Mastodon est clairement en train de s’imposer comme une figure incontournable du metal. Proposant des compositions diablement agressives ou totalement atmosphériques (sans oublier des prestations lives jouissives), le groupe a une personnalité affirmée. Ainsi lorsque l’on écoute les morceaux de The Hunter, le nouvel album du combo qui sortira chez Roadrunner Records le 26 septembre, on note toujours la présence de ce « son Mastodon » facilement reconnaissable et qui est probablement la marque des artistes qui font la différence.
Dans cette optique, lorsqu’on lit l’interview ci-dessous avec Troy Sanders, le chanteur/bassiste de Mastodon, il n’est pas étonnant d’avoir affaire à un musicien qui s’intéresse à toutes les formes d’art et qui considère le groupe d’Atlanta comme un chasseur libre de ses mouvements (extras-)musicaux. « On aime tous les types de musique, toutes les formes d’art, les voyages dans tous les endroits possibles. Tout est possible dans notre monde » déclare par exemple le musicien.
Deux ans seulement après la sortie du très bon Crack the Skye, un disque orienté metal progressif mettant en avant les harmonies et éloignant le groupe de ses origines sludge, Mastodon revient avec The Hunter et sa pochette surprenante. Un indice qui prouve que le combo va encore continuer à surprendre avec sa nouvelle offrande ? En tout cas deux titres de The Hunter, « Black Tongue » et « Curl Of The Burl », ont déjà été mis en ligne et force est de constater qu’ils envoient !
Mais laissons maintenant la parole à Troy Sanders qui, lors de l’entretien disponible ci-dessous, nous en dit plus sur The Hunter.
Interview.
Radio Metal : Crack The Skye a été un succès à la fois critique et commercial. Cet album a-t-il eu un impact sur l’écriture de votre nouveau disque, The Hunter ?
Troy Sanders (basse et chant) : Je ne pense pas. Nous avons toujours essayé d’être extrêmement passionnés vis-à-vis de ce que nous créons. Notre musique vient du cœur, c’est très authentique de la part de chacun de nous. Quand nous créons de la musique et que nous en sommes tous les quatre satisfaits, on fonce. Après des mois de travail, nous avons obtenu une série de chansons que tous les membres du groupe aimaient. Nous n’avons ressenti aucune pression, du genre : « Il faut qu’on se surpasse, qu’on fasse mieux que sur Crack The Skye » ou quelque chose du même acabit. Si on met tout notre cœur et toute notre âme dans un album, on a la certitude qu’il sera bon par lui-même.
Penses-tu que The Hunter aurait été différent si Crack The Skye n’avait pas connu un tel succès ?
Non, nous ne pensions pas du tout à Crack The Skye au moment de la composition du nouvel album. Nous n’avons pas essayé de créer de quoi plaire à un certain public ou à un certain type de fans. Nous n’avons pas cherché à plaire à nos fans old school, ni d’ailleurs aux nouveaux. C’est ce qu’on fait, c’est tout. La seule chose qu’on contrôle vraiment, c’est le fait de satisfaire les quatre membres du groupe lors de la création et de l’assemblage de tous ces riffs pour les transformer en chansons et, finalement, en album. Les succès que nous avons pu connaître par le passé n’entrent pas en ligne de compte. Nous continuons d’aller de l’avant sur le même chemin qu’on a toujours emprunté. C’est ce qu’on tente de faire au quotidien.
Penses-tu que gagner en popularité modifie la direction artistique prise par un musicien ?
Je ne pense vraiment pas que ce soit ce qu’on a fait.
Je pensais plus à d’autres groupes, en fait…
Oh, bonne question. Aucune idée ! Je ne sais pas comment fonctionnent les autres groupes quand ils se réunissent. De notre côté, il n’y a aucune idée préconçue et aucune limite, du genre : « Il ne faut surtout pas composer de truc super lent et super long. Il nous faut une ou deux chansons courtes et rapides, et autant de ballades ». Rien de tout ça ne compte quand on commence à planifier la musique que l’on souhaite écrire. Ça nous vient instinctivement. C’est comme ça qu’on travaille. Je ne sais pas ce que font les autres groupes, s’ils essaient de plaire à une certaine catégorie de personnes, s’ils veulent avoir du succès d’un point de vue commercial, s’ils veulent faire fortune ou devenir célèbres. Je ne sais pas comment ça se passe.
Mastodon est un groupe très créatif ; votre musique peut être très compliquée comme très simple, très agressive comme très mélodique. Même votre façon de hurler est originale. Vous voyez-vous comme un groupe totalement libre d’un point de vue artistique ?
Oui, tout à fait. Je ne crois pas qu’on pourrait faire autrement. Ce côté très libre qu’on a tous les quatre est là depuis le premier jour de la création du groupe. C’est encore le cas aujourd’hui. En 2005, quand nous avons signé chez Warner Bros., il a été spécifié à l’oral comme à l’écrit que nous voulions conserver un contrôle total d’un point de vue créatif.
À propos de ce nouvel album, Brent Hinds a déclaré : « Les gosses vont avoir des ennuis avec cet album. Ils vont péter les enceintes, péter les ressorts de leurs lits, se mettre une mine et se foutre à poil en public ». Avez-vous déjà fait écouter l’album à des jeunes ?
C’est ce qu’on espère que les gens ressentiront en écoutant l’album ! Après un disque comme Crack The Skye, ce nouvel album apporte une nouvelle bouffée d’énergie dans le groupe, d’une façon très positive. Il y a des titres très entraînants, comme « Blasteroid » et des titres pour bouger comme « Spectrelight ». On espère que ça donnera un coup de fouet aux fans que nous avons déjà et à ceux qui, avec un peu de chance, nous découvrirons. Oui, on veut que le public saute partout et casse des trucs ! On veut transmettre cette énergie à tous ceux qui écouteront l’album.
Était-ce une façon de vous moquer de tous ces communiqués de presse vides de sens dont se fendent les musiciens sur Blabbermouth ?
Non. Nous sommes des types positifs qui s’efforcent de ne jamais parler d’aucun sujet de façon négative. À mon sens, l’énergie négative ne sert à rien. Je suis entouré par des gars qui se nourrissent d’énergie positive. C’est une bonne chose, je suis heureux d’avoir un groupe d’amis comme eux.
La batterie a été enregistrée dans un studio différent, Sound City, à Los Angeles, là où Nirvana a enregistré son Nevermind. Pourquoi avoir choisi d’enregistrer la batterie séparément ?
Notre batteur, Brann, voulait se lancer dans quelque chose de spécial et d’un peu différent. Il voulait obtenir ce son très particulier qu’il recherche depuis longtemps, quelque chose qui ressemble à la batterie de Phil Collins à l’époque de Genesis. Il voulait se rendre dans un endroit spécial pour obtenir le son qu’il recherchait. Sound City est un studio légendaire qui a tourné pendant quarante ans. Beaucoup d’excellents albums et de grands classiques ont été enregistrés là-bas. Il y a bien sûr eu Nevermind, mais aussi le Holy Diver de Dio ou encore quatre albums de Tom Petty, entre autres « classiques ». Ce studio a donc un côté très spécial et Brann voulait vraiment y aller. Alors on a fait nos bagages et on a passé une semaine à Los Angeles pour enregistrer la batterie pour quatorze chansons ! Je suis très heureux qu’on ait fait ça parce qu’une semaine après notre passage l’immeuble a été vendu. On a l’impression d’avoir vécu un morceau d’histoire musicale.
Les parties de batterie ont toujours un rôle primordial chez Mastodon. Peux-tu nous parler un peu du processus d’écriture ? En quoi est-ce différent d’écrire un album de Mastodon par rapport à un groupe classique ?
Nous créons nos chansons de plusieurs façons mais il y en a deux principales. Premièrement, l’un de nos guitaristes peut arriver en salle de répétition avec une partie de la chanson écrite, voire la totalité de la chanson, composée sur une guitare acoustique. Il arrive souvent que Bill (Kelliher, guitare et choeurs) ou Brent (Hinds, guitare et chant) débarquent en disant : « Hey, les gars, j’ai un truc, écoutez ça ». On passe en revue ce qu’ils ont fait et on part de là. Le deuxième moyen consiste à se retrouver en répétition, à se brancher et à commencer à improviser sur quelque chose. Si quelqu’un tourne la tête et dit : « C’est cool, c’était quoi, ça ? », ou « OK, on va partir de ça », on continue à développer la mélodie jusqu’à ce qu’on obtienne une chanson. Voilà nos deux principales façons de composer.
Peux-tu nous en dire plus au sujet de l’expérience interactive qui sera disponible sur l’édition deluxe de l’album ?
C’est quelque chose qu’on appelle la « réalité augmentée ». En gros, il suffit de lever une œuvre d’art physique face à une webcam et la personne voit son visage changer automatiquement pour ressembler à la sculpture qui apparaît sur la pochette de l’album. Vous vous transformez en cette bête, qui devient vous – ou vous devenez elle. C’est un petit quelque chose de spécial grâce auquel les gens intéressés peuvent faire un pas de plus dans notre monde, découvrir notre univers davantage qu’ils le pouvaient avant. Je trouve ça très bien fichu mais ça n’a pas encore vraiment été fait avant et je ne sais pas si le public appréciera ou pas. Mais pour nous, tout ce qui peut projeter nos fans dans notre monde, même un tout petit peu, s’ils en ont l’envie et la possibilité, est assez cool.
C’est un concept assez curieux : la réalité est ce qu’elle est, elle ne peut pas être augmentée ou modifiée. Que vouliez-vous dire par là ?
Rien du tout, c’est tout simplement comme ça que s’appelle le concept. On ne s’est jamais posé de questions concernant ce nom ! (rires) On trouvait seulement que l’idée pouvait être cool pour ceux qui voudraient la tester. Je ne sais pas vraiment quoi penser de ce nom.
Penses-tu que vous pourriez aller plus loin dans l’expérimentation ?
Je l’espère. Notre groupe est ouvert à tout, même aux idées bizarres et aux concepts qui semblent totalement barrés. Je pense que nous serions prêts à envisager n’importe quelle idée sur n’importe quel sujet. Ça pourrait être une collaboration entre Mastodon et David Hasselhoff ; ça, ça pourrait déchirer ! Ça peut être n’importe quoi : écrire de la musique pour un film, aller jouer sur la banquise pour un groupe de manchots… On peut tout envisager. Nous ne sommes pas étroits d’esprit, nous sommes ouverts à toutes les idées bizarres. On est une bande de cinglés, on ferait n’importe quoi.
Même d’autres formes d’art, comme la peinture, par exemple ?
Pourquoi pas, oui. On aime tous les types de musique, toutes les formes d’art, les voyages dans tous les endroits possibles. Tout est possible dans notre monde.
Mastodon s’investit toujours beaucoup dans la création des artworks d’albums. Peut-on dire que, sans l’aspect visuel, Mastodon n’existerait pas ?
Oh, non, on existerait, c’est sûr. C’est seulement que nous ressentons un lien très fort entre l’aspect visuel et la musique elle-même. En grandissant, tous les quatre, on s’immergeait dans l’univers de nos groupes préférés en écoutant la musique, en étudiant l’artwork, en passant en revue toutes les paroles et toutes les notes – en gros, en ne faisant qu’un avec la musique qu’on écoutait. Nous voulions que cette sensation ne meure jamais. C’est la raison pour laquelle tous nos albums ont eu droit à des sorties en vinyle. Il y a un lien extrêmement important entre l’artwork et la musique.
Dans la vidéo pour le titre « Black Tongue », on peut voir A.J. Foski travailler sur l’œuvre qui orne la pochette de l’album. Penses-tu que les gens aient tendance à oublier le travail des artistes visuels ? Est-ce la raison pour laquelle vous avez fait cette vidéo ?
Oui. Le lien entre art visuel et musique est en train de se perdre. Il n’est plus du tout au même niveau qu’avant. Voilà encore quelque chose que l’on veut continuer à faire vivre. La petite vidéo de la création de la sculpture était un moyen de dire : « Regardez cette énorme sculpture en bois ; imaginez le temps, l’effort, la patience et le talent qu’il aura fallu pour créer cette bête mythique qui va se retrouver sur la couverture de notre album ». Sans ça, on peut très bien imaginer que l’image a été créée par ordinateur. Faire ce petit teaser pour « Black Tongue » était important à nos yeux car nous voulions montrer que nous accordons également beaucoup de temps, d’effort et de passion à l’artwork.
Était-ce un moyen de rappeler au public que Mastodon n’est pas seulement une affaire de musiciens mais également d’artistes visuels ?
Oui, je crois. Quand on sort un album, on a le sentiment que l’artwork est particulièrement vivant dans l’univers de Mastodon. On continuera à faire en sorte qu’ils soient tous reliés entre eux. Nous voulons un artwork épique et de la bonne musique, le pack complet.
Que va devenir la sculpture ? Avez-vous l’intention de la vendre ?
Non. Elle va être exposée dans notre studio de répétition à Atlanta. On va en faire une sorte d’autel, de source d’inspiration. Peut-être même qu’on allumera des bougies autour ! On ne sait jamais.
Fera-t-elle une apparition sur scène, peut-être ?
(rires) Non, elle est composée de tellement de morceaux de bois qu’elle est beaucoup trop fragile pour voyager.
Interview par téléphone réalisée le 23 août 2011
Transcription et traduction réalisées par Saff’
Introduction réalisée par le Doc’
Site Mastodon : www.mastodonrocks.com
Très bonne interview, avec des réponses qui sortent des sentiers battus, c’est rafraîchissant. J’ai hâte d’entendre ce que va donner cet album. Même si je ne suis pas un grand fan des albums studios (leur musique manque d’un je ne sais quoi qui fait qu’elle me touche finalement assez peu, malgé la qualité évidente des zicos), leur performance au Sonisphere m’avait agréablement surpris.
PS : La recherche d’une explicationn spirituelle au terme « réalité augmentée » m’a quand même fait sourire. Vous n’aviez jamais entendu parler de ça avant (il y a pas mal d’applis de ce genre sur iPhone, et même quelques pubs à la télé) ?
Merci pour l’interview en tout cas !