Les symboles, les interprétations et de nouvelles influences musicales fusent sur le nouvel album de Gojira. Ne serait-ce, par exemple, que sur le titre du disque, L’Enfant Sauvage, dans lequel on pourrait voir un double hommage aux origines du groupe : la France et Mère Nature. Des clins d’œils visiblement inconscients pour un groupe qui, de son propre aveu, écrit dans une véritable bulle et ne se rend compte qu’après coup, parfois en découvrant les analyses des journalistes, des multiples niveaux de lecture de sa propre musique.
Nous avons parlé avec Mario Duplantier de ce disque et disséqué avec lui l’évolution musicale et les thématiques abordées par le groupe. D’après lui, Gojira a, d’albums en albums, abordé la vie dans ses textes et son imagerie de manière progressive voire cyclique. A ce titre, L’Enfant sauvage est un nouveau départ suite à un The Way Of All Flesh centré sur la mort. Nous avons également essayé de comprendre avec lui d’où venait ce virage mélodique et ce qu’il représentait pour le groupe.
En fin d’interview Franky Costanza, batteur de Dagoba et habitué de notre antenne, s’est joint à nous afin de discuter avec Mario. Un échange émouvant entre deux batteurs se respectant énormément et qui en ont profité pour se remémorer quelques souvenirs et en faire profiter par la même occasion les auditeurs.
Réécouter l’interview :
[audio:interviews/Interview Mario Duplantier.mp3|titles=Interview Mario Duplantier (Gojira)]Radio Metal : Comment vas-tu, Mario ?
Mario Duplantier (batterie) : Je vais très bien, écoute. On est actuellement en promotion à Paris, en train de parler de notre album à longueur de journée, donc tout se passe bien. C’est cool.
Est-ce que tu le défends bien, cet album ?
Je ne sais pas si je le défends bien. Je fais ce que je peux pour en parler du mieux que je peux. Ce n’est pas toujours évident de mettre des mots sur ce qu’on fait mais c’est un bon exercice, en tout cas !
Est-ce que les choses ont changé, niveau promotion, maintenant que vous êtes chez Roadrunner ? Est-ce que vous avez besoin de faire plus de démarches, plus de travail par vous-mêmes en termes de promotion ?
Depuis qu’on a signé avec Roadrunner, l’avantage qu’il y a, c’est que tout est très bien organisé. En plus, ça couvre assez bien toutes sortes de médias : il y a des télés, des webzines, des magazines, des fanzines… Surtout, je dirais qu’au niveau du planning, c’est hyper bien rôdé. Par exemple, ça fait dix jours qu’on est dans toute l’Europe. On a commencé par la Suède, après ça on est allé en l’Angleterre, on est passé par la Belgique, hier on était en Allemagne… C’est un super moyen de couvrir tous les médias européens. C’est vraiment très efficace.
Votre nouvel album, L’Enfant Sauvage, paraîtra le 25 juin prochain. On peut y voir un double hommage à vos origines, à Mère Nature et à la France. C’est tout de même très symbolique, pour votre premier album sur une grosse écurie internationale, que vous le nommiez d’un titre français…
C’est dur parfois d’expliquer tout ce qu’on fait. Des fois, il y a peut-être même des choses inconscientes. Ce qui est sûr, c’est qu’on avait un titre issu de l’album en français, qui était « L’Enfant sauvage ». Et il s’avère qu’on n’avait pas vraiment décidé quel allait être le titre de l’album. Un jour, en studio, on regardait la liste des morceaux devant nous, et je disais à mon frère : « Il faudrait vraiment qu’on se décide pour le titre, tu penses pas ? » On est tombé sur « L’Enfant sauvage », on s’est regardé et on s’est dit : « Mais on l’a, le titre, là ! » Il y a eu un truc spontané. Donc oui, il y a une double lecture, il y a plusieurs interprétations, mais c’est vrai qu’on est un groupe français et que, aujourd’hui, on a un statut international. Peut-être qu’on voulait afficher nos racines, je ne sais pas. Et puis le nom sonne bien, c’est assez fluide, assez poétique. Je trouve que ça sonne. Ce n’est pas toujours évident de trouver un nom en français qui sonne bien, et là c’est le cas. Et puis, oui, on peut parler d’un retour aux sources. Il y a ce truc d’évolution dans la nature, un truc un peu sauvage. Les thématiques sont assez récurrentes chez nous. Il faudrait parler avec Joe parce que c’est lui qui écrit les paroles ! Il y a, quelque part, une espèce de retour aux sources. Je dirais même qu’il y a un truc cyclique dans la thématique de nos albums. Si tu prends un petit peu de recul et que tu regardes notre discographie, sur chaque album, il y a une évolution. Au début, on était sur un personnage recroquevillé sur lui-même, symbole d’introspection. Le deuxième, c’est The Link, avec un arbre qui va littéralement de la terre vers le ciel. Au troisième, on est carrément partis dans l’espace, avec une baleine, des planètes, un truc un peu psyché. Et le quatrième, on est redescendus : « The way of all flesh », la voie de toute chair, vers la mort, quelque part. C’était un peu la fin d’un cycle, ça représente un peu le deuil. Là, il y a une sorte de renaissance, avec un enfant sauvage. C’est une renaissance, le début d’un nouveau cycle, sûrement.
Pourquoi le titre éponyme est-il malgré tout chanté en anglais ?
Ouais, il est chanté en anglais. Mais pourquoi pas ! Disons que Joe a une aisance pour écrire en anglais, c’est vraiment la langue dans laquelle il se sent à l’aise. On n’a pas théorisé, on n’intellectualise pas tout ce qu’on fait ! Pourquoi pas avoir un titre en français et les paroles en anglais. Il n’y a pas vraiment de règle. Si tu traduis « L’Enfant sauvage » en anglais, ça donne « The Wild Child ». Ça fait un peu cheap, pas très classe, je trouve ! « L’Enfant sauvage », c’est plus subtil.
En anglais, c’est plus glam-rock, quoi !
Ouais, voilà ! (rires)
Ce qui frappe en écoutant l’album, c’est le travail qu’il y a eu au niveau des textures sonores, et surtout au niveau vocal. C’est vraiment travaillé au niveau de la voix de Joe. Il y a un côté massif dans ces voix en plusieurs couches, de la saturation sur la voix, beaucoup de voix claires, aussi. Et finalement, il y a une grosse mélodicité dans ces lignes de chant. Cette démarche était-elle consciente ?
Oui, bien sûr. Mais je pense que c’est aussi le reflet de l’évolution de sa voix. Joe, aujourd’hui, a plus de technique. Globalement, dans le groupe, on a aussi plus de maturité, c’est donc un travail forcément plus poussé, que ce soit au niveau de la batterie ou des guitares. Au niveau de la voix, je pense que Joe est allé vers quelque chose de plus mélodique. C’est une envie qu’il avait ces derniers temps, de pousser cette gamme-là, pousser ces mélodies, et puis oser chanter avec sa propre voix. On est dans un registre metal, où la voix saturée est une arme hyper efficace. Mais dans la voix normale, il y a quelque chose de fébrile, charmant, qui est à exploiter peut-être à l’avenir. Quand je parle de voix claire, je ne parle pas de voix mielleuse, pop ou je ne sais quoi. Mais on peut être à la fois expérimental et exprimer beaucoup d’émotions avec une voix claire aussi. Il y a cet aspect aussi qui est venu dans l’album.
Il y a cette voix claire au début de « Born In Winter » où il a cette voix légère, un peu susurrée…
Oui, « Born In Winter », c’est un peu le morceau où il s’est lâché à la voix. Au début, j’étais un peu : « Ouh la la, qu’est-ce qu’il a fait ?! » Mais, au final, on est pris par l’émotion, c’est très puissant. Je pense qu’on a des choses à dire dans ce registre. On est musiciens, on joue du metal, mais on est des amoureux de musique avant tout. On a un projet metal qui s’appelle Gojira, il y a une formule, une façon de faire. On joue dans ce terrain-là, qui a des limites. On ne va pas, demain, faire un disque de bossa nova, ce ne serait pas cohérent. On alors on changerait le nom du groupe, à la limite… Mais dans Gojira, dans cet univers, il y a beaucoup de choses à explorer, mais ça peut rester cohérent quand même.
On entend dans cet album cette esthétique à la Devin Townsend. Peut-être que Joe, en ayant collaboré avec Devin Townsend, a essayé de jouer là-dessus. Qu’est-ce que tu en penses ?
Je vais faire une analyse assez précise. Il y a eu un tournant dans le groupe quand Joe a découvert Mike Oldfield et Devin Townsend. J’ai une analyse de l’extérieur, parce que je suis batteur. Je me rappelle quand il a entendu l’album City, de Strapping Young Lad. Il y a un passage dans un morceau, je me rappelle, qui nous a tous les deux complètement bouleversés. Je ne saurais pas te dire quel morceau c’est. Mais je me souviens de ce jour-là, d’avoir senti que Joe a eu un déclic. Devin Townsend est indéniablement une grosse influence pour lui. Quand je parlais de Mike Oldfield, c’est aussi l’audace des mélodies que tu peux trouver dans l’album qui s’appelle Crisis, par exemple. Joe est toujours resté connecté à cette étrangeté dans les mélodies. Donc, ces influences sont là, oui, bien sûr.
Penses-tu que le fait que Joe ait participé au Deconstruction de Devin Townsend, que Devin Townsend lui-même ait participé à votre EP Sea Shepherd, ait pu jouer ?
Oui, forcément. Après, comme je te l’ai dit, je me répète un petit peu, mais on est tellement près de ce qu’on fait qu’on ne digère pas toujours. Maintenant que tu me dis ça, le fait que Devin Townsend ait participé à ce morceau nous a forcément influencés d’une manière ou d’une autre. En plus, on a été bluffés par la qualité de ses prises. Quand il nous a envoyé les pistes séparées, on n’en revenait pas de la précision, de la qualité, du savoir-faire. Je sais que Joe, en tant que chanteur, était vraiment soufflé. On n’en a pas forcément parlé pendant le processus de compo, pas une seule fois il ne m’a dit : « J’aimerais faire comme Devin », mais oui, sûrement, il a dû être influencé.
Sur cet album, il y a aussi une chose assez remarquable, c’est que vous avez adopté des structures de morceaux plus simples que d’habitude, plus dans la répétition et le côté hypnotique. D’où penses-tu que ça vient ? Est-ce que c’est cette maturité qui vous a amenés vers ça, ou est-ce quelque chose de plus réfléchi ?
Oui, c’est la maturité. On est plus au service de l’efficacité, du fait de créer une entité musicale simple, plutôt que de partir dans tous les sens, de faire des choses complexes et techniques. On y a mis un peu moins de technique, ou alors je dirais que la technique est un peu plus dissimulée dans la musique. Je vais parler pour moi : en tant que batteur, j’ai eu tendance à beaucoup aimer les patterns vraiment très techniques. Maintenant, je lâche un peu ça pour plutôt favoriser le groove, mais je vais quand même aller chercher des touches de techniques à droite et à gauche, mettre plus de subtilité dans les rides, les caisses claires. C’est quelque chose qu’on entend peut-être moins de prime abord. Et je crois qu’au niveau des guitares ou de la voix, on est un peu tous dans ce truc-là, c’est-à-dire un peu moins démonstratifs et que la technique devienne plus subtile pour faire place à un truc plus simple, plus massif, plus compréhensible. Mais ça ne veut pas dire un truc plus facile pour autant, tu vois ?
Ça m’amène un peu à ma prochaine question. Avec votre signature sur Roadrunner, il y a eu beaucoup d’inquiétude la part de certaines personnes, par rapport au potentiel virage commercial de Gojira, on va dire. Les structures plus simples et le fait que ce soit l’album le plus mélodique que vous ayez fait à l’heure actuelle, même si c’est dans la continuité de votre évolution, est-ce que ça ne risque pas de se retourner contre vous, du fait de la mauvaise foi que peuvent avoir les gens ?
Je vais revenir à ce que je disais juste avant, c’est-à-dire : ne pas mélanger facilité et simplicité. On est plus simples, mais pas plus faciles. Ce à quoi tu fais allusion, on n’est pas du tout là-dedans. Je trouve que le disque est plus expérimental que celui d’avant, je ne ressens donc pas ce que tu dis là. Et puis travailler avec Roadrunner, ça a été une grande surprise, parce qu’on ne savait pas dans quoi on s’engageait. On avait nous aussi une part d’anxiété, même si on savait exactement ce qu’on faisait. On a été très surpris de voir combien Roadrunner était proche de notre art. Déjà, c’est des fans de Gojira, ils veulent nous garder tel quel, on n’est plus un baby band. On leur a proposé un titre en français, ce qui est totalement anti-commercial. Ce n’est pas du tout évident pour eux de vendre un disque avec un titre en français. On peut débattre là-dessus, mais je ne pense pas que ce soit le truc le plus évident pour eux. Surtout que les Américains n’arrivent pas à dire « L’Enfant Sauvage », ils disent « Elephant Sausage » ! [rires] C’est hyper compliqué ! Donc, un titre en français, une pochette qui est dans les tons jaunes… Le jaune, dans le metal, ce n’est pas non plus la transe. Et puis des morceaux que je trouve assez expérimentaux, finalement, même à travers les mélodies. Quand on parle de mélodies, on parle plutôt d’ambiances, en fait. Et quand on parle de facilité, moi je parlerais plus de simplicité. Il y a une nuance là-dedans.
Vous faites une musique qui est, sur le papier, du death metal, il y a de grosses parties de double pédale, des grosses guitares, des voix éraillées… Et pourtant, à l’écoute de ces disques il n’y a rien d’horrifique, de morbide ou de négatif. Au contraire, on ressent paradoxalement une forme de sérénité. Est-ce que c’est quelque chose que tu ressens aussi ? Est-ce que vous avez l’impression de ressentir cette espèce de sérénité et de l’exprimer dans votre musique ?
Déjà, merci pour ce que tu dis, c’est plutôt un compliment, je le prends comme ça. On est des gros fans de death metal mais on est aussi des fans de musique classique, d’électro, ça peut partir dans tous les sens. C’est vrai qu’on a cette volonté d’ouvrir une brèche vers l’extérieur. On n’est pas dans un carcan, on ne l’a jamais été. On est vraiment fasciné par l’énergie de cette musique, par l’énergie brute. Ce n’est pas le mouvement, qui nous intéresse, ce n’est pas la panoplie, ce n’est pas d’avoir les cheveux longs ou un T-shirt Hypocrisy. Ce n’est pas tout ça qui nous intéresse, c’est vraiment l’intensité, la profondeur de cette musique. Et même à travers la vélocité et la technique, il y a un truc. Je pense qu’on est allé chercher l’essence de ce qui nous intéressait dans le death metal pour le sublimer en un art qui nous appartient, en quelque sorte. Moi aussi, j’éprouve une certaine sérénité quand j’écoute ma musique. Je ne me sens pas ultra-oppressé. Bon, si je l’écoute dès le matin, à 9 heures du mat’, c’est un peu agressif. Des fois j’attends 10h30 avant de l’écouter ! [rires] Mais c’est pour dire que oui, on ne ferait pas une musique morbide, on ne pourrait pas vivre avec, on ne pourrait pas le défendre sur la route. On n’est pas ce genre de personnes, en tous cas. Ça ne veut pas dire qu’on ne va pas y mettre des choses dark, mais il n’y a pas que ça.
Certaines harmonies rappellent un petit peu les groupes scandinaves. Gojira est très proche par ses paroles de la thématique de la nature, et les groupes scandinaves sont aussi proches de la nature, des paysages, etc. Est-ce que vous vous sentez sur la même longueur d’ondes par rapports à cette scène ? Je pense notamment sur cet album à la partie centrale de « Explode » ou le premier riff du titre éponyme, qui est très sur ce côté post-black metal norvégien.
Il y a un aspect environnemental. Nous, on est basé dans le sud-ouest de la France. On est loin des grandes villes, c’est une ville de seconde zone, proche de Bayonne et Biarritz. Les éléments y sont très, très forts. Les campagnes sont immenses, la mer est sauvage. Ce n’est pas la mer de la Méditerranée, c’est une mer sauvage, dangereuse. Je dirais que le point commun avec les Norvégiens, c’est qu’ils sont aussi dans des paysages grandiloquents, grandioses : des lacs immenses, des campagnes fabuleuses. Ils ont cette connexion avec la nature qui est hyper forte, ils sont un peu eux-mêmes victimes de cette dureté. C’est marrant parce que, en Norvège, ça marche hyper bien pour nous. À chaque fois, on est compris dans nos paroles, on est compris de par l’esthétique, la musique. Il y a un truc qui passe entre les deux. On a un lien avec la Scandinavie, c’est sûr. Et puis, personnellement, j’éprouve beaucoup de plaisir à écouter certains groupes. Je n’ai pas toujours les noms mais quand j’écoute des mélodies black metal qui viennent de Scandinavie, il y a un truc qui me touche, je ne sais pas expliquer. Ce n’est pas forcément quand les voix partent dans une dimension diabolique, mais c’est cette atmosphère qui s’en dégage, cet aspect mélodique, atmosphérique, bizarroïde… Je suis fan. Et je sais que dans l’album, pour la première fois, j’ai amené des mélodies de guitare, je m’en suis un peu inspiré, je pense. C’est peut-être ça que tu ressens.
Question d’auditeur : Depuis que Gojira a obtenu une notoriété mondiale assez conséquente, est-ce synonyme de réussite, ou est-ce que ça ouvre la porte à de plus grandes ambitions ? Grosso modo, le succès est-il une finalité ou un tremplin ?
Déjà, on se réjouit de ce qu’on a là. Chaque jour, on essaie d’apprécier ce qui nous arrive mais on a les deux pieds sur terre. On a quand même de l’ambition mais on est déjà arrivé à une situation qui est très agréable, c’est-à-dire tourner partout dans le monde entier et avoir nos disques dans les bacs ou sur Internet, aujourd’hui. Je ne sais pas trop quoi répondre. On est déjà dans le cœur de ce qu’on fait, on est très concentré sur chaque album, chaque tournée, et puis on verra demain. On verra ce qui arrivera pour le prochain album.
Dialogue entre Franky Costanza (Dagoba) et Mario :
Franky : J’écoute l’interview avec attention, j’ai lu le report titre par titre et ça m’a donné vraiment l’eau à la bouche. Je voulais parler à Mario et à tous les auditeurs et auditrices en toute sincérité. Avant une question, j’aimerais dire deux ou trois petits trucs. Comme beaucoup de monde, j’ai vraiment hâte de pouvoir écouter L’Enfant Sauvage. En lisant le titre par titre, il y a beaucoup de choses qui vont certainement me plaire. Je suis vraiment un fan inconditionnel de Gojira depuis Terra Incognita, on a partagé des scènes au fil des années plus d’une vingtaine de fois. C’est un honneur pour moi, à chaque fois c’est énormément de joie de jouer avant Mario, de discuter batterie avec lui. Je voulais dire que j’apprécie le groupe autant humainement que musicalement, vraiment. C’est un groupe qui mérite l’évolution et le succès qu’il a eu. Je voulais dire aussi que grâce à leur succès et au parcours qu’ils ont réussi à faire, ils donnent beaucoup de rêve, de courage et d’espoir à des milliers de groupes français, en montrant tout simplement qu’on a beau être Français, ce qui n’a pas été très apprécié par les gros labels metal internationaux de façon générale – et Gojira est un peu l’exception qui confirme la règle – on peut finir par y arriver. On voit clairement qu’un groupe qui a envie, qui met du cœur et de l’énergie et qui a beaucoup de talent, beaucoup d’humanité, arrive à exploser les frontières et à planter un gros drapeau bleu-blanc-rouge sur la planète Terre. Et ça, c’est quelque chose qui me touche beaucoup, j’en suis presque un peu ému. Je voulais surtout rendre hommage au parcours de Gojira jusqu’à aujourd’hui, en leur souhaitant bien sûr une réussite encore plus immense, et surtout que cet album-là, L’Enfant Sauvage, soit vraiment la consécration ultime et qu’ils deviennent les nouveaux Metallica. Je pense qu’ils sont à deux doigts.
Et je profite de ce petit parallèle pour poser ma question. Je vais prendre la place d’un journaliste batterie : j’ai vu au fil des années que ton jeu devenait de plus en plus puissant, que ta frappe et l’amplitude de tes gestes devenaient de plus en plus fortes. Étant batteur, je me rends compte que c’est une discipline différente de jouer au Hellfest ou à l’Élysée Montmartre ou dans un petit club. Je voulais savoir si, déjà, tu confirmes ce que j’ai aperçu dans l’évolution de ton jeu au fil des années. Cette frappe de plus en plus puissante et, on va dire, à l’américaine, est-ce que ça a été conditionné et lié au fait de jouer dans de grandes salles immenses, comme l’ouverture de Metallica dans un stade ? Et aussi, est-ce que tu abordes différemment un concert en première partie de Metallica au Stade de France par rapport à une salle de deux mille personnes, au niveau de l’adrénaline, de l’échange avec le public, de l’énergie ? Ces petits trucs de batteur, un quart d’heure avant le concert, est-ce que tu les vis différemment selon si tu as un stade à remplir ou un petit club ?
Mario : Je vais essayer de rassembler tous les éléments, mais d’abord, je veux te dire merci beaucoup pour tout ce que tu as dit, parce que ça me touche profondément. Ça va direct au cœur, j’ai vraiment entendu ce que tu as dit. Je voudrais moi aussi te rendre hommage. C’est un peu mielleux, ce qui se passe ! [rires] Franky, j’ai énormément de respect pour toi, et ce depuis le premier jour où je t’ai vu jouer. C’était à Colmar, je m’en souviendrai toute ma vie. J’ai été vraiment soufflé par l’énergie, ta fougue, ta façon de taper… J’ai beaucoup de respect, je fais souvent référence à toi quand il y a des batteurs français dont j’ai envie de parler. Spontanément, je parle de toi. Je pense que tu es une putain de machine ! [rires] Après, je vais essayer de rassembler les autres éléments. Oui, effectivement, je n’ai pas la même manière d’aborder… Disons que c’est d’avoir tourné dans des grandes salles, d’avoir tourné avec des groupes américains ou européens. Quand je dis américains, c’est des groupes qui ont l’habitude de tourner dans des grandes salles. J’ai été impressionné par l’amplitude des gestes. C’est un truc que j’aime, j’ai toujours été plutôt visuel. Par exemple, je vais parler de Coal Chamber alors que ce n’est pas forcément ma came en musique. Je me souviens de les avoir vus en Espagne et je me souviens des mouvements que faisait le batteur. Ça m’avait fasciné. Pourtant, ce n’est pas ma came, je ne suis pas néo-metal, je ne suis pas un emo. Mais il y a un truc qui m’a vraiment marqué dans le côté visuel, j’aime ça. Ça s’apparente à de la danse, c’est hyper puissant. J’ai toujours voulu m’approcher de cette gamme de jeu et c’est vrai qu’avoir ouvert pour des grands, c’est aussi une sorte de… Comment dire ? C’est une nécessité intérieure de faire un show à la hauteur, un truc de surpassement de soi-même, qui m’a poussé à un jeu avec plus d’amplitude. Ça vient d’une rage, une rage de « on va y arriver, on va imposer notre musique, on va faire un gros show », et ça passe par un rapport au corps un peu chaotique, avec une amplitude. Maintenant, moi, le mot d’ordre que j’ai, même avec mes camarades, c’est que, que ce soit un bar ou un stade, je reste dans cette même intention, cette même énergie. Le seul problème, quand on joue dans des bars (ça arrive encore, aux États-Unis, des petites salles), c’est de trouver une astuce pour les cymbales, pour que ça ne casse pas les oreilles de tout le monde ! Mais, sinon, je reste dans cette même dynamique : à chaque show, je donne tout. Du début jusqu’à la fin, j’essaie de toucher le plafond de mes capacités à 100 %. Le but, c’est que je sois vide quand je sors de scène. J’aime cette amplitude parce que j’aime les batteurs visuels. D’ailleurs, toi aussi tu es très visuel et, ça, j’adore. Il y en a quelques-uns, comme ça. Il y a Pierre Belleville (ndlr : ex-Lofofora, The Do), aussi, qui est un batteur incroyable, au jeu très visuel, à qui je rends hommage. Et puis des batteurs comme Dave McClain, de Machine Head, je ne sais pas si tu te souviens les avoir vus en concert. Le souvenir de Dave McClain qui lève les bras comme ça… Et puis des batteurs comme celui de Candiria. Il y a plein de références de batteurs corporels. J’adore ça, j’ai toujours aimé ça et je vais tout faire pour garder ça.
Franky : Merci pour ta réponse ultra-précise et passionnante ! Je me rappelle très bien de cette date à Colmar. Ça ne nous rajeunit pas, ça remonte aux débuts de notre discographie à tous les deux. J’étais déjà super bluffé par le solo de batterie, c’était impressionnant. Plus ça va, plus tu ajoutes des trucs dans ton jeu qui rendent l’ensemble de plus en plus impressionnant. Pour moi, en ce moment, au vu des derniers concerts, tu tapes de plus en plus fort, avec encore plus de groove, encore plus de précision. La double, c’est vraiment un régal pour des centaines de batteurs français. Je crois que tu mets la barre tellement haut que ça donne envie de taper sur sa batterie dès le lendemain. Après avoir vu un concert de Gojira, on se dit : « Demain, je vais aller sur ma batterie, il faut que je rattrape le retard ! »
Mario : Merci beaucoup, Franky, ça fait plaisir. Et je dois te dire aussi – même si c’est une discussion entre nous deux et qu’on ne se rend pas compte qu’il y a les auditeurs – que je joue avec un short Serial Drummer. J’ai fait à peu près 200 dates avec le même short. C’est un peu la honte de dire ça ! Il a même fait la première partie de Metallica, ton short !
Franky : Énorme merci pour ton soutien à Serial Drummer ! Ce que je vais faire, si tu en as fait 200, il va falloir que je t’en donne un autre, parce que peut-être qu’il ne sent plus trop bon !
Mario : Ce serait pas mal, ouais ! (rires) Ouais, carrément !
Franky : Je vais venir vous voir le 15 mai prochain à Marseille. Ce sera l’occasion de me prendre une petite secousse « batteristique » de près. Je t’apporterai un petit lot de nouvelles fringues. On a de nouveaux produits assez jolis. Je vois souvent des vidéos ou des photos où tu as un T-shirt Serial Drummer, et ça me fait super plaisir.
Mario : C’est la moindre des choses. Tu le mérites, tu te bouges pour ça. On ne fait que se complimenter, depuis tout à l’heure, avec les auditeurs qui nous écoutent !
Radio Metal : Faites-vous des bisous, quand même !
Mario : Je te fais des bisous, Franky, ouais !
Franky : Écoute, je te remercie beaucoup. Je souhaite à tout le groupe un immense succès pour le nouvel album. Passe le bonjour à tous les autres membres du groupe. Bonne promo, bon début de tournée. Et au nom de tous les groupes metalleux français qui débutent, ou même de tous les fans de metal, que toute la France est derrière Gojira pour montrer que dans ce style de musique, on a des grosses couilles en France.
Radio Metal : Merci à vous deux, c’était très agréable de vous entendre. C’était très émouvant !
Mario : Moi aussi, je suis ému, je suis même en sueur, là !
Radio Metal : On aurait préféré qu’il y ait une telle rivalité entre vous que vous vous engueuliez à l’antenne. Ça aurait été génial, ça nous aurait ramené des auditeurs en plus ! Mais bon, c’est raté !
Mario : Je pense qu’on est profondément gentils, Franky et moi. C’est notre défaut, d’ailleurs, on est trop gentils. On a beaucoup de respect l’un pour l’autre et ce qu’il a dit m’a vachement touché. Je n’ai pas réussi à lui rendre la pareille parce que c’est vraiment quelqu’un qui a mis la barre très haut et qui m’impressionne beaucoup. Il a une gestuelle de fou, je ne peux pas faire un dixième de ce qu’il fait, ne serait-ce qu’avec ses baguettes, c’est incroyable. Il est très visuel, il est décomplexé… J’ai beaucoup de respect pour Franky, vraiment. Je l’ai toujours dit et je le dirai toujours.
Radio Metal : Je sens que ça va se terminer en soirée shorts et baguettes, tout ça ! Très rapidement, le mot de la fin, avant de conclure. Vous allez jouer en première partie de Metallica au Stade de France. Un groupe de metal français qui joue au Stade de France, ce n’est quand même pas rien. Une petite réaction là-dessus ?
Mario : Là où je suis fier, c’est que mon père, pour la première fois de sa vie, peut en parler à ses amis. « Mon fils joue au Stade de France », et tout de suite, c’est : « Aaaaaah… » C’est un repère, quand même. C’est incroyable, le Stade de France, c’est tout un symbole. C’est Zizou, aussi ! [rires] C’est super de jouer au Stade de France pour Metallica, en plus pour les vingt ans du Black Album. C’est quelque chose d’immense et on est loin d’être blasé de jouer de nouveau avec Metallica. Mais je t’avoue que pour l’instant, j’essaie de ne pas trop y penser. Je préfère donner le maximum au moment où ça arrivera.
Interview réalisée le 24 avril 2012 en direct pendant Anarchy X par Spaceman et Metal’o Phil
Retranscription : Saff’
Site Internet de Gojira : www.gojira-music.com
Album : L’Enfant Sauvage, sortie le 25 juin 2012 via Roadrunner Records
J’ai trouvé pourquoi ils l’ont appellé l’Enfant Sauvage, je suis sur qu’un jour Mario a dit à Joe:
« Hey fréro, si on choisissait l’Enfant Sauvage, histoire de se taper une bonne barre pendant une interview avec un journaliste anglais qui peinera à le prononcer? »
« Putain ouais! »
Je serais au stade de France!!! Ca va etre génial!!! J’espère qu’il y aura des titres de L’enfant Sauvage! Mais place pas dans la fosse, c’est un peu chiant :s
Merci RM pour ce fabuleux interview, étant batteur, Mario et Franky font partit de mes plus grandes inspirations, ces mecs sont géniaux, un feeling une technique et un jeu de malade et surtout : ils sont super sympas !
Vous êtes des tueurs les Gojira. J’ai 35 ans, et je vous kiffe à mort, mes enfants (que vous avez vu à Briouze été 2011 avec leurs panneaux) de 10 et 11 ans vous adorent également!!! Merci car comme Métallica, vous êtes une locomotive musicale et parolière qui nous stimule… On sera avec vous à Caen le 5 mai et de tout coeur avec vous le 12 mai. Les petits panneaux des enfants seront remplacés par une énorme banderolle. Continuez comme ça, ne changez rien à votre état d’esprit!!!!
La ROBICH’ Family!!!
Merci pour cette très bonne interview!!
Excellente ITW, un régal.
Tout zico’s a forcément de l’admiration pour l’une ou l’autre pointure dans son domaine. Je me suis toujours demandé, dans le cas d’un Master Class comme Francky (que je salue au passage s’il lit ce comm’), si cette règle était vérifiée ? Merci pour la réponse ! 😉
Sympathique, modeste, talentueux et célèbre : au moyen âge, Mario aurait fini sur un bûcher. Personne à cette époque n’aurait douté qu’il ait vendu son âme au diable. 🙂
Très bonne interview.
Je n’aime que leur dernier album en date, mais j’apprécie fortement la mentalité des deux frangins.
Dans 20 ans quand ils rempliront seuls les stades du monde entier, les mauvaises langues les critiqueront comme l’est le groupe Metallica de nos jours :D.
j’adore ce groupe le dernier opus excellent from mars aussi et rien que d’avoir vu les teaser je suis impatient d’écouter le nouvel album
Franchement … passionnant d’écouter Mario et son échange avec franky !
Ouah =) on a de quoi être fière de ces mecs ! Franchement bravo pour l’interview ! 😉
Comment peut-on être aussi doué, simple, gentil, touchant, puissant, subtil, intelligent, humble…
J’avais déjà été choqué par l’interview de son frère…
GOJIRA est décidément un grand groupe à tout point de vue !
On ne pourrait imaginer meilleur représentant de la France dans la sphère métal !!!
Vivement le 25 juin !!!
tout à fait d’accord, et en plus plein de modestie!
très très impatient de pouvoir écouter cet « Enfant Sauvage », en espérant un petit aperçu pendant leur tournée!
un grand groupe!!
Bon interview, merci !
Merci pour le podcast,si vite !
hier soir j’ai pas pu écouter Anarchy-X, c’tait soirée Pecha-Kucha au Nakamal.
Et ça fait toujours plaisir d »écouter Mario parler de son groupe!