Après plus de dix ans à écumer l’underground et les bas-fonds parisiens, Hangman’s Chair a creusé son sillon. Le quatuor a en effet imposé un style unique, où les échos de débuts sludge se mêlent à une voix presque grunge et à une coloration cold wave. Résolument naturaliste, un parti pris rare dans le vaste monde du metal, grise, spleenétique et banlieusarde, sa musique marque des esprits à chaque album plus nombreux, et lui a ouvert les portes du label pour le coup très traditionnellement metal Nuclear Blast. De quoi avoir les moyens d’annoncer ce sixième album, A Loner, qui succède au maussade et mélancolique Banlieue Triste sorti en 2018 en fanfare, et surtout de cultiver son esthétique singulière, comme le prouvent les clips à la fois atypiques, pertinents et ingénieux de « Cold & Distant », qui met en scène la légendaire Béatrice Dalle, et de « Loner », composé d’une série de portraits documentaires, images d’une solitude urbaine très contemporaine. De quoi supposer qu’une fois de plus, ce nouvel album n’est pas censé être positif…
Avec le morceau d’ouverture « An Ode To Breakdown » (tout un programme !), le groupe prend le temps de poser le décor : sur deux minutes, une longue introduction se déploie, menée par les arpèges de guitare vaporeux de Julien Chanut, avant l’entrée en scène de riffs massifs, de la batterie noyée d’échos de Mehdi Thepegnier, qu’on imagine seul dans un vaste espace vide, et, pour finir, du chant mélancolique de Cédric Toufouti. Et en dépit d’un break ultra lourd qui rappelle les origines doom du groupe, c’est une tonalité quasiment gothique qui domine, annoncée déjà par quelques titres des albums précédents (l’instrumental « Tara » de Banlieue Triste, le break de « No One Says Goodbye Like Me » sur This Is Not Supposed To Be Positive), de la basse de l’intro de « Who Wants To Die Old » aux arrangements de « Cold & Distant » en passant par l’instrumental « Pariah And The Plague » et ses notes de synthé qui évoquent The Cure époque Seventeen Seconds / Faith / Pornography, c’est-à-dire à son plus haut (créativement) et à son plus bas (mentalement). L’univers d’Hangman’s Chair est reconnaissable à chaque instant – c’est d’ailleurs une fois de plus Francis Caste, un collaborateur de longue date, qui se charge de la production –, tant dans sa lourdeur à la Type O Negative que dans certains rituels, comme le morceau instrumental et le long titre ralenti à la tristesse flamboyante. Cette fois-ci, c’est « Storm Resounds » qui tient ce rôle, vaste et aérien au milieu de l’album. Le béton et le poids des riffs s’y dissolvent, noyés dans la reverb’ et l’écho qui semblent engloutir un chant plus plaintif et désespéré que jamais. Paradoxalement peut-être, une sensibilité presque pop déjà perceptible par le passé est plus évidente aussi, dans les mélodies entêtantes de « Second Wind » et « Cold & Distant », par exemple. De quoi toucher le fond, donc, mais peut-être aussi remonter à la surface : c’est sur le morceau de bravoure « A Thousand Miles Away » que se referme l’album. Volontaire, puissant, il entrecoupe la mélancolie de passages de pilonnage déterminés. Menés par la basse de Clément Hanvic, ils tiennent autant de la pulsion de vie que du coup de grâce…
Si sur ses deux derniers albums, c’était dans le contraste entre sludge gluant et cold wave éthérée que venait se nicher Hangman’s Chair, cette fois-ci, la balance semble plus franchement pencher du côté de la seconde – du délitement, de la désintégration. Le doom tient plus de Paradise Lost que d’Eyehategod, et semble lointain – « A Thousand Miles Away » –, comme si le groupe s’en détachait. Il en va de même du béton crasseux de Paris et sa banlieue, dont on s’éloigne comme dans une sortie de corps façon Enter The Void pour atteindre à une sorte de désespoir cosmique où la dépression prend des allures de forces de la nature (« Storm Resounds », « Second Wind »). Car c’est bien de ça qu’il semble s’agir : le groupe reste évasif, mentionnant deuils, déceptions et repli sur soi, mais l’impression de perdre pied, de ne percevoir la réalité qu’à travers un voile sombre qui émane de A Loner est une illustration assez glaçante des états dépressifs, de l’arrêt des forces vives, des épisodes dissociatifs où le monde extérieur ne semble plus qu’un lointain souvenir. Si on pourrait lui reprocher ses longueurs, elles viennent justement accentuer cette absence d’horizon, de porte de sortie : avec A Loner, Hangman’s Chair se montre remarquablement fidèle à sa vision singulière, et sans se répéter, réinvente à chaque fois la manière la plus juste de l’exprimer.
Clip vidéo de la chanson « Loner » :
Clip vidéo de la chanson « Cold & Distant » :
Album A Loner, sortie le 11 février 2022 via Nuclear Blast. Disponible à l’achat ici
P…. Ces mecs ont réussi ce que de rares groupes ont fait depuis Type O: balancer une musique ultra lourde tout en maintenant son auditeur hors apesanteur.
Je vois que Gojira et leur Magma ou Deftone scapables d’une telle prouesse.
Bien sûr j’allais oublier Klone.