions « Love Is A Bitch », nous avons chanté ensemble, puis nous avons écouté : « C’est qui ? » On ne distinguait plus nos voix, elles fusionnaient totalement.

Vous avez beaucoup de références dans vos textes : Pablo Neruda, Mona Lisa, Banksy… Pourquoi avoir souhaité mettre ces artistes en avant ? Avez-vous un lien particulier avec eux ?

Lauri : Nous avons suivi Banksy en tournée, nous essayions de repérer ses œuvres dans différentes villes. C’est un graffeur mystérieux. J’ai fait du graffiti plus jeune, j’adore cette esthétique. Lui est très intelligent, très politique. Un cran au-dessus.

Emilia : C’est un défenseur des droits des animaux aussi. Il y a eu une grosse expo Banksy à Tallinn. Son travail dépasse largement le street art.

Lauri : Oui, il met beaucoup de messages. J’ai glissé certaines de ses œuvres connues dans les paroles, comme le ballon rouge attaché à une ficelle ou la fille qui tient un parapluie sous lequel il pleut – j’adore cette image. Quant à Pablo Neruda, le poète chilien, c’était surtout pour faire une rime amusante [rires].

Vous parlez aussi de passion et d’obsession dans « Bad Things ». Quelle est la chose la plus folle que vous ayez faite par amour ?

L’amour est un sentiment tellement puissant. Il te contrôle totalement. Je n’ai rien fait de méchant… peut-être après une rupture, quand on est abandonné, on pense à se venger. Mais sinon, c’est magnifique et incontrôlable. Tout le monde devient un peu ivre d’amour. C’est un état où tu ne peux plus fonctionner normalement.

Donc pas de geste fou pour prouver ton amour ?

Quand j’ai rencontré ma partenaire, je suis allé la voir avec un chiot. Je lui ai offert un chien avec un ruban : « Je t’apporte ça. » Et nous l’avons encore : Mauno a neuf ans maintenant. C’était trop romantique, comme dans un film, mais aussi un peu fou. Après coup, je me suis dit : « Et si elle avait dit non ? » J’aurais juste gardé le chien.

Emilia : C’est trop mignon.

Et toi Emilia ?

Je ne suis pas très romantique. J’ai sûrement fait des trucs dingues, embarrassants même… mais je ne les raconterai pas !

Lauri : Allez ! Nous, nous sommes de doux romantiques, et elle, c’est plutôt : « On y va ! »

Pour conclure : quel est votre prochain rêve ?

Bonne question. Nous vivons un super moment avec le groupe. Emilia nous a rejoints il y a « seulement » quatre ans, mais elle est totalement intégrée maintenant. Nous venons de signer avec le label américain Better Noise Music. C’est énorme pour nous. Nous avons l’impression d’un nouveau départ.

Emilia : Et Lauri écrit déjà plein de nouveaux morceaux, alors que l’album n’est même pas encore sorti. Nous regardons déjà vers l’avenir, avec impatience.

Interview réalisée en face à face le 3 septembre 2025 par Marion Dupont.
Retranscription & traduction : Marion Dupont.
Photos : Venla Shalin.

Site officiel de The Rasmus : therasmus.com

Acheter l’album Weirdo.



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