Encore l’autre jour un ami me disait stupéfait, avec un petit sourire en coin : « Europe ? Ils ne sont pas morts et enterrés eux ? » Je ne lui en veux pas, car ce n’est pas le premier à me faire cette réflexion à la mention de ce groupe. Malgré tout, lorsqu’on a suivi la carrière des Suédois ces quelques dernières années, il y a quelque chose d’assez désemparant à encore entendre des gens s’étonner. Et pour cause, en 2004, c’est un véritable nouveau départ au sommet qu’a initié le groupe de John Norum et Joey Tempest. C’est certain que les plus de dix ans d’absence ont joué pour les faire quelque peu oublier mais, tout de même, cela ne justifie pas qu’après trois albums exemplaires ils soient toujours catalogué comme ce groupe des années 80 qui a fait un seul et unique tube. Dans les années 80, cette vision ne tenait déjà pas…
Combien étaient-ils d’ailleurs à être venu au Hellfest 2009 en se disant qu’ils allaient voir Europe « pour se marrer » et qui se sont retrouvés face à un groupe de hard loin, très loin même, du ridicule qui en était attendu. Et pour cause, Europe a donné l’une, si ce n’est la meilleure prestation de ce Hellfest, fédérant toutes les communautés du metal – pour beaucoup arrivés en curieux dans un premier temps avant de se surprendre à adhérer – sous sa bannière.
On va éviter de revenir sur le « drame » de ces groupes qui ont eu le « malheur » de se faire connaître du grand public sur un tube interplanétaire devenu kitch avec le temps et masquant le reste de leur œuvre. De toutes manière, c’est symptomatique de l’homme moderne : retenir avant tout ce qui est grossier, facile voire anecdotique. Il suffit de voir en cette période d’élection présidentielle les différents candidats, journalistes et militants ressortir les petites phrases stupides que les uns et les autres ont pu sortir il y a de ça des années. Comme si l’homme que l’on est aujourd’hui se résumait à quelques phrases « choc » de notre passé qui n’a plus grand-chose à voir avec notre présent.
Et voilà un groupe, Europe, aujourd’hui fermement décidé à vivre dans le présent. C’est dire, celui-ci a affirmé récemment, via son guitariste John Norum, ne pas exclure de retirer de ses setlists, un jour futur, ce fameux tube. Europe n’a d’ailleurs aucune raison d’avoir recours à la nostalgie lorsque l’on constate ce dont le quintet est capable trente ans après ses débuts. Europe avait d’ailleurs pris tout le monde par surprise avec Start From The Dark, un album résolument moderne, sombre et, surtout, présentant de manière inédite quelques riffs lourds et gras signés John Norum que n’aurait certainement pas renié un certain Zakk Wylde. Le pire, c’est que ça fonctionne. Secret Society, son successeur, s’avère, quant à lui, plus lumineux mais toujours aussi moderne, tout comme Last Look At Eden, jouant peut-être un peu plus la carte de la diversité et de la sophistication (l’orchestre utilisé sur certains titres n’est sûrement pas étranger à cette impression).
En 2012, Europe a clairement encore des choses à dire. Plus encore, il a bien la ferme intention de continuer à taper du poing sur la table avec son Bag Of Bones fraîchement sorti. Ce n’est pas un hasard si le remarquable Kevin Shirley a été appelé pour prendre en main la production du disque, alors que le groupe avait lui-même signé celle de ses trois derniers efforts. Un producteur connu pour avoir travaillé avec des formations poids lourd tels qu’Aerosmith, Iron Maiden, Dream Theater, The Black Crowes, Mr. Big ou Journey, en plus d’avoir produit les deux albums de Black Country Communion. Son savoir-faire pour donner un nouveau souffle à des artistes de classic-rock n’est plus à démontrer. Europe avait visiblement quelque chose en tête en faisant ce choix. C’était même loin d’être anodin. Le parti pris est clair dès l’ouverture « Riches To Rags » : une talk-box introductive avant que le riff principal de la chanson n’explose littéralement. Europe déménage. Europe groove. La guitare de John Norum est immense et grasse. Les claviers de Mic Michaeli s’orientent vers l’orgue Hammond « purplien ». « Not Supposed To Sing The Blues » confirme. Europe s’inscrit dans la tendance actuelle de mettre au goût du jour un classic-rock bluesy à la fois efficace et sophistiqué. La démarche de Bag Of Bones se place dans la droite lignée des œuvres de Chickenfoot et Black Country Communion. C’est, en quelque sorte, la revanche des quinquas (ou presque) venus montrer à tous ces petits jeunes comment se joue le rock tel que l’avait imaginé les Led Zeppelin, Deep Purple et Black Sabbath. C’en est même devenu viscéral chez cette génération de rockers et c’est pourquoi ils le font avec une telle facilité et un tel plaisir.
Les fondamentaux sont évidement ceux bâtis dans les années 70 : riffs de guitares hérités du blues portant à bout de bras les titres, des claviers organiques (Michaeli ne lâche presque pas son orgue Hammond), des solos de guitare en feu d’artifice et un Joey Tempest qui ne s’économise pas. A ce titre, le rock’n’roll bluesy en diable de « Doghouse » ne manque pas de rappeler le Whitesnake de la fin 70’s / début 80’s. Plus encore, comment ne pas penser à Led Zeppelin avec, par exemple, « Drink And Smile », très « Battle Of Evermore » dans l’esprit, ou les claviers orientaux, très « Kashmir » cette fois-ci, de « How To Sing The Blues ». Il y a d’ailleurs dans cet album un sens de l’arrangement qui confère une classe et une profondeur à sa musique : les discrètes percussions du titre précité ou la sitar de ce véritable voyage en Orient que propose le pont de « Firebox ».
Pourtant, même si les fondamentaux sont ceux des années 70, plus que pour n’importe quel opus jamais réalisé par Europe, Bag Of Bones sonne résolument ancré dans son époque. Dans la production claire et punchy de Kevin Shirley tout d’abord. Une production qui réussit le tour de force de conférer à l’album un aspect à la fois brut et très propre. Puis, il y a ces riffs heavy à souhait, parfois sous-accordés, dans la lignée de ce qu’avait déjà proposé Europe sur ses trois précédentes œuvres. En particulier ceux incroyablement lourds de « My Woman My Friend », « Riches To Rags » ou « Mercy You Mercy Me » qu’aucun groupe de stoner actuel n’aurait renié, Black Label Society en tête. Plus généralement, un travail méticuleux a de toute évidence été apporté dans le son et les arrangements de guitare pour adapter la palette de couleurs en fonction des besoins de chaque parties. Europe fait donc du classic rock avec « le blues qui cogne à la porte », pour ne faire que citer Tempest, mais il le fait conjugué au présent.
Autant dire qu’avec Bag Of Bones, ceux qui ont loupé les précédents épisodes et qui voient toujours Europe comme un groupe kitch des années 80 risquent de tomber de haut et voir leurs idées reçues sur le groupe mises à mal. En tout cas, une chose est certaine, le compte-à-rebours final est encore loin d’arriver à échéance pour Europe…
Bag Of Bones : sortie le 30 avril 2012 via earMUSIC.
Je vais dire une grosse bêtise, mais j’assume totalement, si, si… La pochette de leur dernier album m’a immédiatement fait penser a une photo extraite d’un jeu d’objets cachés…
Voilà c’est dit, je sors prendre l’air… 🙂
pour info, tu peux même retrouver tous les titres de l’album sur la pochette !!! faut innover!! europe the best
Excellente chronique pour un album qui l’est tout autant!
Mine de rien, je me demande si depuis quelques années nous ne sommes pas en train d’assister à un re-revival du blues, sous différentes formes.
Plus rock, voire parfois pop avec Black Keys and co’, ou plus » underground » dans le Stoner.
Je sais bien que le blues a distillé ses influences dans de nombreux genres, et que beaucoup de bluesman existent ( fort heureusement ) encore, mais en tant que grand amateur de blues, j’en retrouve de plus en plus dans un grand nombre d’artistes contemporains. Même en eletro ! ( Down the Road, je vous en conseil l’écoute d’ailleurs ! )
C’était la petite réflexion perso un peu chiante !
Je fais parti de ceux qui ont un sourire en coin lorsque l’on cite le groupe « Europe ».
J’avoue ne pas les connaitre, donc être moins con je vais écouter leurs derniers albums.
En plus elle est très jolie la jacket, ça change du style ultra banal ou cliché des autres groupes de hard ou metal.